Les conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur les côtes basses à marée

Dossier : Océans et littoralMagazine N°575 Mai 2002
Par Fernand VERGER

Tout d’abord, il con­vient de rap­pel­er que l’élé­va­tion du niveau général des mers ne sig­ni­fie pas la même aug­men­ta­tion dans tous les points du lit­toral et qu’en par­ti­c­uli­er, sur les côtes aux faibles pro­fondeurs lit­torales, la géométrie du prisme de marée peut être mod­i­fiée par la vari­a­tion du niveau de la mer. Sur les rivages à mar­nage notable, notam­ment, la trans­for­ma­tion de la forme du bassin envahi par la mer peut entraîn­er la mod­i­fi­ca­tion de l’am­pli­tude de la marée.

Une élé­va­tion du niveau moyen de la mer n’est pas non plus oblig­a­toire­ment accom­pa­g­née d’une élé­va­tion égale des niveaux des bass­es mers et des pleines mers. Des sim­u­la­tions effec­tuées dans le cadre du pro­gramme de main­tien du car­ac­tère mar­itime du Mont-Saint-Michel ont indiqué par exem­ple qu’à une mon­tée du niveau moyen de la mer de 60 cen­timètres ne cor­re­spondrait qu’une aug­men­ta­tion de 50 cen­timètres du niveau des pleines mers dans le fond de la baie (fig. 1). Il faut donc avoir une extrême pru­dence dans les visions prospectives.

Fig­ure 1 — Élé­va­tion du niveau marin et niveaux de marée

Les lagunes et marais demeurés à un état naturel aus­si bien que les marais amé­nagés et les pold­ers sont par­ti­c­ulière­ment exposés par leur sit­u­a­tion hyp­sométrique géné­tique­ment très voi­sine du niveau de la mer. Si l’on excepte le cas des pold­ers con­quis sur le fond de la mer, c’est-à-dire au-dessous du niveau des bass­es mers comme les pold­ers du Zuiderzee, la plu­part des pold­ers lit­toraux ont des cotes d’alti­tude légère­ment inférieures à celles des pleines mers, puisqu’ils ont été con­quis sur des vasières et prés salés — les ” schor­res ” des géo­graphes — édi­fiés par la mer.

Après leur endigue­ment, ces ter­res plus ou moins argileuses ont en général subi des tasse­ments sous l’ac­tion du drainage, et leur alti­tude a dimin­ué de quelques décimètres ou par­fois de plus d’un mètre.

Les per­tur­ba­tions apportées par une élé­va­tion locale du niveau marin sur ces milieux sont bien évidem­ment fonc­tion de l’am­pleur — et aus­si du rythme — du mou­ve­ment relatif de la terre et de la mer. Elles ressor­tis­sent essen­tielle­ment à deux caté­gories dans les régions de marais lit­toraux, de marais et de pold­ers. L’une affecte le domaine mar­itime et la défense con­tre la mer, la sec­onde, les mod­i­fi­ca­tions hydrologiques et hydrogéologiques.

Fig­ure 2 — L’évolution des schor­res face à une mon­tée du niveau marin
L’évolution des schorres face à une montée du niveau marin

Si l’aug­men­ta­tion de la pro­fondeur d’eau à l’ex­térieur des digues n’est pas com­pen­sée par une sédi­men­ta­tion équiv­a­lente, comme cela peut se pro­duire dans le cas d’une mon­tée lente du niveau marin et dans des régions à pléthore sédi­men­taire, l’aug­men­ta­tion de la pro­fondeur provo­quera une diminu­tion de la réfrac­tion de la houle qui se traduit inévitable­ment par une énergie plus grande sur le lit­toral. Cette plus grande énergie peut entraîn­er une plus grande vul­néra­bil­ité des ouvrages de défense con­tre la mer.

Une mod­i­fi­ca­tion de direc­tion des vagues et des courants peut aus­si résul­ter de la plus grande pro­fondeur et avoir des con­séquences géomorphologiques.

Dans ces cas, le tapis végé­tal des schor­res con­sti­tué de plantes halophiles telles que Sparti­na angli­ca, Sal­icor­nia herbacea, Puc­cinel­lia mar­iti­ma, Obione por­tu­la­coides, etc., soumis à une plus grande durée de sub­mer­sion et à une salin­ité plus élevée, se mod­i­fie, en général en s’ap­pau­vris­sant. Une sur­veil­lance du tapis de végé­ta­tion halophile s’im­pose alors.

On a souligné il y a quelques années la dif­fi­culté de con­naître les effets de légers mou­ve­ments du niveau de la mer sur les côtes à marais et l’on peut rap­pel­er à cette occa­sion la diver­gence des inter­pré­ta­tions du sédi­men­to­logue André Riv­ière et du géo­graphe André Guilch­er, tous deux spé­cial­istes émi­nents de ces domaines.

Fi​gure 3
Pho­togra­phie d’un estran en baie de Somme, une sédi­men­ta­tion impor­tante per­me­t­tra à la végé­ta­tion halophile (ici Sparti­na angli­ca) de se main­tenir si la mon­tée du niveau marin n’est pas trop rapide
Estran en baie de Somme

Étu­di­ant cha­cun dans la con­fig­u­ra­tion locale de l’es­tu­aire du Lay, en Vendée, la géo­mor­pholo­gie des rives car­ac­térisée par une micro­falaise, le pre­mier l’at­tribuait à une baisse du niveau marin et le sec­ond à une légère hausse de ce niveau. Cette dif­fi­culté d’in­ter­pré­ta­tion a d’ailleurs été lev­ée ensuite par A. Guilch­er lorsqu’il a fondé la théorie du cycle de la vase. Il sem­ble que l’on puisse aujour­d’hui avancer que les schor­res des mers à marée soumis à l’ac­tion d’une houle faible qui sont déjà le lieu d’une éro­sion avec micro­falaise risquent, dans une pre­mière phase, une éro­sion latérale accélérée, puis une surélé­va­tion par sédi­men­ta­tion ver­ti­cale provo­quée par une plus grande fréquence de leurs submersions.

Les schor­res des rivages non exposés à la houle, con­sti­tués essen­tielle­ment de sédi­ments fins et dépourvus de micro­falais­es, sem­blent se surélever prin­ci­pale­ment dans leur par­tie interne (fig. 2).

Selon le rythme de la mon­tée du niveau marin et celui de l’al­i­men­ta­tion sédi­men­taire, les schor­res pour­ront dis­paraître si le pre­mier l’emporte sur le sec­ond ; dans le cas con­traire, les schor­res pour­ront se dévelop­per (fig. 3).

Cette pos­si­bil­ité de résis­ter à la mon­tée du niveau marin par surélé­va­tion due à l’ap­port sédi­men­taire inter­tidal est le pro­pre des éten­dues soumis­es à la sub­mer­sion. Elle ne joue naturelle­ment pas dans les éten­dues endiguées.

L’élé­va­tion de la tranche hyp­sométrique atteinte par les vagues entraîne aus­si une vul­néra­bil­ité accrue des ouvrages de défense con­tre la mer. La fréquence des sub­mer­sions des digues en est aug­men­tée et le niveau plus élevé de l’at­taque des digues les rend plus frag­iles. Les répons­es à apporter con­sis­tent en général à surélever la crête des digues d’une valeur légère­ment supérieure à l’élé­va­tion des pleines mers con­statée dans la local­ité con­sid­érée (fig. 4). Cette surélé­va­tion peut entraîn­er celle de la total­ité du pro­fil de l’ouvrage.

Fig­ure 4 — Pro­fil d’une digue
Profil d’une digue


L’élé­va­tion du niveau de la mer peut provo­quer des mod­i­fi­ca­tions des écoule­ments super­fi­ciels comme des mod­i­fi­ca­tions des écoule­ments de la nappe phréatique.

L’hy­drolo­gie lit­torale des zones de marais où de très faibles dénivel­la­tions déter­mi­nent le sens et le débit des écoule­ments risque d’être grave­ment per­tur­bée en sub­sti­tu­ant par­fois la pré­dom­i­nance d’une infil­tra­tion dans les sols sur l’ex­fil­tra­tion dans les fos­sés. Les canaux de drainage des pold­ers et les vannes qui en con­di­tion­nent actuelle­ment le régime dans des con­di­tions par­fois lim­ites devront être mod­i­fiés. Des con­séquences sont à prévoir dans le fonc­tion­nement par grav­ité ou par pom­page des canaux d’al­i­men­ta­tion et des exu­toires des salines. Des per­tur­ba­tions sem­blables sont à atten­dre dans le régime des bassins aqua­coles. Un accroisse­ment de la salin­ité des eaux de sur­face pour­ra sans doute avoir des réper­cus­sions sur la faune et la flo­re. Il sem­ble que les per­tur­ba­tions de ce type doivent être plus sen­si­bles dans les régions à mar­nage faible.

L’hy­drogéolo­gie des zones bass­es sou­vent for­mées d’al­lu­vions sédi­men­taires per­méables peut aus­si être mod­i­fiée, avec un accroisse­ment de la salin­ité de la nappe phréa­tique. La nappe salée, dont on a con­staté en maints endroits qu’elle atteignait un niveau à peu près égal au niveau moyen de la mer, risque de subir une élé­va­tion du même ordre que celui de ce niveau. Les con­séquences sur la végé­ta­tion peu­vent être dans ce domaine con­sid­érables même pour des surélé­va­tions décimétriques.
Ain­si les con­séquences de l’élé­va­tion éventuelle du niveau marin appa­rais­sent comme par­ti­c­ulière­ment sen­si­bles dans les régions de pold­ers et de marais.

Bib­li­ogra­phie

  • Day JW, Rybczyk J, Scar­ton F, Ris­mon­do A, Are D, Cec­coni G. 1999. Soil accre­tionary dynam­ics, sea-lev­el rise and the sur­vival of wet­lands in Venice Lagoon : A field and mod­el­ling approach. Estu­ar­ine Coastal and Shelf Sci­ence, 49, p. 607–628.
     
  • Guilch­er A.1955. La sédi­men­ta­tion vaseuse dans les estu­aires de Bre­tagne occi­den­tale, Geol­o­gis­che Rund­schau, 43, p. 398–401.
     
  • Orson RA, War­ren RS, Nier­ing WA. 1998. Inter­pret­ing sea lev­el rise and rates of ver­ti­cal marsh accre­tion in a south­ern New Eng­land tidal salt marsh. Estu­ar­ine Coastal and Shelf Sci­ence, 47(4), p. 419–429.
     
  • Reed DJ. 1995. The response of coastal marsh­es to sea-lev­el rise – sur­vival or sub­mer­gence. Earth Sur­face Process­es and Land­forms, 20(1), p. 39–48.
     
  • Riv­ière A. 1948. Sur l’embouchure du Lay (Vendée). La sédi­men­ta­tion et la mor­pholo­gie estu­ar­i­enne. Bul­letin de la Société Géologique de France, 5(18), p. 139–151.
     
  • Verg­er F. 1988. Marais et Wad­den du lit­toral français, Par­a­digme Caen.
     
  • Verg­er F. Les marais mar­itimes, in Le lit­toral, Manuels et Méth­odes n° 32, Édi­tions BRGM, 1999, p. 137–153.

Elles néces­sit­eraient, selon les cas envisagés :

  • la surélé­va­tion et le ren­force­ment des digues de mer,
  • la restau­ra­tion des digues dormantes,
  • le réamé­nage­ment (recal­i­brage…) des ouvrages réglant les écoule­ments à la mer,
  • le pom­page assur­ant le drainage mal­gré des con­di­tions grav­i­taires moins favor­ables ou même défa­vor­ables en cas de mon­tée impor­tante du niveau de la mer.


Si elles appa­rais­sent comme maîtris­ables, il ne faut pas se dis­simuler qu’elles peu­vent entraîn­er des coûts économiques nota­bles. Ceux-ci risquent de s’a­jouter à des coûts de ges­tion qui sont actuelle­ment déjà dif­fi­cile­ment sup­port­és par les col­lec­tiv­ités intéressées. Ces con­séquences seront naturelle­ment d’au­tant plus graves que le rythme de l’éventuelle mon­tée du niveau marin sera rapi­de et son ampli­tude forte.

Ces coûts élevés asso­ciés à la prise de con­science de l’im­por­tance écologique des zones humides pour­raient faire préfér­er la mul­ti­pli­ca­tion des entre­pris­es de retour à la mer de ter­res endiguées et de recon­sti­tu­tion d’é­ten­dues sub­mersibles. L’in­térêt de telles opéra­tions qui peu­vent con­tribuer à accroître la bio­di­ver­sité a été mon­tré par des opéra­tions déjà réal­isées aux Pays-Bas, en Grande-Bre­tagne, en Alle­magne et même en France où l’on a per­mis à la mer de pénétr­er à nou­veau dans l’aber de Cro­zon, en Bre­tagne, et dans le pold­er Fré­mont, en Normandie.

Commentaire

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maunoirrépondre
17 juin 2018 à 9 h 12 min

effet des marées
pour dimin­uer la force des vagues con­tre le lit­toral, a‑t-on essayé de découper la lame en tranches .
je m’ex­plique : quand la lame arrive et que je mets un instru­ment comme une fourchette pour que la lame passe à tra­vers, est-ce que la force de la lame est la même avant la fourchette et après ? ceci est ma réflexion !

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