Paul Mentré

Paul Mentré (54), un haut fonctionnaire libéral

Dossier : TrajectoiresMagazine N°752 Février 2020
Par Christian STOFFAËS (66)

Paul Men­tré est décédé le 3 jan­vi­er 2020. Il était l’incarnation de l’élitisme et de la tech­nocratie française. À cette dif­férence près qu’il était aus­si un libéral con­va­in­cu, car­ac­tère peu répan­du, voire rare, dans son milieu professionnel.

Un haut fonc­tion­naire libéral : cette déf­i­ni­tion, qui résonne comme un oxy­more, décrit pour­tant bien la mar­que dis­tinc­tive de la car­rière et des écrits de Paul Men­tré (54), énar­que et inspecteur des finances – comme son père spir­ituel Valéry Gis­card d’Estaing et comme son fils Gilles. Débu­tant à l’Inspection des finances, puis au sein de la pres­tigieuse direc­tion du Tré­sor, il entre au cab­i­net du min­istre de l’Économie et des Finances Valéry Gis­card d’Estaing, dont il devient le directeur adjoint. Après la cam­pagne prési­den­tielle à laque­lle il prend une part active, il est nom­mé délégué général à l’énergie auprès du min­istre de l’Industrie Michel d’Ornano, l’homme de con­fi­ance du prési­dent de la République.

Le pilote du programme électronucléaire français

À ce poste, il est chargé de super­vis­er la réal­i­sa­tion du pro­gramme élec­tronu­cléaire – dit pro­gramme Mess­mer – décidé dans l’urgence de la véri­ta­ble panique qui accom­pa­gne le choc pétroli­er. Sans expéri­ence préal­able, la querelle des fil­ières graphite-gaz et eau légère à peine arbi­trée, notre pays lance un gigan­tesque pro­gramme d’investissement, de quelque soix­ante cen­trales nucléaires, sans équiv­a­lent dans le monde. 

Au pays des X ingénieurs, du corps des Mines, du dirigisme indus­triel, du nation­al­isme sour­cilleux et des monopoles d’État, l’X inspecteur des finances libéral et améri­can­isé, bien qu’un peu isolé, encer­clé par le corps des Mines et les X ingénieurs, doit cou­vrir la coopéra­tion entre les deux géants réc­on­cil­iés : EDF et le CEA. Un atte­lage sur­puis­sant, rétif et dif­fi­cile à dompter, mais qui fonc­tion­nera dans l’harmonie et qui don­nera à notre pays, bâti sur une décen­nie, un atout for­mi­da­ble. Rue de Riv­o­li, il sera aus­si ultérieure­ment prési­dent de la banque publique d’investissement : le Crédit nation­al. La France est ain­si délivrée de l’obsession his­torique du manque de ressources char­bon­nières et pétrolières, ce qui, en plus, l’autorise aujourd’hui à pren­dre la tête de la diplo­matie du climat.

En poste à Wash­ing­ton comme con­seiller financier de l’ambassade de France, admin­is­tra­teur du Fonds moné­taire inter­na­tion­al et de la Banque mon­di­ale, il était devenu un expert, un admi­ra­teur incon­di­tion­nel et un ardent pro­pa­gan­diste du sys­tème économique des États-Unis, de l’économie de marché et de la dérégulation.

Mais la poli­tique, ce n’est pas seule­ment la grande stratégie et les rela­tions inter­na­tionales. Pour mieux la con­naître au niveau de base, il choisira de la pra­ti­quer comme mil­i­tant du Par­ti répub­li­cain et comme élu local (en Normandie).

La marche vers l’euro et l’exemple américain

Autre tour­nant his­torique dont Paul Men­tré a été un acteur priv­ilégié : la mise en place du cadre qui allait per­me­t­tre la créa­tion de l’euro à tra­vers l’action d’influence déci­sive du Comité Gis­card-Schmidt pour l’Union moné­taire de l’Europe, dont il a été le secré­taire exé­cu­tif de 1986 à 1993. Au min­istère des Finances, il avait été le témoin des limbes de l’euro – l’inconvertibilité du dol­lar, l’instabilité des changes flot­tants, la mise en œuvre du « ser­pent » puis du sys­tème moné­taire européen, la néces­sité d’aller au-delà des par­ités fix­es vers la mon­naie unique. Obser­va­teur atten­tif, à chaque étape de la con­struc­tion com­mu­nau­taire, de l’importance déci­sive de la con­ver­gence fran­co-alle­mande et du legs de Jean Mon­net « rien ne se con­stru­it sans les hommes, rien ne dure sans les insti­tu­tions », Paul Men­tré sera aus­si cofon­da­teur et vice-prési­dent du Con­seil d’analyse économique franco-allemand.

Les évo­lu­tions poli­tiques lui ont don­né rai­son. Précurseur, par­fois un peu isolé dans ses com­bats, il aura accom­pa­g­né son pays – le nôtre – dans sa tra­jec­toire vers l’économie inter­na­tionale, le libéral­isme économique, l’Europe.


Notice de Paul Men­tré sur bnf.fr

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