Véhicule expérimental à conduite autonome

Quel véhicule autonome pour demain ?

Dossier : L'automobileMagazine N°717 Septembre 2016
Par Laurent ZIMMERMANN (84)

Une lutte sans mer­ci s’est engagé entre les dif­férents pro­tag­o­nistes voulant dévelop­per le véhicule autonome. D’un coté les con­struc­teurs et équipemen­tiers, de l’autre les nou­veaux entrants tels Uber et Google ou Tes­la qui utilisent des tech­niques de pro­gram­ma­tion inédites. Compte tenu des efforts engagés, la ques­tion n’est plus de savoir si le véhicule du futur sera autonome, mais quand. 

Quelle mouche a donc piqué les ingénieurs auto­mo­biles du monde entier, pour qu’ils se mobilisent avec autant d’ardeur autour du véhicule autonome ? 

“ Uber et Google voient dans le véhicule autonome un levier d’accélération de leur modèle économique ”

Est-ce pour répon­dre au besoin de nos mégapoles engorgées par le traf­ic, soucieuses de maîtris­er la con­ges­tion et de réduire les émis­sions de CO2 ?

Est-ce pour apporter une réponse aux attentes d’une société voulant assur­er la mobil­ité pour tous, y com­pris les plus âgés ? 

Est-ce un mou­ve­ment activé par de nou­veaux acteurs du monde privé comme Uber et Google, qui voient dans le véhicule autonome un levi­er d’accélération de leur mod­èle économique ? 

Est-ce enfin sim­ple­ment une évo­lu­tion ren­due aujourd’hui pos­si­ble par l’émergence de nou­velles tech­nolo­gies en matière de cap­teurs ou d’intelligence embar­quée, mais ne répon­dant à aucun réel besoin des clients ? 

REPÈRES

Les standards internationaux classent les véhicules autonomes en cinq niveaux d’automatisation. Jusqu’au niveau 2 inclus, c’est le conducteur qui supervise l’environnement du véhicule, assisté par un ou plusieurs systèmes d’automatisation.
À partir du niveau 3, on peut parler véritablement de véhicule automatisé car le système assure à la fois le contrôle dynamique du véhicule et la surveillance de l’environnement.

UNE AUTOMATISATION CROISSANTE

Les sys­tèmes de niveau 1 automa­tisent une des deux fonc­tions de con­trôle du véhicule (vitesse ou direc­tion) ; ils sont com­mer­cial­isés depuis plusieurs années, comme, par exem­ple, la fonc­tion de régu­la­tion active de la vitesse intro­duite par Jaguar ou Land Rover dès 1999. 


La con­duite autonome sur autoroute com­mence à être bien maîtrisée par les constructeurs.

Cette fonc­tion, qui per­met de mod­uler la vitesse de croisière en fonc­tion de la dis­tance avec le véhicule qui vous précède, a été peu à peu per­fec­tion­née avec l’utilisation de cap­teurs plus per­for­mants et notam­ment des radars. 

Des sys­tèmes de niveau 2 ont été lancés plus récem­ment, qui con­duisent automa­tique­ment dans les bou­chons grâce à un guidage latéral du véhicule dans sa file et un con­trôle de la dis­tance avec le véhicule précédent. 

Pro­posé sur la dernière Pas­sat de Volk­swa­gen ou sur le X5 de BMW, ce sys­tème per­met de libér­er com­plète­ment le con­duc­teur jusqu’à des vitesses de 60 km/h.

Citons égale­ment le Remote park­ing pilot, lancé par Mer­cedes cette année sur la nou­velle classe E, qui per­met de gar­er sa voiture automa­tique­ment en la con­trôlant depuis son télé­phone mobile de l’extérieur de la voiture. 

Le véhicule autonome le plus abouti com­mer­cial­isé à ce jour est incon­testable­ment la Tes­la Mod­el S, pre­mière voiture capa­ble de chang­er de file automa­tique­ment quand le con­duc­teur le lui demande en agis­sant sur le clig­no­tant. On entre ici dans le club restreint des véhicules autonomes prêts pour le niveau 3. 

Tes­la a osé pro­pos­er un sys­tème per­for­mant, ludique et a pris des risques assumés avec une fonc­tion prévue pour l’autoroute que rien n’empêche d’activer en ville. 

AUTOMATISER LES FONCTIONS DE CONDUITE

Qua­tre domaines sont directe­ment con­cernés : la per­cep­tion de l’environnement, le con­trôle dynamique du véhicule, les algo­rithmes de déci­sion et l’interface homme-machine. 

“Désormais, le conducteur délègue l’exécution de manœuvres à grande vitesse”

Le con­trôle dynamique du véhicule est le plus sim­ple : il fait appel à des organes éprou­vés pour le con­trôle de la direc­tion, du freinage, du moteur, ou de la boîte de vitesses. Toutes ces fonc­tions dynamiques sont depuis longtemps pilotées par des cal­cu­la­teurs électroniques. 

Le véhicule autonome n’ajoute qu’une exi­gence accrue de fia­bil­ité et de sécu­rité, car le con­duc­teur délègue désor­mais l’exécution de manœu­vres à grande vitesse. 

PERCEVOIR L’ENVIRONNEMENT

DES MILLIONS DE KILOMÈTRES EN GOOGLE CAR

Parmi les projets les plus ambitieux visant à un véhicule totalement autonome (sans chauffeur), il faut mentionner la Google Car. Google, pionnier dans ce domaine, se distingue par une approche massivement expérimentale avec un total cumulé en février 2016 de 2,3 millions de kilomètres parcourus par sa flotte de roulage composée d’une vingtaine de Lexus.
Google se distingue également par l’apport de technologies d’intelligence artificielle comme le deep learning, qui améliorent considérablement la performance des algorithmes de décision. La commercialisation de ses véhicules autonomes est annoncée pour 2020.

Autrement plus com­plexe est le prob­lème de la per­cep­tion de l’environnement. Un des cap­teurs les plus emblé­ma­tiques équipant les véhicules autonomes est le LiDAR : ce télémètre laser infrarouge per­met de recon­stru­ire une image 3D de l’environnement de la voiture et ain­si de détecter tous les obsta­cles poten­tiels tels qu’un véhicule, un cycliste ou un piéton. 

L’intérêt du LiDAR est qu’il émet ses pro­pres impul­sions lumineuses, per­me­t­tant son fonc­tion­nement quelle que soit la lumi­nosité. Il offre égale­ment une réso­lu­tion et une dis­tance de détec­tion com­pat­i­bles avec un fonc­tion­nement à grande vitesse. 

Seul incon­vénient, out­re son coût encore impor­tant, il perd en per­for­mance dans des con­di­tions cli­ma­tiques sévères (neige, forte pluie, brouil­lard). Il est à ce jour essen­tiel dès lors qu’on veut s’affranchir totale­ment d’une super­vi­sion humaine. 

Com­ment recon­naître les pan­neaux de sig­nal­i­sa­tion ou les mar­quages au sol ? Com­ment iden­ti­fi­er un enfant jouant au bord de la route et sus­cep­ti­ble à tout moment de couper votre tra­jec­toire ? Cette tâche est générale­ment con­fiée à des caméras cumu­lant faible coût, grande réso­lu­tion, grande flex­i­bil­ité d’installation et d’usage mal­gré la qual­ité vari­able de l’éclairage de la scène. Ici, les per­for­mances des caméras sont démul­ti­pliées par les pro­grès con­sid­érables du traite­ment d’image.

Citons enfin comme dernière caté­gorie de cap­teurs embar­qués les radars, qui garan­tis­sent un fonc­tion­nement sûr par temps de brouil­lard et offrent égale­ment l’avantage de mesur­er par effet Doppler la vitesse rel­a­tive de l’obstacle détec­té, même si leur réso­lu­tion est faible. 

Pour savoir sur quelle file on se trou­ve ou éviter une zone de chantier ou d’accident, l’approche générale retenue con­siste à enrichir les don­nées GPS par celles provenant des caméras, de l’odomètre ou des cap­teurs iner­tiels, et à crois­er l’ensemble de ces don­nées avec une car­togra­phie haute définition. 

Ce type de car­togra­phie per­met égale­ment d’anticiper la com­mande du véhicule par rap­port à des risques situés en dehors de la zone de per­cep­tion directe du véhicule, de l’ordre de 50 à 100 mètres. 

AU CŒUR DU SYSTÈME

Au cœur du sys­tème, les algo­rithmes de com­mande cal­cu­lent la tra­jec­toire opti­male du véhicule pour assur­er des fonc­tions aus­si var­iées que garder sa file, dépass­er un véhicule, s’insérer dans le traf­ic ou s’arrêter à une intersection. 

LOCALISER LE VÉHICULE AVEC PRÉCISION

Pour assurer un déplacement en totale autonomie, le véhicule doit pouvoir être localisé avec une précision dépassant largement celle offerte par les systèmes de localisation satellite. On avance en général le chiffre de 10 à 20 cm.

Mais ils doivent être capa­bles d’intervenir égale­ment en cas d’urgence pour éviter une col­li­sion. Le tout en opti­misant le con­fort pour les pas­sagers, en évi­tant les à‑coups, les freinages vio­lents et les écarts brusques. 

Si la con­duite autonome sur autoroute com­mence à être bien maîtrisée par les con­struc­teurs, en revanche la con­duite urbaine, de par la den­sité des véhicules proches, la com­plex­ité des inter­sec­tions (sans même envis­ager encore la place de l’Étoile) et la présence de pié­tons et cyclistes reste un véri­ta­ble défi. 

UNE INTERFACE HOMME-MACHINE SOPHISTIQUÉE

Il importe alors, dans les cas où le sys­tème trou­ve ses lim­ites, de ren­dre la main au con­duc­teur : c’est une des mis­sions allouées au mod­ule d’interface homme-machine. 

Celui-ci a d’autres mis­sions impor­tantes : ras­sur­er le con­duc­teur sur le bon fonc­tion­nement du sys­tème de con­duite autonome, par exem­ple en visu­al­isant la zone « cocon » de sécu­rité autour du véhicule, ou sur­veiller l’état de vig­i­lance du con­duc­teur pour garan­tir qu’il est à même à tout moment de repren­dre le contrôle. 

TENIR LA PROMESSE DE SÉCURITÉ ACCRUE

Les limites de la conduite autonome
Il importe alors, dans les cas où le sys­tème trou­ve ses lim­ites, de ren­dre la main au con­duc­teur .

Le prin­ci­pal défi du véhicule autonome est prob­a­ble­ment de tenir la promesse de sécu­rité accrue mise en avant par les con­struc­teurs. Le point le plus déli­cat touche prob­a­ble­ment aux com­posants logi­ciels inter­venant dans la fusion de don­nées, la recon­nais­sance de scènes, la plan­i­fi­ca­tion des trajectoires. 

Ces com­posants sont majori­taire­ment issus de proces­sus de pro­gram­ma­tion par appren­tis­sage de type deep learn­ing, à l’opposé des logi­ciels obtenus par pro­gram­ma­tion impéra­tive, de loin les plus util­isés dans notre indus­trie automobile. 

Or il n’existe aucun retour d’expérience de l’utilisation dans des appli­ca­tions cri­tiques de ce type de logi­ciels, par ailleurs ban­nis des secteurs aéro­nau­tiques, nucléaires ou ferroviaires. 

Et, plus les algo­rithmes sont puis­sants, plus leur fonc­tion­nement est opaque. Les stan­dards et méth­odes de con­cep­tion et de preuve de la sûreté de fonc­tion­nement sont ici à construire. 

À cet égard, l’accident qui a coûté la vie au con­duc­teur d’une Tes­la mod­el S en Floride en mai 2016 et les vives réac­tions qu’il a provo­quées ont mal­heureuse­ment mis en lumière les lim­ites de la tech­nolo­gie déployée à ce jour, mais aus­si l’insuffisance du cadre régle­men­taire régis­sant l’homologation et l’utilisation des véhicules autonomes. 

FAIRE ACCEPTER LA VOITURE AUTONOME PAR LES USAGERS

L’acceptation par les usagers de la voiture autonome est le sec­ond enjeu majeur : il s’agit de créer un sen­ti­ment de sécu­rité à bord pour l’usager qui met sa vie entre les mains de la machine. Dans ce domaine, la psy­cholo­gie compte plus que les don­nées rationnelles. 

VÉRIFIER EMPIRIQUEMENT LA SÛRETÉ DE FONCTIONNEMENT

En l’absence de cadre formel de vérification de la sûreté de fonctionnement, les démarches empiriques de validation – par l’accumulation des kilomètres parcourus – vont perdurer dans les prochaines années, couplées à des moyens souples et réactifs de corrections des inévitables « bugs ». La connectivité joue ici un rôle important car elle permet la mise à jour du système d’exploitation de la voiture à distance, sans avoir à ramener son véhicule en concession.

Car l’acceptation du risque n’est pas la même suiv­ant que l’on est maître du véhicule ou non : même si les acci­dents de la route tuent 1,2 mil­lion de per­son­nes par an dans le monde entier, il peut suf­fire de quelques cas d’accidents mor­tels à bord de véhicules autonomes pour ruin­er leur réputation. 

La cohab­i­ta­tion entre véhicules autonomes et véhicules non autonomes va aus­si créer des fric­tions – que penser d’un véhicule qui ne réag­it pas aux appels de phares et aux coups de klax­on ? Se posent même des ques­tions d’ordre éthique et moral dans le cas où l’accident n’est pas évitable : peut-on laiss­er la machine décider par elle-même quelle vie a plus d’importance qu’une autre ? 

Des dif­fi­cultés tech­niques restent à résoudre, en par­ti­c­uli­er le fonc­tion­nement en zone urbaine et plus par­ti­c­ulière­ment dans cer­taines inter­sec­tions déli­cates où l’humain négo­cie le pas­sage de son véhicule par un regard, un geste, ou un sig­nal d’avertissement.

“La machine peut-elle décider quelle vie a plus d’importance qu’une autre ?”

Il est prob­a­ble que, face à ces dif­fi­cultés, le déploiement du véhicule autonome ne pour­ra se faire que par étapes en com­mençant par la cir­cu­la­tion autoroutière ou dans cer­taines villes-tests. Une étude intéres­sante menée aux États-Unis sug­gère qu’il fau­dra atten­dre une ving­taine d’années pour voir se déploy­er de vrais robots-taxis et une quar­an­taine d’années pour que l’essentiel des véhicules com­mer­cial­isés soient autonomes. 

Le stade ultime du véhicule autonome imposé par la loi pour­rait quant à lui inter­venir entre 2060 et 2080, lorsque les béné­fices du véhicule autonome auront été démon­trés à grande échelle. 

À QUAND LA RUPTURE CONSOMMÉE ?

Le véhicule autonome s’annonce comme une rup­ture majeure pour notre vieille industrie. 

S’ADAPTER AU CONTEXTE LOCAL

Que faire dans les pays où l’infrastructure (marquages au sol, signalisation) est déficiente ? Ou les pays où de nombreuses libertés sont prises avec le code de la route, où se créent par exemple des files « sauvages » sur des axes embouteillés ? Les solutions développées par les constructeurs devront tenir compte de ces particularités.

L’effort con­sid­érable déployé par les nou­veaux entrants comme Google, Apple, Tes­la ou Uber pour débauch­er les tal­ents de la Sil­i­con Val­ley, le rachat par GM de Cruise Automa­tion, petite entre­prise de 40 per­son­nes, pour un mon­tant estimé à 1 mil­liard de dol­lars, les ini­tia­tives récentes d’acteurs chi­nois comme Baidu, le Google chi­nois, avec le sup­port act­if du gou­verne­ment qui rêve de gag­n­er face aux États-Unis la bataille du véhicule autonome, sont autant de signes éloquents. 

Les con­struc­teurs d’automobiles tra­di­tion­nels, qui ont bien com­pris le risque de se voir dépassés par ces nou­veaux acteurs ambitieux, met­tent les bouchées dou­bles pour rat­trap­er leur retard. Ain­si Toy­ota aurait déjà déposé 1 400 brevets en la matière. 

Compte tenu des efforts incroy­ables engagés dans ce qu’on pour­rait com­par­er à une ruée vers l’or et au regard des béné­fices qu’en attend la société, la ques­tion n’est plus de savoir si le véhicule du futur sera autonome. La ques­tion est sim­ple­ment quand.

Poster un commentaire