Deux Airbus A350

POWER 8 : Appliquer les meilleures pratiques

Dossier : Les secrets de la Supply ChainMagazine N°700 Décembre 2014
Par Pascal EYMERY (84)

L’objec­tif de Pow­er 8 est de con­stru­ire et de met­tre en œuvre un pro­gramme de réduc­tion des coûts et d’amélioration de la per­for­mance opéra­tionnelle, revoy­ant les struc­tures de coût, afin d’améliorer l’EBIT, la tré­sorerie et la com­péti­tiv­ité d’Airbus en réduisant les délais de développe­ment, tout en con­tin­u­ant à garan­tir et à amélior­er la sat­is­fac­tion du client.

REPÈRES

Fin 2006, malgré d’excellentes performances de ventes et de livraisons, Airbus se trouve dans une situation financière délicate.
Après la crise liée aux retards de l’A380, l’entreprise affronte des besoins de trésorerie et des marges en régression, en même temps que des besoins importants en investissements liés aux programmes présents et futurs dont notamment l’A350 XWB.
De plus, la faiblesse du dollar américain ainsi que la pression concurrentielle représentent une menace pour la situation financière de l’entreprise. Power 8 est alors décidé dans un contexte de crise et de réorganisations majeures.

Un programme en treize module

Le pro­gramme a été struc­turé en treize mod­ules, fondés en par­tie sur les meilleures pra­tiques du sup­ply chain man­age­ment, pour répon­dre aux besoins stratégiques d’Airbus :

  • har­monis­er les proces­sus et les règles d’investissements
  • garan­tir que les besoins clients sont tou­jours traités en priorité
  • dévelop­per plus vite par une réduc­tion du temps de cycle de développement
  • har­monis­er les règles et les proces­sus de ges­tion immobilière
  • en matière d’ICT (infor­ma­tion, com­mu­ni­ca­tion et tech­nolo­gie), inté­gr­er la ges­tion de l’information à la stratégie de l’entreprise
  • inté­gr­er la pro­duc­tion et l’engi­neer­ing, et déploy­er tous les principes du juste-à-temps (lean JIT) sur l’ensemble des sites
  • max­imiser la tré­sorerie en réduisant le besoin de cap­i­tal et en aug­men­tant le con­trôle de la tré­sorerie dans toutes les opérations
  • revoir l’empreinte indus­trielle par un cen­trage sur les activ­ités « cœur de méti­er », un déploiement des straté­gies de make or buy et une exten­sion de la base four­nisseur au-delà de l’Europe occidentale
  • sup­primer 10 000 sureffectifs
  • réduire les coûts d’achat sur les pièces d’avion
  • réduire les coûts sur les achats généraux
  • opti­miser les FAL (final assem­bly lines) en sim­pli­fi­ant les proces­sus d’assemblage final et réduisant les cycles
  • créer une fonc­tion « sup­ply chain et logis­tique » inté­grée au sein d’Airbus.

Des fournisseurs partenaires

En matière d’achats, nos objec­tifs allaient bien au-delà des gains financiers. Il s’agissait de tra­vailler de manière plus con­struc­tive avec nos four­nisseurs ain­si qu’avec les par­ties prenantes impliquées dans chaque étape des déci­sions d’achat ou des contrats.

“ Garantir et améliorer la satisfaction du client ”

Depuis 2007, Air­bus a revu son rôle dans la chaîne de valeur comme celui d’un archi­tecte ou d’un inté­gra­teur. Dans le cadre de Pow­er 8 et des nou­velles poli­tiques de l’A350, le porte­feuille des four­nisseurs de com­posants aéro­nau­tiques a été pro­gres­sive­ment restruc­turé, trans­férant des ensem­bles plus impor­tants avec des respon­s­abil­ités éten­dues vers les fournisseurs.

Depuis les aérostruc­tures jusqu’aux sys­tèmes, le départe­ment des achats a guidé les four­nisseurs pour opti­miser le design et leur chaîne de valeur, notam­ment en gérant la sous-trai­tance dans les pays à bas coût.

Supply chain et logistique

UN PROJET PARTAGÉ

Les équipes achat d’Airbus ont travaillé main dans la main avec l’ingénierie et les opérations, et cela sur deux axes : la consolidation du volume de fournisseurs et le changement organisationnel qui nous a conduits à créer des équipes intégrées transnationales dans tous les domaines d’achat.

La créa­tion d’une fonc­tion sup­ply chain and logis­tics (SCL) inté­grée a été décidée dans le cadre de Pow­er 8. La SCL a per­mis d’améliorer le niveau de ser­vice aux clients internes – sites et lignes d’assemblage – tout en appor­tant des gains opéra­tionnels. La fonc­tion SCL pèse env­i­ron 300 mil­lions d’euros, y com­pris les effec­tifs directs.

Les dépens­es externes sont prin­ci­pale­ment du trans­port et des dépens­es logis­tiques. Ces fonc­tions sont main­tenant organ­isées autour de six hubs en Europe.

Le besoin de stan­dard­i­s­a­tion de l’organisation et des modes de fonc­tion­nement a con­duit à créer une fonc­tion SCL en charge de la stan­dard­i­s­a­tion au sein d’Airbus :

  • à définir une poli­tique de make or buy et révis­er la base four­nisseur pour les trans­ports et la logistique,
  • à réduire le nom­bre d’entrepôts et utilis­er une solu­tion stan­dard de ges­tion des flux pour la mise en place d’un sys­tème de suivi global,
  • à réduire enfin de 40 % la cou­ver­ture des stocks et créer des règles de dimen­sion­nement des stocks.

Une nouvelle organisation et de nouvelles pratiques

Aujourd’hui le réseau SCL (sup­ply chain et logis­tique) est totale­ment opéra­tionnel. Géré par un comité ad hoc, il s’appuie sur des pilotes SCL dans tous les cen­tres d’excellence, avec des rôles et respon­s­abil­ités par­faite­ment défi­nis. Un proces­sus de ges­tion de la demande et de la plan­i­fi­ca­tion regroupant tous les respon­s­ables demande et opéra­tions a été mis en place.

LA LOGISTIQUE AVANT POWER 8

Plus de quinze opérateurs et cent transporteurs étaient en relation directe avec Airbus. De plus, le transport était de fait sous le contrôle des fournisseurs. L’absence de politiques de make or buy clairement établies et la disparité des pratiques rendaient difficile le contrôle des dépenses et des opérations.
La logistique physique et les moyens n’étaient pas cohérents au sein d’Airbus. On dénombrait pas moins de soixante entrepôts et de nombreux magasins supplémentaires répartis dans tous les sites. L’approvisionnement et la distribution n’étaient pas optimisés. Il manquait des standards en gestion des stocks, les processus de prévision ou de planning, sous-optimisés, conduisaient à des excès de stocks.
Enfin, la fonction SCL n’était pas assez impliquée dans la gestion des changements, ce qui conduisait à un niveau élevé d’obsolescence.

Un respon­s­able Europe pour la logis­tique et un respon­s­able Europe pour les trans­ports ont été désignés. Les trans­ports au sein d’Airbus sont con­trôlés et opti­misés. Les règles applic­a­bles aux déci­sions make or buy et aux con­di­tions de ventes inter­na­tionales (incoterms) ont été définies.

En ce qui con­cerne la logis­tique physique, six hubs ont été dévelop­pés, per­me­t­tant la créa­tion d’un réseau physique opti­misé au sein d’Airbus.

“ La couverture des stocks a pu être réduite de 40 % ”

Des stan­dards d’emballage et de con­di­tion­nement ont été défi­nis. Les logiques de dis­tri­b­u­tion sont organ­isées autour d’une approche « lean-flux tiré ». Des méth­odes ratio­nal­isées sont désor­mais util­isées (Kan­ban, kit­ting, etc.). Cela a con­duit à un ensem­ble de règles d’or applic­a­bles aux nou­veaux pro­grammes, dont l’A350.

En matière de stocks, dès la fin de 2010, la cou­ver­ture a pu être réduite de 40 %, avec un aligne­ment des poli­tiques de stocks accom­pa­g­né de la mise en place d’un mod­ule de for­ma­tion. Des proces­sus opti­misés de ges­tion de la demande et de la plan­i­fi­ca­tion sont util­isés et des stocks de consigna­tion four­nisseur sont en place.

Une réussite au delà des attentes

Un entrepôt logistique d'Airbus.
Des ressources logis­tiques optimisées
(ici, un entre­pôt logis­tique d’Airbus).

Après qua­tre ans de travaux con­sid­érables, les équipes sup­ply chain et logis­tique de toute l’Europe ont réus­si leurs mis­sions au-delà des attentes. Nous avons main­tenant des pra­tiques et des proces­sus har­mon­isés et nous avons dévelop­pé nos stan­dards à tra­vers tous les sites et les FAL d’Europe.

De plus, nous avons opti­misé l’usage de ressources logis­tiques, par­ti­c­ulière­ment en ce qui con­cerne les entre­pôts, et les parte­nar­i­ats avec nos prestataires logis­tiques. Nous avons réus­si cette trans­for­ma­tion sans rup­ture des opéra­tions, voire en amélio­rant nos taux de service.

Pow­er 8 a trans­for­mé le busi­ness mod­el d’Airbus et dévelop­pé un réseau glob­al de parte­naires. Bien que la finance soit à l’origine de Pow­er 8, c’est un pro­gramme qui a impliqué toutes les fonc­tions de l’entreprise et a généré des résul­tats significatifs.

Nouveau paradigme

L’approche Pow­er 8 n’a pas été un sim­ple change­ment d’organisation, mais un change­ment total de par­a­digme. En faisant pass­er le pilotage des flux en pri­or­ité, elle a per­mis de struc­tur­er et de sim­pli­fi­er le pilotage de l’entreprise, don­né de la vis­i­bil­ité à l’ensemble des acteurs, et per­mis de con­stru­ire avec l’ensemble des acteurs (four­nisseurs, sous-trai­tants, prestataires, etc.) un réseau à forte valeur ajoutée.

Cette opéra­tion a été tirée par une vision sim­ple, « appli­quer à Air­bus les meilleures pra­tiques de sup­ply chain, sur l’ensemble des acteurs ». Agir en archi­tecte d’un réseau et non seule­ment en intégrateur.

“ Agir en architecte d’un réseau et non seulement en intégrateur ”

La mise en œuvre a été effec­tuée tam­bour bat­tant, comme le recom­man­dent toutes les meilleures pra­tiques du domaine. Et cela a per­mis de garan­tir la mon­tée en vol­ume des gammes suiv­antes A350 XWB, A330 et A320. À cette échelle, dans le secteur de l’aéronautique et compte tenu du con­texte fran­co-alle­mand et de la taille de l’entreprise, c’est une pre­mière mon­di­ale iné­galée, et dont les ana­lystes ont souligné la performance.

INGÉNIEURS VS FINANCIERS

Le célèbre analyste financier américain Richard Aboulafia écrivait dans sa chronique du 25 janvier 2013 : « J’ai longtemps cru en tant qu’analyste du domaine aéronautique que Boeing était plus performant qu’Airbus, mais me voilà forcé de conclure que les chiffres donnent une avance nette à Airbus en termes de retour financier. […]
Parmi les points qui font la différence, Airbus est piloté par des ingénieurs pragmatiques, alors que Boeing est piloté par des financiers qui montrent des chiffres impressionnants de parts de marché et de ventes, mais qui se comportent comme un fermier qui annonce une belle récolte, mais oublie de dire que le tracteur est en panne, que le mécanicien a été renvoyé, que la maintenance a été sous-traitée en Bolivie, et que les clients qui seront livrés en retard auront droit à d’impressionnantes pénalités. »

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