Pierre CAZALA (54) 1936–2001

Dossier : ExpressionsMagazine N°572 Février 2002
Par Bernard ESAMBERT (54)

Mon cher Pierrot,

Tu as donc rejoint Élie, Jean-Fran­çois et Paul, lais­sant une famille Caza­la déci­mée et pro­je­tant sur le devant de la scène Isa­belle, Marie-Jeanne et tes enfants, Vincent, Chris­tine et Denis. 

Une grande famille cas­tel­rous­sine dont j’ai fait la connais­sance dans les années cin­quante, à la sor­tie de l’É­cole poly­tech­nique où nous fûmes cama­rades, famille carac­té­ri­sée par le cou­rage, la téna­ci­té, la résis­tance – la vraie -, celle des années qua­rante. Un but était-il fixé visant à l’é­le­ver qu’il était atteint, tant le talent et la per­sé­vé­rance étaient au rendez-vous. 

Quant à toi, tu te sin­gu­la­ri­sais en refu­sant la voie du sang qui t’au­rait conduit vers des études de méde­cine ou de phar­ma­cie. Grâce au sys­tème méri­to­cra­tique fran­çais, nous nous retrou­vâmes au Corps des Mines où nous bâtîmes ensemble nos pre­miers rêves, nos pre­mières ambitions. 

Celle pour notre pays n’é­tait pas la moindre, qui nous condui­sit à nous heur­ter quel­que­fois, alors que nous étions d’ac­cord sur l’es­sen­tiel, ques­tion de tem­pé­ra­ment sans doute ou plu­tôt de jeu­nesse de tem­pé­ra­ment que tu conser­vas jus­qu’au bout. Nous étions gaul­listes tous les deux mais tu savais ajou­ter à ta foi, le courage. 

Je me sou­viens : c’é­tait à Alger en 1960 où nous tra­vail­lions à concré­ti­ser le plan de Constan­tine du géné­ral de Gaulle qui visait à accroître rapi­de­ment la richesse de l’Al­gé­rie et sur­tout à mieux la par­ta­ger entre pieds-noirs et Algé­riens. Comme moi, tu ne croyais plus à une issue mili­taire du conflit. Nous vécûmes les bar­ri­cades et d’autres mani­fes­ta­tions. Je te vis tra­ver­ser la ligne et essayer de convaincre les jus­qu’au-bou­tistes de suivre de Gaulle, sans suc­cès hélas. 

Quelques années plus tard, c’est l’As­sis­tance publique (on en parle beau­coup aujourd’­hui), dont tu étais res­pon­sable du ser­vice éco­no­mique, que tu ten­tas de réfor­mer. Tu retour­nais par là à la voca­tion fami­liale et ce fut pro­ba­ble­ment pour toi un drame de te heur­ter à tous les conser­va­tismes de cette structure. 

Au minis­tère de l’In­dus­trie, c’est à la nor­ma­li­sa­tion que tu t’at­ta­quas, afin de lui faire jouer un rôle moteur dans la com­pé­ti­tion éco­no­mique mondiale. 

Je me sou­viens à nou­veau : c’é­tait il y a trois ans. Tu pré­si­dais avec intel­li­gence et auto­ri­té une réunion sur ce thème. Tu m’y avais convié et nous croi­sâmes le fer afin, tout à la fois, d’é­le­ver et d’ap­pro­fon­dir le débat, en vieux coqs que nous étions. 

C’est toi qui m’a­vais, il y a bien long­temps, ini­tié à l’in­for­ma­tique sur un petit ordi­na­teur en kit que tu avais mon­té, sou­dé et réglé toi-même. C’é­tait le pre­mier pas vers la créa­tion d’un jeu de bridge élec­tro­nique qui fut long­temps cham­pion du monde face à d’autres jeux fabri­qués par des armées d’informaticiens ! 

À chaque pas­sage à l’aé­ro­port d’Or­ly, je fai­sais un détour par le maga­sin de jeux et te télé­pho­nais, tout heu­reux de pou­voir t’an­non­cer de nou­velles ventes et te dire l’ad­mi­ra­tion du res­pon­sable du magasin 

Et puis, il y avait ta géné­ro­si­té, spon­ta­née, jamais prise en défaut, en vraie gran­deur. Au total un Mensch comme on dit encore dans cer­tains pays de la mit­tel-Euro­pa, des hommes sachant allier cou­rage, digni­té et altruisme, des hommes debout. 

Enfin – et j’au­rais dû com­men­cer par là – j’a­vais été le témoin de ta ren­contre avec Claire qui allait deve­nir ton épouse et c’est par ta sœur Isa­belle, dont elle était une amie, que j’ai fait la connais­sance d’É­li­sa­beth qui allait deve­nir la mienne. Nous par­lions sou­vent de nos enfants sur les­quels nous échan­gions des confi­dences. Tu as aimé les tiens avec fier­té et pudeur. 

À sup­po­ser qu’un séjour au pur­ga­toire te soit impo­sé, il ne sera pas très long. Tu rejoin­dras rapi­de­ment le cercle des Justes. D’où j’es­père tu nous regar­de­ras avec ta luci­di­té habi­tuelle et sur­tout ta com­pas­sion qui, pour être par­fois mas­quée, n’en était que plus éclatante.

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