Politiques pour la création d’entreprises en Belgique :

Dossier : Créer des entreprisesMagazine N°584 Avril 2003Par : Rudy AERNOUDT, chef de cabinet adjoint auprès du Ministre de l'Économie de Belgique

D’une politique d’emploi vers une politique des PME

Face à cette inef­fi­cac­ité, les pou­voirs publics sont de plus en plus con­va­in­cus qu’ils doivent chang­er leur fusil d’é­paule et davan­tage con­sid­ér­er l’emploi comme un pro­duit dérivé du tis­su entrepreneurial.

Rudy AernoudtStim­uler le développe­ment des PME et la créa­tion d’en­tre­pris­es est devenu le mot d’or­dre. Mais dans la mise en œuvre d’une poli­tique visant à réalis­er cet objec­tif, on risque de retomber dans les mêmes pièges qui ont car­ac­térisé les mesures de pro­mo­tion de l’emploi. Il faut soutenir les PME parce qu’elles sont impor­tantes pour l’emploi, les dinosaures1 parce qu’ils sont impor­tants pour le main­tien de l’emploi et les gazelles2 parce que ce sont elles qui créent l’emploi. Et il faut encore ajouter les pri­or­ités sec­to­rielles ou régionales. En suiv­ant cet amas de pri­or­ités, on risque à nou­veau d’aboutir à une panoplie de mesures sans vision d’ensem­ble et essen­tielle­ment basées sur l’in­stru­ment par excel­lence que sont les subventions.

Or, dans les faits, la poli­tique dite PME se rap­proche sen­si­ble­ment de la poli­tique dite de créa­tion d’emploi. Afin d’éviter le même piège, il est intéres­sant de recourir à ce qu’on appelle “l’evi­dence based pol­i­cy”, c’est-à-dire une poli­tique basée sur l’analyse des mesures exis­tantes et sur l’é­val­u­a­tion ex ante des nou­velles mesures tout en cher­chant une syn­ergie et une vision d’ensem­ble. Dans ce con­texte, avant d’éla­bor­er les principes de base de la poli­tique pour la créa­tion d’en­tre­pris­es en Bel­gique, nous allons résumer quelques con­stats pertinents.

Les subsides aux PME : une analyse critique

En Europe, un des pays qui peut se tar­guer d’une ardeur d’a­vance en matière de poli­tique PME est cer­taine­ment l’An­gleterre. Stim­ulé par les dif­férents insti­tuts de recherche act­ifs dans le domaine PME et non entravé par une idéolo­gie rigide, le pas­sage d’une poli­tique d’emploi à une poli­tique PME a déjà eu lieu à la fin des années qua­tre-vingt. Les Bri­tan­niques n’ont cepen­dant pas pu éviter les pièges évo­qués précédem­ment. Les poli­tiques et les mécan­ismes d’at­tri­bu­tion sont trop com­plex­es et très chers et les entre­pris­es ne sem­blent pas désireuses de béné­fici­er des dif­férents avan­tages. Par­mi les raisons invo­quées par celles-ci, on note prin­ci­pale­ment3 :

  • les organ­ismes qui attribuent les sub­ven­tions ne com­pren­nent pas leur business,
  • accepter des sub­ven­tions est con­sid­éré comme une atteinte à l’au­tonomie personnelle,
  • les mesures ne tien­nent pas compte de l’hétérogénéité des dif­férentes entreprises,
  • les procé­dures sont trop com­plex­es et impliquent trop de paperasserie.


La com­mis­sion d’au­dit a con­clu dans son rap­port que la poli­tique des PME en Angleterre était dev­enue un patch­work de com­plex­ité et d’idiosyncrasie.

En Bel­gique, une analyse his­torique de la poli­tique PME des­tinée à don­ner des chances égales aux petites et aux grandes entre­pris­es con­state que cette poli­tique s’est sol­dée plus par une dis­crim­i­na­tion entre PME que par la réal­i­sa­tion de l’ob­jec­tif recher­ché. Inutile d’a­jouter que les entre­pris­es sub­sidiées n’é­taient pas tou­jours les plus effi­caces. Finale­ment, l’é­tude con­clut que si on opte pour la créa­tion d’emploi par les entre­pris­es, la meilleure poli­tique con­sis­terait à abolir toutes les mesures de créa­tion d’emploi et réduire les coûts salari­aux4.

Cette propo­si­tion rad­i­cale met­trait certes au chô­mage dans l’im­mé­di­at les fonc­tion­naires affec­tés à la mise en œuvre des mesures d’aide à l’emploi, mais d’i­ci quelques années on ne man­querait pas de pos­si­bil­ités de réaf­fec­ta­tion. Sans aller jusque-là, une réori­en­ta­tion des moyens en fonc­tion d’une analyse des besoins réels des entre­pris­es et la délé­ga­tion des déci­sions indi­vidu­elles de sou­tien au secteur entre­pre­neur­ial lui-même peu­vent con­tribuer au développe­ment d’une société prop­ice à l’en­tre­pre­neuri­at et à l’emploi.

D’une politique PME vers une politique de promotion de l’esprit d’entreprise

Les analy­ses ci-dessus ne devraient pas con­duire à un défaitisme mais plutôt à la mise en place d’une poli­tique conçue à par­tir du client, l’en­tre­pre­neur. Dans un cli­mat hos­tile à l’en­tre­pre­neuri­at, toute poli­tique de sub­ven­tion doit être con­sid­érée comme un cautère sur une jambe de bois. Or, selon l’é­tude GEM (Glob­al Entre­pre­neur­ship Mon­i­tor) qui cou­vre 92 % du PIB mon­di­al, le cli­mat entre­pre­neur­ial est peu dévelop­pé en Europe.

Au niveau mon­di­al, le pays le moins entre­pre­neur­ial est le Japon, directe­ment suivi par la Bel­gique et la France5. Entre­pren­dre y est con­sid­éré comme une anom­alie, con­state l’é­tude. En 2002, selon la même étude, la France et le Japon sont même les pays où le cli­mat entre­pre­neur­ial a le plus régressé. Par con­tre, dans des pays comme Israël, les États-Unis ou l’Aus­tralie, entre­pren­dre est con­sid­éré comme allant de soi.

Sur la base de ces con­stats, on peut con­clure que l’essen­tiel est aujour­d’hui de créer un cli­mat qui stim­ule le goût d’entreprendre.

Il s’ag­it donc de pro­mou­voir dans la pop­u­la­tion une pen­sée entre­pre­neuri­ale par des mesures éduca­tives et per­sua­sives qui don­neront envie d’être un entre­pre­neur libre, respon­s­able, courageux, frater­nel, et ne met­tront pas telle­ment en péril sa famille. C’est ce à quoi nous nous employons en Bel­gique, con­join­te­ment à des stim­u­la­tions directes au béné­fice des créateurs.

Politique de création d’entreprises en Belgique

La philoso­phie décrite résume bien les idées qui sous-ten­dent la poli­tique pour­suiv­ie en Bel­gique. Bien que les com­pé­tences en matière de créa­tion d’en­tre­pris­es se trou­vent prin­ci­pale­ment au niveau région­al, la poli­tique n’est pas fon­da­men­tale­ment dif­férente entre le sud et le nord du pays. La base com­mune est le développe­ment d’un cli­mat d’e­sprit d’en­tre­prise. Le min­istre fla­mand Jaak Gabriels déclare que l’e­sprit d’en­tre­prise est le piv­ot du mod­èle de crois­sance de la Flan­dre6. Quant à la Wal­lonie, le min­istre respon­s­able, Serge Kubla, a lancé un plan d’ac­tion inti­t­ulé “Plan 4X4 pour Entre­pren­dre”, rap­pelant par une métaphore l’im­pli­ca­tion néces­saire de l’ensem­ble de la pop­u­la­tion. Résumons quelques élé­ments de ce vaste plan d’action.

Le sys­tème améri­cain SBA-SBIC

La small busi­ness admin­is­tra­tion (SBA) est un réseau d’a­gences du Gou­verne­ment fédéral cou­vrant l’ensem­ble des États-Unis et chargées d’ac­cueil­lir les can­di­dats créa­teurs, d’é­val­uer leurs pro­jets et d’aider les meilleurs à se financer et à se lancer.

Les small busi­ness invest­ment com­pa­ny sont des fonds de cap­i­tal-risque agréés par la SBA qui ont le droit de lever des fonds sur les marchés financiers à hau­teur d’un pour­cent­age prédéter­miné de leurs fonds pro­pres. Le souscrip­teur qui investit dans le fonds de cap­i­tal-risque voit son investisse­ment garan­ti par la SBA. L’ingéniosité de ce sys­tème réside dans le fait que l’É­tat garan­tit l’ensem­ble du porte­feuille et crée un effet de levi­er. Dans les sys­tèmes européens clas­siques, par con­tre, les garanties sur cap­i­tal-risque se font au niveau des pro­jets (par exem­ple par le biais de la BDPME en France ou le Fonds de Garantie en Bel­gique). Ain­si se créent non seule­ment un biais en faveur des pro­jets les plus dou­teux (argu­ment de sélec­tion néga­tive), mais égale­ment une bureau­cratie plus lourde, inhérente à ce genre de dis­po­si­tions. En ter­mes budgé­taires, il n’est pas éton­nant qu’aux États-Unis les SBIC parvi­en­nent à s’autofinancer.

En ter­mes économiques, on estime que 70 % de tous les investisse­ments d’amorçage (cap­i­tal-risque dans des entre­pris­es en créa­tion) se font au tra­vers des SBIC, créant ain­si entre 160 000 et 200 000 emplois par an9.

Par­tant du con­stat d’un déficit impor­tant d’e­sprit d’en­tre­pren­dre en Wal­lonie, notam­ment auprès de publics cibles spé­ci­fiques tels que les jeunes et les femmes, et de la néces­sité de stim­uler la créa­tion et le développe­ment des entre­pris­es, le plan 4X4 se décline suiv­ant qua­tre pri­or­ités, cha­cune cor­re­spon­dant à un axe, lui-même com­posé de qua­tre élé­ments. Les qua­tre axes sont les suiv­ants : stim­uler le goût d’en­tre­pren­dre, soutenir la créa­tion d’en­tre­pris­es, dynamiser le développe­ment des entre­pris­es et, finale­ment, amélior­er la gou­ver­nance. Le plan com­porte une cen­taine d’ac­tions con­crètes7.

À titre d’ex­em­ple, l’axe dédié à la stim­u­la­tion du goût d’en­tre­pren­dre prévoit une mul­ti­tude d’ac­tions de sen­si­bil­i­sa­tion des­tinées au grand pub­lic (spots TV et radio, cam­pagne de presse, slo­gans et con­cours sur Web­site, édi­tion de livres témoignages, etc.).

Le même axe prévoit égale­ment de mobilis­er le secteur financier. À cette fin, une task-force a été créée. Celle-ci regroupe des représen­tants des secteurs financier, pub­lic et privé et des entre­pris­es et a pour objec­tif de faciliter l’ac­cès au finance­ment, notam­ment pour les créa­teurs, en met­tant en place des instru­ments financiers et en inté­grant les dif­férents acteurs.

Une des mesures con­crètes liées aux finance­ments est la mise en place d’un sys­tème sim­i­laire au SBIC (voir encadré). Notre sys­tème per­me­t­tra d’ac­corder à des fonds privés, préal­able­ment agréés, une garantie à leurs emprunts oblig­ataires dont le mon­tant ne pour­ra pas dépass­er les fonds pro­pres du fonds émet­teur. La Flan­dre met actuelle­ment en place un sys­tème sim­i­laire, mais prévoit en plus un crédit d’im­pôt pour les investis­seurs privés8.

Une deux­ième mesure rel­a­tive à la mobil­i­sa­tion du secteur financier con­cerne les busi­ness angels. Les régions finan­cent des réseaux de busi­ness angels sur la base de critères de per­for­mance. Cela implique que le mon­tant attribué après le démar­rage du réseau n’est pas jus­ti­fié sur la base des dépens­es encou­rues mais sur la base de critères tels que le nom­bre de busi­ness angels faisant par­tie du réseau, le nom­bre de pro­jets analysés ou encore le nom­bre et le mon­tant des investisse­ments réal­isés dans les start-ups à tra­vers le réseau. Au niveau fis­cal, les plus-val­ues que les busi­ness angels tirent de leurs investisse­ments ne sont pas imposées.

En guise de conclusion

L’ac­tion con­jointe qu’il nous faut men­er s’im­pose d’elle-même : pro­mo­tion de l’en­tre­pre­neuri­at + appui des créa­teurs pour le développe­ment de créa­tions d’en­tre­pris­es. Mais il reste encore beau­coup à faire pour dis­cern­er les bonnes méth­odes et les bons acteurs. C’est pourquoi un groupe de chefs d’en­tre­pris­es belges a accep­té de lancer la Fon­da­tion de la recherche sur l’e­sprit d’en­tre­prise, qu’ils ont financée eux-mêmes.

Cette recherche devrait per­me­t­tre de régulière­ment réori­en­ter la poli­tique afin de préserv­er le meilleur rap­port coût-effi­cac­ité des deniers publics et privés.

Rudy Aernoudt est admin­is­tra­teur prin­ci­pal auprès de la Com­mis­sion européenne. Il est actuelle­ment détaché auprès du gou­verne­ment belge où il exerce la fonc­tion de chef de cab­i­net adjoint auprès du min­istre de l’É­conomie, Serge Kubla.

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1. Grandes entre­pris­es qui sont dans la phase décli­nante de leur vie.
2. Jeunes entre­pris­es en crois­sance rapide.
3. J. Cur­ran, “What is Small Busi­ness Pol­i­cy in the UK for ?” Inter­na­tion­al Small Busi­ness Jour­nal, 18, 1999.
4. T. Lam­brecht, Heeft KMO beleid de KMOs gedi­end ? (La poli­tique PME a‑t-elle servi les PME ?), EHSAL-KUB research insti­tute, 2002.
5. P. Reynolds, et. al., GEM, 2002.
6. J. Gabriels, Ruimte voor ambitie (De l’e­space pour l’am­bi­tion), Halewi­jck, 2002.
7. Le plan com­plet est disponible sur : www.4X4entreprendre.be
8. Voir J. Gabriels, op. cit., p. 40–43.
9. Pour une descrip­tion détail­lée du sys­tème SBIC, voir R. Aernoudt, Euro­pean Enter­prise Pol­i­cy, Inter­sen­tia, 2003, ibid., p. 80–88.

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