Pierre Cibié (1908–2006) : Chercheur et industriel des équipements automobiles

Dossier : ExpressionsMagazine N°663 Mars 2011Par : André Blanche

Le pre­mier véhicule auto­mo­bile équipé de pro­jecteurs ali­men­tés par une dynamo généra­trice d’électricité n’est apparu qu’en 1912. Auteur de cent cinquante brevets, Pierre Cibié fab­ri­quait, soix­ante ans plus tard, dix mil­lions de pro­jecteurs par an.

Pierre Cibié est mort en 2006 dans sa qua­tre-vingt-dix-neu­vième année. Né en 1908 à Paris, il était le fils de Léon Cibié qui avait créé en 1919 la Société des pro­jecteurs Cibié. Pierre Cibié entre à l’É­cole poly­tech­nique en 1927 et, dès qu’il en sort, rejoint l’u­sine pater­nelle où il met en oeu­vre immé­di­ate­ment les théories sci­en­tifiques qu’il vient d’ac­quérir et par­ti­c­ulière­ment celles con­cer­nant l’optique.

Jusqu’en 1912, les auto­mo­biles n’ont cir­culé la nuit qu’avec des pro­jecteurs à acétylène

Son pre­mier brevet date de 1931. Il con­cerne la mise en oeu­vre de la lumière polar­isée pour sup­primer la gêne occa­sion­née par l’éblouisse­ment lors du croise­ment de deux véhicules. À l’époque le fais­ceau d’é­clairage de croise­ment était bal­bu­tiant. Tout le monde roulait la nuit en ” pleins phares “. Cette solu­tion tech­nique inno­vante ne put mal­heureuse­ment être appliquée, les con­di­tions tech­nologiques de réal­i­sa­tion de l’époque ne le per­me­t­tant pas.

Qua­tre-vingts ans après, on peut cepen­dant dire que les appli­ca­tions de cette solu­tion, que l’on com­mence à voir appa­raître sur cer­tains véhicules (Mer­cedes et BMW, notam­ment), découlent de ce très loin­tain brevet.

Léon Cibié, pio­nnier de la fée élec­tric­ité, avait créé en 1903 la société Astra pour fab­ri­quer et com­mer­cialis­er des lam­pes à arc puis, en 1913, il avait mis au point avec l’Ar­mée les pre­miers sys­tèmes d’é­clairage (pro­jecteur, dynamo et régu­la­teur de ten­sion) pour avion qui per­me­t­tront aux Spad et Far­man, pilotés par Guyne­mer, Fon­ck, Nungess­er et d’autres, d’être les pre­miers, dès le début de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, à pou­voir décoller et atter­rir de nuit. Il était donc nor­mal que Léon Cibié, la paix rev­enue, s’in­téresse au développe­ment accéléré de l’in­dus­trie automobile.

Cent cinquante brevets

D’autres brevets allaient suiv­re (près de 150 au total, le dernier déposé en 2006), et, par­mi eux, de nom­breux brevets dont les appli­ca­tions sont dev­enues invis­i­bles à l’au­to­mo­biliste lamb­da, telle­ment leur util­i­sa­tion courante fait par­tie de l’usage habituel du véhicule. Don­nons quelques exemples.

• 1933 : répar­ti­tion optique des stries sur la glace des pro­jecteurs. Les pro­jecteurs des véhicules actuels com­por­tent générale­ment une glace lisse et totale­ment trans­par­ente — la répar­ti­tion du fais­ceau lumineux se faisant par la mod­u­la­tion des formes du réflecteur — mais pen­dant plus de soix­ante-dix ans, le fais­ceau de lumière émis par le pro­jecteur était étalé sur la largeur de la route grâce aux stries (diop­tres) répar­ties par moulage sur la sur­face de la glace.

• 1936 : réglo­scope Ce brevet donne la con­cep­tion d’une boîte optique per­me­t­tant de con­trôler tous ces paramètres dans n’im­porte quelles con­di­tions. On peut voir cet appareil depuis soix­ante-dix ans dans presque tous les garages, sta­tions- ser­vice et ate­liers de concessionnaires.

• 1947 : code européen. Ce brevet, en intro­duisant dans la lampe du pro­jecteur un écran obtu­rant une par­tie du fais­ceau émis, donne la pos­si­bil­ité de dimin­uer l’éblouisse­ment tout en rel­e­vant de 15° à droite (à gauche pour l’An­gleterre) la par­tie de la plage éclairante sur le côté de la route. Cette solu­tion, défini­tive­ment adop­tée par l’Eu­rope en 1957, s’est éten­due à tout le parc auto­mo­bile du con­ti­nent, amélio­rant net­te­ment la sécu­rité en con­duite de nuit.

• 1956 : pro­jecteur rec­tan­gu­laire Il per­met d’équiper les R16 et les Ami 6, pre­mières voitures au monde, en 1960 et 1961, à être munies de pro­jecteurs rec­tan­gu­laires, entraî­nant la pleine adhé­sion des styl­istes car cela leur don­nait la pos­si­bil­ité d’abaiss­er le pro­fil du véhicule, amélio­rant ain­si le Cx.

Un sur­vol rapi­de de cent ans d’évo­lu­tion de l’in­dus­trie auto­mo­bile mon­di­ale mon­tre la mise en place d’une organ­i­sa­tion indus­trielle des con­struc­teurs et des équipemen­tiers, iden­tique mais décalée dans le temps. Tout d’abord, une ruée de précurseurs géni­aux, en Europe et aux États-Unis, tels Renault, Benz, de Dion, Bou­ton, Pan­hard. Rien qu’en France, près de 400 mar­ques de véhicules ont été enreg­istrées. Chez les équipemen­tiers, c’est un peu sem­blable : Lucas, Bosch, Ducel­li­er, Cham­pi­on sont des per­son­nes physiques qui sont dev­enues des mar­ques. Leur nom­bre dimin­ue con­sid­érable­ment par la suite.

Un pionnier de la normalisation

Pierre Cibié fut un des pio­nniers européens pour la nor­mal­i­sa­tion et la régle­men­ta­tion de tous les pro­duits fab­riqués par sa société.

Bien avant que l’on par­lât du Marché com­mun, il exis­tait des accords tech­niques entre plusieurs pays et, dès le début des années cinquante, Pierre Cibié était l’un des fon­da­teurs et, sou­vent, le prési­dent d’or­gan­ismes tels que le CLEPA (Comité de liai­son européen des pièces auto­mo­biles) ou le GTB (Groupe de tra­vail de Brux­elles) et sa com­mis­sion tech­nique WP 29 trai­tant de l’évo­lu­tion tech­nique des sys­tèmes d’é­clairage et de sig­nal­i­sa­tion ain­si que de leur normalisation.

Au service des équipementiers

Cibié cherche d’abord à plac­er ses pro­duits sur les chaînes de mon­tage des constructeurs

Soucieux de ren­forcer la posi­tion des équipemen­tiers auto­mo­biles vis-à-vis de la toute-puis­sance des con­struc­teurs, Pierre Cibié a beau­coup oeu­vré à la FIEV (Fédéra­tion des indus­tries des équipements de véhicules) dont il fut à deux repris­es le prési­dent entre 1955 et 1975.

À l’orée de la Deux­ième Guerre mon­di­ale, les trois prin­ci­paux fab­ri­cants de pro­jecteurs d’au­to­mo­biles sont en France et, dans l’or­dre, Mar­chal, Ducel­li­er, Cibié. Trente ans après, en 1970, Cibié sera en tête très large­ment devant Mar­chal et Ducel­li­er. Que s’est-il passé entre-temps ?

Après avoir été fer­mées ou réqui­si­tion­nées pen­dant la Deux­ième Guerre mon­di­ale, les usines de con­struc­teurs repren­nent leur activ­ité en juin 1945. Petite­ment, car les matières pre­mières man­quent — aci­er, verre, caoutchouc — et les usines, pour les traiter, ont été endom­magées par les bom­barde­ments ou même com­plète­ment détruites.

Le nom­bre de véhicules fab­riqués en 1946 et 1947 est faible, quelques dizaines de mil­liers tout au plus, et les équipemen­tiers auto­mo­biles voient, dans la répa­ra­tion et la remise en état des mil­lions de véhicules du parc français immo­bil­isés dans les garages ou con­servés sur cales dans les granges pen­dant cinq ans, un marché poten­tiel beau­coup plus lucratif que les livraisons sur les chaînes d’assem­blage des constructeurs.

Pierre Cibié prend cepen­dant le con­tre-pied de cette poli­tique et, visant le long terme, cherche d’abord à plac­er ses pro­duits sur les chaînes de mon­tage des con­struc­teurs auto­mo­biles en pre­mière monte.

Une réputation diversifiée

En 1972, Pierre Cibié dirigeait un groupe d’en­v­i­ron 4 000 per­son­nes qui fab­ri­quait 10 mil­lions de pro­jecteurs par an, équipant des voitures de toutes mar­ques et de tous pays. Par­al­lèle­ment, les pro­duits de la mar­que mon­tés sur les voitures de cours­es d’en­durance (Vingt-Qua­tre Heures du Mans) et de ral­lyes (Monte-Car­lo, Tour de Corse, Ral­lye de l’Acro­p­ole, Course panaméri­caine, Safari du Kenya, etc.) accom­pa­g­naient, pour le grand pub­lic, la répu­ta­tion acquise auprès des constructeurs.

Lorsqu’en 1977 Pierre Cibié se retire des affaires et vend son groupe à Fer­o­do (plus tard dénom­mé Valeo), la société Cibié fait par­tie des trois pre­miers groupes mon­di­aux de fab­ri­ca­tion de pro­jecteurs pour automobiles.

En cinquante ans, le jeune poly­tech­ni­cien, mort qua­si cen­te­naire, pou­vait se réjouir des lumières qu’il avait apportées au monde de l’automobile.


Aux États-Unis

Les véhicules fab­riqués sur le pre­mier marché auto­mo­bile mon­di­al sont, depuis 1935, équipés de Sealed Beam qui, du point de vue tech­nologique, sont plus des gross­es lam­pes que des pro­jecteurs. Les con­struc­teurs locaux sont, pour cer­tains, très con­scients de la faib­lesse de la fonc­tion d’é­clairage de leurs voitures mais la faib­lesse de la den­sité auto­mo­bile, compte tenu de l’im­men­sité du pays, ne les pousse pas à chang­er un acces­soire dont les moyens de fab­ri­ca­tion puis­sants (les four­nisseurs sont des groupes impor­tants comme Gen­er­al Elec­tric ou West­ing­house) et large­ment amor­tis per­me­t­tent un prix d’achat très faible, de l’or­dre de 1 dol­lar l’u­nité d’é­clairage. L’in­con­vénient est qu’ils ne peu­vent dis­pos­er que de blocs d’é­clairage ronds. Lorsque Pierre Cibié, dès 1960, au cours des réu­nions tech­niques aux­quelles il par­ticipe aux États-Unis, leur démon­tre les pos­si­bil­ités de mod­i­fi­ca­tions des lignes de car­rosserie par l’u­til­i­sa­tion de pro­jecteurs rec­tan­gu­laires, les styl­istes se mon­trent très intéressés. Mais il fau­dra des décen­nies avant que ces solu­tions pren­nent pied sur ce marché.

par André Blanche

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Géné Krépondre
3 février 2013 à 21 h 35 min

L’au­teur de cette nécrolo­gie
L’au­teur de cette nécrolo­gie a omis de men­tion­ner que Pierre Cibié était missaire. 

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