Carte d'Italie avant 1848, avec 7 états

1848–1852, “Le Printemps des peuples” (troisième partie)

Dossier : Libres proposMagazine N°561 Janvier 2001Par Gérard PILÉ (41)

Suite des numéros de mars et sep­tem­bre 2000. Nous tenons à remerci­er de leurs encour­age­ments plusieurs lecteurs, plus par­ti­c­ulière­ment notre cama­rade Hen­ri Zam­beaux (35) pour ses remar­ques per­ti­nentes touchant le plébiscite con­sé­cu­tif au coup d’État du 2 décem­bre 1851 : si on lit atten­tive­ment le décret (p. 75 du numéro de sep­tem­bre 2000) pré­cisant les modal­ités pra­tiques du scrutin, on con­state qu’il ne se déroule pas à bul­letins secrets, mais par enreg­istrement nom­i­natif sur deux reg­istres séparés, l’un “ d’acceptation ”, l’autre de “ non-acceptation ”.
Dans le cli­mat de peur et d’intimidation rég­nant alors, il fal­lait un cer­tain courage à l’opposant pour se démas­quer. (Rap­pelons que les maires sont désignés par les préfets.) Ne con­traint-on pas à l’exil (quand ce n’est pas à la dépor­ta­tion) les opposants irré­ductibles comme Vic­tor Hugo lequel ne dut son salut qu’à la fuite (sa ran­cune tenace con­tre “ Napoléon le Petit ” est assez compréhensible).

Nous avons vu que, faute de pré­ten­dants crédi­bles, la France s’est livrée, pour le meilleur et pour le pire, à un “prince de hasard” (Toc­queville dix­it) qui, pour avoir les mains libres, com­mence par lui con­fis­quer ses lib­ertés civiques.

Ain­si sans voix, bercée de pro­pos lénifi­ants, “l’Em­pire c’est la paix…”, la France s’a­chem­ine dès 1852 vers une nou­velle phase de son his­toire, poli­tique­ment placée sous le signe du césarisme à l’in­térieur et, ce qui devait être plus lourd de con­séquences, de l’in­co­hérence à l’extérieur.

Mais restons dans les lim­ites de notre pro­pos et revenons à cette fatidique année 1848, élargie cette fois aux dimen­sions de l’Eu­rope, son véri­ta­ble cadre, en prenant d’abord la mesure de la fièvre qui s’en empare soudain, sans com­mune mesure avec celle de 1830, faisant en com­para­i­son plutôt fig­ure de symp­tôme prémonitoire.

Tous les États de la pénin­sule Italique, le vaste Empire autrichien d’alors avec ses minorités slaves, hon­grois­es, latines, les divers États alle­mands, la Prusse sont touchés par la vague de fond révo­lu­tion­naire et con­tes­tataire de l’or­dre en place.

Des soulève­ments se mul­ti­plient, notam­ment à Naples, Rome, Milan, Venise, Vienne, Budapest, Prague, Berlin. Partout les monar­chies rég­nantes vac­il­lent, démé­na­gent ou con­cè­dent aux exi­gences de réformes libérales des uns, de reven­di­ca­tions d’au­tonomie des autres.

C’est une véri­ta­ble méta­mor­phose du paysage poli­tique de l’Eu­rope qui sem­ble s’en­gager, une éclo­sion print­anière pré­coce (nous sommes en mars) de lib­ertés, autrement dit un “Print­emps des peu­ples” où tout sem­ble alors pos­si­ble, un avenir de paix s’ou­vrir entre peu­ples libres de leur destinée.

À la source de ces sec­ouss­es révo­lu­tion­naires, géo­graphique­ment dis­per­sées, plus ou moins con­comi­tantes et inter­dépen­dantes, on trou­ve des reven­di­ca­tions très divers­es d’un pays à l’autre, assor­ties à leurs con­textes poli­tiques, sit­u­a­tion com­plexe ren­dant malaisé l’ex­posé cohérent des événements.

C’est pourquoi, pour aider à y voir plus clair, on a jugé utile ici de pren­dre d’abord de la hau­teur au niveau des cycles his­toriques en rap­pelant à grands traits leurs hori­zons en amont et à l’aval.

Après la dis­lo­ca­tion de l’Em­pire napoléonien, le remem­bre­ment poli­tique de l’Eu­rope avait été entière­ment réglé entre princes et chance­liers, en fonc­tion d’in­térêts dynas­tiques, don­nant lieu à Vienne d’oc­to­bre 1814 à jan­vi­er 1815 à des trac­ta­tions com­plex­es, où s’en­tre­croi­saient marchandages, aban­dons, pré­ten­tions et compensations.

Les dis­cus­sions avaient surtout été âpres et même âcres entre la Prusse et l’Autriche. Au bout du compte, on avait surtout redis­tribué les mis­es sous tutelle et dis­posé bon gré mal gré de peu­ples entiers comme la Pologne ou de minorités nationales au des­tin vagabond.

Quel que soit l’ar­bi­traire de ces arrange­ments monar­chiques, il faut au moins leur recon­naître le mérite d’avoir préservé la paix en Europe pen­dant une quar­an­taine d’an­nées jusqu’au milieu des années 1850.

L’heure de l’Autriche

Après 1815, l’Eu­rope de la pre­mière moitié du siè­cle est poli­tique­ment dom­inée par l’Autriche qui réus­sit à se faire attribuer la “part du lion” dans le partage des dépouilles de l’Em­pire français, obtenant par ailleurs le rétab­lisse­ment de fait du “Saint Empire romain ger­manique” sous le nom de Con­fédéra­tion ger­manique (Napoléon Ier l’avait dis­sous pour lui sub­stituer la Con­fédéra­tion du Rhin).

Cette restau­ra­tion rendait en principe à l’Autriche la prépondérance poli­tique en Alle­magne mais au grand dam de la Prusse qui, s’es­ti­mant frus­trée des fruits de sa vic­toire, médit­era de pren­dre sa revanche le moment venu. Ain­si comblée, l’Autriche se fait la citadelle du con­ser­vatisme en Europe tant à l’in­térieur qu’à l’extérieur.

Sur­prise par la révo­lu­tion de 1848 c’est de justesse qu’elle échappe à l’é­clate­ment. Ne devant son salut qu’au loy­al­isme et à la puis­sance de son armée, elle fait encore fig­ure de leader européen en 1850 en met­tant en échec à Olmütz les ambi­tions ter­ri­to­ri­ales de la Prusse.

L’heure de l’Allemagne

Bref sur­sis, l’Eu­rope de la sec­onde moitié du siè­cle passe à “l’heure alle­mande” insen­si­ble­ment d’abord, bru­tale­ment ensuite avec les désas­tres mil­i­taires infligés par la Prusse à l’Autriche en 1866 à Sad­owa et à la France qua­tre ans plus tard.

Deux fig­ures de proue se suc­cè­dent, domi­nent tour à tour la scène poli­tique de l’Eu­rope, la mar­quent de leur esprit, au cours de ces demi-siè­cles : Met­ter­nich et Bis­mar­ck. Le pre­mier quitte pré­cipi­ta­m­ment la scène en 1848, le sec­ond y fait son entrée.

Met­ter­nich avait été appelé en 1809 après Wagram pour diriger la diplo­matie autrichi­enne (N’avait-il pas vu juste en jugeant sui­cidaire l’af­fron­te­ment mil­i­taire avec Napoléon Ier ?) Il avait alors prôné une poli­tique paci­fique de tem­po­ri­sa­tion dans l’at­tente de cir­con­stances favor­ables à la reprise des hostilité.

Après les traités de Vienne, sa grande affaire, l’in­ven­teur du nou­v­el ordre européen se voit pro­mu en 1821 chance­li­er de l’Empire.

Esti­mant que l’Autriche avait atteint sa taille opti­male, se sat­is­faisant des struc­tures poli­tiques exis­tantes, n’ayant d’autre han­tise que “la Révo­lu­tion”, Met­ter­nich se fait l’en­ne­mi de toute inno­va­tion, com­pro­met­tant peu à peu la répu­ta­tion, l’im­age du régime (son recours abusif à la cen­sure et à la police) et en fin de compte son avenir.

Dis­cer­nant mal les change­ments qui s’opèrent en pro­fondeur, le soulève­ment de Vienne le prend au dépourvu, le con­traint à s’en­fuir et aban­don­ner défini­tive­ment la vie politique.

Bis­mar­ck, porte-parole des junkers prussiens au Land­tag de Berlin en 1848, se met en tra­vers du proces­sus de libéral­i­sa­tion déjà large­ment engagé par Frédéric-Guil­laume IV, il s’emploie avec suc­cès à le tor­piller, plus pré­cisé­ment à faire pren­dre peur au roi (qui est un vel­léi­taire) de ses audaces, l’a­menant ain­si à une volte-face complète.

Bis­mar­ck fait ensuite son appren­tis­sage de la diplo­matie inter­na­tionale à Franc­fort, à Saint-Péters­bourg et pour finir à Paris jusqu’en 1861, année où le roi de Prusse, Guil­laume Ier, le rap­pelle à Berlin pour en faire son chance­li­er. Vingt-sept ans durant, le “Chance­li­er de fer” va domin­er la vie poli­tique de l’Eu­rope, lui impos­er un nou­v­el équili­bre axé sur la prépondérance de l’Alle­magne unifiée en 1871 [A1].

Com­ment ne pas not­er incidem­ment le par­al­lélisme chronologique éton­nant à quar­ante ans d’in­ter­valle des par­cours poli­tiques de ces deux hommes.

Le pre­mier, d’o­rig­ine rhé­nane, est un homme du XVIIIe siè­cle, un esprit cos­mopo­lite, esti­mant de bonne foi que l’or­dre poli­tique ancien était le meilleur possible.

Le sec­ond, plus prussien qu’alle­mand, grand fauve de la poli­tique, homme d’ac­tion et d’an­tic­i­pa­tion, lègue, pour le mal­heur de l’Eu­rope, son esprit, à l’Alle­magne, mais non son réal­isme et sa mesure.

LE “PRINTEMPS” ITALIEN DE 1848

Les fam­i­liers de l’I­tal­ie savent la place priv­ilégiée tenue par le Risorg­i­men­to, son his­toire dans la mémoire et la cul­ture ital­i­ennes, son enseigne­ment dans les écoles et uni­ver­sités, qui vont jusqu’à lui réserv­er une chaire spé­ciale… sans par­ler, bien enten­du, de son évo­ca­tion foi­son­nante [A2] par les via, viale, stra­da, piaz­za, ponte

À l’heure où les parte­naires de l’U­nion européenne sont implicite­ment con­viés à mieux se con­naître et se com­pren­dre on ne s’é­ton­nera pas de la pri­mauté accordée ici à ce moment fatidique de l’his­toire de nos voisins, si l’on con­sid­ère que la révo­lu­tion de 1848, en met­tant le feu à toute la pénin­sule avec ses péripéties dra­ma­tiques, prélude au grand cham­barde­ment européen accom­pa­g­nant son proces­sus d’u­ni­fi­ca­tion, achevé vingt-trois ans plus tard en 1871.

On admet volon­tiers, un peu vite, en France, que le sig­nal des soulève­ments de 1848 en Europe soit par­ti des rives de la Seine. Qu’il l’ait attisé c’est assez évi­dent, il faut cepen­dant admet­tre que l’an­téri­or­ité de l’ef­fer­ves­cence poli­tique et des pre­miers soulève­ments se situe en Ital­ie, zone alors la plus sen­si­ble de l’Eu­rope, où l’or­dre, le découpage ter­ri­to­r­i­al imposés en 1815 sont de plus en plus mal sup­port­és par les populations.

À la veille de 1848, la carte poli­tique de l’Italie est une mosaïque de 7 États qu’il faut avoir à l’esprit pour suiv­re la chaîne com­plexe des événements :
  • au pied de la “ Botte ” : le roy­aume de Naples s’étendant de la Sicile aux Abruzzes où règne François II (branche des Bour­bons des Deux-Siciles) ;
  • au cen­tre, les États du pape Pie IX cou­vrant le Latium, l’Ombrie, les March­es et l’Émilie-Romagne (sauf Parme) ;
  • au cen­tre nord, la Toscane et son “ grand-duc ”, les duchés de Parme et de Modène ;
  • au nord-ouest, le Pié­mont et sa cap­i­tale Turin, rési­dence du roi Charles-Albert, dont les “ États sardes ” englobent la Savoie, le comté de Nice (repris à la France en 1815) et la Sardaigne ;
  • enfin, au nord-est, le Milanais, le Trentin, la Vénétie et l’Istrie sont sous la dom­i­na­tion autrichienne.

Il n’est peut-être pas super­flu de rap­pel­er que Napoléon Ier avait mis l’I­tal­ie sur la voie de l’u­nité en trans­for­mant les “Républiques sœurs” créées par le Direc­toire en roy­aumes pour “Napoléonides”. En dehors de Naples enlevé aux Bour­bons et attribué à son frère Joseph, puis à son beau-frère Joachim Murat, l’Em­pereur (qui s’é­tait couron­né roi des Lom­bards) avait con­fié l’I­tal­ie du Nord y com­pris Venise à son beau-fils Eugène de Beauhar­nais nom­mé pour la cir­con­stance vice-roi d’I­tal­ie, éten­dant même son pou­voir après 1809 aux États pon­tif­i­caux. Même si les pop­u­la­tions n’avaient pas tou­jours appré­cié l’oc­cu­pa­tion française (lourds trib­uts, répro­ba­tion soulevée par le traite­ment infligé à Pie VII…), elles n’en avaient pas moins ressen­ti les bien­faits d’une admin­is­tra­tion effi­cace en sorte que l’in­ter­mède français avait incon­testable­ment con­tribué à réveiller les vieux rêves d’unité.

Un “pape libéral” : Pie IX

Les pos­ses­sions de l’Église, État sou­verain au plein sens du terme, assurent au Saint-Siège une large autonomie tem­porelle vis-à-vis des sou­verains européens, si sou­vent portés, au cours de l’his­toire, à faire pres­sion sur lui, pour servir leurs des­seins poli­tiques, con­tester son mag­istère ecclésial ou moral, ses immixtions.…

Le con­grès de Vienne avait garan­ti l’in­tégrité des États pon­tif­i­caux con­fisqués de 1807 à 1814 par Napoléon Ier à la suite du refus de Pie VII de sor­tir de sa neu­tral­ité et se pli­er aux exi­gences du blo­cus continental.

À l’is­sue de ces épreuves le sim­ple réal­isme poli­tique com­mandait à l’Église romaine de se ranger du côté des sig­nataires des traités de Vienne.

Rome n’avait pas hésité à plusieurs repris­es à stig­ma­tis­er les thès­es libérales, comme en 1832 après la con­damna­tion de Lamen­nais, dans l’en­cy­clique Mirari vos où le pape Gré­goire XVI s’é­tait élevé con­tre la liber­té absolue et sans frein des opin­ions qui, pour la ruine de l’Église et de l’É­tat, vont se répan­dant de toutes parts et que cer­tains hommes par un excès d’im­pu­dence ne craig­nent pas de con­sid­ér­er avan­tageuses à la reli­gion.

En d’autres cir­con­stances, le Vat­i­can avait dénon­cé les ten­ta­tives d’é­man­ci­pa­tion des peu­ples et les sociétés secrètes fomen­ta­tri­ces d’in­sur­rec­tions (comme celle des car­bonari en Romagne où était impliqué Louis Napoléon).

L’élec­tion en 1846 du pape Pie IX, réputé libéral, avait soudain renou­velé l’at­mo­sphère poli­tique de la pénin­sule, fait pass­er un souf­fle d’air frais, ravivé par ses ini­tia­tives, les espérances latentes de libéral­i­sa­tion des insti­tu­tions. N’avait-il pas mis en place un gou­verne­ment exclu­sive­ment laïc avec représen­ta­tion par­lemen­taire à deux cham­bres. À tra­vers cette réforme fon­da­men­tale, Pie IX entendait désor­mais sépar­er com­plète­ment le gou­verne­ment tem­porel de ses États en y impli­quant ses sujets, du gou­verne­ment ecclésiastique.

Ce dernier voy­ait son champ de com­pé­tence lim­ité aux ques­tions soit intérieures d’or­dre religieux, soit extérieures comme les finances de l’Église, en tant qu’in­sti­tu­tion uni­verselle. Homme de clarté et d’ac­tion, soucieux de la bonne marche et admin­is­tra­tion de ses États, Pie IX avait par ailleurs inspiré en 1847 une Union douanière avec la Toscane et le Piémont.

Un réformisme contagieux

Sous la pres­sion des mod­érés les inci­tant à suiv­re la voie ain­si ouverte par le Sou­verain Pon­tife, les sou­verains de la pénin­sule enga­gent des réformes dans un sens libéral.

Charles-Albert, qui nour­ris­sait des ambi­tions expan­sion­nistes pour la mai­son de Savoie, par­ti­c­ulière­ment soucieux de son image dans l’opin­ion ital­i­enne, ne tarde pas à libéralis­er son régime et con­sti­tu­tion­nalis­er sa monar­chie. Il y est d’ailleurs poussé par le souci d’af­faib­lir l’in­flu­ence rivale des patri­otes répub­li­cains, à l’a­vant-garde du Risorg­i­men­to, même si ce rêve revêt dans l’imag­i­naire col­lec­tif des formes divers­es don­nant lieu à des débats pas­sion­nés. Une vieille ligne de frac­ture, trait spé­ci­fique de l’his­toire ital­i­enne, avait ressur­gi, à cette occa­sion, en réponse à la ques­tion suiv­ante : où situer le cœur de l’I­tal­ie unifiée ?

Pour les uns, les “néo-guelfes”, ce doit être la Rome papale au cen­tre d’une ligue des monar­chies con­sti­tu­tion­nelles de la pénin­sule. Leur théoricien et apol­o­giste est un prêtre philosophe turi­nois, Giober­ti, dont les sym­pa­thies ini­tiales pour le mou­ve­ment “Jeune-Ital­ie” de Mazz­i­ni l’avaient con­duit à s’ex­il­er en 1833 à Paris. Son influ­ence lui vaut d’être rap­pelé en 1848 par Charles-Albert qui lui con­fie des respon­s­abil­ités, mais le con­traint bien­tôt à se retir­er, faute d’avoir réus­si à le con­ver­tir à sa poli­tique. La dis­pari­tion pré­maturée en 1852 de Giober­ti revenu à Paris va porter un coup très dur à la cause fédéraliste.

Pour les autres, les “néo-gibelins”, par­ti­sans d’un gou­verne­ment exclu­sive­ment laïc, l’ex­cep­tion romaine est intolérable, et ne souf­fre aucun com­pro­mis. Le chef de file de cette ligne pure et dure est le Génois Guiseppe Mazz­i­ni (1805–1872) alliant dans son pro­gramme nation­al­isme intran­sigeant, foi répub­li­caine, croy­ance au pro­grès indéfi­ni… Mazz­i­ni, fig­ure de proue de l’u­nité ital­i­enne, est un con­spir­a­teur impéni­tent pour lequel tous les moyens sont bons, au besoin le ter­ror­isme, s’ils ser­vent la cause nationale à laque­lle il con­sacre sa vie. Empris­on­né, puis expul­sé de son pays, il se réfugie lui aus­si à Paris en 1831, où il fonde son célèbre mou­ve­ment Gio­van­na Italia devenu pôle d’at­trac­tion pour tous les patri­otes ital­iens (Giober­ti, Garibal­di…). Sus­pect à Paris, il se réfugie à Lon­dres, ren­tre en Ital­ie en 1848 et s’en­rôle dans les troupes de Garibal­di qui pren­nent Rome et en assurent la défense.

Retenons que sous cet habil­lage anachronique (néo-guelfes, néo-gibelins) se pose virtuelle­ment le prob­lème de la survie du pou­voir tem­porel du pape que ce soit dans le cadre d’une république ou d’une monarchie.

Résumons : trois voies s’of­frent a pri­ori au Risorg­i­men­to.

  • Une fédéra­tion groupée autour du Saint-Siège, au sein de laque­lle la papauté trou­verait au moins sa place.
  • Une république renouant avec la tra­di­tion antique d’e­sprit rad­i­cal et voltairien très hos­tile à l’Église.
  • Enfin un roy­aume con­sti­tu­tion­nel unifié sous la mai­son de Savoie. On sait que cette dernière solu­tion fini­ra par tri­om­pher… vingt-trois ans plus tard.


Combats de rues à Milan en 1848
Cinq journées de Milan, du 18 au 22 mars 1848. Com­bat de rues à la Porte Tosa.  © ROGER VIOLLET

Année 1848 : la révolution en marche.
Le film des événements

C’est au roy­aume de Naples qu’ap­pa­raît le pre­mier foy­er d’in­cendie, avec l’in­sur­rec­tion séparatiste de la Sicile le 12 jan­vi­er 1848, auquel font écho le mois suiv­ant au nord de la pénin­sule les soulève­ments de la Lom­bardie et de la Vénétie con­tre l’oc­cu­pant autrichien.

UN EUROPÉEN AVANT L’HEURE CARLO CATTANEO

Ce pro­fesseur et pub­li­ciste milanais, human­iste célèbre en son temps, mar­qué par ses orig­ines ter­ri­ennes, est un esprit con­cret, pas­sion­né d’a­gronomie, de tech­nolo­gies indus­trielles (édi­teur du men­su­el Il Politec­ni­co), épris de pro­grès économique et social, entière­ment dés­in­téressé et dévoué au bien pub­lic, ce qui n’est pas si commun.

Cat­ta­neo estime sans objet, inactuel, inutile­ment diviseur le débat entre néo-guelfes et néo-gibelins.

Chef de file à Milan du courant fédéral­iste, il milite, en effet, au-delà de l’é­man­ci­pa­tion de la Lom­bardie, en faveur d’une phase tran­si­toire de coex­is­tence paci­fique avec les autres États de la pénin­sule quels qu’ils soient, prélu­dant le moment venu à leur fédéra­tion nationale, dernière étape avant une Con­fédéra­tion des ” États unis d’Eu­rope ” qu’il appelle de ses vœux par un man­i­feste. Com­prenons qu’in­stru­it par l’his­toire des méfaits des nation­al­ismes, de leur cul­ture con­quérante, spec­ta­teur inqui­et de leur mon­tée en puis­sance, lourde de men­aces pour la paix européenne, il red­oute à l’a­vance les dérives nation­al­istes d’un État ital­ien réu­nifié, repris tôt ou tard par les rêves de grandeur et les vieux démons de l’im­péri­al­isme. Il s’op­pose énergique­ment au ral­liement à la mai­son de Savoie dont il se méfie, voie con­duisant inéluctable­ment selon lui au cen­tral­isme monar­chique dan­gereux pour l’avenir de l’Italie.

L’éphémère fusion de la Lom­bardie et du Pié­mont le con­duit à s’ex­pa­tri­er d’abord à Paris où il pub­lie son réc­it de L’In­sur­rec­tion de Milan, ensuite dans le Tessin suisse où il ne cesse de dévelop­per ses idées dans la presse suisse (notam­ment Tipografia elvetica).

Sin­gulière des­tinée que la sienne : ren­tré en 1859 dans sa Lom­bardie enfin libérée par la vic­toire fran­co-pié­mon­taise sur l’Autriche, il proteste con­tre la poli­tique annex­ion­niste menée par Cavour. Élu député à Milan qui lui reste attaché, il refuse de siéger pour ne pas avoir à prêter ser­ment à Vic­tor-Emmanuel II. L’an­née suiv­ante, Garibal­di lui pro­pose de partager avec lui le pou­voir en Sicile dont il a pris le con­trôle, il se dérobe à la nou­velle de l’a­ban­don de la solu­tion répub­li­caine. Réélu de nou­veau en 1867, à Milan, il per­siste dans son refus et son oppo­si­tion irré­ductible à la monarchie.

On conçoit dans ces con­di­tions que l’his­toire offi­cielle ital­i­enne l’ait longtemps mal­mené, en ait fait un vain­cu du Risorg­i­men­to, un patri­ote égaré, un utopiste.

La fail­lite de la mai­son de Savoie, ses erreurs, sa capit­u­la­tion, sa com­pro­mis­sion avec le fas­cisme ont fait sor­tir Cat­ta­neo de son pur­ga­toire et réha­biliter com­plète­ment sa mémoire.

C’est en effet en 1948, c’est-à-dire un siè­cle après les événe­ments relatés ici, que l’I­tal­ie s’est dotée d’une Con­sti­tu­tion répub­li­caine mar­quée par un retour à une forte décen­tral­i­sa­tion admin­is­tra­tive au niveau région­al, plus con­forme à sa tra­di­tion historique.

À maintes repris­es dans les dis­cus­sions, les répub­li­cains ital­iens, chauds par­ti­sans de l’ad­hé­sion de l’I­tal­ie aux Insti­tu­tions com­mu­nau­taires, se sont référés à Cat­ta­neo, à sa vision prophé­tique de l’his­toire. Il nous a sem­blé que cet homme de clair­voy­ance et de rare fidél­ité à ses con­vic­tions méri­tait d’être mieux con­nu en France à l’heure de l’Europe.

Le leader de l’op­po­si­tion à Venise est l’av­o­cat Daniele Manin (1804–1857) empris­on­né en jan­vi­er 1848 à titre préven­tif pour le zèle qu’il déploie dans sa “lutte légale” pour l’indépen­dance. Libéré par un soulève­ment pop­u­laire et refu­sant tout com­pro­mis avec Vienne, il proclame la République dont il prend la prési­dence au terme d’une sec­onde insur­rec­tion en mars qui force les troupes autrichi­ennes à capit­uler. Manin con­stitue un gou­verne­ment pro­vi­soire apoli­tique qui parvient, dans l’en­t­hou­si­asme de la liber­té retrou­vée, à organ­is­er avec une rare effi­cac­ité la nou­velle République.

Dans le même temps, la Lom­bardie se libère entre le 18 et le 22 mars, à la suite de la révolte milanaise dite “des cinq journées” sous l’im­pul­sion d’un grand uni­ver­si­taire et human­iste Car­lo Cat­ta­neo, impro­visé chef du “con­seil de guerre” con­tre l’oc­cu­pant autrichien.

Ouvrons ici à son sujet une par­en­thèse : son com­porte­ment par la suite le fera met­tre longtemps au pur­ga­toire de l’his­toire (offi­cielle) de l’I­tal­ie. Com­plète­ment réha­bil­ité après 1945, ce grand patri­ote ital­ien seul en son temps à avoir vu juste et loin, nulle­ment utopiste, mil­i­tant avant l’heure sans trop d’il­lu­sion pour les “États unis d’Eu­rope”, mérite de sor­tir de l’ou­bli dans la France d’au­jour­d’hui (c’est pourquoi nous lui avons con­sacré l’en­cadré ci-contre).

De leur côté, Parme et Mod­ène chas­sent leurs ducs qui ne doivent en fait leur exis­tence qu’à la pro­tec­tion de l’Autriche. L’in­cendie est donc général en Ital­ie du Nord et tous les regards se tour­nent main­tenant vers le roi du Pié­mont, Charles-Albert, dans l’at­tente de sa réac­tion. Ce dernier juge le moment venu d’a­bat­tre ses pro­pres cartes en prenant la tête de la croisade, il y est d’au­tant plus résolu que, cédant à la pres­sion de leurs opin­ions, le grand-duc de Toscane, le roi de Naples Fer­di­nand II et même le pape lui envoient des con­tin­gents mil­i­taires grossis de volon­taires accou­rus de tous les coins de l’I­tal­ie. Ain­si ren­for­cée, l’ar­mée pié­mon­taise fran­chit le Tessin, occupe Milan et lance une offen­sive générale con­tre les Autrichiens au cours d’une cam­pagne vic­to­rieuse l’a­menant aux con­fins de la Vénétie.

Tout irait pour le mieux si des fis­sures ne tar­daient pas à se man­i­fester au sein du front nation­al, aus­si sol­idaire pour chas­s­er les Autrichiens que divisé sur “l’après-libéra­tion”.

Les visées annex­ion­nistes évi­dentes de la mai­son de Savoie soutenue par les monar­chistes mod­érés se heur­tent aux objec­tifs des répub­li­cains. À Milan (où pour­tant on a voté pour le rat­tache­ment de la Lom­bardie au Pié­mont), l’en­t­hou­si­asme est même retombé. Très bien infor­mé de ces divi­sions où, d’un côté comme de l’autre, il a tout à per­dre, con­scient des con­séquences d’un retour en force prob­a­ble des Autrichiens, Pie IX rap­pelle dis­crète­ment ses sol­dats, le roi de Naples fait de même au pré­texte de se pré­mu­nir con­tre des troubles.

Venu à bout des insur­rec­tions de Vienne et de Prague et sus­pen­dant momen­tané­ment ses opéra­tions con­tre la Hon­grie dis­si­dente, le gou­verne­ment autrichien prof­ite de ces divi­sions, aggravées par l’indé­ci­sion de Charles-Albert, pour lancer une con­tre-offen­sive et met­tre en déroute les Pié­mon­tais à Cus­toz­za devant Man­toue, le 9 juil­let. Charles-Albert se voit con­traint à sign­er un armistice et à restituer à son vain­queur les ter­ri­toires occupés.

C’est un coup très dur pour le par­ti monar­chiste qui voit le lead­er­ship du mou­ve­ment nation­al lui échap­per au prof­it des répub­li­cains restés en lice, tel Manin qui réus­sit à restau­r­er le 13 août la République à Venise que sa lagune pro­tège con­tre un retour en force des Autrichiens.

Devant l’ag­i­ta­tion qui gagne Rome, Pie IX appelle au gou­verne­ment un libéral jouis­sant de sa con­fi­ance, le comte Rossi, mais ce dernier est bien­tôt lâche­ment assas­s­iné. C’est le sig­nal atten­du d’une insur­rec­tion con­duisant au pou­voir les répub­li­cains qui con­stituent aus­sitôt un gou­verne­ment pro­vi­soire con­fié à un tri­umvi­rat dom­iné par Mazz­i­ni. Pie IX se réfugie à Gaète, tan­dis qu’une Con­sti­tu­ante élue au suf­frage uni­versel prononce sa déchéance.

Année 1849 : internationalisation et réaction

En févri­er 1849 la République est proclamée à Rome. Scé­nario ana­logue en Toscane où Flo­rence, qui vient de chas­s­er son grand-duc, se livre à Mazz­i­ni arrivé sur ses talons. La sit­u­a­tion poli­tique de l’I­tal­ie change dès lors de dimen­sion, pour devenir une affaire inter­na­tionale inter­pel­lant les puis­sances européennes catholiques : Autriche, France, Espagne, Deux-Siciles. Cepen­dant dans la con­fu­sion poli­tique rég­nante, une con­cer­ta­tion diplo­ma­tique appa­raît prob­lé­ma­tique, cha­cun ne jugeant de la sit­u­a­tion qu’en fonc­tion de ses seuls intérêts. Le pre­mier à réa­gir est pour­tant Charles-Albert : peut-il rester l’arme au pied, s’avouer défini­tive­ment hors-jeu au regard de l’opin­ion ital­i­enne, alors que les répub­li­cains, allant de suc­cès en suc­cès, font fig­ure de libérateurs ?

Charles-Albert, bien con­scient de l’in­suff­i­sance de ses moyens mil­i­taires, se résout, pour ne pas per­dre la face, à rompre l’armistice et repren­dre les hos­til­ités con­tre l’Autriche, sus­ci­tant un nou­v­el espoir en par­ti­c­uli­er à Venise où Manin s’est déclaré prêt à sac­ri­fi­er la République et proclamer l’u­nion avec le Pié­mont. Mal­heureuse­ment Charles-Albert, au terme d’une cam­pagne de cinq jours, se fait écras­er le 24 mars à Novare par le même général Radet­zky qui l’avait défait neuf mois aupar­a­vant à Custozza.

Charles-Albert se voit con­traint d’ab­di­quer en faveur de son fils Vic­tor-Emmanuel II, rude et valeureux sol­dat appelé à inau­gur­er son règne en sig­nant un nou­v­el armistice.

Radet­zky exploitant aus­sitôt son suc­cès facile se tourne alors vers Flo­rence et y rétablit son grand-duc. Encour­agé et raf­fer­mi par ce retourne­ment de sit­u­a­tion au nord de la pénin­sule, Fer­di­nand II se décide à rétablir l’ab­so­lutisme à Naples et se pré­pare à repren­dre la Sicile.

En dehors de Venise, soumis aux bom­barde­ments autrichiens où Manin refuse de capit­uler (la famine, le typhus et le choléra auront finale­ment rai­son de sa résis­tance en août 1849), seul sub­siste dans la pénin­sule au print­emps 1849 un foy­er de résis­tance : Rome.

Prise du Pont Milvius lors du siège de Rome en juin 1849.
Prise du Pont Mil­vius lors du siège de Rome en juin 1849. © ROGER VIOLLET 

“La question romaine”

Pour la jeune République romaine arrive l’heure fatidique. Les insurgés ne con­trôlant sérieuse­ment que Rome et sa région, le gou­verne­ment autrichien fait occu­per mil­i­taire­ment les ter­ri­toires de l’Église voisins du Cen­tre Nord, s’as­sur­ant ain­si d’atouts pour inter­venir ou négoci­er le moment venu.

Revenons en détail sur l’in­ter­ven­tion française. La déci­sion du ” prince-prési­dent ” d’en­voy­er un petit corps expédi­tion­naire en avril 1849 pour occu­per Rome et y rétablir le pape répond à un dou­ble objectif :

  • au plan intérieur (comme on l’a vu) se con­cili­er l’opin­ion catholique française,
  • au plan inter­na­tion­al pren­dre de vitesse l’Autriche et les Bour­bons de Naples dont les forces mil­i­taires proches peu­vent être ten­tées de repren­dre Rome et d’é­ten­dre leur emprise en Ital­ie. Ce cal­cul sous-entendait le suc­cès du corps français (rejoint par un détache­ment espag­nol), mal­heureuse­ment ces forces sont repoussées par celles de Garibaldi.

Garibaldi
Garibal­di. © ROGER VIOLLET


Cet échec con­duit Louis Napoléon à gag­n­er du temps en faisant approcher Mazz­i­ni par un jeune diplo­mate nom­mé… Fer­di­nand de Lesseps. Les pour­par­lers n’aboutis­sent à rien face à l’ob­sti­na­tion d’un inter­locu­teur fer­mé à tout com­pro­mis, en dépit de l’af­faib­lisse­ment de son pres­tige : en effet l’opin­ion com­mence à regret­ter l’ab­sence de Pie IX, un cer­tain marasme des affaires ajoutant à la las­si­tude et la déception.

Des élec­tions prévues par la Con­sti­tu­ante ont alors lieu, elles sont favor­ables aux catholiques, c’est un désaveu pour le tri­umvi­rat qui n’en reste pas moins en place. Louis Napoléon n’hésite plus : le corps expédi­tion­naire français doté de moyens sup­plé­men­taires force les défens­es advers­es et fait son entrée à Rome le 1er juil­let 1849.

Pie IX peut y revenir, bien décidé cette fois à ne plus tolér­er d’op­po­si­tion et com­bat­tre toute forme de sub­ver­sion (l’as­sas­si­nat prémédité du comte Rossi l’avait pro­fondé­ment mar­qué) : les pris­ons de Rome se rem­plis­sent, plusieurs mil­liers de Romains sont proscrits.

Il va désor­mais tourn­er com­plète­ment le dos à l’ex­péri­ence libérale, la repous­sant comme une doc­trine menant à l’athéisme, con­traire à la rai­son et au droit naturel. Comme on ne saurait entr­er ici dans une con­tro­verse étrangère à ce pro­pos [A4], bor­no­ns-nous à deux sim­ples observations :

  • en se désavouant lui-même, en reni­ant son engage­ment libéral d’a­vant 1848, Pie IX ne se com­por­tait pas dif­férem­ment des autres dirigeants de son temps ayant fait la même expéri­ence (Bach en Autriche…) ;
  • une excep­tion cepen­dant : Vic­tor-Emmanuel II se garde de rétablir l’ab­so­lutisme, atti­tude prévoy­ante lui per­me­t­tant de se pos­er le moment venu en leader du Risorg­i­men­to accept­able auprès des patri­otes répub­li­cains finale­ment ral­liés à lui.


En faisant le choix con­traire, Pie IX ruinait à l’a­vance toute chance de faire pré­val­oir une solu­tion fédérale préser­vant son pou­voir temporel.

Épilogue

La ” ques­tion romaine ” va devenir une épine, un piège red­outable com­pro­met­tant toute la poli­tique ital­i­enne de Napoléon III. En refu­sant Rome à la Nou­velle Ital­ie il vio­lait le ” principe des nation­al­ités “, fonde­ment de toute sa poli­tique. Il se met­tait à dos les patri­otes ital­iens, à com­mencer par les répub­li­cains, lesquels vont ten­ter en jan­vi­er 1858 de lui ” faire pay­er ” sa trahi­son (atten­tat d’Orsi­ni, un proche de Mazzini).

À la tête de 10 000 hommes, Garibaldi tient en échec devant Rome le corps expéditionnaire français
À la tête de 10 000 hommes, Garibal­di tient en échec devant Rome le corps expédi­tion­naire français. Après la prise de cette ville, Garibal­di réus­sit à échap­per à ses pour­suiv­ants et à gag­n­er la Côte adri­a­tique à Ancône, mais sa femme Ani­ta, enceinte, meurt d’épuisement. Indésir­able à Gênes où il s’est réfugié, il se rend à New York, y tra­vaille quelque temps dans une fab­rique de bou­gies. On le retrou­ve par la suite en Amérique du Sud, en Océanie, en Asie, finale­ment à Lon­dres où il ne tarde pas à s’écarter de Mazz­i­ni. C’est en effet une nou­velle des­tinée poli­tique qui l’attend quand, autorisé par Cavour à ren­tr­er dans son Pays en 1854, il se ral­lie à Vic­tor Emmanuel II après 1860, renonçant ain­si par patri­o­tisme à son rêve d’unité répub­li­caine [A3]. © ROGER VIOLLET


En aban­don­nant Rome, il s’al­ié­nait les catholiques français devenus ultra­mon­tains depuis le début du siè­cle, qui ne lui avaient pas ménagé leur sou­tien (il indis­po­sait par sur­croît sa pro­pre épouse, incon­di­tion­nelle de la cause de Pie IX). Résumons : en pré­ten­dant sat­is­faire à la fois révo­lu­tion­naires et réac­tion­naires, en mêlant sans dis­cerne­ment poli­tique intérieure et extérieure, il finit par indis­pos­er tout le monde y com­pris Pie IX dont il laisse envahir les États par Vic­tor-Emmanuel II. Même en poli­tique, le dou­ble jeu est un art acro­ba­tique dont l’ex­er­ci­ce a ses limites.

Rap­pelons pour mémoire que l’u­nité ital­i­enne sous l’égide du jeune roi Vic­tor-Emmanuel II va con­naître deux temps forts. L’Autriche se ver­ra con­trainte d’é­vac­uer l’I­tal­ie en deux étapes :

  • la Lom­bardie, en 1859, après les vic­toires des forces fran­co-sardes (Magen­ta et Solférino).
  • la Vénétie en 1866, sac­ri­fice exigé, après sa défaite de Sad­owa, par Bis­mar­ck, qui recherche l’al­liance de l’I­tal­ie dans la per­spec­tive d’une guerre avec la France.

LE PRINTEMPS ALLEMAND

Trans­portons-nous main­tenant en Alle­magne où il n’est pas aisé, étant don­né la struc­ture encore com­plexe des États qui la com­posent, avec leurs par­tic­u­lar­ismes, de bien démêler et com­pren­dre le déroule­ment des événe­ments dont cette région est le théâtre entre 1848 et 1852.

Les his­to­riens sont peu pro­lix­es à ce sujet et dif­fèrent sou­vent dans leurs analyses.

Et pour­tant ! Ce bref laps de temps est mar­qué suc­ces­sive­ment par une ten­ta­tive excep­tion­nelle d’u­nité par voie paci­fique, mal­heureuse­ment sans lende­main, suiv­ie par la mon­tée de symp­tômes alar­mants pour la paix européenne.

Entre Berlin et Francfort
Dialogue pour l’unité

Le roi de Prusse, Frédéric-Guil­laume IV, qui a suc­cédé en 1840 à son père Frédéric Guil­laume III, l’ad­ver­saire mal­heureux de Napoléon à Iéna en 1806, a pris l’ini­tia­tive en 1847 de dot­er la Prusse de son pre­mier Par­lement et d’ac­corder à tous ses sujets, Juifs com­pris, l’é­gal­ité con­fes­sion­nelle. Ces mesures libérales lui valent une grande pop­u­lar­ité, bien salu­taire, lorsque le 18 mars 1848, l’ag­i­ta­tion, par­tie fin févri­er de Karl­sruhe, a, de proche en proche, gag­né Berlin.

Il lui suf­fit en effet de paraître au bal­con de son palais pour que la foule l’ac­clame. Cepen­dant la garde reste nerveuse, des coups de feu claque­nt, provo­quant une panique et l’érec­tion hâtive de bar­ri­cades, vite dégagées par la troupe, qui se retire alors sur ordre du roi. Ce dernier chevauche crâne­ment dans les rues de sa cap­i­tale au milieu d’une foule en délire l’ac­cla­mant comme le futur empereur d’une ” Alle­magne unifiée et démocratique “.

L’e­uphorie est à ce point con­tagieuse qu’il accepte le soir même cette glo­rieuse mis­sion en lançant à la foule massée devant le Palais royal :

Je prends la direc­tion du peu­ple alle­mand, de ce jour, la Prusse se con­fond avec l’Alle­magne. Pas­sant de la réso­lu­tion à l’acte, il con­stitue un min­istère libéral ” rhé­nan ” pour pré­par­er des réformes en con­cer­ta­tion avec le Par­lement fédéral de Franc­fort. Ce dernier prend l’ini­tia­tive pré­maturée d’in­viter les duchés de Schleswig-Hol­stein (où les Prussiens aidés des Hanovriens vien­nent de chas­s­er les Danois) à se join­dre aux autres États alle­mands en envoy­ant des délégués des pop­u­la­tions. Cette ini­tia­tive ajoute aux com­pli­ca­tions inter­na­tionales soulevées par les protes­ta­tions du roi de Dane­mark, Frédéric VII. La Suède, la Russie et l’An­gleterre oblig­ent la Prusse à sign­er à Malmö en août un armistice et accepter le principe d’une admin­is­tra­tion mixte ger­mano-danoise dans l’at­tente d’un règle­ment final (l’af­faire ” des Duchés ” rebondi­ra en 1864 à la mort de Frédéric VII).

Après cet inter­mède source de con­tretemps, le proces­sus de réformes est active­ment repris.

En décem­bre 1848, la Prusse se dote d’une Con­sti­tu­tion libérale et le 27 mars 1849, soit un an après les événe­ments de Berlin, le Par­lement de Franc­fort, réu­ni en séance solen­nelle, à grand ren­fort de cloches et de salves d’ar­tillerie, se prononce à la majorité de ses mem­bres, en faveur de l’Union des États alle­mands sous le scep­tre impér­i­al de Frédéric-Guil­laume IV.

Jamais dans toute l’his­toire con­fuse de l’Alle­magne, le ” courant ” n’avait aus­si bien passé entre le Nord et le Sud.

Faisons ici une pause pour rêver un peu devant ce nou­v­el hori­zon soudain illu­miné de l’his­toire, à l’im­age hélas ! d’une éphémère aurore boréale : la voie démoc­ra­tique enfin ouverte, l’u­nité alle­mande paci­fique­ment réal­isée dans le cadre d’une monar­chie con­sti­tu­tion­nelle, la Prusse, cet amal­game de provinces restées mil­i­taires et féo­dales, se fon­dant dans l’Alle­magne et non l’in­verse avec les con­séquences dra­ma­tiques à terme que l’on sait !

La con­jonc­ture inter­na­tionale y invite tacite­ment : l’Autriche rivale, tra­di­tion­nel obsta­cle à cette unité, alors men­acée d’é­clate­ment, n’est-elle pas tem­po­raire­ment paralysée ? Sans son appui, les monar­chies alle­man­des du Sud n’ont guère les moyens de s’op­pos­er à cette puis­sante vague de fond uni­fi­ca­trice défer­lant sur les ter­res germaniques.

Où Bismarck apparaît

Revenons en ce début de print­emps 1848 à Berlin où le proces­sus de libéral­i­sa­tion en cours ne manque pas de sus­citer inquié­tudes, résis­tances par­mi les corps con­sti­tués prussiens : noblesse, armée, haute admin­is­tra­tion et même épis­co­pat luthérien.

Au sein même de la famille royale, le plus fidèle à l’e­sprit d’une monar­chie restée mil­i­taire dans l’âme, le plus fon­cière­ment attaché à la ligne abso­lutiste n’est autre que le pro­pre frère cadet du roi, le futur Guil­laume Ier qui ne manque d’ailleurs pas de sérieuses qual­ités (sens de l’hon­neur, par­faite éducation…).

Au lende­main des événe­ments de 1848 et des ori­en­ta­tions libérales don­nées au régime, Guil­laume a préféré pren­dre ses dis­tances en gag­nant Lon­dres. Surtout un nou­veau venu fait son appari­tion sur la scène poli­tique, il n’ex­erce pour l’heure aucune autorité, sinon une influ­ence assez fra­cas­sante au Land­tag où il est depuis 1847 le porte-parole des junkers prussiens, red­outé par sa fougue et la liber­té de ses propos.

Il s’ag­it, on s’en doute, de Bis­mar­ck dont la stature, la vital­ité physique et intel­lectuelle impres­sion­nent déjà son audi­toire. L’at­tache­ment de ce hobereau prussien à sa terre natale comme à la monar­chie prussi­enne est vis­céral, comme il s’en expli­quera un jour.

Je ne puis le nier, je suis assez fier de cette mai­son où depuis des siè­cles, mes aïeux ont vécu dans les mêmes cham­bres, où ils sont nés, où ils sont morts, de voir ici et au tem­ple, les por­traits qui les mon­trent, depuis le cheva­lier bardé de fer jusqu’au cav­a­lier à tress­es qui tom­ba sous Frédéric le Grand… Frédéric II, le ” despote éclairé “, mod­èle non dépassé aux yeux de celui pour qui la chaîne sociale se décline : le roi, l’ar­mée, la pro­priété, l’héritage…

Ce clan fer­mé des hobereaux prussiens, dont Bis­mar­ck incar­ne au suprême degré l’e­sprit, mélange de loy­al­isme, d’orgueil et aus­si d’in­térêt bien com­pris, règne sur une armée ayant tra­di­tion­nelle­ment lié son sort à la dynas­tie des Hohen­zollern, prodigue en retour de soins atten­tifs à son égard depuis le ” Roi-Sergent “.

N’est-ce pas avant tout à son armée que la Prusse, con­struc­tion géo­graphique­ment et même eth­nique­ment assez arti­fi­cielle, doit d’ex­is­ter ? Que cette caste ultra­con­ser­va­trice se con­sid­ère comme le rem­part, la sauve­g­arde de la monar­chie jusqu’à la pro­téger éventuelle­ment con­tre elle-même, ses faux pas ou jugés tels, ne peut sur­pren­dre quiconque est instru­it de l’his­toire de la Prusse.

Or les sujets d’alarme pour Bis­mar­ck et ses pairs se sont mul­ti­pliés depuis un an, où tout dans l’or­dre ancien sem­ble devoir être remis en ques­tion. Leur indig­na­tion est à son comble, lorsque, en 1848, dans le cadre de la démoc­ra­ti­sa­tion du pays, arrive sur le bureau du Land­tag un pro­jet de loi visant à abolir pure­ment et sim­ple­ment l’ex­emp­tion fis­cale tra­di­tion­nelle­ment attachée aux biens seigneuri­aux. L’at­mo­sphère n’est plus à la grogne mais à la fronde chez ces féo­daux, avant tout jaloux de leurs priv­ilèges, qu’ils jugent intan­gi­bles, juste con­trepar­tie d’un loy­al­isme sans failles…

Il saute ici aux yeux qu’une telle ini­tia­tive venue d’un gou­verne­ment encore frag­ile et inex­péri­men­té est suprême­ment inop­por­tune et mal­adroite provo­quant ipso fac­to les réac­tions des intéressés jouis­sant de puis­sants appuis dans le pays, à la cour et dans l’en­tourage du roi.

La sit­u­a­tion, les rap­ports de forces sont à ce point flu­ides que seul un car­ac­tère bien trem­pé résolu dans ses des­seins serait capa­ble de faire face avec sang-froid à ce genre de con­flits, trou­ver les com­pro­mis néces­saires. Mal­heureuse­ment ces qual­ités man­quent au roi et il n’y a per­son­ne auprès de lui et au gou­verne­ment qui soit à la hau­teur des enjeux, qui puisse l’é­pauler, sup­pléer à ses faib­less­es. Pis cet homme, intel­li­gent, instru­it et même excel­lent ora­teur, n’est à tout pren­dre qu’un vel­léi­taire, sujet à des trou­bles de la per­son­nal­ité (prob­a­ble­ment exagérés par l’his­to­ri­ogra­phie alle­mande peu com­plaisante envers ce Hohen­zollern dérangeant).

En effet Frédéric-Guil­laume IV com­mence à pren­dre peur de ses audaces, du cours pris par les événe­ments qu’il a lui-même tant con­tribué à déclencher. Face à la con­fi­ance que lui témoigne le Par­lement de Franc­fort, il hésite ne fût-ce qu’à la per­spec­tive, si con­traire à la vieille tra­di­tion monar­chique, à tenir sa couronne, non des mains des princes mais d’une assem­blée pop­u­laire. Or ces derniers, ceux du Sud tra­di­tion­nelle­ment tournés vers l’Autriche et quelques autres mis en minorité à Franc­fort ou con­traints de céder à leur opin­ion, sont réti­cents ou hostiles.

Bis­mar­ck [A5], lui, sait ce qu’il veut, plus pré­cisé­ment ce qu’il ne veut pas. Ce Vater­land élar­gi et mou, cette unité réal­isée du jour au lende­main sans effort, ni gloire, offerte sur un plateau par­lemen­taire par les class­es moyennes, des bour­geois, des intel­lectuels, il l’é­carte avec mépris… La Prusse va y per­dre son âme, la monar­chie s’y dis­soudre, le jeu poli­tique bas­culer au Sud et à l’Ouest, Franc­fort et son Par­lement pren­dre le pas sur Berlin dans la prise des déci­sions. En défini­tive, L’u­nité alle­mande avec la Con­sti­tu­tion de Franc­fort, je n’en veux pas. Je préfère que la Prusse reste pour le moment la Prusse, il sera tou­jours temps pour elle, quand elle jugera le moment venu de don­ner des lois à l’Allemagne.

Dis­cours clair, sans ambages plaçant le débat sur le point sen­si­ble de l’orgueil d’une Prusse sûre d’elle-même, peu dis­posée à partager le pouvoir.

Cet homme impres­sion­nant de force et de con­vic­tion ral­lie des indé­cis, des oppor­tunistes atten­tifs aux oscil­la­tions d’opin­ion. Il reste à con­va­in­cre le roi encore hési­tant. Ici, les his­to­riens (tel Emil Lud­wig explo­rant ces recoins mal éclairés) s’ac­cor­dent à voir à l’œu­vre la ” pat­te ” du futur chancelier.

Que de fois, devant une alter­na­tive, l’ur­gence d’un par­ti à pren­dre, des déci­sions aux con­séquences incal­cu­la­bles ont été pris­es à huis clos, dans le secret des con­seils, lais­sant plan­er quelque mys­tère sur les intrigues, les argu­ments jetés dans la bal­ance par les uns et les autres, plaideurs ou arbitres.

Une réu­nion restée secrète, véri­ta­ble con­seil de famille des Hohen­zollern se serait tenue au Palais roy­al de Berlin. L’af­faire est d’im­por­tance : Frédéric-Guil­laume songe à renon­cer au trône, au béné­fice de son frère Guil­laume qui, à son tour, se dérobe, ce qui ren­voie, par ordre de suc­ces­sion, à son pro­pre fils, Frédéric, alors âgé de 17 ans (guère moins que François-Joseph, le tout nou­v­el empereur d’Autriche).

Mal­heureuse­ment pour l’Alle­magne et l’Eu­rope, la mal­ice du des­tin (en la per­son­ne de Bis­mar­ck) va s’employer à écarter ce jeune prince, sans doute la plus noble, sinon la plus remar­quable fig­ure de sa dynas­tie. Bis­mar­ck, qui a tôt décelé en lui des dis­po­si­tions libérales et paci­fiques, con­traires à ses pro­jets, a fait le siège de sa famille en par­ti­c­uli­er de sa pro­pre mère pour que l’on renonce à un tel trans­fert et dis­suade le roi de démissionner.

Volte-face et réaction

Le roi ne tarde pas à se ren­dre à toutes les bonnes raisons que l’on peut imag­in­er (intérêt con­joint de sa dynas­tie et du pays, inex­péri­ence du trop jeune héri­ti­er…). Renonçant à devenir le sou­verain con­sti­tu­tion­nel de l’Alle­magne, il refuse la couronne impéri­ale offerte par les libéraux de Franc­fort en y met­tant naturelle­ment les formes : on ne saurait exclure de la grande Alle­magne les pop­u­la­tions de langue alle­mande du Sud, ce que rend surtout impos­si­ble l’hétérogénéité eth­nique de l’Em­pire autrichien.

Le prési­dent du Par­lement de Franc­fort, Dahlman, se range prudem­ment à cet avis. Si Frédéric-Guil­laume IV met un terme à ses scrupules, il ne renonce pas pour autant à son ambi­tion d’a­grandir ses États. Reprenant l’ini­tia­tive, il con­voque les délégués des États alle­mands à Erfurt afin de mod­i­fi­er la Con­sti­tu­tion fédérale et for­mer une ” Union restreinte ” exclu­ant les États du Sud (Autriche, Bav­ière, Wurtem­berg plus quelques petits États récalcitrants).

L’Autriche s’en alarme, et soutenue par les États du Sud, oblige en sep­tem­bre 1849 la Prusse à accepter un régime intéri­maire de ges­tion con­jointe des affaires alle­man­des, ce qui en défini­tive ne résout rien et fait plutôt mon­ter la ten­sion entre par­ti­sans de la ” petite Alle­magne ” sous la sou­veraineté prussi­enne et ceux de la ” grande Alle­magne ” avec l’Autriche.

Annex­es

[A1] L’épi­logue de son des­tin d’ex­cep­tion mérite d’être enfin rap­pelé. Démis de ses fonc­tions de chance­li­er en 1888 par Guil­laume II, Bis­mar­ck, au soir de sa vie, lui qui avait tou­jours vécu dans la han­tise de l’encer­clement et des coali­tions, aus­si har­di dans ses entre­pris­es que cir­con­spect et voy­ant loin, osera dénon­cer les graves dan­gers que fai­sait courir à l’Em­pire alle­mand la poli­tique inutile­ment provo­ca­trice et méga­lo­mane de ses successeurs.

[A2] Mazz­i­ni tri­om­phe à Rome. Out­re un pont à son nom, le Ponte di Risorg­i­men­to accède sur la rive droite du Tibre à la somptueuse Viale Guiseppe Mazz­i­ni, menant elle-même à une vaste place cir­cu­laire Piaz­za Mazz­i­ni. Le mon­u­ment à sa gloire se trou­ve en fait sur l’autre rive au fond de la piaz­za Romo­lo e Remo bor­dant au sud le cirque Maxime. L’outrance théâ­trale de ce choix saute au yeux : G. Mazz­i­ni, refon­da­teur, restau­ra­teur après 2 500 ans de l’an­tique république romaine ! Il est vrai que ce mon­u­ment est bien mod­este en com­para­i­son de celui érigé à la gloire de Vic­tor Emmanuel II ‘(“ La machine à écrire ” comme l’ap­pel­lent les Romains).
De son côté, Garibal­di a son pont, sa rue, sa place, son mon­u­ment dans le Traste­vere au pied du Janicule.

[A3] De son côté Mazz­i­ni parvient à fuir en Suisse, puis à Lon­dres où il rejoint Ledru-Rollin et Kos­suth (le héros mal­heureux de l’indépen­dance hon­groise en 1848) avec lesquels il essaie de fonder une ” Alliance répub­li­caine universelle “.
De retour en Ital­ie après 1870, il est arrêté en Sicile et enfer­mé un temps à Gaète (refuge de Pie IX, vingt-trois ans aupar­a­vant !) pour mourir peu après.

[A4] Com­bi­en, à l’épreuve de l’his­toire, parais­sent peu com­pat­i­bles et même antin­o­miques l’ex­er­ci­ce de l’au­torité spir­ituelle et celui du gou­verne­ment temporel !
On sait qu’il fau­dra atten­dre les accords de Latran en 1929 entre le Vat­i­can et l’I­tal­ie fas­ciste, pour régler l’épineuse ” ques­tion romaine ” pen­dante depuis la procla­ma­tion en 1871 de Rome, cap­i­tale du roy­aume d’I­tal­ie après le départ des forces français­es et la déc­la­ra­tion de Pie IX se con­sid­érant pris­on­nier dans ses États.
Que n’a-t-on pas reproché (encore récem­ment) à ce dernier ? Avoir refusé la grâce des deux poseurs de bombes ayant causé la mort de 27 zouaves pon­tif­i­caux, d’être anti­sémite (une accu­sa­tion mal fondée). Aucun pape (son pon­tif­i­cat de trente-deux ans a été le plus long de l’his­toire) n’a été autant cri­tiqué, voire calom­nié tant par ceux qui en veu­lent à ses états, aux biens de l’Église et à son influ­ence inter­na­tionale que par les athéistes mil­i­tants de tous bor­ds politiques.
Dans l’his­toire spir­ituelle de l’Église de Rome, Pie IX s’est affir­mé comme un très grand pape tant au plan du dogme (mar­i­al en par­ti­c­uli­er) que dans l’ac­tion missionnaire.
Sa béat­i­fi­ca­tion récente par Jean-Paul II (qui a sus­cité des con­tro­ver­s­es vir­u­lentes) n’a d’autre portée que cette recon­nais­sance de ver­tus théolo­gales exceptionnelles.

[A5] En privé Bis­mar­ck ne cache pas ses arrière-pensées :
” Je n’au­rais com­pris un tel ent­hou­si­asme que s’il s’é­tait agi d’en­lever l’Al­sace aux Français, de planter le dra­peau alle­mand sur la cathé­drale de Strasbourg ! ”
Trans­posons : une “ bonne guerre ” menée en com­mun par les Alle­mands con­tre leurs voisins du Sud, met­tant à l’épreuve leur patri­o­tisme, tel me paraît le prix à pay­er pour les soud­er en une véri­ta­ble nation.
Ce n’est pas là sim­ple spécu­la­tion si l’on se sou­vient de la fameuse déc­la­ra­tion de Bis­mar­ck dès son arrivée au pou­voir en 1861, lancée du haut de la tri­bune du Land­tag, y provo­quant la stupeur :
“ Ce n’est pas par des dis­cours par­lemen­taires que les grandes ques­tions de notre époque seront résolues mais par le fer et par le sang. ”
N. B. : ces pro­pos de Bis­mar­ck ont été extraits de l’excellent essai (devenu un clas­sique) de l’historien René Grous­set, Fig­ures de proue (Plon).

Une crise ouverte survient un an plus tard en sep­tem­bre 1850, lorsque, à la suite d’une insur­rec­tion pop­u­laire chas­sant le grand-duc de Hesse, l’Autriche s’ap­prête à le rétablir avec l’aide des troupes fédérales. Elle est alors gag­née de vitesse par la Prusse qui occupe le ter­ri­toire. Schwarzen­berg, le nou­veau chance­li­er autrichien, refu­sant le fait accom­pli adresse un ulti­ma­tum à la Prusse, la somme d’é­vac­uer la Hesse. Devant cette atti­tude résolue, la Prusse, qui ne se sent pas prête à ris­quer un con­flit armé, s’in­cline, vive­ment poussée d’ailleurs par la Russie, laque­lle avait, peu de temps aupar­a­vant, prêté main-forte à l’Autriche pour venir à bout de l’in­sur­rec­tion hongroise.

Cette ” rec­u­lade “, entérinée en novem­bre 1850 à Olmütz, est subie par la Prusse comme une véri­ta­ble humil­i­a­tion appelant une revanche le moment venu (ce sera seize ans plus tard à Sad­owa). Forte de ce suc­cès, l’Autriche pour­suit son avan­tage. Après avoir obtenu du Hanovre et de la Saxe leur retrait de l’U­nion restreinte, elle con­voque à Dres­de les États alle­mands et leur faire approu­ver une Con­sti­tu­tion ressus­ci­tant la Diète de Franc­fort replacée sous sa prési­dence et obtient de cette dernière en août 1851 l’a­ban­don des mesures libérales antérieures.

Sup­pres­sion de la liber­té de presse, ren­force­ment de la police mar­quent le retour général à l’ab­so­lutisme monar­chique des sou­verains du Sud regroupés en avril 1852 autour de Vienne dans ” la coali­tion de Darm­stadt ” ren­for­cée par une Union douanière impro­visée inspirée du mod­èle allemand.

Une paix précaire

En cette fin 1852, l’Autriche sem­ble l’emporter sur toute la ligne, dans sa rival­ité avec la Prusse pour le con­trôle de l’Allemagne.

Apparence bien trompeuse : battue sur le plan poli­tique, la Prusse ne tarde pas à pren­dre sa revanche sur le plan économique. En effet, les États du Sud et leurs alliés se voient exclus du Zol­lvere­in, cette Union douanière qui avait tis­sé au fil des ans des liens économiques fructueux entre États alle­mands antic­i­pant sur leur unité politique.

Une crise économique s’en­suit, l’U­nion douanière avec l’Autriche étant de loin impuis­sante à com­penser le préju­dice subi par cette sortie.

Les voilà bien­tôt con­traints de deman­der à la Prusse leur réin­té­gra­tion dans le Zol­lvere­in dont il faut rap­pel­er que, conçu au seul béné­fice des États alle­mands, il exclu­ait par principe l’Em­pire des Hab­s­bourgs com­posé d’au­tant d’al­logènes (des Latins, des Slaves et des Hon­grois) que d’Allemands.

Loin de s’a­pais­er, la rival­ité aus­tro-prussi­enne, pour le con­trôle des États du Sud, rebondis­sait, évolu­ant cette fois à l’a­van­tage de la Prusse, d’au­tant qu’à l’in­traitable Schwarzen­berg dis­paru en 1852 suc­cède sept ans durant à Vienne un con­ser­va­teur con­ciliant avec l’Alle­magne, Bach. Est-il besoin de rap­pel­er la suite ?

La rival­ité aus­tro-prussi­enne va mas­quer jusqu’à sa con­clu­sion en 1866–1867 le véri­ta­ble objec­tif de Bis­mar­ck, chance­li­er de Prusse dès 1861 : réalis­er l’u­nité alle­mande à tra­vers une guerre “patri­o­tique” des États alle­mands avec une France isolée et sans alliés en Europe. Bis­mar­ck, qui ne red­outait rien autant qu’une alliance fran­co-autrichi­enne, n’au­ra de meilleur aux­il­i­aire de ses des­seins que le nou­v­el empereur des Français, aveuglé et empêtré dans sa poli­tique extérieure incohérente.

Suite dans un prochain numéro, “1848, l’Eu­rope centrale”

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