Le tour des énergies : de Bergen à Ceuta

Dossier : ExpressionsMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par Elodie RENAUD (01)
Par Blandine ANTOINE (01)

La foudre de Thor ?

La foudre de Thor ?

Par­ties le 28 jan­vi­er d’Orly, nous sommes arrivées à Bergen, anci­enne cap­i­tale de la Norvège, dont le dégel et le redoux plu­vieux nous ont accueil­lies con­tre toutes nos attentes d’un hiv­er rigoureux. L’ancienne ville han­séa­tique est la patrie d’Egil Lillestøl, chercheur au CERN et pro­fesseur de physique atom­ique à l’Université de Bergen. Après une car­rière bien rem­plie, celui-ci a décidé de se lancer dans la pro­mo­tion active d’un con­cept étudié dans les années qua­tre-vingt­dix par notam­ment son ami et col­lègue, le Prix Nobel de physique Car­lo Rub­bia : un nou­veau type de réac­teur nucléaire, l’Amplificateur d’Énergie (Ener­gy Ampli­fi­er [EA]). Il en défend la réal­i­sa­tion par un con­sor­tium inter­na­tion­al dont la Norvège prendrait la tête, en accep­tant d’accueillir sur son sol un pro­to­type qui prou­verait sa fais­abil­ité industrielle. 


Sché­ma de PEACE. (Source : Dr Y. Kadi, CERN.)
Ici, un cyclotron est retenu pour accélér­er de pro­tons. Il pour­rait aus­si s’agir d’un accéléra­teur linéaire.


Réac­teur nucléaire sous-cri­tique à cycle tho­ri­um, ali­men­té en réac­tiv­ité via une source de spal­la­tion (pro­duc­tion de neu­trons) par un accéléra­teur de pro­tons, l’EA aurait le triple avan­tage d’utiliser une source d’énergie plus abon­dante que l’uranium1, de ren­forcer la sûreté du sys­tème d’un fac­teur aus­si élevé que souhaité2, et de réduire sig­ni­fica­tive­ment la tox­i­c­ité et le poten­tiel pro­liférant des déchets par rap­port à la fil­ière ura­ni­um3. Ce sys­tème aurait en out­re la bien­séance de pou­voir inc­inér­er les déchets pro­duits par les réac­teurs actuels. 

Pour qu’un ITER du tho­ri­um voie le jour, et même au pays de sa divinité éponyme, il faut con­quérir opin­ion publique et décideurs politiques. 

L’abondance hydroélec­trique a occulté la néces­sité d’un débat nation­al sur l’énergie. Suite aux récentes impor­ta­tions élec­triques du pays, l’agitation du Frem­skrittspar­ti­et (Par­ti du Pro­grès, qui, à l’extrémité droite du spec­tre poli­tique norvégien, sou­tient ce pro­jet de réac­teur nucléaire) et du bro­ker en élec­tric­ité Bergen Ener­gy, con­cernés l’un par l’indépendance énergé­tique du pays et l’autre par l’apport de nou­velles capac­ités de pro­duc­tions sur un marché européen sous ten­sion, a poussé le gou­verne­ment norvégien à décider d’une enquête sur le pro­jet PEACE4 défendu par le pro­fesseur Lillestøl. La Norvège, qui dis­poserait d’au moins 15% des ressources mon­di­ales de tho­ri­um, fera-t-elle le pari de ce nucléaire différent ? 

Cette diver­si­fi­ca­tion des options d’un géant de l’énergie passe par l’acceptation des risques liés au développe­ment d’une nou­velle tech­nolo­gie, dont le fonc­tion­nement de chaque sous-sys­tème a certes fait l’objet d’expérimentations en par­ti­c­uli­er au CERN de Genève, mais dont il reste à assur­er l’intégration, et par l’acquisition d’une exper­tise nucléaire aujourd’hui lim­itée à de petits cer­cles uni­ver­si­taires. De la physique des par­tic­ules aux poli­tiques indus­trielles, il n’est qu’un abîme – que le pro­fesseur Lillestøl a franchi avec con­fi­ance et détermination. 

En pays d’huile et d’eau, gaz et vent sont à l’honneur


Au pied de l’une des deux éoli­ennes de l’île, la sta­tion de fab­ri­ca­tion, de stock­age et de com­bus­tion de l’hydrogène.

Déter­mi­na­tion qui est aus­si celle des ingénieurs d’Hydro et de Sta­toil, l’hydraulique et la pétrolière qui ont récem­ment con­volé en nordiques noces. Qu’il s’agisse de la cen­trale élec­trique de Møngstad dont il est prévu que les gaz de com­bus­tion soient cap­turés et séquestrés, de l’hydraulienne sous-marine apprivoisée dans le grand Nord (région d’Hammefest), de la « route de l’hydrogène » HyNor entre Sta­vanger et Oslo, du cen­tre de recherche Hytrec dédié à l’hydrogène à Trond­heim, ou encore de la mise au point d’un sys­tème com­biné hydrogène – éolien5, de nom­breux sen­tiers inno­vants sont explorés pour diver­si­fi­er le mix énergé­tique norvégien. 

Le plastique peut tout faire – même du solaire !

Le 7 févri­er, nous débar­quons à Fri­bourg, cap­i­tale écologique de l’Europe d’après Jean-Marie Pelt6. Nous y sommes accueil­lies par Andreas Gombert, directeur du lab­o­ra­toire de recherche en matéri­aux du plus grand insti­tut de recherche solaire d’Europe, l’Institut Fraun­hofer pour les sys­tèmes d’énergie solaire (ISE). L’un de ses défis ? Met­tre au monde les cel­lules pho­to­voltaïques du XXIe siè­cle, bon marché, flex­i­bles, légères, effi­caces… à base de polymères et non plus de silicium. 

Les polymères con­jugués étudiés ont des pro­priétés sim­i­laires à celles des semi-con­duc­teurs. Si des charges libres n’y voient pas directe­ment le jour sous irra­di­a­tion solaire, elles sont rem­placées par des « exci­tons » qui peu­vent être con­sid­érés comme la com­bi­nai­son de trous et d’électrons liés. Il s’agit donc de les sépar­er en com­bi­nant le polymère don­neur à un buck­min­ster fullerène qui jouera le rôle d’accepteur et per­me­t­tra de libér­er l’électron pour en tir­er du courant. 

Que reste-t-il à faire avant de pou­voir fab­ri­quer ces cel­lules en série ? Tout d’abord, amélior­er leur effi­cac­ité de con­ver­sion de l’énergie solaire : atteignant aujourd’hui 2 % pour une cel­lule car­rée de 3 mm de côté7, elle pour­rait être accrue en aug­men­tant l’écart entre les niveaux énergé­tiques des orbites molécu­laires don­neuses et accep­teuses con­cernées par l’extraction de l’électron de l’exciton (afin d’atteindre un volt­age plus impor­tant), ou en dimin­u­ant la largeur de la bande pas­sante (pour capter l’énergie de rayons à plus grande longueur d’onde)8. Ensuite et surtout, leur dura­bil­ité : si le film polymère util­isé est très sta­ble, il n’en est pas de même de son inter­face avec les élec­trodes trans­par­entes qui récoltent les élec­trons. Après 4000 heures (équiv­a­lent de qua­tre années d’utilisation) d’irradiation hors spec­tre UV, une cel­lule sur cinq est hors d’usage.

Mal­gré les dif­fi­cultés qui ren­dent encore, aux yeux du Dr Gombert, quinze années de recherche néces­saires avant que ne soit don­né le feu vert pour leur pro­duc­tion indus­trielle, ces cel­lules attirent l’attention d’un nom­bre crois­sant d’acteurs. Leur cible : pro­duire des cel­lules à 50 cents/Wc9 et au moins 5% de ren­de­ment. À vos éprou­vettes ? Prêts ? 

Vauban, en avant vers la maison à 20 et – pourquoi pas – 0 kWh par m2 et par an


Envi­rons de la gare cen­trale de Fri­bourg-en-Bris­gau. Pho­to prise du « pont à vélo » joux­tant le garage à bicyclettes.

Partez pour le quarti­er Vauban, qui comme son nom le laisse enten­dre, a rem­placé les casernes des mil­i­taires français de la guerre froide. Voi­sine de Col­mar, Fri­bourg s’est éveil­lée à la maîtrise de l’énergie au milieu des années soix­ante-dix, quand sa pop­u­la­tion s’est mobil­isée con­tre la con­struc­tion d’une cen­trale nucléaire dans la région. Cela s’est traduit, out­re un recours accru à la con­cer­ta­tion et à la médi­a­tion par­tic­i­pa­tive dans les choix d’aménagement, par la mise en place d’une poli­tique poussée de trans­ports en com­mun (développe­ment de plate­formes inter­modales comme celle de la gare cen­trale qui est aus­si gare routière, garage à vélos, sta­tion de tramway et de bus ; amé­nage­ment de pistes cyclables, ain­si celles de ce pont où pas­saient autre­fois les berlines et qu’empruntent aujourd’hui 9 000 vélos/jour ; mise en place dès 1983 d’un tick­et men­su­el de trans­port mul­ti­mode val­able d’abord dans toute la ville puis dans un ray­on de 20 km autour de cel­le­ci…), la con­struc­tion des quartiers économes en énergie de Vauban et plus récem­ment, Rie­selfeld, le recours à la cogénéra­tion pour la pro­duc­tion de 50 % de l’électricité de la ville, ain­si que l’essor d’une indus­trie solaire autour de l’ISE.


Aire de jeux entre deux rangées de maisons individuelles.

Pour con­stru­ire Vauban, la munic­i­pal­ité a fait appel à plusieurs archi­tectes soumis à un cahi­er des charges ambitieux en ter­mes de normes énergé­tiques de con­struc­tion : afin que la con­som­ma­tion d’énergie pri­maire des loge­ments ne dépasse pas 65 kWh par m2 et par an10, il a fal­lu recourir à des vit­rages à coef­fi­cients d’émissivité réduits, ren­forcer l’isolation des murs et des toi­tures, réin­ven­ter la mai­son indi­vidu­elle con­tiguë, élim­in­er les ponts ther­miques etc. 

Ce fut l’occasion de repenser le quarti­er comme une aire rési­den­tielle com­mune, favorisant les con­tacts entre habi­tants et lim­i­tant le recours à la voiture : de grandes travées vertes en aèrent la dis­po­si­tion, deux ter­minaux de tramway y ont été amé­nagés, la mai­son de retraite jouxte l’école, et le « bateau solaire » qui fait office de cen­tre com­mer­cial est acces­si­ble à pied, en tram ou à vélo. 


Le cen­tre com­mer­cial à toi­tures PV.

À deux pas, le lotisse­ment solaire « Schlieberg », dont les maisons « énergie plus » pro­duisent plus d’énergie qu’elles n’en con­som­ment. Plus loin encore, preuves que la per­for­mance énergé­tique con­cerne aus­si les bâti­ments ter­ti­aires : le bâti­ment de l’ISE, ou la Cham­bre de com­merce et d’industrie qui utilise un sys­tème de cli­ma­ti­sa­tion solaire (ther­mique).

Ces réal­i­sa­tions démon­trant l’utilisation de tech­niques d’éco-construction à l’échelle de quartiers entiers ne sont pas lim­itées à Fri­bourg ; elles vont de paire avec celles de l’éco-quartier anglais Bedzed11, ou du pro­jet européen Polyc­i­ty (pro­gramme Con­cer­to) à Stuttgart, Barcelone et Turin. Elles illus­trent d’ailleurs prob­a­ble­ment les présen­ta­tions faites dans le cadre de la chaire ‘sci­ence des matéri­aux pour la con­struc­tion durable’ ouverte en 2006 à l’X !

De l’aimantation des moteurs

Le 12 févri­er, nous arrivons à Barcelone. Un entre­tien avec le respon­s­able de la cel­lule du réchauf­fe­ment cli­ma­tique de la Région­al­ité Autonome de Cat­a­logne nous con­va­inc qu’une vis­ite à l’entreprise Ronser s’impose.
Deux retraités ont mis au point le Polar­izador, un sys­tème mag­né­tique à installer en amont de l’injection du moteur de tout véhicule roulant, quel que soit son âge, sa mar­que ou son car­bu­rant à con­di­tion que ce dernier soit liq­uide et car­boné. Ils ont per­fec­tion­né l’invention du pro­fesseur ital­ien Ser­gio Ron­coni, ont créé leur start-up en s’appuyant sur un financier et un jeune com­mer­cial, et s’attaquent à l’immense marché des véhicules en cir­cu­la­tion, fort des économies de car­bu­rant que leur inven­tion leur fer­ont réaliser. 


Le Polar­izador avec embouts d’entrée et de sor­tie de car­bu­rant. Le sty­lo donne l’échelle du boîtier.

Baliv­ernes, sem­blables aux arnaques d’internet où des char­la­tans van­tent les mérites mag­né­tiques de gad­gets déco­rat­ifs pour faire for­tune sur le dos du cha­land ? Ce n’est pas l’avis de la ville de Barcelone, dont les bus ont servi de démon­stra­teurs grandeur nature à l’invention récem­ment cer­ti­fiée pou­voir économiser entre 5 et 10% de car­bu­rant. Elle a d’ailleurs passé com­mande pour équiper l’essentiel de son parc roulant en Polarizadors.
Com­ment fonc­tionne cet appareil ? 

Il sem­blerait que le champ mag­né­tique créé par deux aimants per­ma­nents mon­tés en par­al­lèle et autour desquels s’enroule le tube dans lequel cir­cule le car­bu­rant avant de rejoin­dre le sys­tème d’injection per­me­tte d’orienter les chaînes car­bonées. Celles-ci se mélangeraient alors mieux à l’oxygène disponible dans la cham­bre de com­bus­tion, ce qui résul­terait en une com­bus­tion plus com­plète – et donc plus pro­pre – du car­bu­rant. Le pro­grès réal­isé est d’autant plus sig­ni­fi­catif que le véhicule gref­fé est de fac­ture anci­enne… de quoi redonner de l’air à nom­bre de grandes villes ! 

D’un continent à l’autre

Après avoir dis­cuté poli­tique de ges­tion des déchets radioac­t­ifs et inno­va­tions solaires de grande puis­sance (tours solaires et fer­mes à héliostats) au CIEMAT de Madrid, nous faisons un pied de nez à Her­cule et ses colonnes en prenant le fer­ry pour Ceu­ta à Algésir­as. C’est d’Afrique que nous vous écrirons le mois prochain ! 

PS : un avant-goût peut être trou­vé sur www.promethee-energie.org12

1. Les réserves de tho­ri­um seraient au moins supérieures à trois fois celles con­nues pour l’uranium. Il est d’autre part envis­age­able d’utiliser les déchets de la fil­ière actuelle comme com­bustible de l’EA.
2. Car dépen­dant essen­tielle­ment de la réserve de réac­tiv­ité choisie par ingéniérie du coeur sous­cri­tique. La réac­tion de spal­la­tion engen­dre l’émission de plusieurs neu­trons suite à col­li­sion de la cible par un pro­ton accéléré. L’apport en pro­tons con­trôle le flux de neu­trons néces­saire au main­tien de la réac­tion en chaîne : l’arrêt de l’accélérateur stop­pera ain­si la réac­tion nucléaire, prévenant ain­si tout emballe­ment du réacteur.
3. Le tho­ri­um ayant un nom­bre de masse inférieur de 3 à 5 unités à celui de l’uranium, l’absorption des neu­trons pro­duit sta­tis­tique­ment moins de déchets pro­liférants (U235, Pu239).
4. Pro­to­type of the Ener­gy Ampli­fi­er for a Clean Environment.
5. Util­isant l’électricité éoli­enne pour pro­duire de l’hydrogène et assur­er par le biais de piles à com­bustibles et d’un moteur à hydrogène la con­ti­nu­ité de l’approvisionnement élec­trique d’ensembles isolés comme la com­mu­nauté insu­laire d’Utsira.
6. C’est Vert et Ça Marche, Fayard, 2007.
7. Pour com­para­i­son de ren­de­ment : le record mon­di­al pour cel­lules sili­ci­um (Si) mul­ti­cristallines est de 20.7 %, celui pour une cel­lule Si à bande pas­sante sim­ple de 24% (ren­de­ment théorique max­i­mal ~30 %, ceux atteints par les cel­lules aujourd’hui sur le marché : 16 %), pour des sys­tèmes mono­lithiques à ban­des pas­santes mul­ti­ples : 39%.
8. Les experts auront noté qu’il s’agit bien d’un ‘ou’ exclusif, étant don­né que les deux voies pro­posées sont invers­es l’une de l’autre. La bande pas­sante idéale que cette dou­ble con­trainte d’un volt­age suff­isant et de l’absorption dans une fréquence ‘utile’ du spec­tre solaire défi­ni est d’1.6 eV.
9. Con­tre quelques 3 euros/Wc (Watt-crête) pour les pro­duits actuels.
10. En France, la RT 2000 puis la RT 2005 imposent respec­tive­ment une con­som­ma­tion d’énergie pri­maire max­i­male de 100 kWh/m2/an et de 85 kWh/m2/an. L’association Effin­ergie estime qu’il est tech­nique­ment pos­si­ble de fab­ri­quer des loge­ments à 20 kWh/m2/an et vise à abaiss­er la moyenne nationale à 50 kWh/m2/an (source : www.cler.org).
strong>11. Bed­ding­ton Zero Ener­gy Devel­op­ment, éco­quarti­er neu­tre en car­bone con­stru­it dans la ban­lieue de Londres.
12. Pour plus d’informations sur les pro­jets men­tion­nés dans cet article : 

www.hydro.com 
www.statoil.com/newenergy
www.ise.fraunhofer.de
www.solarregion.freiburg.de
www.vauban.de 
www.sonnenschiff-fonds.de
www.concertoplus.edu

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