Jacques Pitrat

Jacques Pitrat (54) pionnier français de l’intelligence artificielle

Dossier : TrajectoiresMagazine N°756 Juin 2020
Par Claude ROCHE (63)

Décé­dé en octobre 2019, Jacques Pitrat, ingé­nieur géné­ral de l’Armement, a été le génie scien­ti­fique qui a démar­ré les recherches en intel­li­gence arti­fi­cielle en France, et y a consa­cré sa vie.

Jacques Pitrat fait par­tie de ces rares génies qui ont consa­cré leur vie tota­le­ment à la Science, indi­rec­te­ment à la Patrie par les retom­bées de ses recherches, et insuf­fi­sam­ment à la Gloire au regard de ce qu’il a créé et pro­mu. Pion­nier fran­çais du domaine à la fin des années 50, très peu de temps après la nais­sance de ce concept aux USA, il est la preuve que l’intelligence arti­fi­cielle n’est pas une inven­tion récente, ni que la France serait en retard, a for­tio­ri sa défense.

Né le 27 février 1934 à Bourges, il choi­sit l’armement à sa sor­tie de l’X. Après un ser­vice en Algé­rie et l’École natio­nale supé­rieure de l’armement, il a inté­gré le Labo­ra­toire cen­tral de l’armement en 1959, comme adjoint au chef du ser­vice des machines à calculer.

Très vite après la réunion amé­ri­caine de l’école d’été de 1956 du Dart­mouth Col­lege où dix grands scien­ti­fiques amé­ri­cains, dont John McCar­thy, Mar­vin Mins­ky et Claude Shan­non ont décla­ré la nais­sance de l’« intel­li­gence arti­fi­cielle », il a com­men­cé une thèse de doc­to­rat d’État qu’il a sou­te­nue en 1966. Cette thèse trai­tait déjà de la démons­tra­tion auto­ma­tique de théo­rèmes, en intro­dui­sant le pre­mier la notion de méta­théo­rèmes. Il avait en même temps publié un pre­mier article sur l’apprentissage auto­ma­tique des machines et ensuite réa­li­sé un des pre­miers pro­grammes de Gene­ral Game Playing, publié en 1968.

Du LCA au CNRS

En 1967 il rejoint le CNRS, dans son Ins­ti­tut Blaise Pas­cal, deve­nu en octobre 1968 l’Institut de pro­gram­ma­tion de l’université Paris-VI, où il a com­men­cé sa car­rière de cher­cheur-ensei­gnant. Il y a construit son équipe qui l’a accom­pa­gné jusqu’à la fin et qui a essai­mé dans de mul­tiples orga­nismes, créant de fait l’intelligence arti­fi­cielle fran­çaise. Il a diri­gé ce labo­ra­toire et est deve­nu son direc­teur scien­ti­fique en tant que direc­teur de recherche au CNRS, jusqu’en l’an 2000, et hono­raire jusqu’à la fin 2018.

Après des débuts où il a ana­ly­sé, éva­lué et com­plé­té les méthodes de démons­tra­tion auto­ma­tique de théo­rèmes et de jeux d’ordinateurs contre les humains et d’ordinateurs entre eux, il a fait avan­cer consi­dé­ra­ble­ment l’apprentissage auto­ma­tique de la com­pré­hen­sion dans les ordi­na­teurs, de la créa­tion auto­ma­tique de stra­té­gies de com­pré­hen­sion et d’action par les machines. Il a créé la notion de méta­con­nais­sances, qui en créent elles-mêmes de nou­velles et les adaptent intelligemment.

Il se ser­vait en par­ti­cu­lier pour ce faire du pro­gramme qu’il avait créé et déve­lop­pé avec son équipe : le CAIA, le cher­cheur auto­ma­tique en intel­li­gence arti­fi­cielle, dont le but était selon lui « de l’aider et de le rem­pla­cer lui-même en tant que chercheur ».

De l’autocréation de l’intelligence artificielle à la conscience dans les machines

Il a bien sûr appli­qué ses idées à la com­pré­hen­sion du lan­gage natu­rel, et même à l’introduction de la conscience chez les machines. Un rap­port (Vers une tech­no­lo­gie de la conscience ?) qu’il a rédi­gé avec Alain Car­don et Gérard Sabah, pré­sen­té en juin 2012 à l’Académie des tech­no­lo­gies et publié en 2013, montre très clai­re­ment les pistes pour y arri­ver. Auteur pro­lixe, il a écrit sept ouvrages de base sur l’IA.

Expert recon­nu des jeux de construc­tion méca­niques métal­liques, il était le rédac­teur habi­tuel de la revue inter­na­tio­nale spé­cia­li­sée dans ces jeux, Other Sys­tems News­let­ter.

Très atta­ché à ses élèves comme à sa famille, il était pas­sion­né, curieux de tout, grand lec­teur, extrê­me­ment culti­vé, féru d’histoire. Tous se sou­viennent de lui comme bien­veillant, rem­plis­sant le quo­ti­dien de son envi­ron­ne­ment d’extraordinaire et fai­sant en per­ma­nence « ce qu’il fallait ».

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