Evolution du nombre de textes reglementaires relatifs à l'environnement

Comment naît une directive européenne sur l’environnement ?

Dossier : Entreprise et environnementMagazine N°587 Septembre 2003Par : Pascale KROMAREK, Juriste Déléguée auprès de la Direction Développement Durable et Environnement de Total

Au moins 80 % de la régle­men­ta­tion française en envi­ron­nement provient des régle­men­ta­tions com­mu­nau­taires. En matière de régle­men­ta­tion et de droit, c’est (jusqu’à présent) la Com­mu­nauté européenne et non pas l’U­nion qui a les com­pé­tences. Le droit élaboré par la Com­mu­nauté européenne est essen­tielle­ment com­posé de direc­tives et de règle­ments. Je devrais com­mencer par les règle­ments parce qu’ils s’ap­pliquent directe­ment dans les États mem­bres alors que les direc­tives doivent être trans­posées dans le droit nation­al de cha­cun des États avant d’avoir une force con­traig­nante. À cela, il faudrait ajouter les déci­sions, qui ne sont pas des actes généraux comme les règle­ments et les direc­tives, mais des actes indi­vidu­els qui con­cer­nent des caté­gories spé­ci­fiques d’ac­teurs économiques, voire même une ou deux per­son­nes. Ain­si, la déci­sion d’at­tribuer une sub­ven­tion à un pro­gramme de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, ou à l’as­sainisse­ment d’une décharge, est une décision.

La Com­mis­sion pro­duit quan­tités d’autres textes, qui n’ont pas néces­saire­ment une valeur oblig­a­toire. Mais ils ont cepen­dant un rôle essen­tiel, car ils annon­cent, en général, de la régle­men­ta­tion à plus ou moins long terme. C’est le cas, par exem­ple, des recom­man­da­tions. La recom­man­da­tion, comme son nom l’indique, n’a qu’une valeur inci­ta­tive. Il existe par exem­ple une recom­man­da­tion depuis un an sur l’in­spec­tion envi­ron­nemen­tale, qui décrit le sys­tème idéal, selon la Com­mu­nauté, des inspec­tions : les qual­ités que devraient avoir les inspecteurs, les modal­ités de l’in­spec­tion, etc. Cela ressem­ble assez à ce que nous con­nais­sons en France, mais, il y a, déjà iden­ti­fi­ables, un cer­tain nom­bre de points de différence.

Ce texte n’est certes qu’une recom­man­da­tion, mais la Com­mis­sion souhaite avoir un rap­port, au bout de trois ans, sur la façon dont les États l’au­ront appliquée. À l’év­i­dence, cela devrait débouch­er sur une directive.

Il existe égale­ment des pro­grammes, tel le 6e pro­gramme d’ac­tion en envi­ron­nement qui vient d’en­tr­er en appli­ca­tion, qui cou­vre les dix ans à venir, et qui pose les grands principes de l’ac­tion de la Com­mu­nauté en matière d’en­vi­ron­nement, ain­si que les grands domaines dans lesquels elle a l’in­ten­tion d’in­ter­venir. Un tel doc­u­ment peut dif­fi­cile­ment se résumer, car il représente un monde en soi : le pro­gramme pour les dix ans qui com­men­cent con­tient égale­ment des principes et des actions qui étaient déjà men­tion­nés dès le pre­mier pro­gramme de 1973, et le sec­ond de 1977 (à l’époque, les pro­grammes étaient quin­quen­naux — ils sont devenus décen­naux à par­tir de 1992).

Il est frap­pant de con­stater, à cet égard, à quel point l’ac­tion de la Com­mu­nauté en matière d’en­vi­ron­nement suit des con­stantes. Cela pour­rait se résumer en “préven­tion, préven­tion, et préven­tion, et, s’il y a dom­mage, restau­ra­tion”. Le vocab­u­laire a par con­tre évolué de 1973 à 2003 : on par­lait par exem­ple de coopéra­tion, de con­cer­ta­tion et de respon­s­abil­ité partagée ; on par­le main­tenant de part­ner­ship.

Les don­nées envi­ron­nemen­tales mon­di­ales, la volon­té d’in­té­gra­tion, de glob­al­i­sa­tion, se traduisant par une volon­té de développe­ment durable, la prise en compte crois­sante de la san­té se sont ren­for­cées. Ain­si, il est intéres­sant d’ob­serv­er à quel point l’œu­vre con­stru­ite par la Com­mu­nauté devient un véri­ta­ble édi­fice, qui démon­tre une cer­taine logique interne.

Nous en sommes à 300 textes oblig­a­toires, peut-être 350. C’est dif­fi­cile d’en être cer­tain, parce qu’à chaque fois qu’un État entre dans la Com­mu­nauté, il y a une mod­i­fi­ca­tion pure­ment formelle de l’ensem­ble des textes, qui ne change rien sur le fond mais aug­mente arti­fi­cielle­ment leur nom­bre. À chaque fois qu’une annexe est mod­i­fiée, et cela arrive sou­vent, notam­ment en matière de pro­duits chim­iques, cela fait un nou­veau texte. Le nom­bre de 350 doit donc s’in­ter­préter comme con­cer­nant unique­ment les textes de base, fondamentaux.

Mais si nous comp­tons comme “nou­veau texte” de l’an­née tous les textes pro­duits par la Com­mis­sion, qu’ils soient réelle­ment nou­veaux, ou découlent seule­ment d’adap­ta­tions formelles ou d’a­jout d’an­nex­es, et que nous y ajou­tons l’ac­tiv­ité régle­men­taire pure­ment nationale, c’est facile­ment 500 à 600 textes par an qui sont pro­duits depuis 2000, con­tre moins d’une dizaine avant 1960. Bien évidem­ment, un cer­tain nom­bre ont été abrogés depuis leur paru­tion, d’autres ne sont plus d’ap­pli­ca­tion — ils ont pu être pris pour une durée lim­itée — mais les ordres de grandeur sont là.

L’en­vi­ron­nement est aujour­d’hui régi, en France, par 800 ou 900 décrets prin­ci­paux, voire 1 000, et quelques 10 000 arrêtés. Les cir­cu­laires, en vert sur le graphique, ne doivent pas être con­fon­dues avec les lois, décrets, arrêtés (émanant du gou­verne­ment français), en jaune, et les textes européens, en bleu, qui sont des textes oblig­a­toires. Si nous ajoutions à ce total les recom­man­da­tions, pro­grammes d’ac­tion, et autres pro­duc­tions européennes, cela triplerait prob­a­ble­ment le vol­ume du bleu sur le graphique.

Nous avons là un gros prob­lème pour les mal­heureux juristes et tous ceux qui doivent appli­quer les textes. Être cor­recte­ment infor­mé sur cette pro­duc­tion — sans par­ler des dif­fi­cultés de mise en appli­ca­tion — n’est pas tou­jours simple.

La genèse d’un texte européen est un proces­sus assez extra­or­di­naire. Bien que les pro­pos ci-dessous con­cer­nent essen­tielle­ment les textes oblig­a­toires, ils s’ap­pliquent égale­ment dans leurs grandes lignes à un bon nom­bre de recom­man­da­tions qui s’ap­pel­lent d’ailleurs des livres verts, des livres blancs… Quelques règles empiriques peu­vent être édic­tées : un livre blanc prélude générale­ment à une direc­tive dans les trois ans, voire deux ans ; un livre vert prélude à un livre blanc avec un délai vari­able de trois à dix ans. Le livre vert est un doc­u­ment de réflex­ion qui décrit l’é­tat d’une régle­men­ta­tion sur un sujet don­né, dans les États de l’U­nion, et, dans le reste du monde, au moins aux États-Unis et sou­vent au Japon…, et qui fait part des inten­tions de la Com­mis­sion. Le livre blanc présente, en germe, la future régle­men­ta­tion, tout en lais­sant ouverts un cer­tain nom­bre de points.

Les acteurs

Dès que nous évo­quons les autorités européennes, nous util­isons volon­tiers le mot ” Brux­elles “, ce qui est com­mode, mais Brux­elles, qui est-ce ? Dire Brux­elles, psy­chologique­ment et soci­ologique­ment, c’est pren­dre de la dis­tance par rap­port aux textes, que ce soit pour l’ad­min­is­tra­tion française, pour l’in­dus­trie, ou pour n’im­porte quel autre acteur. Ceux qui doivent faire appli­quer le texte utilis­eront ” Brux­elles ” comme boucli­er, pour aller de l’a­vant. ” Brux­elles veut cela, alors on est oblig­és de le faire. ” Ceux qui cri­tiquent le texte utilisent ” Brux­elles ” pour désign­er une bureau­cratie et une tech­nocratie pour le moins éloignées des réal­ités du ter­rain et des enjeux pro­pres à chaque acteur… Il y a tou­jours une dis­tan­ci­a­tion entre le ressor­tis­sant d’un État qui doit appli­quer une régle­men­ta­tion com­mu­nau­taire et cette régle­men­ta­tion communautaire.

Si nous regar­dons plus pré­cisé­ment les acteurs européens, nous avons d’abord La Com­mis­sion.

La Com­mis­sion, que l’on appelle la “gar­di­enne des traités”, a aus­si pour rôle d’être, et elle seule jusqu’à présent, l’ini­ti­atrice des régle­men­ta­tions. Pour le pro­pos qui nous con­cerne, l’his­toire com­mence à la Direc­tion générale (DG) envi­ron­nement ; c’est un fonc­tion­naire d’un des prin­ci­paux ser­vices qui va éla­bor­er un pre­mier pro­jet de texte. Il le mon­tr­era à quelques col­lègues. Il a tou­jours, bien évidem­ment, quoique fonc­tion­naire européen détaché de son pays d’o­rig­ine, un réseau de rela­tions ou d’amis dans son pro­pre pays, à qui il soumet son texte, de préférence à quelqu’un qui con­naît un peu le sujet. Le quelqu’un en ques­tion a égale­ment des rela­tions de con­fi­ance, dans d’autres pays d’Eu­rope, aux­quels il va mon­tr­er le papi­er. Et voici com­ment un sim­ple pro­jet com­mence à pren­dre une cer­taine importance.

Toutes les per­son­nes étant con­sultées non offi­cielle­ment, et étant par déf­i­ni­tion des experts de la ques­tion, sont tout à fait intéressées, et vont donc faire des remar­ques mul­ti­ples, pou­vant aller jusqu’à “ça ne va pas du tout, voilà com­ment il faut écrire les choses”. Ain­si, lorsqu’un pre­mier avant-avant pro­jet de texte est soumis au chef de ser­vice du fonc­tion­naire qui tient la plume à la Com­mis­sion, ce texte a déjà été vu par beau­coup de personnes.

Une fois que le pro­jet est con­sen­suel entre son auteur et son chef de ser­vice, il faut un accord au sein de la Direc­tion envi­ron­nement elle-même, ce qui sup­pose une con­cer­ta­tion entre les dif­férents ser­vices de cette direc­tion (ceci ressem­ble à la con­sul­ta­tion inter­ser­vices au sein d’un min­istère). Suiv­ra ensuite une con­sul­ta­tion entre les dif­férentes Direc­tions générales (comme en France aus­si, où le pro­jet doit pass­er en con­sul­ta­tion interministérielle…).

Enfin, tant que le texte n’est pas accep­té par le Col­lège des com­mis­saires, il n’ex­iste pas de pro­jet offi­ciel. Le pro­jet de direc­tive qui devient offi­ciel, qui est pub­lié au Jour­nal offi­ciel, qui est disponible sur Inter­net, etc., est un texte qui reflète néces­saire­ment l’ac­cord unanime de la Com­mis­sion, c’est-à-dire de tous les com­mis­saires ; ce n’est plus un texte qui émane sim­ple­ment d’un ser­vice. Cette pre­mière étape peut dur­er jusqu’à trois ans. Une telle durée est nor­male pour éla­bor­er un pro­jet qui “se tienne” à peu près, dans un con­texte où les intérêts entre les dif­férentes direc­tions générales ne sont pas néces­saire­ment con­cor­dants (tout comme, en France, les dif­férents min­istères n’ont pas tou­jours une vue unanime sur un prob­lème donné).

Lorsque le pro­jet de direc­tive est offi­ciel, il est donc déjà rel­a­tive­ment bien con­nu dans les milieux dits con­cernés et bien infor­més. Si rien n’est encore défini­tif, beau­coup est cepen­dant déjà joué. Ce pre­mier cadre fige assez forte­ment les choses, comme un pro­jet de loi pré­fig­ure générale­ment assez bien la loi qui fini­ra par être votée. La sec­onde étape con­siste alors à pass­er à la fois au Con­seil et au Par­lement. Le Par­lement con­fie à ses com­mis­sions (une, deux ou trois) un pre­mier exa­m­en du pro­jet de direc­tive. Chaque com­mis­sion con­sultée adopte (par vote) des amende­ments, et le texte muni des propo­si­tions d’a­mende­ments de la com­mis­sion con­sultée et des propo­si­tions d’a­mende­ments d’autres par­lemen­taires passe en séance plénière.

Mais en par­al­lèle le Con­seil (qui est com­posé des États mem­bres eux-mêmes) tra­vaille égale­ment sur le pro­jet de direc­tive. Les États mem­bres envoient des experts qui exam­i­nent le texte pro­posé, et essaient de dégager un con­sen­sus. Avec 15 États et, en général, deux experts (qui sont des fonc­tion­naires) par État, cela fait quelques dizaines de per­son­nes qui vont dans ces réu­nions. Ils en réfèrent ensuite à leur min­istre qui pour­ra don­ner des instruc­tions par­ti­c­ulières. Au sein du gou­verne­ment, notam­ment en France, il existe une instance de con­sul­ta­tion et de con­cer­ta­tion, le SGCI1, qui recueille l’avis de tous les min­istères con­cernés par le pro­jet de texte, afin de dégager une posi­tion nationale har­mon­isée. Cette procé­dure de tra­vail menée en par­al­lèle entre le Con­seil et le Par­lement porte le nom de codé­ci­sion, car les deux instances ont exacte­ment le même pou­voir de déci­sion. Il est impos­si­ble de décrire sim­ple­ment tous les raf­fine­ments de cette procé­dure, remar­quable­ment com­plexe, qui est résumée sur la fig­ure ci-après.

Procedure de travail menée en parallele entre la Comission et le Parlement européenSi le Par­lement et le Con­seil ne se met­tent pas d’ac­cord sur les amende­ments qu’ils veu­lent apporter à la propo­si­tion de direc­tive de la Com­mis­sion, deux cas se présen­tent : soit le Par­lement rejette unanime­ment le pro­jet d’a­mende­ment, et le texte “tombe”, soit la Com­mis­sion présente un nou­veau pro­jet ten­ant compte des posi­tions du Con­seil et des amende­ments par­lemen­taires. Faute d’ac­cord, il est pos­si­ble qu’une direc­tive ne voie jamais le jour. S’il n’y a pas d’ac­cord entre le Con­seil et le Par­lement, comme en France un comité de con­cil­i­a­tion est con­sti­tué, qui éla­bore un pro­jet sur lequel il y a accord des deux instances de déci­sion, ou bien, s’il n’y a pas accord, le pro­jet disparaît.

Une direc­tive est donc adop­tée à la fois par le Par­lement et par le Con­seil, ce “et” est très impor­tant. En effet, avec cette procé­dure, aucun gou­verne­ment ne peut dire qu’il n’a pas pu inter­venir dans l’élab­o­ra­tion du texte. Bien sûr, un texte peut être adop­té con­tre l’avis d’un État, comme dans tous proces­sus d’adop­tion à la majorité.

En général, les procé­dures d’adop­tion sont secrètes, mais il est fréquent que les États qui ne sont pas d’ac­cord le fassent savoir ; il ne s’ag­it pas cepen­dant d’une posi­tion offi­cielle, puisqu’on n’acte pas un vote ” con­tre “. À par­tir du moment où la direc­tive est adop­tée, tous les États sont tenus par elle.

On ne peut plus y échap­per, qu’on l’ait voulue, ou pas. Cela est con­forme à la manière dont le droit com­mu­nau­taire a été conçu en 1957 avec le traité de Rome, qui affirme, soutenu par une jurispru­dence con­stante de la Cour de jus­tice des Com­mu­nautés, la pri­mauté de ce droit.


Out­re les États, d’autres acteurs inter­vi­en­nent égale­ment dans la nais­sance d’un texte. Brux­elles regorge d’ONG divers­es, qui peu­vent représen­ter la société “civile”, mais aus­si, fort con­crète­ment, les intérêts d’une pro­fes­sion, ou d’une caté­gorie d’ac­teurs bien iden­ti­fiés. Cer­taines sont extrême­ment actives, mul­ti­pli­ant les con­tacts “privés” ou les déc­la­ra­tions publiques qui sont autant d’élé­ments pou­vant infléchir le cours des choses. Ensuite, à côté des représen­ta­tions offi­cielles des pays mem­bres de la Com­mu­nauté, cer­tains éch­e­lons inférieurs peu­vent aus­si être représen­tés, qui ten­tent de faire val­oir leurs intérêts.

C’est le cas de tous les Län­der alle­mands, d’un cer­tain nom­bre de régions français­es, ital­i­ennes, espag­noles, etc. En out­re, tout acteur intéressé peut organ­is­er des réu­nions directe­ment avec les fonc­tion­naires ou avec les par­lemen­taires pour par­ler de l’é­tat du texte. Il y a une très forte impli­ca­tion des acteurs nationaux représen­tant cette “société civile” à tous les stades de l’élab­o­ra­tion du pro­jet, et surtout lors de l’étab­lisse­ment de la direc­tive défini­tive, pen­dant la procé­dure par­lemen­taire. Il y a enfin un rôle très spé­ci­fique des con­sul­tants, qui sont omniprésents, eux aus­si, à tous les stades de la procé­dure, et aident à définir, voire déter­min­er, la posi­tion d’un État mem­bre, d’une fédéra­tion indus­trielle, ou même d’une entreprise.

Caractéristiques d’un texte réglementaire

Finit par arriv­er le moment où la direc­tive (ou le règle­ment, etc.) est pub­liée au Jour­nal offi­ciel, ce qui con­stitue son acte de nais­sance véri­ta­ble. Elle devient alors un texte à trans­pos­er par les gou­verne­ments, immé­di­ate­ment ou dans le délai pre­scrit applic­a­ble. Ce texte qui sort a‑t-il des car­ac­téris­tiques spé­ci­fiques ? Une direc­tive n’est jamais le plus petit com­mun dénom­i­na­teur des régle­men­ta­tions nationales qui peu­vent déjà exis­ter. Elle n’est jamais non plus un sim­ple mélange des règles qui exis­tent déjà dans les États. Il est en effet excep­tion­nel que, lorsqu’une direc­tive est en pro­jet, il n’ex­iste pas déjà de la régle­men­ta­tion sur le sujet dans cer­tains États mem­bres. Cela peut ne con­cern­er que deux États ou en con­cern­er dix, et s’il n’en existe pas en Europe, les États-Unis ou le Japon ont déjà “quelque chose”, dont la Com­mu­nauté peut s’in­spir­er. Mais jamais elle ne tran­scrira sim­ple­ment une régle­men­ta­tion nationale ; elle fait en général une œuvre sui gener­is.

Pour éla­bor­er une direc­tive, ou tout texte régle­men­taire, la Com­mis­sion s’ap­puie sur cer­tains critères qui sont énumérés dans l’ar­ti­cle 174 du traité de Rome mod­i­fié par les traités de Maas­tricht et Ams­ter­dam. Elle doit tenir compte des don­nées sci­en­tifiques et tech­niques disponibles, des con­di­tions de l’en­vi­ron­nement dans les divers­es régions de la Com­mu­nauté, des avan­tages et des charges qui peu­vent résul­ter de l’ac­tion ou de l’ab­sence d’ac­tion, et enfin du développe­ment économique et social de la Com­mu­nauté dans son ensem­ble et du développe­ment équili­bré de ses régions. Nous arrivons alors là dans l’é­conomie, ce qui sig­ni­fie que la Com­mis­sion mod­ule au besoin cer­taines direc­tives, avec des appli­ca­tions dif­férées pour cer­taines normes ou des pos­si­bil­ités de sou­tien économique dans quelques pays, en fonc­tion du développe­ment économique et social des dif­férentes régions.

Depuis quelques années, la Com­mis­sion fait une étude d’im­pact sur ces dif­férents critères, pour cha­cun des textes pro­posés ; elle estime pra­tique­ment à chaque fois qu’ils sont respec­tés. Elle man­date en général des con­sul­tants pour établir quelles sont les don­nées sci­en­tifiques et tech­niques disponibles.

Pour les autres élé­ments, notam­ment l’élé­ment économique et financier, il est rare qu’une étude sérieuse soit faite. Nous en avons en ce moment des exem­ples dans la chimie, avec un pro­jet de direc­tive sur la poli­tique des pro­duits chim­iques extrême­ment dan­gereux, car extrême­ment coû­teux pour l’in­dus­trie française, comme d’ailleurs pour l’in­dus­trie alle­mande, comme le prou­vent des études spé­ci­fiques et approfondies.

Conséquences de l’adoption d’un texte communautaire

Quand une régle­men­ta­tion con­traig­nante (règle­ment, direc­tive ou déci­sion) est adop­tée et pub­liée au Jour­nal offi­ciel des Com­mu­nautés, elle doit être trans­posée dans les droits des États mem­bres, et elle doit être appliquée en pra­tique. Mais très sou­vent, quand un texte est “sor­ti”, ses dif­fi­cultés d’ap­pli­ca­tion sont déjà programmées !

Il y a d’abord des dif­fi­cultés spé­ci­fique­ment juridiques, dues aux spé­ci­ficités des droits nationaux dans lesquels doit se “couler” le texte com­mu­nau­taire, ou dues, entre autres, aux struc­tures con­sti­tu­tion­nelles et admin­is­tra­tives des États. Ain­si les États fédéraux ou région­al­isés doivent compter avec leurs régions ou États fédérés, qui peu­vent détenir des com­pé­tences lég­isla­tives autonomes, et doivent alors trans­pos­er eux-mêmes les textes com­mu­nau­taires, ou bien décli­nent, avec plus ou moins de marge de manœu­vre, les régle­men­ta­tions nationales fédérales. Rap­pelons que pour les autorités brux­el­lois­es de con­trôle, seul compte le niveau national.

Sans insis­ter sur les dif­férentes raisons des dif­fi­cultés de trans­po­si­tion et d’ap­pli­ca­tion, il faut cepen­dant men­tion­ner deux facteurs.

Le lan­gage est essen­tiel dans les textes com­mu­nau­taires. Par exem­ple, dans le règle­ment dit EMAS2, qui crée le cadre, les ori­en­ta­tions et les con­di­tions d’ap­pli­ca­tion d’un sys­tème européen de man­age­ment envi­ron­nemen­tal auquel peu­vent adhér­er les entre­pris­es, appa­raît le mot “agré­ment” : les audi­teurs, qui étab­lis­sent le diag­nos­tic envi­ron­nemen­tal de l’en­tre­prise, doivent être “agréés”.

Or, l’a­gré­ment en France est une procé­dure admin­is­tra­tive tout à fait spé­ci­fique qui requiert l’in­ter­ven­tion de l’É­tat ; cette inter­ven­tion n’é­tait pas prévue par les auteurs qui ont élaboré ce règle­ment en 1993. Mais nous avions con­coc­té, en France, un dis­posi­tif ad hoc pour répon­dre aux oblig­a­tions du règle­ment ain­si qu’aux oblig­a­tions juridiques de notre pro­pre sys­tème, ce qui n’é­tait absol­u­ment pas néces­saire. Il en résul­tait une inter­ven­tion de l’É­tat dans le mécan­isme et une sorte de dou­ble con­trôle sur les audi­teurs. Entre-temps les modal­ités ont été mod­i­fiées et allégées. Mais il aurait suf­fi de se deman­der, au moment de la trans­po­si­tion, quel était le sens du mot “agré­ment”, tel qu’il était com­muné­ment accep­té par l’ensem­ble des États qui avaient con­tribué à éla­bor­er la réglementation.

Il y a des quan­tités d’ex­em­ples comme celui-là, où un État se retrou­ve aux pris­es avec de grandes dif­fi­cultés parce qu’il se fixe sur un mot, sans voir qu’il ne faut pas néces­saire­ment com­pren­dre ce terme en fonc­tion de son pro­pre sys­tème admin­is­tratif et juridique, mais de façon beau­coup plus large, ou en tout cas dans un esprit “com­mu­nau­taire”. Dans l’élab­o­ra­tion d’une direc­tive, l’é­tape qui précède l’adop­tion au Con­seil, et où inter­vi­en­nent les juristes et les lin­guistes, est une étape essen­tielle dans la mesure où il arrive que cer­tains États font exprès de faire pass­er cer­taines per­les lin­guis­tiques, en sachant que cela les arrangera dans leur pro­pre sys­tème, sans souci des con­séquences pour les autres États.

Enfin, l’in­ter­pré­ta­tion d’une direc­tive est un exer­ci­ce par­ti­c­ulière­ment déli­cat. Il y a tout un art pour le faire et le début de cet art réside dans une approche volon­taire­ment “com­mu­nau­tariste”. Il faut pren­dre et lire le texte com­mu­nau­taire en se détachant de son droit, se pénétr­er de la direc­tive, de son esprit et de ses ter­mes, et ensuite exam­in­er son pro­pre droit à la lumière de cette direc­tive. Lire la direc­tive à la lumière de son pro­pre droit, com­porte­ment pour­tant “inné”, débouche facile­ment sur des contresens.

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1.
Secré­tari­at général du Comité inter­min­istériel pour les ques­tions de coopéra­tion économique européenne. Le SGCI a pour mis­sion essen­tielle de coor­don­ner la déf­i­ni­tion des posi­tions que la France exprime au sein des instances com­mu­nau­taires, afin de garan­tir la cohérence et l’u­nité de la posi­tion française défendue à Brux­elles. Cette mis­sion se fonde sur le principe suiv­ant : chaque min­istère est com­pé­tent pour le dossier qui le con­cerne, le SGCI assur­ant la coor­di­na­tion de l’ensem­ble. Les instruc­tions élaborées sur cette base s’im­posent aux négo­ci­a­teurs français. Lorsque la déf­i­ni­tion d’une posi­tion com­mune s’avère dif­fi­cile et qu’au­cun com­pro­mis ne peut être trou­vé, le SGCI en appelle à l’ar­bi­trage du Pre­mier ministre.
2. EMAS : ECO-Man­age­ment and Audit Scheme — voir arti­cle d’Adrien Bénard.

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