Marcel ROULET (54) en Grand Uniforme

Marcel ROULET (54), visionnaire et gestionnaire

Dossier : TrajectoiresMagazine N°726 Juin/Juillet 2017Par : Michel Huet (67), avec les témoignages de Gérard Théry (52), Maurice Gaucherand (56), Paul Quilès (61), Jean-Claude Mailhan (63), Jean-Yves Gouiffès (67), Denis Ranque (70) et Christian Pinon (73)

Le pre­mier prési­dent de France Télécom/Orange

Né en 1933 à La Ter­rasse au cœur du Gré­si­vau­dan, Mar­cel Roulet perd sa mère d’une ménin­gite peu après sa nais­sance, puis son père lors de la Sec­onde Guerre mondiale. 

Son insti­tu­teur le remar­que et fera en sorte qu’il puisse faire des études. Pupille de la Nation, il entre au Pry­tanée mil­i­taire à La Flèche. 

À sa sor­tie de l’X, il fait l’ENST et devient en 1959 ingénieur dans l’administration de la France d’outre-mer. Il va rester neuf ans en Afrique où il ren­con­tre sa femme Danièle (mariage en novem­bre 1961) et où naîtront ses deux filles, Valérie et Flo­rence. Il a eu égale­ment un fils, Hen­ri, né en France métropolitaine. 

HOMME DE TERRAIN ET DE STRATÉGIE

Nom­mé à Lyon (1969–1973), il a pour­suivi cette car­rière opéra­tionnelle, « sur la ligne de front » comme il aimait à le dire, d’abord à Lyon (1969–1973) puis en créant la pre­mière direc­tion opéra­tionnelle des Télé­com­mu­ni­ca­tions à Annecy (1973 à 1975). 

Homme de ter­rain, il a lais­sé le sou­venir d’un patron exigeant mais com­pé­tent et juste. 

Déjà à cette époque, il se plai­sait à avoir des réflex­ions stratégiques sur l’évolution des Télé­coms, comme leur néces­saire autonomie. Il prit l’initiative d’animer un groupe qui mit au point les plans d’équipement de toute la région Rhône- Alpes, tra­vail qui servit à éla­bor­er les pro­grammes pluri­an­nuels pen­dant plus de dix ans. 

Il fut ensuite directeur région­al à Cler­mont-Fer­rand de 1975 à 1977. 

UNE RENCONTRE MARQUANTE

Gérard Théry fait connaissance avec Marcel Roulet fin des années soixante-dix. « Le poste de chef du service des programmes et affaires financières était à pourvoir. André Rousselet (33), directeur régional de Lyon, m’a parlé de Marcel en termes élogieux. J’ai reçu Marcel deux jours plus tard. Notre conversation a été brève.
Je lui propose le poste. Il l’accepte. Je lui dis que je l’attends dès qu’il peut. “Je serai là lundi.” Nous avons transigé pour le lundi d’après. J’ai compris que j’avais en face de moi un homme de décision et de devoir. »

RETOUR À PARIS

En 1977, Gérard Théry (52), directeur général des Télé­com­mu­ni­ca­tions, le fait venir à Paris. En jan­vi­er 1982, il est nom­mé directeur général adjoint sec­on­dant Jacques Don­doux (51) et par­ticipe très active­ment à l’élaboration de la charte de ges­tion des télécommunications. 

Devant la déci­sion du gou­verne­ment d’augmenter forte­ment la taxe télé­phonique et de procéder à un prélève­ment oblig­a­toire de 13,9 mil­liards de francs, véri­ta­ble impôt sur les télé­com­mu­ni­ca­tions, il a le courage de présen­ter sa démis­sion. Elle lui sera refusée. 

LA CRÉATION DE CHRONOPOST

Marcel ROULET (54)Fin 1984, il est nom­mé directeur général des Postes, une « mai­son », proche insti­tu­tion­nelle­ment. En deux ans, il va réor­gan­is­er les ser­vices financiers, dévelop­per l’informatisation, men­er une négo­ci­a­tion avec les syn­di­cats sur les con­di­tions d’exercice du droit de grève et créer la société fil­iale Chronopost. 

Cette société de droit privé, asso­ciant un parte­naire extérieur (la com­pag­nie aéri­enne TAT), était à même de s’opposer aux cour­siers inter­na­tionaux DHL et Fed­er­al Express… 

C’est le mariage de la moder­nité (un statut d’entreprise, un ser­vice « à valeur ajoutée ») et de la tra­di­tion (le trans­port du cour­ri­er), mis en œuvre avec prag­ma­tisme et habileté, deux « mar­queurs » de Mar­cel Roulet. 

UN EXCEPTIONNEL TRANSFORMATEUR DES ORGANISATIONS

Fin 1986, il prend la tête de la direc­tion générale des Télé­com­mu­ni­ca­tions. Il n’aura alors de cesse de pré­par­er cette admin­is­tra­tion à faire face à une con­cur­rence crois­sante, à l’international d’abord, sur les réseaux d’entreprises puis sur les mobiles, et la dot­er des mêmes moyens que les entre­pris­es concurrentes. 

Il crée en 1987 Coge­com, une société hold­ing regroupant les fil­iales exerçant leurs activ­ités dans le domaine con­cur­ren­tiel (dont Transpac, France Câbles et Radio, Télésys­tèmes et Télé­com Sys­tèmes mobiles). 

C’était un poli­tique au sens noble du mot, il savait faire franchir la riv­ière au bateau, sans incan­ta­tions inutiles, avec tout son équipage, sans mutinerie. 

UN BÂTISSEUR EUROPÉEN

Il a con­stru­it et dévelop­pé un parte­nar­i­at, puis une alliance cap­i­tal­is­tique, avec Deutsche Telekom. Il avait été mar­qué comme son homo­logue alle­mand par les hor­reurs de la guerre dans sa jeunesse. 

“ Il a laissé le souvenir d’un patron exigeant mais compétent et juste ”

Plus large­ment, il a impul­sé des rela­tions et des groupes de tra­vail avec les opéra­teurs des pays voisins, pour armer l’Europe, dans la con­cur­rence totale, face aux acteurs américains. 

Retiré des affaires, il regret­tait amère­ment l’échec de ces rap­proche­ments, que les forces pour­tant chargées de con­stru­ire l’Europe n’ont eu de cesse de freiner. 

LA CRÉATION DE FRANCE TÉLÉCOM

C’est suite à l’arrivée de Paul Quilès (61) en mai 1988, qu’au tra­vers de la mis­sion con­fiée à Hubert Prévot, il va pré­par­er le change­ment de statut de la « DGT » en étab­lisse­ment pub­lic France Télécom. 

LA RÉFORME DES PTT

L’ancien ministre Paul Quilès qui a engagé cette réforme en 1989 évoque la participation de Marcel Roulet à ce grand projet. « Il participa pleinement aux travaux de préparation, dans le cadre du débat public, conduit par Hubert Prévot et ce fut une occasion pour lui de montrer non seulement son esprit de synthèse, mais aussi ses indiscutables qualités humaines, si utiles en pareille circonstance. »

Il en pré­cise d’emblée les objec­tifs prin­ci­paux : sépa­ra­tion de la régle­men­ta­tion et de l’exploitation, autonomie opéra­tionnelle des exploitants, pos­si­bil­ité de recruter et de fidélis­er les cadres, con­trôle direct des filiales. 

Le 17 décem­bre 1990, il est nom­mé prési­dent du con­seil d’administration de France Télé­com jusqu’en août 1995, date à laque­lle il devra laiss­er sa place pour la trans­for­ma­tion de l’établissement pub­lic en SA et l’ouverture de son cap­i­tal. En févri­er 2003, il en sera nom­mé administrateur. 

LA PRIVATISATION DE THOMSON

En 1996, il est nom­mé par le gou­verne­ment d’Alain Jup­pé prési­dent de Thom­son SA (nation­al­isé) et de sa fil­iale cotée Thom­son-CSF. Son man­dat est explicite­ment de con­duire la pri­vati­sa­tion de ce groupe. Mar­cel Roulet, qui sait que la durée de son man­dat est lim­itée, se dédie totale­ment à ce dossier de pri­vati­sa­tion, et a la sagesse de main­tenir dans la con­ti­nu­ité la stratégie et les opéra­tions du groupe. 

“ Une occasion de montrer non seulement son esprit de synthèse, mais aussi ses indiscutables qualités humaines ”

Une pre­mière ten­ta­tive de pri­vati­sa­tion entre les mains des groupes Lagardère et Dae­woo, en 1996–1997, échoue sur une ques­tion de val­ori­sa­tion de la branche grand pub­lic, forte­ment endettée. 

La deux­ième sera la bonne sous forme de pri­vati­sa­tion séparée de Thom­son-CSF, avec Alca­tel et Das­sault, et de Thom­son SA, sous forme plus pro­gres­sive et internationale. 

Touché par la lim­ite d’âge de 65 ans en jan­vi­er 1998, Mar­cel Roulet lais­sera la place à Thier­ry Bre­ton et à Denis Ranque (70), respec­tive­ment chez Thom­son SA, devenu Tech­ni­col­or, et Thom­son-CSF, devenu Thales. Il en restera admin­is­tra­teur pen­dant de nom­breuses années. 

FIDÉLITÉ ET DÉVOUEMENT

Mar­cel Roulet était un homme de fidél­ité. Fidél­ité à son ter­roir du Dauphiné, et aux valeurs qui en étaient issues. Fidél­ité à ses amis, dont la plu­part sont des amis de longue date ; loin de l’image un peu austère, voire bour­rue, qui pré­valait lors d’un pre­mier con­tact rapi­de, il lais­sait décou­vrir à ses amis une sen­si­bil­ité pro­fonde, empreinte de beau­coup de déli­catesse et d’une grande pudeur. 

Il fut égale­ment un homme de dévoue­ment, comme en attes­tent son engage­ment pour l’AX qu’il prési­da de 1994 à 1998 et son rôle dans la créa­tion de l’Institut Paul Delou­vri­er (think tank sur la mod­erni­sa­tion des admin­is­tra­tions, célèbre pour son baromètre annuel sur la per­cep­tion qu’en ont les citoyens). 

Mar­cel Roulet était grand offici­er de la Légion d’honneur et com­man­deur de l’ordre nation­al du Mérite.

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