Que faut-il enseigner ? Le socle commun dans la loi d’orientation et de programme de 2005

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006
Par Philippe CLAUS

La ques­tion du sens de la sco­lar­ité oblig­a­toire est cen­trale et c’est un prob­lème qui a l’év­i­dence n’est pas totale­ment résolu. Sans refaire l’his­toire du col­lège unique, esquis­sé dans l’ar­ti­cle de Claude Lelièvre, il con­vient de rap­pel­er que depuis au moins 1974, date à laque­lle Valéry Gis­card d’Es­taing, prési­dent de la République, déclare, le 25 juil­let, qu’à côté de l’oblig­a­tion sco­laire il faudrait “imag­in­er une autre oblig­a­tion qui serait de don­ner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal”.

On tient là le sens et l’o­rig­ine du socle tel qu’il appa­raît depuis le print­emps 2005 dans la loi. L’ex­pres­sion elle-même fig­ure dans les travaux du Con­seil nation­al des pro­grammes présidé par Luc Fer­ry, mais de gauche ou de droite, cette idée a de nom­breux détracteurs, le socle est accusé de vouloir “min­imiser les savoirs”, de vouloir le niv­elle­ment par le bas. L’idée pour­suit cepen­dant son chemin et il n’est pas d’é­tude qui n’en rap­pelle la nécessité.

Au cours des deux dernières années, la Com­mis­sion du débat nation­al pour l’avenir de l’é­cole en fait un élé­ment majeur de lutte con­tre l’échec sco­laire et la Com­mis­sion par­lemen­taire présidée par Pierre-André Péris­sol en pose les fonde­ments. La déf­i­ni­tion française du socle de con­nais­sances et de com­pé­tences indis­pens­ables ne peut faire abstrac­tion de la volon­té de rap­proche­ment des sys­tèmes édu­cat­ifs à l’in­térieur de l’U­nion européenne. La déf­i­ni­tion française du socle ne peut donc ignor­er les déf­i­ni­tions pro­posées par Bruxelles.

Trois articles de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école publiée le 24 avril 2005 précisent les contours et la fonction du socle.

• ARTICLE 9

“Art. L. 122–1‑1 — La sco­lar­ité oblig­a­toire doit au moins garan­tir à chaque élève les moyens néces­saires à l’ac­qui­si­tion d’un socle com­mun con­sti­tué d’un ensem­ble de con­nais­sances et de com­pé­tences qu’il est indis­pens­able de maîtris­er pour accom­plir avec suc­cès sa sco­lar­ité, pour­suiv­re sa for­ma­tion, con­stru­ire son avenir per­son­nel et pro­fes­sion­nel et réus­sir sa vie en société. Ce socle comprend :
— la maîtrise de la langue française ;
— la maîtrise des prin­ci­paux élé­ments de mathématiques ;
— une cul­ture human­iste et sci­en­tifique per­me­t­tant le libre exer­ci­ce de la citoyenneté ;
— la pra­tique d’au moins une langue vivante étrangère ;
— la maîtrise des tech­niques usuelles de l’in­for­ma­tion et de la communication.
Ces con­nais­sances et com­pé­tences sont pré­cisées par décret pris après avis du Haut-Con­seil de l’éducation.
L’ac­qui­si­tion du socle com­mun par les élèves fait l’ob­jet d’une éval­u­a­tion, qui est prise en compte dans la pour­suite de la scolarité.
Le Gou­verne­ment présente tous les trois ans au Par­lement un rap­port sur la manière dont les pro­grammes pren­nent en compte le socle com­mun et sur la maîtrise de celui-ci par les élèves au cours de leur sco­lar­ité obligatoire.
Par­al­lèle­ment à l’ac­qui­si­tion du socle com­mun, d’autres enseigne­ments sont dis­pen­sés au cours de la sco­lar­ité obligatoire.”

• ARTICLE 16

“Art. L. 311–3‑1 — À tout moment de la sco­lar­ité oblig­a­toire, lorsqu’il appa­raît qu’un élève risque de ne pas maîtris­er les con­nais­sances et les com­pé­tences indis­pens­ables à la fin d’un cycle, le directeur d’é­cole ou le chef d’étab­lisse­ment pro­pose aux par­ents ou au respon­s­able légal de l’élève de met­tre con­join­te­ment en place un pro­gramme per­son­nal­isé de réus­site éducative.”

 ARTICLE 32

“Art. L. 332–6 — Le diplôme nation­al du brevet sanc­tionne la for­ma­tion acquise à l’is­sue de la sco­lar­ité suiv­ie dans les col­lèges ou dans les class­es de niveau équiv­a­lent situées dans d’autres établissements.

Il atteste la maîtrise des con­nais­sances et des com­pé­tences définies à l’ar­ti­cle L. 122–1‑1, intè­gre les résul­tats de l’en­seigne­ment d’é­d­u­ca­tion physique et sportive et prend en compte, dans des con­di­tions déter­minées par décret, les autres enseigne­ments suiv­is par les élèves selon leurs capac­ités et leurs intérêts. Il com­porte une note de vie scolaire.”

Par ailleurs la place du socle dans le fonc­tion­nement de la sco­lar­ité oblig­a­toire est pré­cisée dans les pre­miers décrets d’ap­pli­ca­tion de la loi (décrets du 24 août 2005, pub­liés au J. O. du 25 août 2005 et parus dans le bul­letin offi­ciel n° 31 du 1er sep­tem­bre 2005).

“Le min­istre chargé de l’É­d­u­ca­tion nationale définit par arrêté les pro­grammes d’en­seigne­ment inclu­ant les objec­tifs de chaque cycle, ain­si que des repères annuels pour les com­pé­tences et con­nais­sances dont l’ac­qui­si­tion doit être assurée en pri­or­ité en vue de la maîtrise des élé­ments du socle com­mun à la fin de l’é­cole primaire.”
” Art. 4 — Les dis­po­si­tions péd­a­gogiques mis­es en œuvre pour assur­er la con­ti­nu­ité péd­a­gogique, en par­ti­c­uli­er au sein de chaque cycle, pren­nent en compte les besoins de chaque élève afin de per­me­t­tre le plein développe­ment de ses poten­tial­ités, ain­si que l’ob­jec­tif de le con­duire à l’ac­qui­si­tion des élé­ments du socle com­mun de con­nais­sances et com­pé­tences fon­da­men­tales cor­re­spon­dant à son niveau de scolarité.
À tout moment de la sco­lar­ité élé­men­taire, lorsqu’il appa­raît qu’un élève ne sera pas en mesure de maîtris­er les con­nais­sances et les com­pé­tences indis­pens­ables à la fin du cycle, le directeur d’é­cole pro­pose aux par­ents ou au représen­tant légal de l’en­fant de met­tre en place un dis­posi­tif de sou­tien, notam­ment un pro­gramme per­son­nal­isé de réus­site éduca­tive. Un doc­u­ment, préal­able­ment dis­cuté avec les par­ents de l’élève ou son représen­tant légal, pré­cise les formes d’aides mis­es en œuvre pen­dant le temps sco­laire ain­si que, le cas échéant, celles qui sont pro­posées à la famille en dehors du temps sco­laire. Il définit un pro­jet indi­vid­u­al­isé qui devra per­me­t­tre d’é­val­uer régulière­ment la pro­gres­sion de l’élève.”

Il résulte de l’analyse de ces textes régle­men­taires que les con­tours formels du socle sont défi­nis par la loi. Il s’ag­it de con­nais­sances et de com­pé­tences. Les règles de com­porte­ment, le civisme tel qu’en­vis­agé par divers­es études ne sont pas explicite­ment prévus. L’en­gage­ment pris par le lég­is­la­teur est un engage­ment de moyens, pas de résultats.

Ces con­nais­sances et ces com­pé­tences s’en­raci­nent dans cinq champs du savoir qui font l’ob­jet d’un enseigne­ment à l’é­cole pri­maire et au col­lège : la langue française, les math­é­ma­tiques, la cul­ture human­iste et sci­en­tifique (au cours de la sco­lar­ité oblig­a­toire cette cul­ture relève essen­tielle­ment de la lit­téra­ture, de l’his­toire, de la géo­gra­phie, de l’é­d­u­ca­tion civique, des sci­ences physiques, des sci­ences de la vie et de la terre et de la tech­nolo­gie), une langue vivante étrangère et des tech­niques de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion. Il est cepen­dant à noter :

 que le texte de loi men­tionne claire­ment la maîtrise d’élé­ments de con­nais­sances et de com­pé­tences indis­pens­ables de deux dis­ci­plines d’en­seigne­ment (le français et les mathématiques) ;
 que la cul­ture human­iste n’est pas déclinée en ter­mes de dis­ci­plines d’en­seigne­ment, mais qu’elle est sim­ple­ment qual­i­fiée par sa final­ité civique ;
 que c’est la pra­tique d’une langue vivante qui est atten­due, soit une compétence ;
 que dans le même ordre d’idées l’in­for­ma­tion et la com­mu­ni­ca­tion entrent dans le socle en qual­ité de com­pé­tences à maîtris­er des techniques.

Le lien entre socle et pro­grammes d’en­seigne­ment est établi : “Le Min­istre définit les pro­grammes et les repères pour les con­nais­sances et les com­pé­tences indis­pens­ables…” Le socle n’est pas un ajout aux pro­grammes, il devrait en être une com­posante qu’il s’ag­it de définir par une forme d’extraction.

Le socle ne représente pas la total­ité de ce qu’un élève doit acquérir ni de ce qui est enseigné à l’é­cole pri­maire ou au col­lège. Il ne cou­vre pas l’ensem­ble des con­nais­sances et des com­pé­tences énon­cées dans les dis­ci­plines ou les champs du savoir énumérés par la loi. Par ailleurs, d’autres dis­ci­plines sont enseignées, elles peu­vent, par le biais de cer­taines com­pé­tences retenues, par­ticiper à la déf­i­ni­tion du socle (dis­ci­plines artis­tiques et édu­ca­tion physique et sportive, par exemple).

La fonc­tion du socle est elle aus­si pré­cisée par la nou­velle régle­men­ta­tion. La déf­i­ni­tion d’un socle com­mun est un élé­ment impor­tant de la lutte con­tre les iné­gal­ités sco­laires. Le socle est utile dans la mesure où il con­stitue les con­nais­sances et les com­pé­tences qui sont indis­pens­ables pour que l’élève puisse pour­suiv­re sa sco­lar­ité, mais aus­si et surtout réus­sir sa vie sociale et pro­fes­sion­nelle. Le sys­tème édu­catif doit, en con­séquence, s’as­sur­er de sa maîtrise par tous les élèves. Pour ce faire son ampleur doit impéra­tive­ment être lim­itée à sa final­ité, sa maîtrise par les élèves doit pou­voir être régulière­ment éval­uée et l’or­gan­i­sa­tion même de la sco­lar­ité oblig­a­toire doit en faire une pri­or­ité. C’est le sens des dis­po­si­tions péd­a­gogiques mis­es en œuvre pour assur­er la con­ti­nu­ité péd­a­gogique, au sein de chaque cycle en par­ti­c­uli­er par le pro­gramme per­son­nal­isé de réus­site éduca­tive qui prend en compte les besoins de chaque élève et vise pri­or­i­taire­ment l’ac­qui­si­tion et la maîtrise du socle. C’est aus­si le sens du nou­veau diplôme nation­al du brevet.

Pour que ces mesures soient pleine­ment effi­caces et que le socle joue totale­ment son rôle, il con­vient non seule­ment de définir les con­nais­sances et les com­pé­tences que tous les élèves maîtris­eront à l’is­su de la sco­lar­ité oblig­a­toire et qui seront éval­uées, il faut en déclin­er les prin­ci­pales étapes et donc définir, pour chaque cycle ou classe, les con­nais­sances et les com­pé­tences qui con­cour­ront à la maîtrise de l’ensemble.

Le chantier est aujour­d’hui ouvert, les ser­vices du min­istère ont esquis­sé une pre­mière ébauche du socle, le nou­veau Haut Con­seil de l’é­d­u­ca­tion pré­pare ses remar­ques et amende­ments. Le Gou­verne­ment ira-t-il jusqu’au bout pour appli­quer la loi trente-deux ans après le souhait de Valéry Gis­card d’Estaing ?

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