installation de CarPlay et Android Auto dans les voitures

Numérisation, nouvelles mobilités : où va la valeur ajoutée ?

Dossier : L'automobileMagazine N°717 Septembre 2016
Par Patrick PÉLATA (74)

La créa­tion de valeur est en train de bas­culer du hard­ware vers le soft­ware et les ser­vices. ». Et les nou­veaux entrants ont des com­pé­tences immenses et pour cer­tains des moyens financiers gigan­tesques. Les con­struc­teurs auto­mo­biles sauront-ils résis­ter ? Il faut au moins qu’ils s’adaptent rapi­de­ment, avec leurs réseaux de dis­tri­b­u­tion, à la demande des con­som­ma­teurs connectés. 

Google, Apple, Tes­la, Uber : leurs vel­léités auto­mo­biles ne font plus sourire les grands con­struc­teurs. Leurs com­pé­tences font même envie : logi­ciel, intel­li­gence arti­fi­cielle, machine learn­ing, archi­tec­tures en nuage, inter­faces homme-machine et même con­cep­tion et mar­ket­ing. Sans par­ler – pour les deux pre­mières – de leurs réserves de trésorerie. 

“ Google, Apple, Tesla, Uber ne font plus sourire les constructeurs traditionnels ”

Le P.-D.G. de BMW, H. Krüger, le dit autrement : « La créa­tion de valeur est en train de bas­culer du hard­ware que nous con­nais­sons bien vers le soft­ware et les services. » 

Et les P.-D.G. de Volk­swa­gen, de Gen­er­al Motors, de Ford ou de Renault-Nis­san d’ajouter que l’automobile va plus chang­er dans les prochaines années qu’elle ne l’a fait dans le dernier demi-siècle. 

REPÈRES

L’exemple des États-Unis donne une idée des ordres de grandeur dans la chaîne de valeur automobile. La vente de voitures neuves représente 510 milliards de dollars (dont 60 % proviennent des fournisseurs), celle des véhicules d’occasion, environ 600. Il faut y ajouter 245 pour les pièces détachées, 100 pour l’entretien et la réparation, 220 pour l’assurance. Enfin l’en-cours de crédit et de leasing vaut 905 milliards de dollars.

DES CHANGEMENTS PROFONDS DE LA CHAÎNE DE VALEUR

UNE NOUVELLE FAÇON D’ASSURER LES CONDUCTEURS

Octo Telematics absorbe les données de ses boîtiers dans plus de quatre millions de voitures dans le monde depuis une décennie et avertit en temps réel ses clients, les compagnies d’assurances, du moindre accident, du risque de blessure du conducteur, du lieu, de l’état de la voiture et de son coût estimé de réparation.
Et permet aux assureurs d’adapter leurs tarifs grâce à la notation (scoring) du conducteur, première étape vers un nouveau modèle d’affaires avec le Pay as/how you drive.

Les nou­veaux entrants pour­raient-ils y pren­dre la part du lion ? Il est vrai que l’écosystème auto­mo­bile mon­di­al est un champ de valeur alléchant, pesant plusieurs mil­liers de mil­liards de dollars. 

Or, il a peu évolué depuis les années 1950–1960 : il s’est mon­di­al­isé, le crédit est devenu qua­si sys­té­ma­tique, la loca­tion-vente s’est forte­ment dévelop­pée, les réseaux de dis­tri­b­u­tion se sont con­cen­trés, mais tout cela sans fon­da­men­tale­ment chang­er la façon dont les voitures sont achetées, util­isées et servies. 

Mais, avec la révo­lu­tion numérique et sous les con­traintes de l’environnement et de la sat­u­ra­tion urbaine, des change­ments net­te­ment plus rad­i­caux appa­rais­sent à l’horizon.

DES CONSOMMATEURS CONNECTÉS

Depuis et avec l’apparition de l’iPhone (2008), des « apps », des médias soci­aux, les besoins ont changé : « Sim­pli­fiez-moi la vie, aidez-moi à gag­n­er du temps, à dépenser moins, occu­pez-vous de moi, soyez réac­t­ifs. » Les con­som­ma­teurs choi­sis­sent Uber ou Chauf­feur privé con­tre les taxis, BlaBlaCar con­tre la SNCF, Waze ou Google Maps con­tre les sys­tèmes de nav­i­ga­tion clas­siques des voitures. Ils veu­lent être con­nec­tés en con­duisant sans se met­tre en danger. 

“ Les technologies pour faire autrement sont là ”

Mais les con­struc­teurs et leurs réseaux de dis­tri­b­u­tion s’adaptent très lente­ment à cette demande, lais­sant ain­si la porte ouverte à de nou­veaux venus, les Dri­vy, Elioc­i­ty, True­Car, Octo, Beepi, Zubie, Mojio, YourMechanic.com, etc., et à Google, Apple ou Amazon. 

Pour­tant, les tech­nolo­gies pour faire autrement sont là : smart­phone, médias soci­aux, cloud com­put­ing, voitures con­nec­tées, cap­teurs, big data sci­ence, intel­li­gence artificielle. 

Nous sommes dans la pre­mière phase – par­ti­c­ulière­ment lente dans l’automobile – de leur inté­gra­tion, alors que la sec­onde, qui devrait aboutir à la con­duite automa­tique et aux voitures sans chauf­feur, se prépare. 

DE NOUVELLES CONCEPTIONS DE LA MOBILITÉ


Presque tous les con­struc­teurs (sauf Toy­ota et BMW) se sont résignés à installer CarPlay et Android Auto dans leurs voitures sous la pres­sion de leurs clients.

Dans cette pre­mière phase, au-delà des solu­tions – très vis­i­bles et pop­u­laires – apportées par Uber, BlaBlaCar et leurs pairs, une foule de start-ups se pressent pour inven­ter de nou­velles façons de ren­dre ser­vice et d’en faire un busi­ness. Cer­taines sont main­tenant instal­lées et profitables. 

Mais l’essentiel est peut-être l’arrivée pro­gres­sive et somme toute dis­crète de Google et Apple à l’intérieur de la voiture. Avec le smart­phone que cha­cun accroche sur sa planche de bord pour avoir une nav­i­ga­tion cor­recte et la musique qu’il aime, ou bien avec CarPlay ou Android Auto qui lui per­me­t­tront d’avoir cela et un peu plus, mais bien inté­grés dans l’écran de la voiture. 

Ain­si, presque tous les con­struc­teurs (sauf Toy­ota et BMW) se sont résignés à installer CarPlay et Android Auto dans leurs voitures sous la pres­sion de leurs clients. 

En effet, leurs plate­formes offrent la pos­si­bil­ité de dévelop­per des appli­ca­tions et des ser­vices util­isant les don­nées du télé­phone (GPS, accéléra­tion, etc.), de boîtiers ajoutés à la voiture pour quelques dizaines d’euros, voire de don­nées provenant directe­ment du réseau interne de la voiture, avec le con­sen­te­ment du constructeur. 

UN JOUR, DES ROBOTS-TAXIS

Mais Google, Uber et très cer­taine­ment Apple vont plus loin avec leurs pro­jets de voitures sans chauf­feur. Imag­inez des voitures-robots que vous appelez avec votre smart­phone et que vous utilisez éventuelle­ment en cov­oiturage (l’expression anglaise ride-shar­ing est un peu plus claire). 

“ Une très forte réduction de la pollution locale et des émissions de CO2

Les sim­u­la­tions faites sur de grandes aggloméra­tions mon­trent une réduc­tion dras­tique du coût de la mobil­ité, du nom­bre de voitures en sta­tion­nement et donc une remar­quable libéra­tion de l’espace urbain, une réduc­tion des temps de trans­port, le recul des auto­bus, la crois­sance des trans­ports urbains lourds (métro et trains) et, si ces flottes sont élec­triques, une très forte réduc­tion de la pol­lu­tion locale et des émis­sions de CO2.

Les dis­tances totales par­cou­rues sont, en revanche, en aug­men­ta­tion plus ou moins sig­ni­fica­tive selon la pro­por­tion de cov­oiturage et la taille de la flotte. 

Les béné­fices atten­dus sont tels pour les villes que leurs autorités devraient en faciliter le développe­ment. Voilà qui est éminem­ment disruptif. 

ride-sharing aux États-Unis
Des sim­u­la­tions de ride-shar­ing sur de grandes aggloméra­tions aboutis­sent à une libéra­tion de l’espace urbain.

DE NOUVEAUX INTERMÉDIAIRES DÉJÀ ACTIFS

Après une longue péri­ode (soix­ante-dix ans) de rel­a­tive sta­bil­ité des chaînes de valeur, les dynamiques que nous venons de décrire som­maire­ment vont assuré­ment génér­er des changements. 

UN CONCOURS ENTRE VILLES

Aux États-Unis, le Department Of Transportation (DOT) a promis 40 millions de dollars à la ville qui gagnerait le concours Smart City et « deviendrait la première ville du pays à intégrer pleinement les nouvelles technologies innovantes – voitures autonomes, voitures connectées, capteurs intelligents – dans son réseau de transport ».

Les assureurs auto­mo­biles ont com­mencé leur trans­for­ma­tion en Europe et aux États-Unis en se con­nec­tant déjà sig­ni­fica­tive­ment aux voitures et en adap­tant leur busi­ness mod­el. Les entre­pris­es de leas­ing, voire les cap­tives finan­cières des con­struc­teurs, sont cepen­dant sur le même chemin et peu­vent – si leurs voitures sont con­nec­tées – com­bin­er crédit, assur­ance et main­te­nance en mode Pay as/how you dri­ve.

La valeur devrait migr­er vers les entre­pris­es qui sauront ven­dre et fournir les trois ser­vices ensem­ble, de façon mod­erne et à bon prix. 

Les réseaux de dis­tri­b­u­tion auto­mo­biles vont faire face aux nou­veaux venus dans la vente de véhicules d’occasion, de pièces de rechange et de ser­vices où ils font l’essentiel de leurs prof­its. Leur chance : devenir le « hub de con­fi­ance » avec lequel cha­cun peut traiter en un temps min­i­mal tout ce qu’il a à faire avec sa voiture. 

Autopilot de Tesla
L’Autopilot de Tes­la est déjà util­isé par 80 000 clients.

Leurs hand­i­caps : leur retard et leurs dif­fi­cultés à se con­necter de façon mod­erne avec leurs clients et avec les con­struc­teurs, le coût élevé de leurs presta­tions, leurs coûts fix­es et les rigid­ités imposées par les constructeurs. 

Tes­la a com­mencé à mon­tr­er qu’il y a peut-être des alter­na­tives. Et plus encore si les véhicules élec­triques – qui exi­gent beau­coup moins de main­te­nance – arrivent en masse. 

Hors des réseaux de mar­que, la dis­tri­b­u­tion com­plexe de la pièce de rechange, sou­vent avec plusieurs niveaux d’intermédiaires, devra se trans­former avec deux inno­va­tions qui changent le jeu : les voitures con­nec­tées et les places de marché à la façon d’Amazon.com.

Mais, là encore, l’entrée de Google et Apple dans les voitures peut ouvrir les chaînes de valeur aux nou­veaux venus dans l’ensemble des ser­vices auto­mo­biles avec un effet dis­rup­tif bien supérieur. 

Dans ce domaine, le seul con­tre-feu ne peut venir que de l’aptitude des con­struc­teurs et de leurs réseaux à faire aus­si vite et mieux pour le client final. 

DES MUTATIONS AMPLIFIÉES DEMAIN

Voiture Google
Lorsque les voitures sans con­duc­teur com­menceront à appa­raître sur des zones urbaines lim­itées mais à fort impact économique, les change­ments devraient être beau­coup plus profonds.

Lorsque les voitures sans con­duc­teur com­menceront à appa­raître sur des zones urbaines lim­itées mais à fort impact économique, les change­ments devraient être beau­coup plus profonds. 

Sym­bol­ique­ment, deux nou­veaux venus sont à la pointe de cette nou­velle vague d’innovation : Google avec sa Google Car et Tes­la avec son Autopi­lot déjà util­isé par 80 000 clients et amélioré en con­tinu grâce aux retours de ses voitures con­nec­tées et aux télécharge­ments de logi­ciels que Tes­la est le seul à maîtris­er aujourd’hui (over the air uploads ou OTA uploads).

Les chaînes de valeur ont déjà com­mencé à bouger dans l’écosystème auto­mo­bile. Et elles bougeront encore beau­coup plus dans les dix prochaines années. 

“ Les chaînes de valeur ont déjà commencé à bouger dans l’écosystème automobile ”

Les jeux ne sont pas faits. Les con­struc­teurs et leurs réseaux de dis­tri­b­u­tion ont des act­ifs immenses. Auront-ils l’agilité néces­saire pour se trans­former avant que les Google, Apple, Uber, etc., ne captent de larges pans de valeur ? 

« Who says ele­phants can’t dance ? » écrivait en 2003 Lou Ger­st­ner, le P.-D.G. qui a trans­for­mé IBM. Mais la vague d’innovations qui arrive est bien plus mas­sive que ce qu’IBM a eu à affron­ter dans les années 1990.

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