Connectivité, robotisation, intelligence artificielle, la production automobile 4.0

Dossier : AutomobileMagazine N°765 Mai 2021
Par Arnaud DEBOEUF (87)
Par Jean-Christophe MARCHAL (93)

Qu’est-ce que la qua­trième révo­lu­tion indus­trielle ? Voi­ci une illus­tra­tion concrète des apports des tech­no­lo­gies dans le monde de la pro­duc­tion indus­trielle automobile.

La qua­trième révo­lu­tion indus­trielle est désor­mais une réa­li­té pour l’industrie auto­mo­bile qui cherche en per­ma­nence à amé­lio­rer sa per­for­mance (éco­no­mique, qua­li­té), car la com­pé­ti­ti­vi­té qui l’entoure est extrême. Cette qua­trième révo­lu­tion indus­trielle est tirée par le numé­rique et l’interaction homme-machine qui se déploient pro­gres­si­ve­ment et rapi­de­ment sur toute la chaîne de valeur : concep­tion, pro­gram­ma­tion, pro­duc­tion, logis­tique, etc. Dans le domaine du manu­fac­tu­ring, la connec­ti­vi­té entre les machines, la géné­ra­tion mas­sive de don­nées, l’utilisation d’algorithmes d’intelligence arti­fi­cielle pour les trai­ter ou encore la visua­li­sa­tion numé­rique des don­nées per­mettent une uti­li­sa­tion opti­mi­sée des moyens de pro­duc­tion. Mais, en pré­re­quis, les usines doivent opé­rer une trans­for­ma­tion numé­rique per­met­tant une mise à dis­po­si­tion ins­tan­ta­née d’informations exploi­tables au mana­ge­ment de proxi­mi­té et aux équipes de main­te­nance, à par­tir d’équipements sou­vent ins­tal­lés depuis de nom­breuses années. Au sein de Stel­lan­tis, cette révo­lu­tion s’est enga­gée à la fois par des pro­jets cor­po­rate et sur­tout par des ini­tia­tives locales qui répondent mieux au contexte et aux besoins spé­ci­fiques. Ce modèle, riche d’interactions entre les équipes locales et les équipes cen­trales, a per­mis de mul­ti­plier les initiatives.


REPÈRES

Stel­lan­tis est l’un des lea­ders mon­diaux de l’automobile et un four­nis­seur de mobi­li­té, né le 19 jan­vier 2021 et résul­tant de la fusion des construc­teurs groupe PSA et Fiat Chrys­ler Auto­mo­biles. Stel­lan­tis exploite et com­mer­cia­lise qua­torze marques auto­mo­biles dont cinq marques issues du groupe PSA (Citroën, DS Auto­mo­biles, Opel, Peu­geot et Vaux­hall) et neuf venant de FCA (Abarth, Alfa Romeo, Chrys­ler, Dodge, Fiat, Fiat Pro­fes­sio­nal, Jeep, Lan­cia, Mase­ra­ti et Ram). Il emploie 400 000 sala­riés, de 150 natio­na­li­tés, et a réa­li­sé un chiffre d’affaires de 167 mil­liards d’euros en 2020. 


La connectivité

La connec­ti­vi­té des équi­pe­ments et des objets est le point de départ de la mise en œuvre de plu­sieurs tech­no­lo­gies de l’usine 4.0. Elle s’opère non seule­ment via l’interopérabilité entre l’infrastructure réseau des auto­ma­tismes et celle des sys­tèmes d’information (inter­con­nexion OT/IT), mais éga­le­ment via la connec­ti­vi­té sans fil des équi­pe­ments. Ain­si, depuis 2015, Stel­lan­tis a déployé un réseau wifi indus­triel dans l’ensemble de ses usines. De plus en plus d’équipements indus­triels sont ain­si connec­tés en toute sécu­ri­té en wifi, tels que les clients légers (ter­mi­naux infor­ma­tiques indus­triels), les impri­mantes, les IoT (voir le lexique en enca­dré), les AGV, cer­tains robots ou équi­pe­ments OT, mais éga­le­ment les équi­pe­ments mobiles (ter­mi­naux embar­qués, tablettes, ordi­na­teurs por­tables, smart­phones…). En com­plé­ment, une cou­ver­ture 4G (bien­tôt 5G) est déployée dans les zones moins denses en équi­pe­ments ou à l’extérieur, ain­si que la tech­no­lo­gie LoRa­WAN sur les meubles pick to light ou encore Sig­Fox pour la supply chain. Le recours aux objets connec­tés (IoT) pour géné­rer ou récu­pé­rer des don­nées inhé­rentes à la pro­duc­tion et à la logis­tique ou encore pour mesu­rer la consom­ma­tion ins­tan­ta­née d’énergie est désor­mais sys­té­ma­tique. Ces objets peuvent être ins­tal­lés sur des ins­tal­la­tions (robots, centres d’usinage…) de marques et de géné­ra­tions dif­fé­rentes. Par ailleurs, depuis 2019, le nombre d’IoT intel­li­gents (dotés d’OS), per­met­tant notam­ment de réa­li­ser de l’edge com­pu­ting, pour un trai­te­ment des don­nées immé­diat à proxi­mi­té des moyens de pro­duc­tion, a été mul­ti­plié par dix. Cette ten­dance va bien évi­dem­ment se pour­suivre, notam­ment dans le péri­mètre de la qua­li­té et à tra­vers des cas d’utilisation met­tant en œuvre des algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle, pour aider par exemple à la détec­tion d’anomalies ou four­nir une assis­tance à la réa­li­sa­tion d’opérations.

Les applications

Tous ces tra­vaux sur la connec­ti­vi­té ont per­mis d’augmenter sen­si­ble­ment au cours des trois der­nières années la col­lecte des don­nées, qui sont déver­sées dans un data lake indus­triel, afin d’être trai­tées et de per­mettre, entre autres : une data visua­li­za­tion à grande échelle (logi­ciel Power BI), pour une mise à dis­po­si­tion simple et en temps réel de tableaux de bord ; un affi­chage de l’état des ins­tal­la­tions dans les ate­liers ou sur les smart­phones des mana­gers de l’usine ; une détec­tion plus rapide des points de gou­lots d’une ligne de pro­duc­tion afin d’améliorer sa pro­duc­ti­vi­té ; une anti­ci­pa­tion des pannes ou une assis­tance à la main­te­nance afin de mini­mi­ser les pertes de pro­duc­tion ; une mise en œuvre de contrôles qua­li­té auto­ma­ti­sés par camé­ra, avec une per­for­mance bien supé­rieure pour blo­quer des non-confor­mi­tés ; un sui­vi en temps réel des flux de pièces ou de véhi­cules après leur sor­tie d’usine, etc. Par exemple, afin d’améliorer la réac­ti­vi­té en usine, mais aus­si afin de réduire l’usage du papier, la numé­ri­sa­tion du sys­tème de mana­ge­ment de la pro­duc­tion (Stel­lan­tis Pro­duc­tion Way) à tra­vers des smart­phones, des tablettes ou des écrans tac­tiles a été enga­gée. Ain­si, lors de leurs tours de ter­rain, le direc­teur d’usine et les res­pon­sables d’unité vont sai­sir tous les dys­fonc­tion­ne­ments qu’ils repèrent. Ces dys­fonc­tion­ne­ments seront sui­vis, trai­tés et archi­vés en temps réel.

“Le nombre d’objets connectés a été multiplié par dix depuis 2019.”

Autres appli­ca­tions de la numé­ri­sa­tion : la for­ma­tion des nou­veaux opé­ra­teurs qui, munis de casques 3D d’immersion, peuvent par­faire leur ges­tuelle et s’entraîner en dehors de la ligne de fabri­ca­tion, sans per­tur­ber la pro­duc­tion. De même, les lunettes connec­tées per­mettent aux main­te­nan­ciers confron­tés à une panne com­plexe de faire appel en temps réel aux com­pé­tences et à l’expérience de leurs col­lègues, par­fois éloi­gnés de plu­sieurs mil­liers de kilo­mètres. Plu­sieurs apps (appli­ca­tions mobiles) par domaine d’activité indus­trielle, telles main­te­nance, logis­tique ou qua­li­té, uti­li­sables sur smart­phones et tablettes, en com­plé­ment d’applications mobiles du mar­ché, ont éga­le­ment été déve­lop­pées et déployées. Plu­sieurs mil­liers de smart­phones ont été dis­tri­bués aux acteurs de la pro­duc­tion, en com­plé­ment de ceux déjà dis­tri­bués à la ligne mana­gé­riale. Ces nou­velles tech­no­lo­gies numé­riques per­mettent à Stel­lan­tis de pro­gres­ser sen­si­ble­ment sur plu­sieurs indi­ca­teurs clés de la per­for­mance indus­trielle, tels que le ren­de­ment opé­ra­tion­nel des ate­liers, le coût de fabri­ca­tion, le taux de pannes, le temps moyen de répa­ra­tion des moyens indus­triels (MTTR Mean Time to Repair), l’optimisation des stocks ou encore la qua­li­té. Tout pro­jet doit pré­sen­ter indi­vi­duel­le­ment un retour sur inves­tis­se­ment infé­rieur à douze mois pour être enga­gé. Ce cri­tère incite natu­rel­le­ment les équipes à cher­cher les solu­tions les moins coû­teuses et per­met bien évi­dem­ment une sélec­tion objec­tive des pro­jets qui seront déployés dans les usines. 

Les cobots ou robots collaboratifs

Jusqu’à pré­sent les machines étaient iso­lées, entou­rées de car­ters, consom­ma­trices de sur­faces. Par ailleurs elles impo­saient des rigi­di­tés sur les archi­tec­tures de lignes (lignes de trans­fert en usi­nage, îlots robo­ti­sés) ou de flux (cha­riots filo­gui­dés), qui n’étaient plus accep­tables après la révo­lu­tion qu’avaient connue les ate­liers pour deve­nir tou­jours plus flexibles aux varia­tions de volumes ou aux chan­ge­ments de pro­duits. Les cobots, ou robots col­la­bo­ra­tifs, ont fait peu à peu leur appa­ri­tion dans l’industrie auto­mo­bile, avec la pro­messe de per­mettre la coac­ti­vi­té homme-robot en toute sécu­ri­té. Ils per­mettent d’améliorer la pro­duc­ti­vi­té en assu­rant des opé­ra­tions tech­niques comme des vis­sages, d’améliorer la qua­li­té avec des camé­ras ou des cap­teurs embar­qués ou de régler des pro­blèmes de condi­tions de tra­vail en met­tant des charges lourdes à hau­teur d’homme. Leur déploie­ment s’accélère car leur logique d’intégration, sim­pli­fiée, rend acces­sible à des non-experts l’exploitation de ce type de robots. Par ailleurs, et c’est cer­tai­ne­ment le point le plus impor­tant pour l’industrie auto­mo­bile, leur mise en place sans pro­tec­tion spé­ci­fique per­met d’alléger l’impact de l’automatisation des opé­ra­tions sur les lignes d’assemblage : sans bar­rière phy­sique struc­tu­rante, les archi­tec­tures de lignes sont plus simples et flexibles pour une exploi­ta­tion opti­mi­sée. Ils peuvent être insé­rés rapi­de­ment et faci­le­ment dans des lignes exis­tantes. Enfin, leur coût dimi­nue sen­si­ble­ment, ce qui rend leur ren­ta­bi­li­té plus grande. Ain­si, en seule­ment quatre ans, ce sont des cen­taines de robots col­la­bo­ra­tifs qui ont été ins­tal­lés sur les lignes de production.


Quelques anglicismes…

Inter­net of Things : inter­net des objets connectés. 

Auto­ma­tic Gui­ded Vehicle : véhi­cule filoguidé. 

Pick to light : voyant lumi­neux pour orien­ter un opé­ra­teur vers une réfé­rence qu’il doit prélever. 

Ope­ra­ting Sys­tem : sys­tème d’exploitation.

Edge com­pu­ting : méthode d’optimisation employée dans le cloud.


L’automatisation de la logistique

La logis­tique interne (trans­port des pièces du quai de déchar­ge­ment des camions au bord de la ligne d’assemblage) a fait l’objet d’importants plans d’automatisation qui font coexis­ter robots et hommes : s’inspirant des construc­teurs japo­nais, les pre­miers robots AGV, por­teurs ou tirant des cha­riots, ont été intro­duits il y a une dizaine d’années. Plus auto­nomes et plus flexibles que les cha­riots filo­gui­dés, ils per­mettent d’apporter les pièces en bord de ligne, de rem­pla­cer des lignes de pré­pa­ra­tion, d’organiser des zones de kit­ting (pré­pa­ra­tion de col­lec­tions de pièces pour gérer la diver­si­té). Là encore, la sim­pli­ci­té de leur inté­gra­tion ou de l’évolution de leurs par­cours a contri­bué à leur déploie­ment accé­lé­ré. Aujourd’hui, la cible est d’automatiser l’ensemble des flux de logis­tique interne, du camion au bord de ligne, tout en res­tant syn­chro­ni­sé avec la ligne de mon­tage prin­ci­pale. Depuis plus de cent cin­quante ans, l’industrie auto­mo­bile innove et adapte de nou­velles tech­no­lo­gies pour conti­nuer à pro­gres­ser dans toutes les dimen­sions de sa per­for­mance : éco­no­mique, qua­li­té, sécu­ri­té, ergo­no­mie, envi­ron­ne­ment… Avec cette qua­trième révo­lu­tion indus­trielle, elle a trou­vé de nou­veaux outils pour amé­lio­rer son effi­ca­ci­té, alors qu’elle doit faire face, par ailleurs, à la révo­lu­tion du véhi­cule élec­trique. C’est la bonne inté­gra­tion, rapide, de l’industrie 4.0 qui peut per­mettre à l’industrie auto­mo­bile d’être plus flexible, plus fru­gale et plus effi­ciente, afin de conti­nuer à offrir une mobi­li­té indi­vi­duelle propre et sûre, mais éga­le­ment abordable.

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