Les différentes pistes de financement de la santé

Dossier : La médecine à quel prix ?Magazine N°633 Mars 2008Par Claude LE PEN

La crois­sance des prélève­ments oblig­a­toires affec­tés aux admin­is­tra­tions de Sécu­rité sociale (ASS) reste une réal­ité et elle a été ces quar­ante dernières années net­te­ment plus rapi­de que celles des Admin­is­tra­tions publiques cen­trales (APUC) ou locales (APUL).

REPÈRES
La « maîtrise des dépens­es de san­té », objet de plans mul­ti­ples depuis 1976, intè­gre désor­mais claire­ment le souci de l’effi­cience – c’est-à-dire le rap­port béné­fice-coût du sys­tème de san­té, à tra­vers des thèmes comme l’organisation des soins, la gou­ver­nance, la ges­tion de risque, l’informatisation, etc.
Une réflex­ion s’est engagée sur le mode de finance­ment des dépens­es, à tra­vers le débat sur la TVA sociale durant la cam­pagne de 2007 ou l’in­stau­ra­tion par la loi de finance­ment de la Sécu­rité sociale pour 2008 des fameuses « fran­chis­es médicales ».

Cette hausse des prélève­ments impacte le coût du tra­vail et la com­péti­tiv­ité du secteur pro­duc­tif dans une économie ouverte et glob­al­isée. Décon­necter la crois­sance de la san­té de celle des prélève­ments oblig­a­toires, en ayant plus large­ment recours au finance­ment privé se heurte à l’év­i­dente objec­tion sociale. Le finance­ment pub­lic garan­tit en France un accès uni­versel aux soins, con­sid­éré — à juste titre — comme une con­quête sociale majeure sur laque­lle les Français n’ac­cepteront pas de revenir. 

Un financement insuffisant et inadapté

Le finance­ment pub­lic ne représente que 78,4 % des dépens­es de santé

La san­té fait l’ob­jet d’un finance­ment pri­maire (qui finance les soins ?) et d’un finance­ment sec­ondaire (qui finance les financeurs ?). Le tableau 1 mon­tre l’ex­is­tence d’un degré de social­i­sa­tion élevé (91,4 %) et sta­ble. Le finance­ment social­isé ne doit pas être con­fon­du avec le finance­ment pub­lic. Ce dernier ne représente ” que ” 78,4 % des dépens­es en ajoutant les parts respec­tives de la Sécu­rité sociale (77,0 %) et de l’É­tat et des col­lec­tiv­ités locales (1,4 %), rel­a­tives par exem­ple à l’Aide médi­cale d’É­tat (AME). Dans les autres pays européens, on trou­ve fréquem­ment des taux de finance­ment pub­lic de l’or­dre de 90 %. Le ” reste à charge ” des ménages (8,6 %) est l’un des plus faibles d’Eu­rope. Il recou­vre deux sit­u­a­tions dif­férentes : le paiement du ” tick­et mod­éra­teur ” ou des for­faits sur les biens et ser­vices rem­boursables (au-delà de la part des com­plé­men­taires) et le paiement de l’in­té­gral­ité des biens et ser­vices non remboursables.

Le finance­ment sec­ondaire de la Sécu­rité sociale fait ressor­tir une part crois­sante de tax­es affec­tées . Alors qu’elles représen­taient plus de 90 % des recettes de la branche mal­adie en 1997, les coti­sa­tions sociales sont tombées à 52,9 % en 2006. Cor­réla­tive­ment, les impôts et tax­es affec­tés représen­tent aujour­d’hui 47 % des recettes de la branche mal­adie de la Sécu­rité sociale. Le proces­sus de fis­cal­i­sa­tion a emprun­té trois modal­ités différentes.

D’abord la créa­tion ex nihi­lo de prélève­ments uni­versels à voca­tion sociale, avec la CSG insti­tuée en 1990 dans le cadre de la loi de finances pour 1991. L’événe­ment majeur a été le bas­cule­ment des charges sociales dites ” salar­i­ales ” sur la CSG en 1998 qui a changé la logique du sys­tème. Ensuite, l’af­fec­ta­tion par l’É­tat à la branche mal­adie de tax­es spé­ci­fiques (tabac et alcools, coti­sa­tion sociale de sol­i­dar­ité des sociétés), etc. Enfin, les rem­bourse­ments de la dette sociale par le biais de la CRDS, créée en 1996. 

Redéfinir les contours du financement collectif ?

Quels sont les biens et ser­vices qui doivent faire l’ob­jet d’une prise en charge col­lec­tive et cor­réla­tive­ment quels sont ceux qui doivent être lais­sés à la charge des ménages ? Cette ques­tion dite ” du panier de soins ” a fait l’ob­jet depuis une dizaine d’an­nées d’un débat aus­si intense qu’inabouti.

Il n’y a que dans le domaine du médica­ment et des dis­posi­tifs médi­caux qu’un critère de « ser­vice médi­cal ren­du » a été défini

Ce panier est en France tra­di­tion­nelle­ment très large et a été con­stru­it de manière très empirique, sans réel principe organ­isa­teur. Il n’y a guère que dans le domaine du médica­ment et des dis­posi­tifs médi­caux qu’un critère de ” ser­vice médi­cal ren­du ” a été défi­ni, faisant inter­venir à la fois une notion d’ef­fi­cac­ité et une notion de grav­ité de la patholo­gie traitée. C’est en appli­ca­tion de ce critère que des cen­taines de médica­ments ” à ser­vice médi­cal ren­du insuff­isant ” ont été déremboursés.

Pour le reste, les critères sont restés flous et peu­vent vari­er selon le lieu de délivrance (la ville ou l’hôpi­tal), la nature du soin (implants den­taires), ou le statut du pro­fes­sion­nel. Dans les années qua­tre-vingt-dix a émergé l’idée d’une poli­tique plus sélec­tive et plus rigoureuse d’ac­cès à un remboursement. 

Accroître le reste à charge des ménages ?

La dette de l’assurance-maladie
Le sol­de moyen du compte de l’ACOSS, organ­isme gérant la tré­sorerie du Régime général, a été de — 8,8 mil­liards d’euros en 2006 et d’environ — 17,5 mil­liards en 2007. En 2007 il aura été con­stam­ment négatif. L’ACOSS cou­vre ses besoins de tré­sorerie par des emprunts auprès de la Caisse des Dépôts et Consigna­tions (CDC), son parte­naire his­torique, au taux du marché moné­taire (EONIA).
La dette de la Sécu­rité sociale reprise par la CADES en 1996 s’élevait à fin 2007 à 107,6 mil­liards d’euros. La CADES béné­fi­cie du pro­duit d’une taxe parafis­cale, la Con­tri­bu­tion au rem­bourse­ment de la dette sociale (CRDS) (0,50 % de l’ensemble des revenus) dont le ren­de­ment a été de 5,5 mil­liards en 2006.

C’est sur le taux de cou­ver­ture qu’ont eu lieu les évo­lu­tions les plus sig­ni­fica­tives. D’un côté, toute une série de mesures a con­tribué à baiss­er le taux de cou­ver­ture : les dérem­bourse­ments de cer­taines class­es de médica­ments, l’in­stau­ra­tion du secteur à hon­o­raires libres pour les médecins libéraux (le secteur II), la créa­tion de for­faits — notam­ment le for­fait jour­nalier hos­pi­tal­ier -, la per­cep­tion de ” l’eu­ro de sol­i­dar­ité “, et depuis le début de 2008, les ” fran­chis­es médi­cales “. Mais dans le même temps, l’as­sur­ance-mal­adie a accordé des dis­pens­es de tick­et mod­éra­teur à un nom­bre de plus en plus grand de patients.

Près de 8 mil­lions de per­son­nes sont actuelle­ment pris­es en charge à 100 % au titre d’une Affec­tion de longue durée (ALD). 15 % de la pop­u­la­tion représente près de 60 % des dépenses.

Cette ques­tion du ” reste à charge ” a fait ressor­tir les iné­gal­ités de pris­es en charge. Des doc­u­ments pro­duits par le Haut Con­seil pour l’avenir de l’as­sur­ance-mal­adie (HCAAM) ont mon­tré que les paiements directs (avant com­plé­men­taires) représen­taient 1 % du revenu des ménages les plus rich­es (ceux du dernier décile) con­tre plus de 10 % pour les plus pau­vres (1er décile). Quelles que soient les for­mules tech­niques qu’on puisse envis­ager, il sem­ble qu’une direc­tion con­sis­tant à revenir à la mis­sion de base de la Sécu­rité sociale, c’est-à-dire faciliter l’ac­cès aux soins de tous, notam­ment des plus pau­vres, soit néces­saire au détri­ment de sa ten­dance à con­stituer un instru­ment de sub­ven­tion­nement indif­féren­cié de la con­som­ma­tion médi­cale des Français. 

Transférer des risques aux organismes d’assurances complémentaires ?

Autre ques­tion déli­cate, celle des assureurs com­plé­men­taires ? Leur part de finance­ment aug­mente et leur chiffre d’af­faires est passé de 17,5 mil­liards d’eu­ros en 2001 à plus de 26 mil­liards en 2006, soit une aug­men­ta­tion de près de 50 %. On estime à 92 % env­i­ron la pro­por­tion de Français dis­posant aujour­d’hui d’une pro­tec­tion com­plé­men­taire, depuis l’in­stau­ra­tion de la CMU en 1999 qui per­met à 4,8 mil­lions de per­son­nes à faible revenu de béné­fici­er d’une com­plé­men­taire ” gra­tu­ite “. Le Fonds CMU gère env­i­ron 1,6 mil­liard d’eu­ros par an financés à hau­teur d’en­v­i­ron 60 % par l’É­tat, le reste provenant d’une sub­ven­tion de l’as­sur­ance-mal­adie oblig­a­toire et d’une taxe de 2,5 % sur les con­trats san­té des organ­ismes privés d’as­sur­ances com­plé­men­taires (mutuelles, assur­ances com­mer­ciales et insti­tu­tions de prévoy­ance). Mais là encore, la sit­u­a­tion est ambiguë. Car si l’É­tat s’ef­force de généralis­er et d’har­monis­er l’as­sur­ance com­plé­men­taire, il reste très peu désireux de la ren­dre oblig­a­toire (comme c’est le cas dans les retraites) pour ne pas voir les primes inclus­es dans les prélève­ments oblig­a­toires et il hésite à associ­er les organ­ismes com­plé­men­taires à la ges­tion du sys­tème pub­lic d’as­sur­ance-mal­adie. Une voie d’évo­lu­tion impor­tante serait le pas­sage d’une ” assur­ance com­plé­men­taire ” se con­tentant de com­pléter les rem­bourse­ments des régimes oblig­a­toires à une ” assur­ance sup­plé­men­taire ” qui prendrait en charge au pre­mier euro cer­tains postes de con­som­ma­tion dont se désen­gagerait l’as­sur­ance publique, par exem­ple, le den­taire et l’op­tique, où ils assurent déjà la plus grosse part de finance­ment. On est donc en France, en ce début de 2008, dans un dou­ble mou­ve­ment d’u­ni­ver­sal­i­sa­tion de pro­tec­tion com­plé­men­taire et de délé­ga­tion de la prise en charge de risques spé­ci­fiques. Mais cela sup­pose de résoudre un dou­ble défi. Le pre­mier, évi­dent, est un défi poli­tique, car une frac­tion de l’opin­ion ne man­quera pas de dénon­cer l’amorce d’une pri­vati­sa­tion de la Sécu­rité sociale. D’au­tant que le trans­fert s’ac­com­pa­g­n­era d’une hausse des primes des con­trats d’as­sur­ances com­plé­men­taires qui pèsera lour­de­ment sur le pou­voir d’achat. L’autre défi con­sis­tera à laiss­er aux organ­ismes com­plé­men­taires une marge suff­isante d’au­tonomie pour qu’elle puisse jouer avec effi­cac­ité un rôle de ratio­nal­i­sa­tion des dépenses. 

Augmenter les prélèvements obligatoires ?

REPÈRES
Un point de coti­sa­tion sociale mal­adie rap­porte 5,6 mil­liards d’euros ; un point de CSG « vaut » env­i­ron 10 mil­liards d’euros dont 8 pour la san­té ; un point de TVA, c’est env­i­ron 6 mil­liards d’euros.

Peut-on y échap­per ? Dif­fi­cile­ment. La créa­tion de la CSG en 1991, la mul­ti­pli­ca­tion des tax­es affec­tées (tabac et alcool notam­ment) et l’in­stau­ra­tion de la CRDS en 1996 ont con­tribué à ce mou­ve­ment. Une étape déci­sive a été, au 1er jan­vi­er 1998, le bas­cule­ment sur la CSG de la part dite ” salar­i­ale ” des coti­sa­tions sociales. Compte tenu de son assi­ette élargie, le bas­cule­ment a pu béné­fici­er aux salariés dont le taux de charge a dimin­ué — et les salaires nets aug­men­tés — sans baisse de ren­de­ment pour la Sécu­rité sociale. L’idée s’est pro­gres­sive­ment instal­lée que l’as­sur­ance-mal­adie oblig­a­toire con­sti­tu­ait un ser­vice pub­lic comme les autres et qu’il n’avait pas plus voca­tion à être financé par des charges sociales que l’é­d­u­ca­tion ou la jus­tice. Et si une hausse des taux des prélève­ments affec­tés à la san­té devait être décidée, cela serait sans aucun doute sous la forme fis­cale ou parafis­cale. Le pas­sage du taux de la CSG de 7,5 à 8,5 % de CSG gom­merait large­ment le déficit mais alour­di­rait encore le taux de prélève­ment oblig­a­toire qui est déjà élevé en France et qui pèse lour­de­ment sur la com­péti­tiv­ité et l’emploi. 

Basculer les charges patronales sur la fiscalité ?

La ques­tion précé­dente ne doit pas être con­fon­due avec celle de la fis­cal­i­sa­tion des charges dites ” patronales ” et leur bas­cule­ment sur un prélève­ment uni­versel d’assi­ette large, opéra­tion qui aurait l’in­térêt de ren­forcer la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es et de stim­uler l’emploi, notam­ment l’emploi non qual­i­fié très sen­si­ble au niveau des charges sociales, tout en ren­dant cohérentes la struc­ture des prélève­ments avec celle de la dépense qui est uni­verselle. Les entre­pris­es n’ont pas voca­tion à financer la san­té et le pas entre­pris en 1996 avec le trans­fert des coti­sa­tions salar­i­ales sur la CSG n’a représen­té que la moitié du chemin.

92 % des Français dis­posent aujourd’hui d’une pro­tec­tion complémentaire

De nom­breux travaux ont analysé toutes les for­mules de sub­sti­tu­tion. Compte tenu des sommes en jeu (plus de 50 mil­liards d’eu­ros) il ne saurait être ques­tion d’un bas­cule­ment inté­gral : cela représen­terait par exem­ple près de 10 points de CSG ! Un relatif con­sen­sus sem­ble enfin émerg­er pour repouss­er l’idée, avancée par cer­tains, d’une coti­sa­tion sur la valeur ajoutée (CVA) qui, sous pré­texte d’élargir l’assi­ette des coti­sa­tions à l’ensem­ble des fac­teurs de pro­duc­tion — et pas seule­ment au tra­vail -, découragerait les investisse­ments et pénalis­erait la com­péti­tiv­ité dans un monde ouvert à la con­cur­rence fis­cale. Le remède serait pire que le mal. De même l’im­pôt sur le revenu (IRPP) est un mau­vais can­di­dat, en dépit de sa pro­gres­siv­ité, car il n’est acquit­té que par la moitié des foy­ers fis­caux. Ne reste donc ” en com­péti­tion ” que la CSG, un impôt pro­por­tion­nel sur tous les revenus, et la TVA, un impôt pro­por­tion­nel sur la con­som­ma­tion. Une hausse de la TVA, impop­u­laire, aurait l’a­van­tage de con­tribuer au redresse­ment d’une bal­ance com­mer­ciale lour­de­ment défici­taire mais au prix d’une dégra­da­tion du pou­voir d’achat et d’un risque infla­tion­niste. Reste donc la CSG, sans doute la moins mau­vaise solution. 

Pas de solution miracle !

Que ressort-il de cette rapi­de revue des ques­tions de finance­ment de l’as­sur­ance-mal­adie ? Une con­clu­sion s’im­pose, au terme de cette rapi­de revue : il n’ex­iste pas, dans ce domaine comme dans d’autres, de réponse sim­ple à la ques­tion com­plexe que nous avons posée. Nous avons évo­qué dif­férentes pistes. Aucune ne pour­ra en elle seule apporter de solu­tions à la ques­tion que nous posions plus haut : com­ment assur­er le finance­ment d’un secteur dont la crois­sance est souhaitée sans pénalis­er les entre­pris­es et men­ac­er la sol­i­dar­ité ? Il fau­dra cer­taine­ment les com­bin­er et il revient aux poli­tiques de réalis­er le ” mix ” qui soit con­forme à leur vision de la société et à l’am­pleur du prob­lème. La ques­tion est davan­tage celle du dosage des dif­férentes solu­tions que du choix exclusif de l’une d’en­tre elle. Un dernier mot pour ter­min­er : la crois­sance des dépens­es de san­té n’est pas un sim­ple arte­fact résul­tant de dys­fonc­tion­nements insti­tu­tion­nels, de l’in­ca­pac­ité des poli­tiques et des admin­is­tra­tions, ou de l’é­goïsme des pro­fes­sions de san­té. C’est une réal­ité uni­verselle que doivent affron­ter tous les pays, quelque soient le statut dont béné­fi­cient les médecins, quelque soient les arrange­ments insti­tu­tion­nels qui organ­isent la pro­duc­tion et la dis­tri­b­u­tion des soins. Mais, il est temps d’af­fron­ter cette ques­tion avec courage et rigueur, sans l’ar­ti­fice égoïste con­sis­tant à sol­liciter sans con­tre par­tie les généra­tions futures. Telle est la prin­ci­pale rai­son qui doit nous pouss­er à agir.

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