Prévoir “ l’océan qu’il fera ” : océanographie opérationnelle

Dossier : Océans et littoralMagazine N°575 Mai 2002
Par Pierre BAHUREL (89)

A tout instant, et dans tous les recoins de notre planète bleue, être capa­ble de décrire l’é­tat de l’océan, com­posante incon­tourn­able de notre envi­ron­nement. En rou­tine, en temps réel et à l’échelle glob­ale, au large ou près de nos côtes, en sur­face comme en pro­fondeur : décrire, expli­quer et… prévoir. Avoir sans cesse un océan d’avance.

C’est bien sim­ple, on dit que c’est l’un des pro­jets les plus fous du XXIe siè­cle ! c’est-à-dire l’une des prin­ci­pales ” ini­tia­tives con­crètes, por­teuses d’e­spoirs, ambitieuses, qui reflè­tent une volon­té de mieux com­pren­dre le monde, d’a­gir dans le sens du pro­grès et… soulèvent leur lot d’in­ter­ro­ga­tions1. Effec­tive­ment le chantier est immense : 70 % de la sur­face de la planète, 1,4 mil­liard de km3 d’eau, une puis­sance trans­portée qui se compte en mil­lion de mil­liards de watts et des vari­a­tions sig­ni­fica­tives à toutes les échelles de temps et d’e­space. Alors océanogra­phie opéra­tionnelle, pro­jet fou ? Cer­taine­ment oui, si l’on adopte cette excel­lente définition !

Mais irréal­iste non : les faits sont là qui jalon­nent sans relâche depuis dix ans un pro­fond renou­velle­ment de la dis­ci­pline. Hier immen­sité immo­bile et impéné­tra­ble, l’océan se car­togra­phie aujour­d’hui tel qu’en lui-même, flu­ide, mobile, tur­bu­lent et pro­fond : à tra­vers leurs bul­letins océaniques, les océanographes ” fous ” de Mer­ca­tor nous imposent depuis plus d’un an cette nou­velle réal­ité, la prévi­sion océanique.

Le premier bulletin de prévision océanique

FIGURE 1
Champ de température en surface. Atlantique Nord
Champ de tem­péra­ture en sur­face. Atlan­tique Nord.
Bulle​tin Mer­ca­tor du 6 mars 2002.
Sit­u­a­tion prévue pour le 20 mars 2002.
FIGURE 2
Champ de salinité à 1000 m de profondeur. Atlantique Nord
Champ de salin­ité à 1000 m de pro­fondeur. Atlan­tique Nord.
Bulle​tin Mer­ca­tor du 6 mars 2002.
Sit­u­a­tion prévue pour le 20 mars 2002

Toulouse, mer­cre­di 17 jan­vi­er 2001, matin. Les océanographes de l’équipe Mer­ca­tor émet­tent leur pre­mier bul­letin de prévi­sion océanique ; ils décrivent avec quinze jours d’a­vance l’é­tat de l’At­lan­tique Nord et trop­i­cal dans toutes ses dimen­sions : courants, tem­péra­ture et salin­ité, en sur­face comme en pro­fondeur. Ils car­togra­phient la posi­tion et l’in­ten­sité des grands courants transat­lan­tiques comme le Gulf Stream, celles des anti­cy­clones et dépres­sions océaniques qui en per­turbent le cours, mesurent au nord la plongée dans les abysses des eaux de sur­face froides et salées, ou dans les tropiques le chas­sé-croisé des courants et con­tre-courants équa­to­ri­aux. Un océan d’hiv­er dans tous ses états comme on ne l’avait jamais vu…

Paris, même jour, après-midi. Les directeurs des six prin­ci­paux organ­ismes chargés en France de l’océanogra­phie — le Cen­tre nation­al d’é­tudes spa­tiales (CNES), l’In­sti­tut nation­al des sci­ences de l’u­nivers (CNRS/INSU), l’In­sti­tut français de recherche pour l’ex­ploita­tion de la mer (Ifre­mer), l’In­sti­tut de recherche pour le développe­ment (IRD), Météo-France et le Ser­vice hydro­graphique et océanographique de la marine (SHOM) — salu­ent ce pre­mier bul­letin, le leur, qui con­cré­tise cinq ans d’une volon­té partagée de don­ner à l’océanogra­phie opéra­tionnelle l’im­pul­sion qu’elle mérite : un pre­mier bul­letin qui ouvre à cette nou­velle com­posante de l’océanogra­phie, équipes français­es en pointe, une per­spec­tive impressionnante.

Inventer un nouvel océan

L’équipe Mer­ca­tor imag­i­nait en effet ce jour-là tout à la fois un nou­veau méti­er, prévi­sion­niste océanographe, un nou­veau ser­vice et son pro­duit phare, le bul­letin de prévi­sion océanique. Depuis, elle enri­chit en con­tinu cette activ­ité, con­stru­isant au fil des semaines une réelle com­plic­ité avec l’océan, s’in­quié­tant de son état de san­té, de ses sautes de tem­péra­ture saison­nières ou d’une forte tur­bu­lence annoncée.

On pou­vait, par exem­ple, dans le bul­letin du 6 mars 2002 s’in­téress­er au champ de tem­péra­ture de sur­face prévu en Atlan­tique le 23 mars [fig­ure 1], et décrire simul­tané­ment la salin­ité à 1 000 m [fig­ure 2] où l’on voit si bien l’ex­ten­sion de l’eau salée méditer­ranéenne jusqu’en Floride ; ou encore il y a un an (bul­letin du 28 mars 2001) prévoir, suiv­re et voir con­firmer ensuite par les obser­va­tions la for­ma­tion d’un puis­sant tour­bil­lon anti­cy­clonique le long des côtes brésili­ennes [fig­ures 3a, 3b et 3c].

Un nou­v­el El Niño se lève dans le Paci­fique, l’an­née 2002 sera-t-elle une année par­ti­c­ulière ? Gar­dons par exem­ple un œil cent mètres sous la sur­face de l’équa­teur [fig­ures 4a, 4b, 4c] où la sit­u­a­tion de févri­er 2002 se révèle pour l’in­stant assez proche de celle de févri­er 2001… qui précé­dait une forte inten­si­fi­ca­tion en avril du con­tre-courant salé que l’on voit s’écras­er con­tre les côtes africaines dans la prévi­sion du 11 avril… Affaire à suiv­re. Un bul­letin, c’est chaque semaine 800 nou­velles cartes élaborées et validées par les prévi­sion­nistes Mer­ca­tor et dif­fusées immé­di­ate­ment sur www.mercator.com.fr.

Hier, l’océan tenait dans un livre ? Aujour­d’hui l’océanographe spé­cial­iste ou ama­teur, le promeneur curieux ou l’usager intéressé peut le par­courir à l’in­fi­ni dans l’e­space et dans le temps. Passé récent, présent ou au futur proche : nul ne peut plus ignor­er l’é­tat de l’océan. Aujour­d’hui c’est l’At­lan­tique qu’on sur­veille ain­si, demain l’océan glob­al. Ain­si prend défini­tive­ment corps cette idée d’océanogra­phie opérationnelle.

FIGURES 3
Champ de courants en sur­face au large du Brésil Bul­letins Mercator
3 a – Analyse du 28 mars 2001 (après assim­i­la­tion des observations). 3 b – Prévi­sion pour le 11 avril 2001 (élaborée le 28 mars). 3 c – Analyse du 11 avril 2001 (élaborée le 11 avril). Con­firme la prévi­sion 3b.
FIGURES 4
Champ de salin­ité à 100 m de pro­fondeur Atlan­tique équa­to­r­i­al – Bul­letins Mercator
4 a – Analyse du 13 févri­er 2002. 4 b – Analyse du 14 févri­er 2001. 4 c – Analyse du 11 avril 2001.

Un océan d’applications

Des analy­ses et prévi­sions tridi­men­sion­nelles sys­té­ma­tiques de l’océan se révè­lent rapi­de­ment indis­pens­ables : l’in­for­ma­tion sans précé­dent à laque­lle elles don­nent accès nour­rit directe­ment une meilleure recherche en océanogra­phie, enri­chit la qual­ité des ser­vices publics civils et mil­i­taires liés à l’océan et rend pos­si­ble le développe­ment d’un secteur com­mer­cial à forte valeur ajoutée.

On com­prend en effet tout l’in­térêt que peu­vent tir­er de prévi­sions océaniques fiables des ser­vices dédiés à l’ex­ploita­tion et la ges­tion raison­née des ressources océaniques, l’aqua­cul­ture, la sur­veil­lance des flottes de pêche et de marine marchande, la sécu­rité des biens et des per­son­nes en mer, la lutte con­tre les pol­lu­tions et la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, la ges­tion des accès aux ports, le suivi et la ges­tion des milieux côtiers et lit­toraux, l’ex­trac­tion minière et pétrolière, la dis­cré­tion sous-marine pour la défense, ou encore le tourisme.

Prévoir l’océan pour tout cela, et con­tribuer aus­si à l’ini­tial­i­sa­tion des mod­èles cou­plés océan/atmosphère exigés pour prévoir le temps à l’échelle de la sai­son, et le cli­mat sur plusieurs années. On touche alors à l’en­jeu poli­tique et socié­tal évi­dent du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, économique encore dans des secteurs d’ac­tiv­ité tels que la pro­duc­tion agri­cole, la plan­i­fi­ca­tion énergé­tique, les trans­ports… ou touchant encore plus directe­ment à la sécu­rité et au bien-être des pop­u­la­tions, par exem­ple, dans la préven­tion des anom­alies cli­ma­tiques comme El Niño et aux cat­a­stro­phes qui y sont liées.

… pour un océan durable !

L’océan se trou­ve de fait au cœur des grandes ques­tions posées aujour­d’hui par la pro­tec­tion de notre envi­ron­nement. Qu’elles soient osten­si­bles comme dans le cas de l’Eri­ka (12 000 t d’hy­dro­car­bu­res déver­sées le long de nos côtes) ou plus insi­dieuses comme l’ab­sorp­tion par l’océan de pol­lu­tions trans­portées par l’at­mo­sphère, nous savons que l’océan ne subit pas impuné­ment les agres­sions dont il est victime.

Com­ment cet ” océan poubelle ” réag­it-il à ces déséquili­bres ? sous quelle forme et sous quel délai trans­met-il cette pol­lu­tion à ses écosys­tèmes ou à ses milieux fron­tières : les milieux côtiers et lit­toraux, la ban­quise, l’at­mo­sphère… ? Les ques­tions sont posées que la recherche s’emploie à résoudre.

L’océanogra­phie opéra­tionnelle con­stru­it un obser­va­toire per­ma­nent de l’océan, élé­ment décisif pour lever ces incer­ti­tudes, mesur­er, com­pren­dre et prévoir. C’est cer­taine­ment pour cette rai­son de fond — parce qu’elle traduit une démarche volon­tariste et con­crète pour la mesure d’un océan durable — que l’océanogra­phie opéra­tionnelle s’im­pose si naturelle­ment comme indispensable.

Les trois outils d’une bonne prévision

FIGURE 5
Le système intégré d’observation, modélisation et prévision de l’océan.
Le sys­tème inté­gré d’observation, mod­éli­sa­tion et prévi­sion de l’océan.

La pos­si­bil­ité d’une océanogra­phie opéra­tionnelle (dans le sens mod­erne qui lui est don­né ici) repose sur l’ex­is­tence simul­tanée de trois com­posantes d’un sys­tème d’ob­ser­va­tion des océans : l’ob­ser­va­tion in situ, l’ob­ser­va­tion par satel­lite et la mod­éli­sa­tion [fig­ure 5].

  • La pre­mière extrait une à une de pré­cieuses obser­va­tions de l’océan ver­ti­cal, mesurées locale­ment par des engins autonomes ou à par­tir de navires océanographiques ;
  • la deux­ième sur­v­ole l’océan hor­i­zon­tal et nous ren­seigne sur l’é­tat de la sur­face de la mer observé par les satel­lites en orbite autour de la planète ;
  • la troisième enfin intè­gre les résul­tats des deux précé­dentes pour décrire l’océan dans ses qua­tre dimen­sions : s’aidant des lois des flu­ides géo­physiques, des obser­va­tions les plus récentes et de sa mémoire de l’é­tat passé de l’océan, le mod­èle recon­stru­it la con­ti­nu­ité naturelle du milieu dans tout son vol­ume et dans le temps, règle les rap­ports entre dif­férentes vari­ables et en prévoit les évolutions. 


Décrire cor­recte­ment l’océan exige défini­tive­ment de com­bin­er ces trois approches pour con­stru­ire une vision com­plète unique, cohérente et globale.

Neuf ans qui changent tout

En 1992, la pre­mière carte de l’océan pro­duite par le satel­lite fran­co-améri­cain Topex-Poséi­don fit l’ef­fet d’un coup de ton­nerre dans la dis­ci­pline : en dix jours, elle retraçait la carte de cir­cu­la­tion générale des océans… qui se com­pare remar­quable­ment bien à celle obtenue par la com­pi­la­tion patiente d’un siè­cle de mesures in situ ! C’est ici que tout a bas­culé. Avec Topex-Poséi­don, l’océanogra­phie dis­po­sait soudaine­ment de façon con­tin­ue d’ob­ser­va­tions de l’océan d’une quan­tité et d’une qual­ité jamais atteintes, et voy­ait levé un de ses ver­rous les plus importants.

Le sys­tème com­plet pou­vait se met­tre en place : l’as­sim­i­la­tion de ces don­nées dans les mod­èles numériques leur don­nait le réal­isme qui leur man­quait, et cette obser­va­tion sys­té­ma­tique de l’océan de sur­face redonnait toute sa dimen­sion à l’ob­ser­va­tion in situ de l’océan profond.

Neuf ans seule­ment sépar­ent le lance­ment du satel­lite Topex-Poséi­don, catal­y­seur du renou­velle­ment, du pre­mier bul­letin Mer­ca­tor qui borne l’en­trée défini­tive dans une océanogra­phie opéra­tionnelle. L’am­pleur et la rapid­ité du change­ment impres­sion­nent : l’océanographe a fon­da­men­tale­ment renou­velé sa façon d’abor­der, observ­er et com­pren­dre l’océan. L’ap­proche com­binée satel­lite, in situ, mod­èle per­met aujour­d’hui de car­togra­phi­er l’océan dans son vol­ume et en son mou­ve­ment permanent.

On peut aus­si mesur­er cette révo­lu­tion à l’aune des défis relevés depuis 1992 : posi­tion­ner par exem­ple au cen­timètre près un satel­lite de 2,5 tonnes volant à 7 km/s à plus de 1 300 km d’alti­tude ; réduire de deux ans à deux jours le temps de val­i­da­tion et dif­fu­sion des mil­liers d’ob­ser­va­tions in situ faites chaque semaine tout autour du globe par plusieurs cen­taines d’océanographes dif­férents ; appli­quer à l’océan com­plet des pré­ci­sions de mod­éli­sa­tion réservées jusqu’alors à des ten­ta­tives régionales ; maîtris­er et manip­uler pour cela des con­fig­u­ra­tions 10 à 100 fois supérieures à celles employées aupar­a­vant ; con­stru­ire une stratégie et un pro­jet com­muns entre tous, chercheurs et indus­triels, organ­ismes publics et privés — l’océanogra­phie opéra­tionnelle — et réu­nir enfin six organ­ismes de métiers dif­férents pour en inven­ter un septième.

Un océan numérique à conquérir

Après neuf ans de révo­lu­tion per­ma­nente, l’océanogra­phie ne baisse pas l’al­lure : il reste tout un océan numérique à con­quérir. Le sys­tème exploité en con­tinu par Mer­ca­tor depuis le 17 jan­vi­er 2001 décrit l’At­lan­tique Nord et trop­i­cal de 70° N. à 20° S. avec une réso­lu­tion hor­i­zon­tale du 1/3° (soit env­i­ron 30 km) et 43 niveaux sur la ver­ti­cale. Comme on l’a vu, cette pre­mière ver­sion du sys­tème donne déjà un bon aperçu de l’é­tat de l’océan.

Mais ce n’est qu’une pre­mière étape. Il faut d’une part affin­er la maille du mod­èle pour décrire cor­recte­ment la tur­bu­lence océanique, et bien sûr éten­dre sa cou­ver­ture géo­graphique à l’ensem­ble du globe. L’équipe Mer­ca­tor pré­pare en 2002 la mise en œuvre de deux nou­veaux mod­èles : le pre­mier pour décrire l’At­lan­tique Nord et la Méditer­ranée à très haute réso­lu­tion (1/15°, soit 5 à 7 km), et le sec­ond pour décrire l’océan glob­al à basse réso­lu­tion (2°, soit 200 km), qui sera ensuite affiné au 1/4° (25 km) en 2003.

Les dimen­sions numériques du sys­tème Mer­ca­tor [fig­ure 6] seront alors 30 fois supérieures à celles du sys­tème de prévi­sion actuel. Et dans l’in­ter­valle, out­re les dif­férents mod­èles, de nou­velles don­nées et des méth­odes avancées d’as­sim­i­la­tion de don­nées auront été inté­grées à la chaîne. Mer­ca­tor avance ain­si pas à pas, mais chaque pas compte. Ce pre­mier semes­tre 2002 a une actu­al­ité forte avec la mise en route du nou­veau mod­èle Atlantique/Méditerranée. Sa réso­lu­tion de 5 km va per­me­t­tre d’ac­céder en rou­tine à une représen­ta­tion des mers européennes d’un réal­isme jamais atteint ! [fig­ure 7].

Au prix d’un défi tech­nologique et sci­en­tifique majeur, cette évo­lu­tion du sys­tème va fournir une infor­ma­tion sans précé­dent aux appli­ca­tions océaniques dans cette région du globe ; elle don­nera en par­ti­c­uli­er tout son sens à l’in­ter­face avec les milieux mar­itimes et lit­toraux, comme ceux du golfe de Gascogne ou du golfe du Lion.

Un Groupement d’intérêt public

Le pro­jet Mer­ca­tor est un pari col­lec­tif pris en 1995 par les six organ­ismes français impliqués dans l’é­tude de l’océan et du cli­mat — le CNES, le CNRS, l’Ifre­mer, l’IRD, Météo-France et le SHOM — et deux de leurs fil­iales — CERFACS et CLS.

FIGURE 6
Mercator 2003. Analyse et prévision de l’océan global.
Mer­ca­tor 2003. Analyse et prévi­sion de l’océan global.

Décider de se dot­er d’une capac­ité opéra­tionnelle en océanogra­phie rel­e­vait alors d’une réelle ambi­tion (c’est encore vrai aujour­d’hui !), ils se sont don­nés alors un délai de cinq à sept ans pour réus­sir, ont bap­tisé ce pro­jet ” Mer­ca­tor ” du nom du car­tographe fla­mand qui révo­lu­tion­na au XVIe siè­cle la car­togra­phie, et lui ont assigné une mis­sion du même cachet : met­tre en place une car­togra­phie de l’océan en mouvement.

Le parte­nar­i­at a fonc­tion­né et l’équipe pro­jet Mer­ca­tor compte aujour­d’hui plus d’une trentaine d’ingénieurs, tech­ni­ciens et chercheurs rassem­blés sur Toulouse. C’est elle qui aujour­d’hui éla­bore chaque semaine les bul­letins de prévi­sion océanique, en assure une val­i­da­tion sci­en­tifique com­plète en temps réel et en temps dif­féré, développe les ver­sions suiv­antes du sys­tème de prévi­sion, et mène la R & D néces­saire à l’in­té­gra­tion de nou­veaux algo­rithmes sci­en­tifiques dans la chaîne.

Cette équipe a pris sa place dans le paysage océanographique français et inter­na­tion­al, et cette méth­ode — prag­ma­tisme et jeu col­lec­tif des dif­férents acteurs — nous est enviée à juste titre chez nos parte­naires étrangers. L’his­toire ne s’ar­rête pas en si bon chemin : les six organ­ismes tutelles de Mer­ca­tor créent aujour­d’hui sur cette base le Groupe­ment d’in­térêt pub­lic Mer­ca­tor Océan pour lui con­fi­er la suite de l’aven­ture for­mal­isant sans ambiguïté un engage­ment com­mun pour cette océanogra­phie opéra­tionnelle. La final­ité est claire : don­ner à Mer­ca­tor toutes ses chances pour réus­sir l’é­tape suiv­ante et pré­par­er la mise en place d’un véri­ta­ble Cen­tre d’océanogra­phie opéra­tionnelle à Toulouse.

Un terrain de jeu international

FIGURE 7
Mercator 2002 en Atlantique Nord et Méditerranée
Mer­ca­tor 2002 en Atlan­tique Nord et Méditer­ranée. La très haute réso­lu­tion (1/15°) per­met de met­tre en évi­dence des struc­tures océaniques de petite échelle qui pren­nent la forme de filaments

L’é­tape suiv­ante est for­cé­ment inter­na­tionale. Elle prend la forme d’une grande expéri­ence d’océanogra­phie opéra­tionnelle : GODAE (Glob­al Ocean Data Assim­i­la­tion Exper­i­ment ; 2003–2005). Expéri­ence grandeur nature, à l’échelle d’un océan plané­taire qu’il s’ag­it d’ob­serv­er, mod­élis­er et prévoir en rou­tine au prix de la mise en place en un temps record du réseau de satel­lites et de mesures in situ néces­saires et de l’émer­gence à tra­vers le monde d’une demi-douzaine de cen­tres de prévi­sion océaniques comme Mercator.

Le ren­dez-vous est pris pour cette grande expéri­ence, mélange effi­cace de col­lab­o­ra­tion (déploy­er les obser­va­tions) et de com­péti­tion (réalis­er le meilleur bul­letin). La phase inten­sive démarre dans un an. Le cal­en­dri­er oblige à l’ac­tion ! La fil­ière de satel­lites altimétriques vient de faire peau neuve avec le 7 décem­bre 2001 le lance­ment par le CNES et la NASA du satel­lite océanographique Jason‑1 [fig­ure 8], qui pren­dra la suite de Topex-Poséi­don (dix ans d’âge), suivi le 1er mars 2002 du satel­lite Envisat de l’A­gence spa­tiale européenne qui suc­cède au satel­lite ERS‑2. L’ob­ser­va­tion in situ a son pro­pre défi : le déploiement de 3 000 flot­teurs pro­fi­lants [fig­ure 9] capa­bles de par­courir l’océan en autonomie pen­dant plusieurs années, tout en mesurant et trans­met­tant par satel­lite la tem­péra­ture et la salin­ité mesurées entre 0 et 2 000 m sur la ver­ti­cale de l’océan.

La France a là aus­si pris une ini­tia­tive forte avec le pro­jet Cori­o­lis qui met en place à Brest l’un des deux cen­tres inter­na­tionaux de col­lecte, val­i­da­tion et dif­fu­sion des mesures in situ. Ces équipes et celles des cen­tres de prévi­sion comme Mer­ca­tor sont ten­dues vers l’échéance GODAE qui posera défini­tive­ment les bases d’une véri­ta­ble océanogra­phie opérationnelle.

L’Europe en guise de conclusion

Avant même que GODAE n’ait lancé le sig­nal de cette com­péti­tion-col­lab­o­ra­tion sans précé­dent, l’océanogra­phie opéra­tionnelle s’or­gan­ise au niveau européen pour dévelop­per une approche commune.

FIGURE 8
Le satellite d’océanographie Jason-1 (CNES-NASA).
Le satel­lite d’océanographie Jason‑1 (CNES-NASA).

À court terme, il s’ag­it d’imag­in­er une approche con­certée entre le Roy­aume-Uni, l’I­tal­ie, la Norvège et la France qui abri­tent aujour­d’hui les ini­tia­tives les plus avancées : tir­er avan­tage de col­lab­o­ra­tions déjà effec­tives depuis de nom­breuses années entre les équipes, favoris­er l’in­té­gra­tion de nos efforts, s’in­ven­ter un méti­er com­mun pour décrire le même océan.

C’est d’une capac­ité européenne inté­grée de prévi­sion océanique générale du type Mer­ca­tor dont on dis­cute, et cette étape s’im­pose pour réus­sir le moyen terme, c’est-à-dire le pas­sage d’une démon­stra­tion réussie à une véri­ta­ble activ­ité opérationnelle.

Mais le con­sor­tium que l’on voit naître va bien au-delà puisque se joignent déjà l’Es­pagne, le Por­tu­gal, la Grèce, Chypre, le Dane­mark, les Pays-Bas, la Fin­lande, l’Alle­magne… mul­ti­pli­ant d’au­tant les ini­tia­tives pour dévelop­per les appli­ca­tions directes d’une mod­éli­sa­tion et d’une prévi­sion générales de l’océan. Au-delà des intérêts nationaux comme ceux de la défense civile et mil­i­taire fleuris­sent ain­si dans l’e­space mar­itime européen les pro­jets de cou­plage des sor­ties de ces mod­èles avec des mod­èles de biolo­gie marine pour accéder à une infor­ma­tion sur le vivant, et avec une mosaïque de mod­èles côtiers et lit­toraux qui bien­tôt recou­vriront le trait de côte européen.

Les équipes français­es jouis­sent dans cette aven­ture d’une répu­ta­tion méritée tant sur le plan sci­en­tifique que tech­nique ; elles ont investi avec suc­cès ces dernières années le domaine encore vierge de l’océanogra­phie opéra­tionnelle et prou­vé avec Mer­ca­tor qu’elles savaient se struc­tur­er rapi­de­ment pour cela. Leur prochaine folie : un Cen­tre d’océanogra­phie opéra­tionnelle à Toulouse en 2006.

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1. Sci­ence & Vie, numéro 1000, jan­vi­er 2001, numéro spé­cial ” 21 pro­jets fous pour le XXIe siècle “.

FIGURE 9
Le réseau d’observation ARGO (3 000 profileurs in situ).
Le réseau d’observation ARGO (3 000 pro­fileurs in situ).

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