Couverture de la BD Le mOnde sans find e Jean-Marc Jancovici

Précisions sur le nucléaire dans la critique d’Un monde sans fin

Dossier : ExpressionsMagazine N°774 Avril 2022
Par Bernard LEROUGE (52)

Il n’est pas éton­nant que la BD de Jean-Marc Jan­co­vi­ci (81) Le monde sans fin sus­cite des réac­tions. Celles de Fran­çois-Xavier Mar­tin (63) (JR de mars 2022, pages 47 à 49) vont de l’admiration que je par­tage pour cette publi­ca­tion très ori­gi­nale, à une cri­tique mal­adroite de l’énergie nucléaire qui requiert les mises au point qui vont suivre, après un indis­pen­sable retour en arrière historique.

Il est vrai que la réus­site tech­nique et éco­no­mique du pro­gramme Mess­mer de construc­tion de réac­teurs nucléaires a inci­té EDF à accroître son mar­ché par la pro­mo­tion du chauf­fage élec­trique des bâti­ments, ce der­nier étant néces­sai­re­ment assor­ti de mesures d’isolation ther­mique impo­sant notam­ment des fenêtres à double vitrage (les Fin­lan­dais vont jusqu’au triple vitrage).

Les objectifs non atteints d’économie d’énergie

Nos gou­ver­nants ont créé des admi­nis­tra­tions inci­tant aux éco­no­mies d’énergie : d’abord, en 1974, l’agence pour les éco­no­mies d’énergie, AEE, diri­gée par Jean Syro­ta, d’où est né, notam­ment, le chan­ge­ment d’heure été-hiver ain­si que des consignes de réduc­tion de la tem­pé­ra­ture dans les locaux, plus ou moins res­pec­tées (très peu en réa­li­té chez les per­sonnes âgées… ou riches). En 1981, l’arrivée au pou­voir de Fran­çois Mit­ter­rand s’est tra­duite par un inflé­chis­se­ment des pro­grammes, et, en 1982, l’agence fran­çaise de maî­trise de l’énergie, l’AFME a suc­cé­dé à l’AEE. Son direc­teur des pro­grammes était Ber­nard Laponche, un de mes anciens col­lègues du CEA, syn­di­ca­liste CFDT, farou­che­ment anti­nu­cléaire. En 1992, l’AFME a été absor­bée à son tour par l’ADEME, l’agence de l’environnement et de la maî­trise de l’énergie, tout aus­si éco­lo­giste, mot qui signi­fie (à tort, mais qu’y faire ?) antinucléaire.

Les conséquences des accidents nucléaires sur les prises de décision

L’accident de Three Mile Island (1979) mais sur­tout celui de Tcher­no­byl (1986), semèrent l’effroi et le doute sur le bien-fon­dé de l’énergie nucléaire. J’y reviendrai.

1997 a été l’année du « pro­to­cole de Kyo­to » où le monde scien­ti­fique a pris vrai­ment conscience du risque cli­ma­tique, lequel donne à l’énergie nucléaire une rai­son majeure d’être mise en œuvre à grande échelle, car non-émet­trice dans l’atmosphère de gaz à effet de serre d’une longue durée de vie. Ce fut aus­si, para­doxa­le­ment, l’année, pour des rai­sons pure­ment poli­tiques, de l’arrêt de Super­phé­nix, un gâchis considérable.

Je me sou­viens, au tour­nant du siècle, d’une réunion publique de l’ADEME dans une grande salle (de théâtre ?) où le mot « nucléaire » déclen­chait immé­dia­te­ment des huées. Le ministre de l’Environnement, pré­sent, avait été som­mé publi­que­ment de prendre au plus vite des mesures en faveur de l’énergie éolienne… ce qu’il s’empressa de faire peu de temps après.

Par la suite, furent prises des mesures admi­nis­tra­tives spé­cieuses contre le chauf­fage élec­trique. Pré­ten­dant que le ren­de­ment des cen­trales nucléaires PWR étant d’en­vi­ron 13, il fal­lait prendre en compte l’éner­gie pri­maire dépen­sée (soit 3 fois plus) et non l’éner­gie élec­trique utile de chauf­fage ! Pour­quoi ? Certes, à tout kilo­watt­heure élec­trique cor­res­pondent deux kilo­watt­heures reje­tés dans l’en­vi­ron­ne­ment, soit dans la mer soit sous forme de vapeur d’eau, mais quelle impor­tance ? Après huit années de mau­vais ser­vice, la direc­tive RT 2012, qui était inepte (les spé­cia­listes du droit à la construc­tion ne la com­pre­naient pas) a été rem­pla­cée par le RT 2020 que je n’ai pas encore analysée.

La nécessité de déjouer les fake news

Fuku­shi­ma, en 2011, s’est ajou­té aux deux acci­dents graves déjà men­tion­nés. Je com­prends la per­plexi­té de Fran­çois Xavier Mar­tin (63) (et d’autres per­sonnes) devant l’af­flux d’in­for­ma­tions contra­dic­toires, sou­vent par­ti­sanes, qui sont arri­vées sur le moment et cir­culent peut-être encore. Je leur conseille de s’at­ta­cher sur­tout à deux sources fiables sur les causes et consé­quences sani­taires de ces acci­dents : le site de l’uns­cear (uni­ted nations scien­ti­fic com­mit­tee on the effects of ato­mic radia­tions) et celui de l’IRSN (ins­ti­tut de radio­pro­tec­tion et de sûre­té nucléaire). Bien sûr, il a fal­lu du temps pour éta­blir ces docu­ments et de nom­breux fake news ont occu­pé l’es­pace média­tique en atten­dant. Per­met­tez un plai­doyer pro domo : un livre que j’ai écrit en 2009 avec le concours d’un émi­nent radio­bio­lo­giste, le Pro­fes­seur Yvon Grall, paru aux édi­tions de l’Har­mat­tan : Tcher­no­byl. Un « nuage » passe… Les faits et les contro­verses. Il explique notam­ment pour­quoi, à la stu­pé­fac­tion des exploi­tants de Tcher­no­byl, la chute des barres a conduit à une exa­cer­ba­tion de la réac­tion en chaîne au lieu de son arrêt habi­tuel. Les réac­teurs sovié­tiques, conçus pour pro­duire de l’élec­tri­ci­té et du plu­to­nium de qua­li­té mili­taire, ont réser­vé des sur­prises, qu’il était dif­fi­cile de pré­voir et aus­si d’expliquer.

Pour ceux qui ont craint les consé­quences en France de cet acci­dent, voi­ci un dia­gramme mon­trant l’é­vo­lu­tion des can­cers de la thy­roïde en France, selon l’ins­ti­tut Gus­tave Rous­sy et l’IRSN. Much ado for nothing !

Influence de l'accident de Tchernobyl sur les cancers de la thyroïde en France

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