Population, développement et empreinte écologique

Dossier : PopulationsMagazine N°602 Février 2005
Par Dominique VIEL

Qu’est-ce que l’empreinte écologique ? La déf­i­ni­tion pré­cise en est malaisée, c’est une inven­tion des chercheurs de l’ONU pen­dant les années 1990 pour con­tr­er les effets du tout PIB — pro­duit intérieur brut — et de la logique économique pure.

Pour vous don­ner quelques idées sur cette ques­tion, pré­cisons que l’on retient les chiffres suivants :

  • pour obtenir un mètre cube de bois par an il faut en moyenne 1,3 hectare de forêt,
  • pour obtenir une tonne de pois­son par an, sans dimin­uer le stock, il faut en moyenne 25 hectares de mer,
  • lorsque l’on brûle 0,35 hectare de forêt (énergie fos­sile) il y a une tonne de CO2 émise dans l’at­mo­sphère, etc.


Pour chaque type d’ac­tiv­ité est ain­si définie une sur­face de sol cor­re­spon­dante, c’est l’empreinte écologique, et pour le pét­role cette empreinte cor­re­spond à la sur­face de végé­taux pou­vant absorber le CO2 pro­duit. Remar­quons que pour les autres formes d’én­ergie on tra­vaille en “tonnes d’équiv­a­lent pét­role”, et plusieurs mem­bres de l’au­di­toire soulig­nent que cette méthode est évidem­ment injuste pour l’én­ergie nucléaire qui pro­duit peu de CO2.

Muni de ces déf­i­ni­tions on peut définir l’empreinte écologique de l’hu­man­ité, laque­lle est en somme la sur­face néces­saire pour une activ­ité sta­ble et pérenne. Cette empreinte croît avec les années et Madame Viel présente le graphique des années 1961–1999. L’empreinte croît d’en­v­i­ron 30 % au cours de cette péri­ode et dépasse la capac­ité de la Terre à par­tir de 1985. Le dépasse­ment actuel est d’en­v­i­ron 20 % : nous vivons actuelle­ment sur nos stocks, ce qui est par­ti­c­ulière­ment évi­dent pour la pêche et pour les éner­gies fossiles.

Le graphique est divisé entre les com­posantes suiv­antes : ter­res cul­tivées, pâturages, forêts, zones de pêche, ter­rains con­stru­its (bâti­ments et routes), énergie. C’est ce dernier domaine qui, de loin, croît le plus vite, il atteint déjà près de la moitié du total, et l’on escompte que sa crois­sance va rester encore rapi­de quelque temps du fait des pro­grès de l’Inde et de la Chine.

Il faut com­pren­dre qu’avec le niveau de vie et le gaspillage des Améri­cains l’empreinte écologique mon­di­ale équiv­audrait à cinq fois la capac­ité de la Terre, mais l’Eu­rope occi­den­tale n’est pas indemne : pour elle le chiffre vaudrait trois fois la capac­ité de la Terre.

Par tête on obtient les chiffres moyens suiv­ants (hectares/habitant) :
USA 9,5
Europe occi­den­tale 5
Europe ori­en­tale 3,5
Amérique latine 2,5
Moyen-Ori­ent 2
Asie 1,5
Afrique 1

Par nation on trou­ve en pre­mier les Émi­rats Arabes Unis puis les USA, puis le Koweït et au qua­trième rang l’Australie.

Les pro­grès de la con­som­ma­tion énergé­tique entraî­nent de nom­breux effets cli­ma­tiques dont une aug­men­ta­tion de l’ef­fet de serre qui n’est plus niée. Les cat­a­stro­phes naturelles sont en aug­men­ta­tion con­stante (cyclones, inon­da­tions, incendies de forêts…) et cela entraîne des ruines de com­pag­nies d’as­sur­ances, lesquelles font désor­mais appel aux aides éta­tiques pour sim­ple­ment sur­vivre… À ce rythme, si aucune dis­ci­pline n’in­ter­vient, les dom­mages dépasseraient la pro­duc­tion mon­di­ale en 2065 !

Il faut com­pren­dre que cette ten­dance vient de loin.Au paléolithique les êtres humains sont des chas­seurs-cueilleurs, ils vivent des sur­plus de la nature et leur nom­bre ne dépasse pas cinq millions.

La pre­mière révo­lu­tion est la révo­lu­tion néolithique : l’in­ven­tion de l’a­gri­cul­ture vers 10 000 av. J.-C., cela per­met à l’hu­man­ité d’at­tein­dre trois mille ans plus tard le nom­bre de cinquante mil­lions. Cette pre­mière révo­lu­tion est déjà une maîtrise et une manip­u­la­tion de la nature et à ce sujet je vous sig­nale le livre pas­sion­nant de Mar­cel Mazoy­er : His­toire des agri­cul­tures du monde (col­lec­tion livre de poche).

Avec les voy­ages des grands nav­i­ga­teurs, le XVIe siè­cle mar­que le début de la mon­di­al­i­sa­tion, les méth­odes de l’a­gri­cul­ture européenne s’exportent.

La révo­lu­tion indus­trielle et le XIXe siè­cle voient une crois­sance très rapi­de de l’usage des com­bustibles fos­siles et le pét­role est exploité à par­tir de 1890, tout d’abord en Roumanie et en Penn­syl­vanie. De nou­veaux déchets appa­rais­sent, que la nature ne peut pas métaboliser.

Le XXe siè­cle voit une nou­velle et dou­ble révo­lu­tion agri­cole, d’un côté la mécan­i­sa­tion et la motori­sa­tion, de l’autre la révo­lu­tion géné­tique et plusieurs récoltes par an avec l’u­til­i­sa­tion en forte crois­sance des engrais.Le XXIe siè­cle ver­ra la cul­ture hors sol, mais avec un gros usage d’eau, de chaleur, d’én­ergie et de semences spé­ciales. Il est par­fois dit que la sur­face des Pays-Bas suf­fi­rait alors pour nour­rir l’hu­man­ité entière, mais avec un sou­tien indus­triel considérable.

Avant de pass­er aux dis­cus­sions sur l’évo­lu­tion future de la pop­u­la­tion, Madame Viel donne plusieurs indi­ca­tions impressionnantes.

A) Ces dernières années la pro­duc­tion céréal­ière mon­di­ale a diminué.

B) La sur­face de terre arable par être humain est passée de 0,4 hectare en 1960 à 0,2 hectare en 2000, à la fois à cause de l’aug­men­ta­tion de la pop­u­la­tion et de la détéri­o­ra­tion des sols.

C) Il y a encore 840 mil­lions de per­son­nes sous-ali­men­tées et ce chiffre ne dimin­ue que très dif­fi­cile­ment ; les pronos­tics sont pes­simistes et la FAO pré­conise un développe­ment des biotech­nolo­gies (qui ne peu­vent être mis­es en œuvre qu’avec de très gros moyens tech­niques et financiers !).

D) La crois­sance des ter­rains bâtis, villes et routes, reste mod­érée, elle atteint tout de même 2,2 % du ter­rain disponible en 2002 et pour­rait avoisin­er 3 % vers 2030.

E) La dégra­da­tion des sols est un prob­lème majeur. 15 % des ter­res arables ont été totale­ment dégradées par l’éro­sion et ne sont que très dif­fi­cile­ment récupérables, 65 % le sont par­tielle­ment. Cela est sou­vent le fait d’une agri­cul­ture imprévoy­ante qui laisse agir ou même favorise l’éro­sion, surtout l’éro­sion hydrique, mais aus­si les éro­sions éoli­ennes, chim­iques et physiques.

F) Cette dégra­da­tion a pour corol­laire la déser­ti­fi­ca­tion. Dans les con­di­tions insou­ciantes actuelles 24 mil­lions de tonnes de bonne terre sont emportées par les eaux chaque année et à ce rythme deux tiers des ter­res arables d’Afrique auront dis­paru en 2025 ! (un quart en Asie, un cinquième en Amérique du Sud…).

G) On a pris con­science de l’im­por­tance vitale des forêts. Il faut en laiss­er un peu partout pour entretenir la bio­di­ver­sité. Sinon on va droit aux cat­a­stro­phes écologiques qui furent celles de la Grèce antique, de Haïti, de l’île de Pâques et aujour­d’hui des pays du Sahel.

H) Il existe au large de cer­taines côtes améri­caines, notam­ment face à New York et face à Los Ange­les, des grandes zones marines “d’eau morte” d’où toute vie a dis­paru (pois­sons, plantes et planc­ton…). Cela est surtout dû à la pol­lu­tion et à l’im­plo­sion de la biodiversité.

I) Il sem­ble prob­a­ble que la pro­duc­tion d’én­ergie aug­mentera de 60 % d’i­ci trente ans et qu’en con­séquence les émis­sions de gaz car­bonique aug­menteront de 50 %. Il faut dire que le “World ener­gy out­look” de 2004 priv­ilégie les pro­duc­tions de char­bon et de pét­role et envis­age une stag­na­tion du nucléaire.

Ces dernières con­sid­éra­tions ont été faites avec les prévi­sions de pop­u­la­tion des Nations Unies. Cepen­dant ces hypothès­es ont été réfutées par l’É­cole française (Adolphe Landry, Alfred Sauvy, Jean Bour­geois-Pichat, Philippe Bourci­er de Car­bon, Jean- Claude Ches­nais) et en matière de démo­gra­phie le dan­ger le plus menaçant n’est pas l’ex­plo­sion démo­graphique — la natal­ité dégringole dans la plu­part des pays du tiers-monde et déjà plus de vingt pays ont plus de décès que de nais­sances — c’est un vieil­lisse­ment incon­trôlé met­tant des charges insup­port­a­bles sur le dos des jeunes, d’où une baisse induite de natal­ité et un cer­cle vicieux aboutis­sant à l’ef­fon­drement. Effon­drement et déser­ti­fi­ca­tion con­comi­tante qui se sont déjà pro­duits ici et là à petite échelle dans l’his­toire de l’humanité.

La dis­cus­sion s’in­stau­re à ce sujet entre la con­féren­cière et l’au­di­toire lequel lui donne les courbes de pop­u­la­tion util­isées par les études prospec­tives des com­pag­nies pétrolières : la courbe de pop­u­la­tion util­isée y est celle de Jean Bour­geois-Pichat avec, si aucune réac­tion sérieuse n’in­ter­vient, un max­i­mum vers 8 mil­liards autour de 2040 puis l’ef­fon­drement d’une pop­u­la­tion vieil­lie retombant en 2100 bien en dessous du niveau actuel. En vérité nous devons faire face aux deux prob­lèmes à la fois et, sur le plan écologique, aboutir à de vrais efforts en matière de respect de la nature, de lutte con­tre les gaspillages, d’é­d­u­ca­tion des populations.

Questions

La question de loin la plus importante est donc celle de l’énergie, n’y a‑t-il pas beaucoup de désinformation dans ce domaine ?

Certes, en par­lant sans cesse de la pénurie qui men­ace les com­pag­nies pétrolières con­tribuent à main­tenir un prix élevé. Il en est de même avec la stig­ma­ti­sa­tion de l’én­ergie nucléaire laque­lle est tout de même un moyen majeur pour dimin­uer l’ef­fet de serre. L’un des audi­teurs souligne qu’il est évidem­ment désas­treux que des cam­pagnes écologiques mal dirigées aient abouti à la fer­me­ture de la cen­trale de Creys-Malville.

N’y a‑t-il pas un parallèle à faire avec la fameuse mise en garde du ” Club de Rome ” dans les années 1970 ?

Bien sûr ces prévi­sions risquent de pêch­er par pes­simisme et par manque de foi dans les pos­si­bil­ités humaines d’in­no­va­tion face aux dif­fi­cultés. Rap­pelons tout de même que le prix du char­bon a dou­blé ces dernières années et que celui du pét­role a con­nu des vari­a­tions plus impor­tantes encore.

Que pensez-vous des énergies renouvelables ?

Il faut les dévelop­per et ne surtout pas les traiter par le mépris, c’est tou­jours cela de gag­né. Mais il ne faut pas non plus se faire d’il­lu­sion et, sauf inven­tion tout à fait remar­quable (par exem­ple le moteur à hydrogène), elles ne seront pas à la hau­teur du problème.

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