Procrastination à la française

Dossier : Le Sursaut, 2e partieMagazine N°621 Janvier 2007
Par Raoul de SAINT-VENANT (73)

Savoir décider ensem­ble car­ac­térise les pays démoc­ra­tiques. Pour eux, comme pour les entre­pris­es, décider ensem­ble c’est choisir avec le plus grand nom­bre avant que de s’en­gager le moment venu dans les voies retenues et cela jusqu’à réalis­er les objec­tifs. Ce savoir-faire, qui est autant savoir être, con­stitue néces­saire­ment l’une des con­di­tions du sur­saut français.

Or, le temps presse.

D’autres tour­nants vont suc­céder à ceux en cours qui nous atten­dent encore et men­a­cent notre posi­tion : poli­tique fis­cale (dump­ing fis­cal, mon­di­al­i­sa­tion de la sup­pres­sion de l’im­pôt sur les suc­ces­sions), éthique de la recherche en biolo­gie, inté­gra­tion dans le jeu poli­tique et économique mon­di­al, régu­la­tion des marchés financiers, etc.

Une et indivisible !

Tout ce qui est répéti­tif est struc­turel. Si l’indé­ci­sion ne peut plus s’im­put­er au manque d’analyse ni à l’ab­sence de solu­tion, c’est que le proces­sus déci­sion­nel poli­tique doit être ques­tion­né. D’ailleurs, l’hy­pothèse de son inadéqua­tion explique les récents orages soci­aux : CPE, Con­sti­tu­tion européenne, util­i­sa­tion de la cagnotte budgé­taire, palin­odies de l’élec­torat français, organ­i­sa­tion de la jus­tice, réforme des régimes soci­aux, explo­sion des banlieues.

En effet, com­ment aurait-on pu accepter, de sur­croît en tant que citoyen français, des déci­sions aux­quelles on n’au­ra pas été raisonnable­ment asso­cié, posées sur une prob­lé­ma­tique dont on n’a pas garantie de l’équité et dont les acteurs ne nous en seront jamais redevables ?

Face à de telles exi­gences, d’au­cuns seraient ten­tés de pass­er out­re l’in­co­ercible attache­ment des Français à la vie publique de leur pays, par la mise en place d’un mod­èle améri­cain prô­nant le « votez et nous fer­ons le reste », et de réduire la dif­fi­culté déci­sion­nelle par un cloi­son­nement du ter­ri­toire faisant de notre pays le résul­tat de la jux­ta­po­si­tion de ses régions. Serait-ce par­ler de tout autre chose ? La France qui s’est voulue Une et indi­vis­i­ble n’y perdrait-elle pas son identité ?

Pour se retrou­ver encore faut-il qu’elle entre dans son époque. Cela sup­pose une démoc­ra­tie authen­tique­ment représen­ta­tive, un périmètre et des règles d’en­gage­ment de la col­lec­tiv­ité publique cohérentes, un fonc­tion­nement poli­tique abouti ain­si qu’une sou­p­lesse de l’ar­chi­tec­ture déci­sion­nelle sans arrière-pensée.

Loi de la variété requise

Le mode déci­sion­nel poli­tique français remonte au XIXe siè­cle, péri­ode d’é­conomie rurale pen­dant laque­lle l’in­for­ma­tion cir­cu­lait dif­fi­cile­ment cepen­dant que les nota­bles con­sti­tu­aient les catal­y­seurs effi­caces de la vie publique locale. De là provient la dimen­sion intrin­sèque­ment géo­graphique de notre sys­tème de représen­ta­tion nationale, la Cham­bre des députés et le Sénat, élu sur la base d’un découpage du ter­ri­toire en mailles fines2.

Qu’est-ce qu’un proces­sus décisionnel ?
Les proces­sus déci­sion­nels for­malisent la manière dont, dans la durée, une entité col­lec­tive com­plexe décide par elle-même de son évo­lu­tion. Ils s’appliquent aus­si bien aux grandes entre­pris­es qu’aux col­lec­tiv­ités publiques. Un proces­sus déci­sion­nel se car­ac­térise par :
• les règles de sa mobil­i­sa­tion par le mécan­isme de saisine,
• la doc­trine con­cer­nant la sélec­tion de ses acteurs et leurs attri­bu­tions, le con­tenu des étapes de pro­duc­tion des déci­sions (déci­sion, mise en oeu­vre et suivi),
• les objec­tifs assignés aux fonc­tions qu’il rem­plit au sein de l’entité (for­mu­la­tion, éval­u­a­tion et adhé­sion). Son effi­cac­ité dépend notam­ment de sa légitim­ité, de sa lis­i­bil­ité et de la qual­ité de l’infrastructure de ser­vices qui le sous-tend. On la mesure à tra­vers la réac­tiv­ité et la per­ti­nence stratégique de l’entité ani­mée. Un proces­sus déci­sion­nel est sus­cep­ti­ble d’évoluer pour s’ajuster à la com­plex­ité de l’entité à laque­lle il appar­tient ain­si qu’à celle de son environnement.

Or, aujour­d’hui, les agricul­teurs ne for­ment plus que 2,7 % des act­ifs occupés alors que les forces les plus dynamiques de notre pays sont main­tenant instal­lées en ville. Celles-ci se trou­vent être les arti­sans, les com­merçants, les pro­fes­sions dites inter­mé­di­aires, les pro­fes­sions libérales, les cadres et pro­fes­sions intel­lectuelles supérieures ain­si que les entre­pre­neurs et elles regroupent 44 % des act­ifs occupés.

La ques­tion de la per­ti­nence d’un tel sys­tème de représen­ta­tion se pose donc qui, struc­turelle­ment absorbé par la com­posante géo­graphique du pays, ne peut pas saisir une réal­ité économique et sociale con­tem­po­raine faite d’ini­tia­tives tra­ver­sant le pays plus que d’ac­tiv­ités ini­tiées dans l’in­tim­ité de son ter­ri­toire. Mar­seille n’est plus qu’à trois heures de Paris par un trans­port de masse, somme toute ! Ne serait-il pas alors plus per­ti­nent de lim­iter l’ex­pres­sion géo­graphique à la maille régionale ? De sur­croît, la réal­ité locale ne puise-t-elle pas déjà sa force dans la dynamique pro­pre au tis­su associatif ?

Un tel ajuste­ment n’au­rait rien que de très rationnel : c’est appli­quer la « loi de la var­iété req­uise » pos­tu­lant que la com­plex­ité du sys­tème de con­trôle (et de représen­ta­tion) doit être au moins égale à celle du sys­tème con­trôlé (et représen­té). En effet, l’ex­er­ci­ce de la démoc­ra­tie requiert une représen­ta­tion adéquate sinon elle n’est que dic­tature des uns sur les autres.

Ce souci d’ex­ac­ti­tude dans la représen­ta­tiv­ité n’est pas nou­veau. En 1969, il pous­sa le général de Gaulle à con­sul­ter les Français par référen­dum sur la fusion du Sénat avec le Con­seil économique et social ain­si que sur la créa­tion des régions.

Consistance de l’engagement de l’État

Qu’est-ce que la France de plus que le peu­ple français ? Depuis plusieurs siè­cles les Français se recon­nais­sent dans la France et la France procède de leur intérêt col­lec­tif. Don­ner un avenir à la France c’est donc pour­voir à sa vie col­lec­tive économique et culturelle.

D’ailleurs, la Con­sti­tu­tion actuelle, notam­ment dans ses repris­es de la Déc­la­ra­tion des droits de 1789 et du préam­bule de 1946, fixe les principes de l’ac­tion com­mune. Celle-ci, cepen­dant, doit être régulière­ment inter­prétée, selon le con­texte général du moment, en une doc­trine d’en­gage­ment basée sur un nom­bre réduit de principes et vouée à don­ner une cohérence à l’ensem­ble des déci­sions issues de son proces­sus déci­sion­nel qu’elles soient pris­es à gauche ou à droite, par un par­ti mod­éré, voire extrême. En la matière, cer­tains de ses thèmes essen­tiels appel­lent aujour­d’hui à réévaluation.

Les principes de pro­tec­tion de la lib­erté d’en­tre­pren­dre mais aus­si ceux, duaux, de droit à l’emploi son­nent comme un défi dans le cadre du ren­force­ment con­stant de la com­péti­tion économique inter­na­tionale. Le relever néces­site aujour­d’hui d’at­tir­er, puis de retenir, des mass­es tou­jours crois­santes de cap­i­taux par les meilleures con­di­tions d’in­vestisse­ment lesquels, en retour, val­oris­eront et renou­velleront les avan­tages com­para­t­ifs des Français. Pour cela le ter­ri­toire économique et géo­graphique doit être irrigué par un déploiement d’in­fra­struc­tures var­iées et nova­tri­ces : sys­tème moné­taire effi­cace, diver­sité du tis­su économique, écoles et uni­ver­sités de rang inter­na­tion­al, cen­tres de recherche de pre­mier plan, admin­is­tra­tions effi­caces sans oubli­er l’ar­dente oblig­a­tion d’a­juster con­stam­ment la lég­is­la­tion sociale, la fis­cal­ité et la qual­ité des presta­tions des ser­vices d’in­térêt public.

Le principe de pro­tec­tion et de sou­tien des faibles dans leur pré­car­ité et con­tre leurs pré­da­teurs : aléas indi­vidu­els, employeurs abusifs, com­merçants indéli­cats, entre­pris­es dom­i­nantes, per­son­nes vio­lentes, autrement dit le con­cept de pro­tec­tion sociale, est lui aus­si can­di­dat à réin­ter­pré­ta­tion à la lumière des évo­lu­tions récentes.

En la matière, tout effort moné­taire exces­sif est destruc­teur de valeur pour la col­lec­tiv­ité : ce qui y est dépen­sé à ce titre est ponc­tion­né dans l’é­conomie alors que le béné­fi­ci­aire ne créera pas, en retour, de valeur des­tinée au com­merce. Dans notre con­texte, il con­vient de con­trôler l’aléa moral du com­porte­ment des ayants droit du sys­tème de pro­tec­tion sociale. Un tel devoir dérive du principe d’é­gal­ité devant la loi et l’impôt.

Dans ce même ordre d’idées, la for­mi­da­ble com­plex­i­fi­ca­tion tech­nologique du monde économique met chaque con­som­ma­teur en sit­u­a­tion de faib­lesse crois­sante, tant sa com­préhen­sion s’é­carte des capac­ités du com­mun. L’ac­tion publique doit donc ampli­fi­er le report sur les entre­pris­es des risques pris par les con­som­ma­teurs dans ses rap­ports avec elles.

Tout autant en cause sont les principes relat­ifs à la sécu­rité des biens et des per­son­nes : com­ment espér­er en l’avenir si le fruit des efforts indi­vidu­els ne peut être con­servé ? Or le respect de ceux-ci recule à la faveur du développe­ment des tech­niques numériques de com­mu­ni­ca­tion et est défié de manière accrue par l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion du crime organ­isé, du ter­ror­isme et des malver­sa­tions finan­cières. En con­séquence, il est néces­saire de revis­iter l’or­gan­i­sa­tion des insti­tu­tions qui ont la charge de main­tenir l’or­dre en con­ser­vant, toute­fois, sa place à la vie con­tractuelle et privée.

Le monde poli­tique, ni même toute autre instance, ne sem­ble plus savoir ani­mer ce qu’on appelait jadis la tra­di­tion répub­li­caine, c’est-à-dire l’en­tre­tien d’un con­sen­sus sur la doc­trine de tra­duc­tion de nos principes con­sti­tu­tion­nels en actions con­crètes qui soit adap­té aux con­tours évo­lu­tifs de notre monde. Il sem­ble, au con­traire, que les déci­sions poli­tiques, lorsqu’elles ne sont pas imposées par l’Eu­rope, ne soient sou­vent pris­es qu’au fil de l’eau, inspirées par des préoc­cu­pa­tions dém­a­gogiques d’élec­toral­isme et d’op­por­tunisme. Or, « il n’est de bon vent que pour celui qui sait où il va » dis­ait Sénèque.

Déshérence décisionnelle

Qui, plus que le monde poli­tique, lui dont c’est l’o­rig­ine, devrait savoir maîtris­er son proces­sus déci­sion­nel ? Alors qu’il devrait pou­voir fonc­tion­ner de manière sou­veraine donc sans a pri­ori, ce proces­sus souf­fre d’in­con­vénients majeurs qui l’empêchent de voir ce qui est et de décider ce qu’il faut avec le con­sen­te­ment de qui il faut3.

La décrédibilisation pour logique

Les étapes con­sti­tu­ant clas­sique­ment un proces­sus déci­sion­nel sont, pour les plus impor­tantes, celle de la déci­sion pro­pre­ment dite, celle de sa mise en œuvre et celle du suivi de son exé­cu­tion. Pour les unes et les autres, des défi­ciences appa­rais­sent dans le sys­tème déci­sion­nel français dont cha­cune pour­rait con­tribuer à le décrédi­bilis­er, lui et par con­séquent ses acteurs.

L’é­tape dite de déci­sion met essen­tielle­ment en prise Par­lement et gou­verne­ment pour la pro­duc­tion des lois. On peut y déplor­er l’ex­plo­sion du nom­bre de lois votées, le nom­bre de déci­sions d’in­térêt privé, le manque de con­ti­nu­ité de leur logique et leur fréquente sor­tie du strict domaine de légitim­ité de l’ap­pareil d’É­tat : loi sur le rôle posi­tif de la coloni­sa­tion, loi sur les 35 heures, etc. Quand le Con­seil con­sti­tu­tion­nel con­sid­ér­era-t-il cela de son ressort ? Est-il, en par­ti­c­uli­er, pos­si­ble de légifér­er de manière illis­i­ble alors que nul n’est cen­sé ignor­er la loi ?

L’é­tape de mise en œuvre est celle des décrets d’ap­pli­ca­tion mais aus­si celle de la fix­a­tion des objec­tifs des déci­sions. Les décrets d’ap­pli­ca­tion sor­tent, sem­ble-t-il, de manière imprévis­i­ble, et sont rarement asso­ciés à des objec­tifs. On peut évo­quer, à ce pro­pos, l’ef­fet ravageur et non anticipé du RMI sur les finances locales.

L’é­tape du suivi de l’exé­cu­tion, mal­gré l’ef­fort con­stant et méri­toire de la Cour des comptes et quelques ini­tia­tives spo­radiques du Par­lement, sem­ble peu tra­vail­lée. La compt­abil­ité publique du Tré­sor, se con­tentant d’une véri­fi­ca­tion à « l’eu­ro l’eu­ro » de l’u­til­i­sa­tion des deniers publics, ne procède que d’un strict min­i­mum. Con­cé­dons toute­fois que la LOLF apportera une nova­tion dans ce domaine, en ce qui con­cerne des fonc­tions rou­tinières de l’État.

Dialogue ou suffisance ?

Un autre angle d’analyse d’un proces­sus déci­sion­nel est celui fonc­tion­nel qui retient, au prin­ci­pal, la fonc­tion de for­mu­la­tion, celle d’é­val­u­a­tion et celle d’ad­hé­sion, cha­cune con­tribuant à la bonne ges­tion des déci­sions tout au long de leur cycle de vie.

La fonc­tion de for­mu­la­tion, dans le domaine de l’ac­tion publique, procède par éclate­ments suc­ces­sifs : lois-décrets d’ap­pli­ca­tion-déci­sions admin­is­tra­tives. Elle man­i­feste l’essence de la sou­veraineté pop­u­laire et, à ce titre, se doit d’établir la per­ma­nence de son autorité par une syn­thèse per­ma­nente entre besoins du peu­ple et néces­sités de l’avenir du pays. À cet égard, la dialec­tique de sub­ver­sion per­ma­nente imprég­nant une par­tie impor­tante du corps poli­tique qui fait, il faut le recon­naître, pen­dant à la ten­dance d’une autre par­tie à s’ap­pro­prier la chose publique, l’il­lis­i­bil­ité des inten­tions de nom­bre des mesures pris­es, le manque de cohérence de la con­duite de l’É­tat sont autant de dévi­a­tions regrettables.

La fonc­tion d’é­val­u­a­tion sem­ble, elle, frag­ile, sans que les ressources qui lui sont attribuées puis­sent être don­nées pour insuff­isantes (admin­is­tra­tions cen­trales, INSEE, mul­ti­ples organ­ismes d’é­tude et de prospec­tive). Il n’est qu’à regarder le secteur médi­cal : le manque d’an­tic­i­pa­tion des con­séquences des 35 heures dans les hôpi­taux, les effets des quo­tas con­cer­nant les pro­fes­sions médi­cales ain­si que les dépens­es occa­sion­nées par les autori­sa­tions de mise sur le marché des médica­ments. Rêvons à un tra­vail plus appro­fon­di et plus réguli­er sur les impacts prévis­i­bles des mesures envisagées.

La fonc­tion d’ad­hé­sion con­siste à entretenir, dans les deux sens, un dia­logue con­struc­tif entre Français et leur monde poli­tique visant à l’ap­pro­pri­a­tion col­lec­tive des dis­po­si­tions en dis­cus­sion ou en cours de mise en œuvre. À ce pro­pos se man­i­fes­tent les con­séquences de l’ex­ces­sif tro­pisme rur­al du Par­lement men­tion­né plus haut : trop sou­vent, ce qui est for­mulé n’est pas ce qui est accept­able. On pensera ici à l’épisode du plan Jup­pé sur la réforme des retraites. Ce plan, laborieuse­ment négo­cié avec les syn­di­cats dits représen­tat­ifs, c’est-à-dire ceux dont la liste a été établie par un arrêté du 31 mars 1966 ten­ant compte, en par­ti­c­uli­er, de leur atti­tude patri­o­tique pen­dant la Sec­onde Guerre mon­di­ale, a été soudaine­ment et mas­sive­ment rejeté dans la rue, à l’in­sti­ga­tion des couch­es de la pop­u­la­tion qui n’avaient évidem­ment pas été consultées.

Il est regret­table, de ce point de vue, que le Sénat, dont ce pour­rait être un rôle majeur, soit struc­turelle­ment hors jeu à cause du même tro­pisme rur­al cité plus haut et aus­si en rai­son du fait qu’il n’ex­iste que pour et qu’en fonc­tion du relais local que sont cen­sés jouer les nota­bles ter­ri­to­ri­aux4. Or, avec la hausse du niveau de for­ma­tion générale des Français, ces derniers ne font plus relais d’opin­ion. Cette fonc­tion a été passée, pour par­tie, aux médias, en par­ti­c­uli­er la radio et la télévi­sion. Dans ce rôle, ces acteurs man­quent encore d’ef­fi­cac­ité à cause de leur offre, beau­coup trop con­cen­trée en France, et de l’in­fer­nale logique de pen­sée unique qui les aliène. Les con­séquences de l’émer­gence des nou­velles tech­niques numériques (TNT, IPTV, RSS, Blog, etc.) don­nent à espér­er des améliorations.

Crispés par tradition ?

Les Français sont encore dans une atti­tude obsid­ionale remon­tant, si l’on en croit Toc­queville, à l’An­cien Régime et les amenant à se crisper sur leurs priv­ilèges sans pour autant pren­dre con­science de l’in­térêt général. Or, entre autres, la mon­di­al­i­sa­tion ain­si que la néces­sité de don­ner un cadre local aux impul­sions des forces vives ont poussé et poussent encore et tou­jours à réamé­nag­er les attri­bu­tions décisionnelles.

L’en­vi­ron­nement, la mon­naie, la régu­la­tion des échanges com­mer­ci­aux, la lutte antiter­ror­iste, l’amé­nage­ment du ter­ri­toire et bien d’autres domaines amè­nent l’É­tat à partager ou déléguer cer­taines prérog­a­tives. Par exem­ple ont été facile­ment accep­tées les déci­sions con­sis­tant à céder aux mécan­ismes de marché la fix­a­tion des prix étant garan­ti que nul opéra­teur ne pour­ra abuser d’une éventuelle posi­tion dom­i­nante, à la BCE la ges­tion moné­taire étant bien établi l’ob­jec­tif de con­trôle de l’in­fla­tion, à l’OMC un rôle arbi­tral étant con­venu que les arbi­trages seront exé­cutés en toute équité et avec les garanties procé­du­rales habituelles, ou enfin au niveau région­al tout ou par­tie de la respon­s­abil­ité de l’en­seigne­ment, des voiries et des presta­tions sociales.

Il s’ag­it donc de sub­sidiar­ité et de la plas­tic­ité de l’ar­chi­tec­ture déci­sion­nelle : chaque niveau du proces­sus déci­sion­nel doit savoir, si néces­saire, remet­tre ses pou­voirs aux éch­e­lons les plus com­pé­tents. L’in­vraisem­blable cas­cade de niveaux de respon­s­abil­ité s’éch­e­lon­nant de l’É­tat français à la com­mune n’est-elle pas, par elle-même, un appel à la réingénierie ?

Cer­taine­ment, dans une telle per­spec­tive et pour chaque niveau, il fau­dra artic­uler capac­ité tech­nique à traiter de l’in­térêt pub­lic avec légitim­ité des instances à saisir. N’est-ce pas dans cette optique que devrait être éval­ué le Non au référen­dum sur la Con­sti­tu­tion européenne ? La France n’y cédait-elle pas de manière irréversible une trop grande part de sa sou­veraineté dans des domaines où le dia­logue n’é­tait pas encore abouti ? Dans ce traité, l’Eu­rope ne deve­nait-elle pas trop sou­veraine et insuff­isam­ment mandatée ?

Décider la décision

La France est faite de résig­na­tion devant l’ar­chaïsme de son sys­tème déci­sion­nel mélangée à l’orgueil de l’évo­ca­tion de son excel­lence. Cette struc­ture bipo­laire est-elle à l’o­rig­ine du bat­te­ment lui faisant altern­er péri­odes de sur­saut et déchéances ? Quelle nuit du 4 Août lui fera-t-elle quit­ter les adhérences de son passé pour lui don­ner enfin accès à son rang dans le con­cert des nations ? Est-ce si dif­fi­cile ? Mon­tesquieu, à ce pro­pos, écriv­it « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie, il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux. »

Cela reste vrai pour les pays comme pour les entre­pris­es privées. Don­nons-en pour preuve la capac­ité des grandes sociétés, dont cer­taines dépassent aujour­d’hui un demi-mil­lion de salariés, à relever ce défi par l’in­té­gra­tion crois­sante des respon­s­ables opéra­tionnels à leurs déci­sions au sein de leur proces­sus déci­sion­nel. Elles y parvi­en­nent grâce à un pro­grès con­tinu dans les domaines cul­turels, éthiques ain­si qu’or­gan­i­sa­tion­nels, notam­ment dans l’in­fra­struc­ture de ser­vices sous-ten­dant leurs proces­sus décisionnels.
 
1. Action de reporter, de remet­tre à plus tard ce qui pour­rait être fait le moment même.
2. Lire aus­si sur le même sujet : Michel Balin­s­ki, Le suf­frage uni­versel inachevé, Eyrolles éditeur.
3. On pour­ra, à ce sujet, se référ­er au rap­port Cherti­er sur la mod­erni­sa­tion du dia­logue social pub­lié en avril 2006 à la Doc­u­men­ta­tion française.
4. Le Sénat, en ver­tu de l’ar­ti­cle 24 de la Con­sti­tu­tion de la ve République, est le représen­tant des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et des Français étab­lis hors de France.

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