véhicule autonome

Véhicule autonome : le grand remplacement ?

Dossier : AutomobileMagazine N°765 Mai 2021
Par Patrick PÉLATA (74)

On par­lait beau­coup des véhicules autonomes (VA), des rob­o­t­axis, on com­mençait à imag­in­er à quel point ils pour­raient chang­er la mobil­ité voire les villes. Puis est venue la désil­lu­sion, ali­men­tée par quelques indus­triels et médias. Alors qu’en est-il exactement ?

Les véhicules autonomes roulent. Way­mo (fil­iale de Google) opère plusieurs cen­taines de mini­vans en mode autonome dans la ban­lieue de Phoenix en Ari­zona : cer­tains roulent sans chauf­feur de sécu­rité donc au niveau 4 strict. Leur ODD : une zone de 16 x 16 km env­i­ron où habitent quelques cen­taines de mil­liers d’habitants, une vitesse max­i­male de 72 km/h, la lim­ite régle­men­taire, et cela par tous les temps sauf pluie dilu­vi­enne ou tem­pête de sable. Ils ont par­cou­ru, au total, plus de 100 000 km en 2019–2020, ce qui est lim­ité, com­paré aux 6 mil­lions de kilo­mètres par­cou­rus par les autres voitures de Way­mo qui con­tin­u­ent d’« appren­dre » la con­duite dans Phoenix tout en trans­portant des clients, mais avec des chauf­feurs de sécu­rité. En Cal­i­fornie, Way­mo et cinq autres entre­pris­es ont obtenu l’autorisation de rouler et roulent sans chauf­feur de sécu­rité, depuis l’été 2019 pour Way­mo, sur un ter­rain plus com­plexe que la ban­lieue de Phoenix.

Les technologies mobilisées

Tout cela n’est pos­si­ble que parce que les cap­teurs, caméras, radars et lidars, ont fait et con­tin­u­ent de faire d’immenses pro­grès en per­for­mance, com­pac­ité et coût. Car, pour l’instant, il en faut beau­coup pour rem­plac­er les deux yeux des humains : ain­si la 5e généra­tion de Way­mo – sans doute sur­spé­ci­fiée car Way­mo approche man­i­feste­ment la solu­tion par le haut – com­porte 27 caméras, 5 lidars et 6 radars. Ces cap­teurs intè­grent peu à peu une capac­ité à iden­ti­fi­er les dif­férents acteurs de la rue ain­si que feux, ban­des et pan­neaux de sig­nal­i­sa­tion, mais aus­si obsta­cles divers, bal­lons, papiers emportés par le vent, travaux impromp­tus, etc. La géolo­cal­i­sa­tion, com­plétée par des cap­teurs iner­tiels, des cap­teurs de roues, des tri­an­gu­la­tions en con­tinu avec des amers préi­den­ti­fiés et, bien sûr, des cartes haute déf­i­ni­tion, per­met un posi­tion­nement à quelques cen­timètres près. Mais le plus dif­fi­cile vient ensuite : il faut fusion­ner les don­nées mul­ti­ples et dynamiques de ces cap­teurs qui ne voient pas tous la même chose et faire des pré­dic­tions prob­a­bil­isées du mou­ve­ment de ces acteurs ou objets mobiles de la rue. Dans cette prévi­sion, il faut naturelle­ment inté­gr­er des com­porte­ments humains, eux aus­si prob­a­bil­isés : com­ment pour­raient réa­gir ces pié­tons, jog­gers, cyclistes, moto­cy­clistes, policiers, pom­piers et, surtout, ces con­duc­teurs des autres voitures détec­tées en cet instant. Enfin, le sys­tème va con­stru­ire ain­si une scène de con­duite. Way­mo déclarait en avoir plus de 20 000 il y a quelques années.


Repères

La Société inter­na­tionale des ingénieurs de l’automobile a don­né une déf­i­ni­tion claire des dif­férents niveaux d’automation. Les VA d’aujourd’hui, et pour longtemps encore, sont de niveau 4 : sur une zone et des con­di­tions don­nées, donc pour un domaine opéra­tionnel lim­ité (Oper­a­tional Design Domain, ODD) le véhicule peut rouler sans chauf­feur, ce qui sup­pose bien sûr un très haut niveau de cer­ti­tude qu’il con­duira bien, et même beau­coup mieux qu’un con­duc­teur humain, et ce quelle que soit la sit­u­a­tion de con­duite dans laque­lle il se trou­ve. Le niveau 5 est une utopie à ce jour. 


L’apprentissage

C’est en se référant à cette scène de con­duite et à ses vari­antes, que le sys­tème a appris­es, que la déci­sion d’action du véhicule va être prise, en bonne con­nais­sance des tra­jec­toires qu’il est dynamique­ment capa­ble d’assumer. L’intelligence arti­fi­cielle et l’apprentissage automa­tique sont omniprésents dans ces proces­sus, par des roulages d’abord, plus de 32 mil­lions de kilo­mètres aux USA pour Way­mo depuis 2009 par exem­ple. Cela leur per­met de tester les dernières ver­sions de leur sys­tème et donc de détecter de nou­velles sit­u­a­tions dans lesquelles le sys­tème n’a pas encore la bonne réac­tion. Mais la fréquence de ces trou­vailles baisse. Ain­si, sur les 2,3 mil­lions de kilo­mètres par­cou­rus en Cal­i­fornie en 2019, les chauf­feurs de sécu­rité de Way­mo ne sont inter­venus que tous les 21 000 kilo­mètres en moyenne ! Mais, lorsque l’on sait que l’occurrence moyenne d’un acci­dent avec dégâts matériels n’est que de 1 par 1,1 mil­lion de kilo­mètres aux USA, et celle d’un acci­dent mor­tel impli­quant deux véhicules, un pié­ton ou un cycliste de 1 par 260 mil­lions de kilo­mètres, on com­prend bien que les roulages ne suf­firont jamais à valid­er un tel système.

“L’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique sont omniprésents.

Et c’est pourquoi cet appren­tis­sage se fait aus­si par des sim­u­la­tions. Celles-ci vont repro­duire des sit­u­a­tions de con­duites enreg­istrées, y com­pris bien sûr celles où le chauf­feur de sécu­rité a jugé bon de repren­dre la main, et les ren­dre plus com­plex­es, sur des tra­jets et des con­fig­u­ra­tions dif­férentes, avec des réac­tions dif­férentes des acteurs humains, l’apparition d’autres acteurs de la rue, d’autres objets mobiles, un soleil aveuglant, de la pluie, de la boue sur les ban­des blanch­es, etc. En jan­vi­er 2020, Way­mo annonçait en avoir fait l’équivalent de 24 mil­liards de kilo­mètres et en faire pour 32 mil­lions de kilo­mètres chaque jour, mobil­isant ain­si des ressources infor­ma­tiques aux­quelles peu d’entreprises ont accès. Chaque défail­lance est alors analysée et le sys­tème cor­rigé puis réin­jec­té dans les voitures. Jusqu’à ce que la con­fi­ance soit suff­isante pour laiss­er par­tir quelques véhicules ain­si équipés sans chauf­feur. C’est leur démarche et donc leur respon­s­abil­ité qui est engagée. Mais quid des autorités qui devront les autoris­er en beau­coup plus grand nom­bre qu’aujourd’hui et sur de nou­veaux terrains ?

Comment homologuer ou certifier un VA sur une zone donnée ? 

Les voitures clas­siques aujourd’hui sont homo­loguées, c’est-à-dire que des voitures iden­tiques à quelques détails près ont été testées avec suc­cès dans une bat­terie d’essais régle­men­tés. Le con­struc­teur s’engage à ce que toutes les autres leur soient iden­tiques. L’homologation délègue la respon­s­abil­ité aux pou­voirs publics et, ain­si, la respon­s­abil­ité du con­struc­teur se lim­ite à n’avoir rien dis­simulé et à pro­duire des voitures iden­tiques en tout point. Mais, si cette voiture est autonome, com­ment tester sur des dis­tances et sit­u­a­tions aus­si vastes et donc com­ment homo­loguer ? Com­ment accepter une val­i­da­tion qui ne con­cerne qu’un ter­ri­toire don­né et des con­di­tions d’usage bien définies pour une voiture dont le sys­tème pour­rait avoir un com­porte­ment inap­pro­prié dans un autre ter­ri­toire avec des con­di­tions dif­férentes ? L’European Union Avi­a­tion Safe­ty Agency (EASA) cer­ti­fie un avion et elle cer­ti­fie aus­si sa capac­ité à atter­rir en automa­tique sur un aéro­port don­né en garan­tis­sant un risque d’accident inférieur à un pla­fond. Fau­dra-t-il en arriv­er là ? Mais autant un avion ou un métro automa­tique sont validés avec des algo­rithmes entière­ment déter­min­istes, autant les véhicules autonomes actuels sont dévelop­pés avec de l’intelligence arti­fi­cielle qui est – au moins par­tielle­ment – une boîte noire. De nom­breux développe­ments s’attaquent à cette ques­tion. Par exem­ple le pro­gramme Explain­able Arti­fi­cial Intel­li­gence de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency de l’US Army), mais aus­si le Grand Défi français « Sécuris­er, cer­ti­fi­er et fia­bilis­er les sys­tèmes fondés sur l’intelligence arti­fi­cielle » qui est rat­taché au Pre­mier ministre.

Définition des niveaux de conduite autonome selon la Société Internationale des Ingénieurs de l’Automobile
Déf­i­ni­tion des niveaux de con­duite autonome selon la Société inter­na­tionale des ingénieurs de l’automobile

Les acteurs majeurs

Pour l’instant, les acteurs pren­nent donc un risque aux États-Unis et en Chine. Mais ce sont des joueurs aux poches pro­fondes et ils se sont encore con­cen­trés ces derniers mois. Way­mo, claire­ment le leader de cette course tech­nologique, est bien sûr totale­ment soutenu par Google, mais il vient aus­si de lever 2,25 Mds $ en ouvrant son cap­i­tal. Gen­er­al Motors Cruise est son pre­mier chal­lenger. En effet, GM a acquis et con­trôle Cruise, vite rejoint par Hon­da, Soft­Bank et, récem­ment, Microsoft, qui ont apporté plus de 8 Mds $ de fonds. Ford et VW se sont mis ensem­ble pour financer et accélér­er les développe­ments d’Argo AI. Ama­zon a acquis l’excellent Zoox. Hyundai et Aptiv ont créé une joint ven­ture qui opère sans chauf­feur à Las Vegas. Enfin Uber et Auro­ra – sans doute la start-up la plus capée – ont fusion­né leurs équipes de développe­ment du VA, Uber trans­férant ses 1 500 ingénieurs à Auro­ra et entrant en force au cap­i­tal et au con­seil d’administration. Toy­ota les rejoignait peu après. Quant à Apple, on sait sim­ple­ment qu’ils y tra­vail­lent… Enfin en Chine, par­mi beau­coup d’autres, Baidu, le Google chi­nois, et AutoX soutenu par Aliba­ba font par­tie des six entre­pris­es autorisées à rouler sans chauf­feur en… Cal­i­fornie (avec Way­mo, Cruise, Zoox et Nuro), mais aus­si à Pékin et Shen­zhen. Les acteurs chi­nois sont par­tis plus tard, mais ils met­tent man­i­feste­ment les bouchées dou­bles avec le plein sou­tien de leur État. 

Et les Européens, les Français ? 

Les admin­is­tra­tions européenne et japon­aise, dans l’UNECE (Unit­ed Nations Eco­nom­ic Com­mis­sion for Europe), vien­nent à peine de ter­min­er la régle­men­ta­tion pour le niveau 3. Et, pour les raisons déjà évo­quées, il va être dif­fi­cile de faire la même chose pour le niveau 4. Or sans ces homolo­ga­tions il n’y a pas les mêmes facil­ités juridiques et finan­cières qu’aux États-Unis ou en Chine et, de fait, il n’y a pas d’équivalent aux expéri­men­ta­tions sans chauf­feur de sécu­rité de ces deux pays en Europe. On est aus­si très loin des mil­lions de kilo­mètres par­cou­rus en VA avec chauf­feur de sécu­rité aux E‑U. Daim­ler va démar­rer un essai dans un park­ing pub­lic d’aéroport à Stuttgart, mais leur essai sur route ouverte le plus impor­tant est à San Jose en Cal­i­fornie. Quant aux deux Français, ils sont loin der­rière, con­cen­trés qu’ils sont sur le pas­sage aux véhicules élec­triques, comme les autres Européens, mais sans les moyens financiers des trois Alle­mands. Il y a bien aus­si Navya et EasyMile qui fab­riquent des navettes autonomes qui devraient rouler sans chauf­feur, peut-être en 2022 mais sur des tra­jec­toires par­faite­ment détail­lées à l’avance et peu capa­bles du moin­dre écart si un obsta­cle s’est inter­calé sur leur chemin, et à faible vitesse. C’est d’autant plus dom­mage que, avec Air­bus, Thales, Safran et Alstom, avec l’Inria, Ani­ti à Toulouse, Sys­temX, le CEA-List, Vede­com, etc., il y a de grandes réal­i­sa­tions et com­pé­tences français­es sur ces sujets. Il y a aus­si, par­mi les start-up, de belles pouss­es, en local­i­sa­tion, en vision, en logi­ciel, en micro­processeurs mul­ti­cœurs, etc., sans compter les atouts solides de Valeo sur les cap­teurs. Mais il manque pour l’instant l’assembleur, le con­struc­teur d’au­to­mo­biles ou bien le géant du numérique pour fédér­er, entraîn­er et, en par­tie, financer l’ensemble de ces ressources éparpil­lées autour d’un pro­jet con­cret à l’échelle de ce qui advient aux États-Unis et en Chine.

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