Batterie voiture électrique

La batterie, composant clé de l’électromobilité

Dossier : AutomobileMagazine N°765 Mai 2021
Par Yann LAOT (02)

Quels sont les pro­grès réa­li­sés et envi­sa­geables pour les bat­te­ries équi­pant les véhi­cules élec­triques ? L’Europe n’a‑t-elle pas une carte à jouer au moment où la tech­no­lo­gie va connaître une rup­ture générationnelle ?

Les bat­te­ries lithium-ion sont deve­nues l’un des com­po­sants essen­tiels de l’électromobilité : stra­té­giques aus­si bien pour l’industrie de par les bar­rières à l’entrée en termes de tech­no­lo­gie (sécu­ri­té, per­for­mances) et de fabri­ca­tion (qua­li­té, coûts et effets d’échelle) que pour les États de par les enjeux d’indépendance tech­no­lo­gique, d’emploi et d’impacts sur l’environnement. Le lea­der­ship est aujourd’hui en Asie : LG Chem, Sam­sung et SK Inno­va­tion (Corée), Pana­so­nic (Japon) et CATL, BYD… (Chine). Le monde occi­den­tal compte quelques excep­tions : Tes­la aux États-Unis, et en Europe Saft (pro­prié­té du Groupe Total), ACC Auto­mo­tive Cells Com­pa­ny (la coen­tre­prise Stel­lan­tis-Total) et quelques nou­veaux acteurs comme Northvolt.

L’enjeu technologique

Loin d’être une com­mo­di­té, une bat­te­rie lithium-ion est un concen­tré de tech­no­lo­gie s’appuyant sur la chi­mie du solide, la chi­mie orga­nique, l’électrotechnique, la ther­mique et la méca­nique, et elle incor­pore de plus en plus de logi­ciels, d’algorithmes et de big data. La per­for­mance prin­ci­pa­le­ment atten­due pour la mobi­li­té élec­trique est l’autonomie et se décline au niveau de la bat­te­rie en objec­tifs de den­si­té mas­sique (Wh/kg) et de den­si­té volu­mique (Wh/l). La den­si­té mas­sique affecte la consom­ma­tion du véhi­cule (Wh/km) et est typi­que­ment com­prise entre 120 et 200 Wh/km (fonc­tion du poids total du véhi­cule incluant la bat­te­rie et du pro­fil d’usage routier).

La den­si­té volu­mique affecte la capa­ci­té maxi­male d’énergie embar­quée par le véhi­cule, typi­que­ment entre 20 kWh et 100 kWh. Grâce à une amé­lio­ra­tion de 5 % à 10 % par an en moyenne depuis trente ans, l’énergie embar­quée à volume constant a été dou­blée ces dix der­nières années, por­tant l’autonomie pra­tique d’une cita­dine de 120 à 300 km et pour les grandes ber­lines haut de gamme de 250 à 500 km. Si la den­si­té est le para­mètre le plus visible, les défis tech­no­lo­giques portent tout autant sur la sécu­ri­té (norme type UL ou ISO), la durée de vie (cyclique et calen­daire) et la recharge rapide.


REPÈRES

Les impor­tantes réduc­tions de coût des bat­te­ries sur la période 2010–2018, envi­ron ‑85 %, ont per­mis un essor des ventes mon­diales de véhi­cules élec­triques, soit 2,6 % du mar­ché en 2020. Pour autant la bat­te­rie repré­sente encore 30 % à 45 % de la struc­ture de coût d’un véhi­cule élec­trique pur. De nou­velles réduc­tions de coût seront donc néces­saires pour per­mettre une crois­sance signi­fi­ca­tive des parts de mar­ché de l’électrique, atten­dues entre 30 % et 50 % en 2030. 


Vers le lithium-ion solid-state Gen4

Le Japon et l’Europe ont été les lea­ders sur les deux pre­mières géné­ra­tions de 1991 à 2008 : le gra­phite / LCO (lithium cobalt oxide), puis le gra­phite / NCA (lithium nickel cobalt alu­mi­nium). À la faveur d’une ambi­tieuse poli­tique de recherche et d’industrialisation construite dès le début des années 2000, por­tée par l’essor de l’électronique grand public (ordi­na­teurs por­tables, smart­phones) mais pen­sée pour l’avènement de la mobi­li­té élec­trique, les Coréens et les Chi­nois ont pris le lea­der­ship mon­dial sur la troi­sième géné­ra­tion, dite « Gen3 ». Elle est consti­tuée de deux familles chi­miques : le gra­phite / NMC (lithium nickel man­ga­nèse cobalt) et le gra­phite / LFP (lithium fer phosphate).

L’essor de la Gen3 depuis 2010 a été per­mis par deux fac­teurs : d’une part l’amélioration conti­nue des per­for­mances de den­si­té d’énergie et de durée de vie et, d’autre part, la réduc­tion des coûts via la mas­si­fi­ca­tion des moyens de pro­duc­tion des maté­riaux et des cel­lules lithium-ion. Cette géné­ra­tion tech­no­lo­gique arrive dans une fin de cycle à l’ho­ri­zon 2025–2030, néces­si­tant une rup­ture pour aller vers de plus hautes per­for­mances en den­si­té, tout en offrant une sécu­ri­té plus facile à maîtriser.

“Le leadership est aujourd’hui en Asie.

La tech­no­lo­gie lithium-ion SSB Solid-State Bat­te­ries, actuel­le­ment en déve­lop­pe­ment, offre ce double avan­tage. En rem­pla­çant l’électrolyte liquide par un élec­tro­lyte solide appor­tant une résis­tance ther­mique accrue, elle per­met une sécu­ri­té intrin­sèque amé­lio­rée. Sur­tout elle auto­rise des den­si­tés d’énergie jusqu’à 75 % plus éle­vées (de 300 Wh/kg aujourd’hui à 400–420 Wh/kg en 2025–2030, voire 500 Wh/kg à long terme), via l’utilisation d’une anode en lithium-métal pur et de nou­velles chi­mies de cathode, aupa­ra­vant inac­ces­sibles car inadap­tées aux élec­tro­lytes organiques.

Dif­fé­rentes pos­si­bi­li­tés d’électrolyte solide existent, comme les poly­mères, les sul­fures et les céra­miques oxides. Tous sont encore à des niveaux de matu­ri­té tech­no­lo­gique bas et la tech­no­lo­gie solid-state n’arrivera que pro­gres­si­ve­ment sur le mar­ché, d’abord dans des appli­ca­tions d’électronique grand public ou des niches indus­trielles à haute valeur ajou­tée (espace, défense) entre 2023 et 2028, avant de s’introduire pro­gres­si­ve­ment dans la mobi­li­té entre 2026 et 2030. La part de mar­ché glo­bale pour­rait être de 15 % à 30 % à l’ho­ri­zon 2030.

Batterie à semi-conducteurs SAFT


Le lithium-ion

La tech­no­lo­gie lithium-ion repose sur la migra­tion des ions lithium entre l’anode (la borne néga­tive, en gra­phite) et la cathode (la borne posi­tive, consti­tuée d’un com­po­sé lithié, oxyde ou phos­phate, à base de nickel, de man­ga­nèse, de cobalt ou de fer). Les trois pre­mières géné­ra­tions uti­lisent un élec­tro­lyte liquide orga­nique, mélan­gé avec des sels de lithium, qui imprègne les maté­riaux actifs de la cel­lule et per­met la migra­tion des ions lithium. Ce couple élec­tro­lyte / sels pré­sente un double défi. De vieillis­se­ment : il se dégrade avec le temps et l’usage de la bat­te­rie, dimi­nuant à la fois l’efficacité et l’énergie utile dis­po­nible. De sécu­ri­té : en cas de court-cir­cuit interne ou d’incident, il est instable ther­mi­que­ment et peut, s’il se décom­pose, pro­duire des gaz toxiques comme le monoxyde de carbone. 


Un enjeu industriel et économique

La capa­ci­té de pro­duc­tion mon­diale de lithium-ion a mas­si­ve­ment crû dans les dix der­nières années, tirée par le mar­ché auto­mo­bile et par le sto­ckage sta­tion­naire. En ordre de gran­deur, une bat­te­rie de smart­phone repré­sente envi­ron 10 Wh, soit pour 350 mil­lions d’unités ven­dues annuel­le­ment un total de 3,5 GWh. Pour éga­ler le mar­ché mon­dial des bat­te­ries de smart­phones, seul 70 000 véhi­cules élec­triques dotés d’une bat­te­rie de 50 kWh suf­fisent (0,001 % du mar­ché auto­mo­bile). Ain­si, de 30 GWh par an en 2010, la capa­ci­té est pas­sée à 100 GWh par an en 2015 (+ 27 %/an), puis 540 GWh par an en 2020 (+ 40 % par an). Elle pour­rait atteindre plus de 2 000 GWh par an dès 2025.

Cette crois­sance, mobi­li­sant de lourds inves­tis­se­ments, envi­ron un mil­liard d’euros pour une giga­fac­to­ry de 10 GWh par an, a per­mis une décrois­sance des coûts supé­rieure à 10 % par an et une crois­sance des volumes supé­rieure à 20 % par an. Cette évo­lu­tion pose de nom­breux défis aux indus­triels : aug­men­ta­tion constante de la taille cri­tique mini­male, amor­tis­se­ment des inves­tis­se­ments pas­sés, crois­sance conti­nue et pres­sion sur les coûts fixes pour main­te­nir une ren­ta­bi­li­té mini­male. Un sché­ma simi­laire à celui de l’industrie des semi-conduc­teurs ou des pan­neaux solaires, avec la dis­pa­ri­tion dans les années 2013–2018 de nom­breux acteurs de deuxième et troi­sième rang.

“L’émergence à l’horizon 2025–2030 de la 4e génération de batteries lithium-ion.

La concen­tra­tion de l’industrie des bat­te­ries lithium-ion en Asie pose des enjeux de sou­ve­rai­ne­té et d’emploi, en par­ti­cu­lier pour les construc­teurs d’au­to­mo­biles occi­den­taux qui se conver­tissent pro­gres­si­ve­ment à l’électricité sous l’impulsion des poli­tiques envi­ron­ne­men­tales et l’intérêt crois­sant des consom­ma­teurs. Volks­wa­gen consacre ain­si, sur un total de 44 mil­liards d’investissements sur 2019–2023, 30 mil­liards d’euros à la mobi­li­té élec­trique, aus­si bien dans la recherche que dans la trans­for­ma­tion de son outil indus­triel. Les chaînes de fabri­ca­tion de bat­te­ries auto­mo­biles et de conver­sion-trans­mis­sion élec­trique sont dif­fé­rentes et beau­coup moins intenses en main‑d’œuvre que leurs équi­va­lentes thermiques.

La com­bi­nai­son d’une dis­pa­ri­tion de ces usines et du manque de com­pé­tences dans l’électrique fait peser une menace impor­tante sur les 13 mil­lions de per­sonnes employées dans l’industrie auto­mo­bile euro­péenne, par­ti­cu­liè­re­ment en Alle­magne et en France. Des objec­tifs de loca­li­sa­tion dans la fabri­ca­tion et l’assemblage per­met­traient de répondre aux besoins de main­tien du savoir-faire, de syner­gies entre le déve­lop­pe­ment pro­duit et la pro­duc­tion, et de sau­ve­garde des emplois.

Une décroissance continue des coûts depuis 2010 (source BNEF 2021)

Un objectif environnemental et éthique

L’automobile a besoin de chaînes d’approvisionnement résis­tantes et fru­gales (éner­gie, CO2, coûts), en par­ti­cu­lier pour les bat­te­ries dont le poids (coût logis­tique) et les enjeux éthiques (ori­gine et extrac­tion des métaux, en par­ti­cu­lier le cobalt) poussent à une loca­li­sa­tion la plus pous­sée pos­sible. Une feuille de route mar­ché inci­ta­tive et contrai­gnante, au regard de l’origine des matières pre­mières, de l’empreinte CO2 cradle-to-grave, du taux de recy­clage mini­mum (en boucle ouverte et en boucle fer­mée), du conte­nu maxi­mum sur cer­tains métaux, pour­rait être requise pour per­mettre une dura­bi­li­té de la filière ou au mini­mum favo­ri­ser les acteurs euro­péens mobi­li­sés sur ces sujets environnementaux.

Un avenir riche de possibilités

L’innovation dans les bat­te­ries lithium-ion pour la mobi­li­té élec­trique ouvre par ailleurs de nou­veaux sujets de réflexion, comme l’émergence d’utilisations com­plé­men­taires de la bat­te­rie (le véhi­cule élec­trique assure par exemple une fonc­tion de sto­ckage au pro­fit du réseau, vehicle-to-grid, ou de l’habitation, vehicle-to-home), la pos­si­bi­li­té d’application en seconde de vie, mais aus­si comme les syner­gies avec de larges mar­chés connexes en crois­sance forte comme le sto­ckage sta­tion­naire des éner­gies renou­ve­lables et la mobi­li­té indus­trielle (fer­ro­viaire, avia­tion, véhi­cules indus­triels), dont l’électrification est tout aus­si impor­tante pour la décar­bo­na­tion de l’économie.

Une fenêtre d’opportunité existe donc avec l’émergence à l’horizon 2025–2030 de la 4e géné­ra­tion de bat­te­ries lithium-ion, dite SSB Solid-State Bat­te­ries. Si la course tech­no­lo­gique est déjà lan­cée, les jeux ne sont pas faits, lais­sant à l’Europe une occa­sion unique de se repo­si­tion­ner, à condi­tion d’actionner simul­ta­né­ment trois leviers : une feuille de route tech­no­lo­gique ambi­tieuse ; une poli­tique indus­trielle volon­taire ; et enfin des normes mar­ché contrai­gnantes, à même de répondre aux défis envi­ron­ne­men­taux et éthiques. L’Europe a déjà su dérou­ler avec suc­cès une telle stra­té­gie sur d’autres sujets clés, comme la réduc­tion des émis­sions de CO2 des moteurs ther­miques ou les lan­ceurs spa­tiaux Ariane.

Commentaire

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Bru­no Karcherrépondre
13 mai 2021 à 11 h 19 min

Une ques­tion plu­tôt sur les super conden­sa­teurs, quelles sont les pers­pec­tives dans ce domaine ?
J’avais rete­nu leur capa­ci­té de charge immé­diate qui pour­rait amé­lio­rer la récu­pé­ra­tion d’énergie au frei­nage par exemple.

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