Quel avenir pour le secteur électrique au Maroc ?

Dossier : ÉnergieMagazine N°638 Octobre 2008
Par Laurent BENAROUSSE (94)
Par Loic RENARD (01)

Afin de main­tenir sa crois­sance et d’as­sur­er son plein développe­ment, le Maroc doit faire face à la prob­lé­ma­tique d’ap­pro­vi­sion­nement et de suff­i­sance énergé­tique. En par­ti­c­uli­er, la demande en élec­tric­ité a pro­gressé de plus de 7 % par an pen­dant les cinq dernières années ; en rai­son notam­ment de la général­i­sa­tion de l’ac­cès à l’élec­tric­ité (en dix ans, le taux d’élec­tri­fi­ca­tion rurale est passé de 18 % à 97 %), mais aus­si en rai­son du développe­ment des pro­duits et sys­tèmes forte­ment con­som­ma­teurs d’élec­tric­ité, tant dans le secteur rési­den­tiel (cli­ma­ti­sa­tion) que dans le secteur industriel.

Le roy­aume du Maroc
Le roy­aume du Maroc con­naît depuis plus de cinq ans un fort développe­ment économique, avec une crois­sance du pro­duit intérieur brut de près de 8 % par an. La libéral­i­sa­tion de l’é­conomie et l’en­trée en vigueur simul­tanée d’ac­cords de libre-échange avec les États-Unis et l’U­nion européenne accrois­sent l’at­trac­tiv­ité du Maroc pour les groupes inter­na­tionaux : les investisse­ments directs étrangers (IDE) ont été mul­ti­pliés par cinq entre 2000 et 2006. Cette crois­sance a été notam­ment tirée par le développe­ment du tourisme, de l’off­shoring et de la sous-trai­tance indus­trielle. Elle s’ac­com­pa­gne par ailleurs d’un fort développe­ment urbain, le Maroc comp­tant, en 2007, trois villes de plus de 1 mil­lion d’habi­tants, dont Casablan­ca, véri­ta­ble poumon économique du pays.

Réduire la dépendance aux énergies fossiles

À ce jour, la pro­duc­tion d’élec­tric­ité au Maroc est en par­tie assurée par l’Of­fice nation­al de l’élec­tric­ité (ONE), représen­tant (en 2006) 30 % de l’élec­tric­ité pro­duite, et par deux pro­duc­teurs privés prin­ci­paux : Jorf Las­far Ener­gy Com­pa­ny (48 % de l’élec­tric­ité pro­duite) et Énergie élec­trique de Tahad­dart (12 % de l’élec­tric­ité pro­duite). Le reste de la pro­duc­tion est assuré par des pro­duc­teurs tiers (1 %) et com­plété par des impor­ta­tions. Par­mi les 5,2 GW de capac­ité de pro­duc­tion instal­lée en 2006, deux tiers sont con­sti­tués de cen­trales au char­bon (47 %) et au gaz (19 %), et un quart est assuré par des cen­trales hydroélec­triques. Les infra­struc­tures éoli­ennes et solaires ne représen­tent à ce jour qu’en­tre 1 % et 2 % du parc instal­lé. Avec un tel ” mix ” énergé­tique et face à la forte volatil­ité actuelle des prix des éner­gies fos­siles, un des enjeux majeurs pour le Maroc est donc de réduire sa dépen­dance aux éner­gies fos­siles et de dévelop­per des sources d’élec­tric­ité renou­ve­lables, en par­ti­c­uli­er éolienne.

Mal­gré les efforts déployés par l’ONE et les investis­seurs privés pour dévelop­per les capac­ités de pro­duc­tion maro­caines, l’of­fre nationale ne per­met pas aujour­d’hui de sub­venir à la forte demande, oblig­eant le Maroc à importer 9 % de son élec­tric­ité en prove­nance d’Es­pagne et d’Al­gérie. Le Roy­aume est ain­si aujour­d’hui dans une sit­u­a­tion déli­cate qui pour­rait entraîn­er des dif­fi­cultés d’ap­pro­vi­sion­nement en élec­tric­ité. Pour pré­par­er l’avenir, l’ONE a lancé un grand nom­bre de pro­jets visant à aug­menter la capac­ité de pro­duc­tion nationale.

Les capac­ités d’in­ter­con­nex­ions avec l’Es­pagne et l’Al­gérie sont en train d’être ren­for­cées, mais, tant pour des raisons économiques que poli­tiques, ces dernières ne devront rester qu’une source d’ap­pro­vi­sion­nement d’ap­point. Au glob­al, et en sup­posant que les pro­jets en cours n’ac­cusent aucun retard, le Roy­aume pour­rait être auto­suff­isant à par­tir de 2012.

Le roy­aume du Maroc pour­rait être auto­suff­isant à par­tir de 2012

Toute­fois, l’ef­fort d’équipement devra être pour­suivi dans les années à venir : chaque année, le Maroc requiert env­i­ron 500 MW de capac­ité de pro­duc­tion addi­tion­nelle, soit l’équiv­a­lent de ce qui est néces­saire pour sat­is­faire la con­som­ma­tion d’une ville comme Rabat. Le secteur élec­trique au Maroc doit donc faire face à un dou­ble enjeu : assur­er l’adéqua­tion ” offre-demande ” à court et moyen terme, tout en pré­parant l’avenir et en dimin­u­ant la dépen­dance aux éner­gies fos­siles. Pour répon­dre à ces défis, le Maroc pourra :

1. dévelop­per et diver­si­fi­er les moyens de pro­duc­tion nationaux en atti­rant notam­ment des investis­seurs privés ;
2. amélior­er la per­for­mance des réseaux de trans­port et de dis­tri­b­u­tion pour lim­iter les pertes ;
3. sen­si­bilis­er les clients fin­aux — indus­triels et rési­den­tiels — afin de pro­mou­voir une meilleure util­i­sa­tion de l’électricité.

La cen­trale de Safi
Par­mi les pro­jets, la cen­trale de Safi (1,3 GW) devrait fournir 27 % des nou­veaux besoins en élec­tric­ité du pays à l’hori­zon 2012–2014, mais sa réal­i­sa­tion reste encore incer­taine en rai­son des fortes con­traintes imposées par les normes envi­ron­nemen­tales et par les dif­fi­cultés pour faire accepter le pro­jet aux autorités locales.

La plage de Safi

Développer les moyens de production

Compte tenu de l’am­pleur des investisse­ments néces­saires, le secteur pub­lic maro­cain ne pour­ra pas à lui seul combler l’é­cart gran­dis­sant entre la demande en élec­tric­ité et les capac­ités de pro­duc­tion. La pour­suite du proces­sus de libéral­i­sa­tion du secteur élec­trique sem­ble donc inévitable pour per­me­t­tre à de nou­veaux investis­seurs privés de financer les infra­struc­tures nécessaires.

Aujour­d’hui, la pro­duc­tion de l’élec­tric­ité est par­tielle­ment ouverte au secteur privé (deux con­ces­sion­naires privés sont déjà instal­lés), mais les con­di­tions d’achat de gros de leur élec­tric­ité font sup­port­er à la col­lec­tiv­ité une grosse par­tie des risques liés à la fluc­tu­a­tion du prix des matières pre­mières. Le marché du trans­port de l’élec­tric­ité est aujour­d’hui un mono­pole de l’ONE.

Le marché de la dis­tri­b­u­tion, quant à lui, est par­tielle­ment ouvert au tra­vers de con­ces­sions urbaines attribuées à des acteurs privés pour quelques grandes villes (Rabat, Casablan­ca…). Le prix pour le client final (par­ti­c­uli­er et indus­triel) est régulé par l’ONE à un niveau rel­a­tive­ment bas : entre 6,6 et 7,1 cen­times d’euros/kWh con­tre 10,6 à 12,8 cen­times d’euros/kWh en France. 

Diversifier les moyens de production

Le pays doit égale­ment sécuris­er ses appro­vi­sion­nements en com­bustibles pri­maires, par exem­ple en se dotant d’in­fra­struc­tures d’ap­pro­vi­sion­nements de gaz (réseaux de trans­port et ter­minaux gaziers) et en négo­ciant de nou­veaux con­trats d’ap­pro­vi­sion­nement à long terme (gaz, GNL, char­bon, etc.) avec les prin­ci­paux pays partenaires.

Dimin­uer les pertes
Dans un con­texte de sat­u­ra­tion des act­ifs de pro­duc­tion, la baisse du taux de perte sur les réseaux con­stitue un enjeu majeur pour le pays : la baisse de 1 point du taux de perte entre 2005 et 2006 a per­mis d’é­conomiser 200 GWh d’élec­tric­ité, soit l’équiv­a­lent de la pro­duc­tion éoli­enne et solaire du pays.

Dans ce cadre, et au-delà de l’équipement néces­saire en act­ifs de pro­duc­tion d’élec­tric­ité renou­ve­lable (notam­ment le parc éolien sur la côte Atlan­tique), la pro­duc­tion d’élec­tric­ité à par­tir de gaz au Maroc (env­i­ron 20 % aujour­d’hui) pour­rait con­stituer un com­plé­ment attrac­t­if à la pro­duc­tion des cen­trales au char­bon, à la fois parce qu’elle per­me­t­trait une diver­si­fi­ca­tion de l’ap­pro­vi­sion­nement du pays en com­bustibles fos­siles et parce que les cen­trales à cycles com­binés (CCGT) affichent une très bonne effi­cac­ité énergé­tique. Toute­fois, l’ac­cès au gaz naturel du Maroc est aujour­d’hui lim­ité au Gazo­duc Maghreb-Europe (GME) qui offre une capac­ité au Maroc de 1,8 mil­liard de m3.

Si l’op­tion gaz était retenue, le Maroc pour­rait importer jusqu’à 2,7 mil­liards de m3 d’i­ci 2010 et env­i­ron 4,3 mil­liards de m3 d’i­ci 2015. Cela néces­sit­erait donc le ren­force­ment des points d’en­trée actuels du gaz au Maroc, au tra­vers notam­ment de la con­struc­tion d’un ter­mi­nal GNL, de négoci­er des con­trats d’ap­pro­vi­sion­nement de long terme en GNL et d’as­sur­er des débouchés pour l’u­til­i­sa­tion de ce gaz (c’est-à-dire de lancer en par­al­lèle la con­struc­tion de cen­trales à cycles combinés).

Cerise sur le gâteau, une aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive de la capac­ité de pro­duc­tion d’élec­tric­ité du Roy­aume pour­rait offrir des oppor­tu­nités d’ex­port vers l’Es­pagne aujour­d’hui auto­suff­isante mais qui con­naît néan­moins des coupures régulières. Enfin, le Maroc envis­age des solu­tions com­plé­men­taires soit de long terme, comme le développe­ment d’une fil­ière élec­tronu­cléaire en col­lab­o­ra­tion avec la France, soit à plus court terme comme la val­ori­sa­tion de schistes bitumineux.

Revoir le cadre réglementaire
Afin d’at­tir­er des investis­seurs privés, les autorités publiques doivent faire de l’élec­tric­ité un marché viable au Maroc : il s’ag­it de trou­ver l’équili­bre adéquat entre régu­la­tion (tar­ifs de vente aux clients fin­aux, prix de vente de l’élec­tric­ité en gros) et mécan­ismes de marché. Pour cela, le Maroc doit revoir en pro­fondeur son cadre régle­men­taire, à l’in­star des réformes engagées depuis la fin des années qua­tre-vingt-dix en Europe et aux États-Unis. Cepen­dant, les enjeux au Maroc et en Europe sont dis­tincts : alors que le Maroc vise à per­me­t­tre et à accélér­er le développe­ment des capac­ités de pro­duc­tion, les réformes entre­pris­es en Europe visaient, quant à elles, à intro­duire davan­tage de con­cur­rence entre les acteurs dans les activ­ités de com­mer­cial­i­sa­tion de gros et de détail. Le cadre régle­men­taire rénové devra donc assur­er aux investis­seurs un équili­bre entre risques encou­rus et prof­itabil­ité espérée (un cycle com­biné de 300 MW représente un investisse­ment d’en­v­i­ron 300 M d’eu­ros). Cela pour­ra s’ef­fectuer, non pas en garan­tis­sant ex ante la prof­itabil­ité des act­ifs, mais en met­tant en place des mécan­ismes de marché clairs et durables per­me­t­tant aux opéra­teurs privés d’an­ticiper leurs risques et leurs prof­itabil­ités à venir (mécan­ismes de fix­a­tion du prix de l’élec­tric­ité de gros et de détail, vis­i­bil­ité sur les con­di­tions d’ap­pro­vi­sion­nement du pays en com­bustible, sur le développe­ment de la concurrence).

Améliorer transport et distribution

Le développe­ment des capac­ités de pro­duc­tion soulève naturelle­ment la ques­tion de la capac­ité des réseaux de trans­port et de dis­tri­b­u­tion à absorber l’aug­men­ta­tion des flux électriques.

Plus pré­cisé­ment, l’en­jeu pour les réseaux est dou­ble : com­ment suiv­re l’aug­men­ta­tion de la demande, tout en amélio­rant les per­for­mances actuelles ?

Sur le réseau de trans­port tout d’abord où, bien que le taux de perte ait dimin­ué sig­ni­fica­tive­ment de 5,3 % en 2005 à 4,7 % en 2006, une marge de pro­gres­sion est encore envis­age­able, notam­ment en regard des per­for­mances atteintes par les best play­ers : par exem­ple, en France le taux de perte s’établit à env­i­ron 2,5 %. Pour ce qui con­cerne le réseau de dis­tri­b­u­tion, de nom­breuses ini­tia­tives ont été lancées par l’ONE : automa­ti­sa­tion de l’ex­ploita­tion, amélio­ra­tion de la struc­ture du réseau et ren­force­ment de la main­te­nance préventive.

Les réseaux : suiv­re l’augmentation de la demande tout en amélio­rant les per­for­mances actuelles

Ce dernier point est un élé­ment clé pour les con­som­ma­teurs, le réseau de dis­tri­b­u­tion con­nais­sant régulière­ment des ” coupures ” dans cer­taines régions du Maroc. En avril 2008 par exem­ple, le manque de coor­di­na­tion entre les dif­férents dis­trib­u­teurs et la struc­ture non adap­tée du réseau ont engen­dré des coupures de courant répéti­tives dans la ville d’Agadir.

Enfin, la volon­té du Maroc de dévelop­per la part des éner­gies renou­ve­lables au sein de son mix énergé­tique (comme l’il­lus­tre l’ob­jec­tif d’at­tein­dre 1 GW d’én­ergie éoli­enne instal­lée au Maroc d’i­ci 2012) devra s’ac­com­pa­g­n­er d’un ren­force­ment des sys­tèmes de ges­tion du réseau. En effet, les éner­gies éoli­enne et solaire, forte­ment dépen­dantes des con­di­tions cli­ma­tiques, peu­vent engen­dr­er de fortes fluc­tu­a­tions sur le réseau et con­duire à des sur­charges. Les réseaux de trans­port et de dis­tri­b­u­tion devront donc être suff­isam­ment ” robustes ” pour sup­port­er ces fluctuations.

Mieux utiliser l’électricité

Le cen­tre de Casablanca.

Après l’ac­croisse­ment de la capac­ité de pro­duc­tion et la réduc­tion des pertes sur les réseaux, le dernier levi­er d’équili­brage de l’élec­tric­ité au Maroc est l’op­ti­mi­sa­tion de la con­som­ma­tion. Réduc­tion de con­som­ma­tion tout d’abord, et autant que pos­si­ble lis­sage de la con­som­ma­tion tout au long de la journée.

Dans ce cadre, de nom­breuses actions de sen­si­bil­i­sa­tion ont été lancées par l’ONE cette année au Maroc vis-à-vis des con­som­ma­teurs rési­den­tiels, comme, par exem­ple, le ” 15 min­utes éco ” qui incite les foy­ers à n’u­tilis­er qu’une seule ampoule entre 21 h 30 et 21 h 45.

Par ailleurs des actions ayant des impacts plus mas­sifs, comme l’équipement des éclairages publics du pays en ampoules basse con­som­ma­tion, ont per­mis des gains sig­ni­fi­cat­ifs rapi­des. Enfin, ces mesures devront être com­plétées par des actions vis-à-vis des indus­triels pour inciter ces derniers à décaler leur con­som­ma­tion autant que pos­si­ble en dehors des pics de con­som­ma­tion du pays. 

D’autres enjeux

Le défi élec­trique ne con­stitue qu’un des enjeux aux­quels le Maroc doit répon­dre aujour­d’hui. D’autres prob­lé­ma­tiques, économiques (accroisse­ment des investisse­ments directs étrangers, aug­men­ta­tion des expor­ta­tions, développe­ment des activ­ités sec­ondaires et surtout ter­ti­aires, développe­ment des infra­struc­tures…) et sociales (réduc­tion des iné­gal­ités, remise à niveau du sys­tème édu­catif et lutte con­tre l’anal­phabétisme, amélio­ra­tion de la for­ma­tion…) doivent impéra­tive­ment être traitées dans les années à venir pour soutenir la forte crois­sance actuelle et la sta­bil­ité du pays.

Cet arti­cle a été écrit avant la dif­fu­sion fin juil­let 2008 par le min­istère de l’Én­ergie, des Mines, de l’Eau et de l’En­vi­ron­nement maro­cain des grandes lignes de sa nou­velle stratégie énergé­tique. Le lecteur ne retrou­vera pas ici oblig­a­toire­ment l’ensem­ble des axes retenus.

En bref
Fondé en 1967, Roland Berg­er Strat­e­gy Con­sul­tants est l’un des lead­ers mon­di­aux du con­seil de direc­tion générale et le pre­mier cab­i­net d’o­rig­ine européenne avec 1 800 col­lab­o­ra­teurs, répar­tis dans 36 bureaux et 25 pays. Roland Berg­er Strat­e­gy Con­sul­tants a décidé d’ou­vrir cette année un bureau à Casablan­ca afin de pou­voir offrir :
— à ses clients maro­cains, publics et privés, le meilleur sup­port face à leurs défis stratégiques et opérationnels ;
— à ses clients mon­di­aux, une exper­tise des marchés du Roy­aume et une com­préhen­sion des fac­teurs clés de suc­cès de leur développement.

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