Protéger, verbe actif, bilan et perspectives du Conservatoire du littoral

Dossier : Océans et littoralMagazine N°575 Mai 2002
Par François LETOURNEUX

Le con­ser­va­toire de l’e­space lit­toral et des rivages lacus­tres a été créé le 10 juil­let 1975. La pres­sion de l’ur­ban­i­sa­tion et du développe­ment touris­tique avait alors con­va­in­cu le lég­is­la­teur que la préser­va­tion défini­tive des milieux naturels et des sites les plus remar­quables de nos côtes ne serait effi­cace­ment assurée que par l’ac­qui­si­tion, et l’en­trée inal­ién­able des sites ain­si acquis dans le pat­ri­moine de tous les Français. C’est la mis­sion qu’il a con­fiée au Conservatoire.

On avait pu s’in­ter­roger à l’époque sur la capac­ité réelle de ce petit organ­isme à jouer un rôle autre qu’anec­do­tique. Ses moyens budgé­taires étaient lim­ités, son équipe très réduite (elle n’est tou­jours con­sti­tuée que d’une cen­taine de per­son­nes, dont la moitié seule­ment appar­tient à l’équipe pro­pre, per­ma­nente, de l’étab­lisse­ment), et ses inter­locu­teurs locaux étaient sou­vent beau­coup plus soucieux de développe­ment à tout prix que de préser­va­tion de la nature et du paysage.

Patiem­ment, sans bruit, sans créer de con­flit, le Con­ser­va­toire du lit­toral est devenu le garant de la pro­tec­tion de 66 000 hectares, 861 km de rivages, soit plus du dix­ième du linéaire côti­er de notre pays. Les 485 sites ain­si acquis comptent par­mi les plus beaux et les plus pré­cieux de nos côtes, et demeureront, grâce au Con­ser­va­toire, un héritage com­mun de beauté et de nature, à la dis­po­si­tion des Français et de leurs vis­i­teurs étrangers.

Le Con­ser­va­toire con­tin­ue à acheter des sites sur le lit­toral pour garan­tir leur pro­tec­tion. Il le fait avec une per­spec­tive, définie en 1995, validée par le Gou­verne­ment, et con­fir­mée à nou­veau par le Par­lemen­taire en mis­sion, celle de garan­tir la sauve­g­arde d’un tiers de nos rivages, d’y con­serv­er la richesse écologique, la beauté des paysages naturels, mais aus­si l’é­pais­seur cul­turelle, l’e­sprit des lieux. Le Con­ser­va­toire ne le fera pas seul : il y a aus­si sur le lit­toral de vastes forêts doma­niales, des pro­priétés acquis­es par les col­lec­tiv­ités locales, par des asso­ci­a­tions, en vue de leur protection.

On peut estimer que, patiem­ment, pro­gres­sive­ment, au rythme d’en­v­i­ron 3 000 hectares nou­veaux acquis chaque année (ce qui veut dire que la toute petite équipe de l’étab­lisse­ment négo­cie et signe une acqui­si­tion nou­velle par jour), la con­tri­bu­tion du Con­ser­va­toire à cet objec­tif de préser­va­tion du tiers sauvage sur nos rivages devrait le con­duire, à terme d’une quar­an­taine d’an­nées, à garan­tir la sauve­g­arde d’en­v­i­ron 22 % du linéaire côti­er, et de 200 000 hectares.

Le Con­ser­va­toire achète des sites présen­tant des car­ac­téris­tiques écologiques et paysagères remar­quables, parce que des men­aces de destruc­tion pèsent sur eux. Mais, de plus en plus, il est con­duit aus­si à inter­venir sur des sites déjà grave­ment dégradés, où il faut démolir des con­struc­tions mal­v­enues, restau­r­er le cou­vert végé­tal, rétablir le paysage dans sa grandeur.

Il arrive aus­si au Con­ser­va­toire d’ac­quérir des espaces, autre­fois agri­coles, et aban­don­nés à cause de la pres­sion fon­cière ou des men­aces d’ur­ban­i­sa­tion, pour y réin­staller l’ac­tiv­ité d’él­e­vage, les vig­no­bles ou les marais salants qui assur­aient l’équili­bre des milieux, et sont aujour­d’hui encore le moyen d’as­sur­er cet équili­bre au moin­dre coût.

De plus en plus, en effet, cha­cun est con­scient que la mise en valeur des richess­es naturelles et du paysage passe par la cica­tri­sa­tion des blessures anci­ennes causées par une sur­ex­ploita­tion touris­tique, ou par l’a­ban­don des pra­tiques tra­di­tion­nelles qui les entrete­naient. Pro­téger est, pour le Con­ser­va­toire, un verbe act­if. Les milieux naturels récla­ment un entre­tien atten­tif, beau­coup moins coû­teux que les restau­ra­tions qui s’avér­eraient indis­pens­ables si cet entre­tien n’é­tait pas effectué.

De ce fait, et cette évo­lu­tion est l’une des raisons des avancées lég­isla­tives récentes, le Con­ser­va­toire du lit­toral n’est plus seule­ment un organ­isme d’in­ter­ven­tion fon­cière. De plus en plus, des respon­s­abil­ités, des charges et des tâch­es nou­velles s’im­posent à lui. Il est amené à con­duire, pour les raisons qui vien­nent d’être évo­quées, des pro­grammes de travaux lourds, diver­si­fiés et impor­tants, à pré­par­er et à sign­er un grand nom­bre de con­trats et de con­ven­tions, à faire face quo­ti­di­en­nement à ses oblig­a­tions de pro­prié­taire, ne serait-ce que celle de garan­tir la sécu­rité des per­son­nes et des biens.

Certes le lég­is­la­teur de 1975 avait décidé de ne pas faire peser sur le Con­ser­va­toire, dont il souhaitait qu’il demeurât une struc­ture sou­ple et légère, l’ensem­ble des con­traintes liées à la ges­tion des sites acquis. L’ar­ti­cle L. 322.9 du Code de l’en­vi­ron­nement fix­ait en effet que cette ges­tion est assurée ” par con­ven­tion avec les col­lec­tiv­ités locales ou leurs groupe­ments, les étab­lisse­ments publics ou les fon­da­tions et asso­ci­a­tions spé­cial­isées, agréées à cet effet, ou les exploitants agricoles “.

Mais ce que le lég­is­la­teur n’avait pas prévu, c’est l’am­pleur et la com­plex­ité des mis­sions qui resteraient à la charge du Con­ser­va­toire pour pré­par­er, met­tre en œuvre, suiv­re, con­trôler, et éventuelle­ment sup­pléer, cette gestion.

Pour jouer ce rôle nou­veau, le Con­ser­va­toire est très forte­ment aidé par les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales. Hier un peu per­plex­es, elles sont dev­enues aujour­d’hui des parte­naires con­va­in­cus de l’ac­tion du Con­ser­va­toire. C’est avec leur accord, sou­vent à leur demande, qu’il acquiert. Les régions, les départe­ments l’y aident finan­cière­ment et par­ticipent active­ment aux travaux de remise en état et d’amé­nage­ment écologique sur les sites. Ils aident aus­si les com­munes à pren­dre en charge la ges­tion. Cette adhé­sion des col­lec­tiv­ités locales à l’ac­tion du Con­ser­va­toire s’ex­plique par l’in­térêt de plus en plus grand qu’elles por­tent aux réal­ités écologiques.

Elle a aus­si tout sim­ple­ment des jus­ti­fi­ca­tions économiques. Le Con­ser­va­toire du lit­toral a tou­jours eu le souci de tenir compte des néces­sités de l’ac­tiv­ité et de l’emploi locaux (il y a aujour­d’hui plus d’a­gricul­teurs sur ses ter­rains qu’il n’y en avait lorsqu’il les a acquis, ne serait-ce qu’en rai­son de leur con­tri­bu­tion essen­tielle à la qual­ité des paysages naturels). Mais cha­cun a con­science que son rôle économique ne se lim­ite pas à cela.

Les élus locaux, et avec eux tous ceux qui sont préoc­cupés de développe­ment économique le savent : l’ac­tiv­ité touris­tique, préémi­nente sur le lit­toral (le tourisme pèse économique­ment, en France, plus que l’a­gri­cul­ture, la forêt et la pêche réu­nis), a désor­mais besoin d’e­spaces naturels de qual­ité, pro­tégés et acces­si­bles. Ces espaces con­stituent de plus en plus une infra­struc­ture touris­tique, aus­si néces­saire au développe­ment des sta­tions que des équipements de loisirs adap­tés ou un cen­tre-ville attrac­t­if et fleuri.

Rien dans les textes con­sti­tu­tifs du Con­ser­va­toire ne con­cer­nait le cadre et les con­di­tions de ce parte­nar­i­at : mise en com­mun des moyens humains et matériels, répar­ti­tion des maîtris­es d’ou­vrage, statut des con­ven­tions passées entre les par­ties con­stituent donc une part impor­tante des nou­velles dis­po­si­tions législatives.

Au-delà de la ques­tion de l’adap­ta­tion des struc­tures du Con­ser­va­toire à ses nou­velles respon­s­abil­ités de pro­prié­taire, et de celle de la mod­erni­sa­tion des rela­tions juridiques et économiques entre ce pro­prié­taire et les col­lec­tiv­ités locales et asso­ci­a­tions ges­tion­naires des ter­rains, le Pre­mier min­istre avait engagé égale­ment Louis Le Pensec à réfléchir à une vision plus glob­ale de la pro­tec­tion des rivages, de la terre à la mer, en appli­quant le nou­veau con­cept inter­na­tion­al de pro­tec­tion inté­grée des zones côtières.

Le Con­ser­va­toire était en effet très lim­ité dans ses pos­si­bil­ités d’in­ter­ven­tion sur le domaine pub­lic, mar­itime ou lacus­tre. Or, de plus en plus, la plage et la dune, la man­grove et la forêt lit­torale, les vasières et les rives des estu­aires jus­ti­fient d’une pro­tec­tion et d’une ges­tion coor­don­nées. C’est, depuis la loi du 27 févri­er, une des mis­sions du Con­ser­va­toire du littoral.

Si l’ob­jec­tif prin­ci­pal de l’ac­qui­si­tion et de l’amé­nage­ment par le Con­ser­va­toire demeure la pro­tec­tion, voire l’en­richisse­ment, de la diver­sité biologique et de la beauté des paysages, les sites acquis sont, sauf lorsqu’ils sont trop frag­iles, ouverts au pub­lic. Les con­flits qui peu­vent naître entre l’ob­jec­tif de préser­va­tion et l’ob­jec­tif d’ou­ver­ture peu­vent en général se résoudre par des amé­nage­ments adap­tés des sites. Les cas où la surfréquen­ta­tion fait courir des risques de dégra­da­tions irréversibles sont encore rares, mais le Con­ser­va­toire est sur ce point très vigilant.

Le Con­ser­va­toire a aus­si d’autres activ­ités. Il par­ticipe à la dif­fu­sion des con­nais­sances sur les tech­niques de ” génie écologique ” et de ges­tion de la nature, en France, mais aus­si dans le cadre de pro­grammes inter­na­tionaux, par exem­ple dans les 24 pays de la Méditer­ranée. Aidé par des entre­pris­es mécènes, il pub­lie des études sci­en­tifiques et des ouvrages de présen­ta­tion, par des pho­tographes, des illus­tra­teurs ou des écrivains, des beautés naturelles du littoral.

Mais, et cela demeure sa mis­sion essen­tielle, le nou­veau cadre lég­is­latif et régle­men­taire qui sera demain le sien lui per­me­t­tra, soutenu par le courant général de sym­pa­thie qu’il sus­cite dans l’opin­ion publique, d’ou­vrir à cha­cun de nous et aux vis­i­teurs de nos rivages, et de préserv­er pour nos enfants, la richesse et la beauté des côtes sauvages de notre pays. 

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