Signal de la voix

PARROT : De l’échec au succès planétaire du drone

Dossier : TrajectoiresMagazine N°718 Octobre 2016
Par Henri SEYDOUX
L’aventure de Parrot débute en 1994 avec la commercialisation d’agendas électroniques à commande vocale. Ce n’est pas un succès commercial‚ mais la technologie est recyclée dans le téléphone de voiture pour créer un kit mains libres‚ et Parrot devient rapidement un acteur majeur de ce marché. Henri Seydoux vise rapidement d’autres domaines en concevant des produits communicants destinés au grand public.
En 2010‚ il lance un drone jouet pilotable avec un smartphone, une réussite qui fait aujourd’hui de Parrot l’un des principaux fabricants de drones civils.
Article repris d’un compte rendu de débat de l’École de Paris du management, rédigé par Élisabeth Bourguinat, http://www.ecole.org

J’ai créé Par­rot en 1994 avec pour ambi­tion de conce­voir un petit objet qui serait le croi­se­ment entre un enre­gis­treur numé­rique (concept qui, à l’époque, n’existait pas) et un agen­da, doté d’un sys­tème de recon­nais­sance vocale per­met­tant de prendre des notes et de les classer.

Les capi­taux-ris­queurs étant tou­jours à l’affût des nou­velles ten­dances, Sofin­no­va a déci­dé d’investir dans mon projet.

Tout s’est bien pas­sé jusqu’à la mise sur le mar­ché, qui fut un échec. Il est vrai que l’appareil ne fonc­tion­nait pas par­fai­te­ment : j’étais sur­tout un déve­lop­peur de logi­ciel, l’électronique n’était pas vrai­ment ma spécialité.

Fondée en 1994, Parrot conçoit, développe et commercialise des produits sans fil de haute technologie à destination du grand public et des grands comptes. L’entreprise s’appuie sur une expertise technologique commune pour se développer sur trois principaux secteurs :
  • Les drones civils avec des quadricoptères de loisirs et des solutions de premier plan destinées aux marchés professionnels.
  • L’automobile avec la gamme la plus étendue du marché de systèmes de communication mains libres et d’infotainment pour la voiture.
  • Les objets connectés dans les domaines du son et du jardin notamment.

LE KIT MAINS LIBRES

À cette époque, le télé­phone cel­lu­laire com­men­çait à se déve­lop­per. J’ai contac­té Erics­son pour leur pro­po­ser d’intégrer mon logi­ciel de recon­nais­sance vocale à leur télé­phone. Ils ont refu­sé, car cela leur parais­sait trop com­pli­qué à programmer.

Commande téléphone mains libres
En 2005, Par­rot a com­men­cé à vendre son sys­tème mains libres direc­te­ment aux construc­teurs d’automobiles.  © HIGHWAYSTARZ / FOTOLIA.COM

En revanche, sachant que la loi sué­doise inter­di­rait l’usage du télé­phone tenu en main au volant, ils étaient inté­res­sés par une appli­ca­tion de mon sys­tème des­ti­née à l’environnement automobile.

Je suis par­ti en vacances avec une pile de numé­ros de la revue amé­ri­caine PNAS (Pro­cee­dings of the Natio­nal Aca­de­my of Sciences), et je suis tom­bé sur un article dans lequel un expert expli­quait com­ment l’oreille humaine extrait la parole du bruit.

De retour à Paris, j’ai écrit un nou­veau pro­gramme et deman­dé un ren­dez-vous chez Erics­son. Nous sommes alors par­tis en voi­ture tes­ter l’appareil sur l’autoroute, en rou­lant déli­bé­ré­ment sur les bandes rugueuses des­ti­nées à atti­rer l’attention du conduc­teur par un effet sonore et de vibra­tion quand il s’écarte de sa tra­jec­toire normale.

Or, l’ennemi numé­ro un de la recon­nais­sance vocale, c’est le bruit. Par chance, l’expérience a été concluante.

Il était temps, car ma socié­té était au bord de la faillite. J’ai réus­si à convaincre les inves­tis­seurs de remettre de l’argent au pot.

DE LA CATASTROPHE À LA RÉUSSITE

Arrive enfin le grand jour : le lan­ce­ment de notre sys­tème mains libres Blue­tooth au Salon de l’automobile de Franc­fort. C’était le 11 sep­tembre 2001… Le Salon, désert, a fer­mé ses portes dès le len­de­main. Je me retrou­vais avec trente sala­riés et de la tré­so­re­rie pour trois mois.

Para­doxa­le­ment, cette catas­trophe a été notre chance. Les trois grandes entre­prises de télé­com­mu­ni­ca­tions ont aban­don­né tout ce qui n’était pas leur cœur de métier, et en par­ti­cu­lier le télé­phone de voiture.

Quatre mois après le 11 sep­tembre, Par­rot a com­men­cé à deve­nir ren­table : nous étions désor­mais la seule socié­té au monde à pro­duire des kits mains libres Bluetooth.

DES CONTRATS AVEC LES CONSTRUCTEURS D’AUTOMOBILES

En 2005, j’ai vou­lu fran­chir une nou­velle étape : vendre notre sys­tème mains libres direc­te­ment aux construc­teurs d’automobiles.

LA PROVIDENCE BLUETOOTH

À Télécom Paris, j’ai trouvé un laboratoire qui a accepté de m’aider à développer des systèmes de reconnaissance vocale pour les téléphones de voiture. Mais les appareils des leaders du marché, Nokia, Ericsson et Motorola, n’étaient pas interopérables. Nous ne parvenions pas à mettre au point un système fonctionnant avec les trois marques.
J’ai alors reçu la visite d’un ingénieur de la R&D d’Ericsson : « On vient d’inventer un dispositif qui permet de connecter les téléphones sans fil. Vous pensez que ça pourrait avoir un avenir ? » Il s’agissait du Bluetooth, et c’était exactement ce qui nous manquait.

J’ai essayé pen­dant trois ans de trou­ver un construc­teur ou un équi­pe­men­tier inté­res­sé. En vain. En revanche, Hita­chi cher­chait des tech­no­lo­gies euro­péennes à déve­lop­per au Japon sous forme de joint-venture.

Nous avons ouvert un bureau com­mun et trou­vé un pre­mier client : un fabri­cant japo­nais d’autoradios qui était inté­res­sé par notre solu­tion Bluetooth.

À la suite de ces pre­miers suc­cès, presque tous les construc­teurs japo­nais et alle­mands ont adop­té nos produits.

À mon grand regret, je n’ai jamais réus­si à convaincre les marques fran­çaises d’en faire autant. Nul n’est pro­phète en son pays.

UNE ENTRÉE EN BOURSE RÉUSSIE

DYNAMIQUE AMÉRICAINE

Notre deuxième client fut un Américain qui proposait des équipements pour la navigation. Cette expérience m’a permis de mesurer le dynamisme des entreprises américaines : trois semaines après la présentation du produit, le contrat était signé ; six mois plus tard, le produit sortait.

En 2004, je reçois un appel de Sofin­no­va : « Hen­ri, c’est super, la boîte est ren­table, on va la vendre. » Je lui ai répon­du qu’il n’en était pas ques­tion, mais que j’allais trou­ver une solu­tion, car je com­pre­nais bien que Sofin­no­va avait besoin de recueillir le fruit de son investissement.

La bulle Inter­net venait d’éclater et le contexte n’était pas favo­rable. J’ai mis plus d’un an à trou­ver un inves­tis­seur qui accepte de reprendre les parts de Sofin­no­va, à la condi­tion que nous intro­dui­sions rapi­de­ment la socié­té en Bourse.

L’entrée en Bourse, en 2006, nous a per­mis de pas­ser de 25 mil­lions d’euros de fonds propres à près de 80 mil­lions. Cela don­nait une très grande soli­di­té à l’entreprise.

DES START-UPS INTERNES

Les kits mains libres se ven­daient de 15 à 200 dol­lars pièce. Au plus fort de l’activité, nous en ven­dions plus de dix mil­lions par an, pour un nombre total de cin­quante mil­lions de véhi­cules pro­duits chaque année. Cela nous lais­sait de la marge, mais je connais­sais la loi de Moore et je savais que ce qui se ven­dait 20 dol­lars à une date don­née n’en vau­drait plus que 10 quelque temps plus tard, puis 2, etc. Il était donc urgent de réflé­chir à de nou­veaux produits.

Consi­dé­rant que le point de départ de toute l’activité de Par­rot était le télé­phone et que ce sec­teur était extrê­me­ment dyna­mique, j’ai déci­dé de cher­cher à inno­ver dans trois des grandes fonc­tions du télé­phone : la pho­to, la musique et le jeu vidéo.

LES CAPITAUX-RISQUEURS

L’entrée en Bourse m’a délivré des capitaux-risqueurs, qui sont très précieux au démarrage mais également très invasifs. Ils peuvent intervenir sur tout, y compris des sujets qu’ils ne maîtrisent pas, et veulent que vous alliez toujours plus vite, quitte à vous mettre en danger.
Une fois en Bourse, il suffit d’expliquer à vos actionnaires ce que vous voulez faire, et à condition que l’explication et son application tiennent la route, ils sont libres de vous croire, d’acheter, de vendre, et tout se passe bien.

À l’époque, l’iPhone n’existait pas : on en était encore au stade des télé­phones Nokia. Quand j’ai annon­cé ce pro­jet aux membres de mon conseil d’administration, ils m’ont regar­dé avec des yeux ronds. Mais en tant que prin­ci­pal action­naire, je suis aus­si le prin­ci­pal concer­né par les risques que je décide de prendre. C’est le secret de ma liberté.

Pour explo­rer ces trois pistes, j’ai créé trois start-ups internes. J’ai ins­tal­lé ces trois équipes de 3 ou 4 ingé­nieurs dans un coin du bureau et leur ai don­né pour mis­sion de créer de nou­veaux pro­duits, avec deux grandes inter­dic­tions : pas de spé­ci­fi­ca­tions, pas d’études de marché.

Ces prin­cipes sont clés pour l’innovation : on se contente d’une road map d’une page, à par­tir de laquelle on « bidouille » des bouts de logi­ciels col­lés les uns aux autres, puis on fait des essais et on regarde si ça marche.

En géné­ral, cela ne fonc­tionne pas et on doit recom­men­cer. Petit à petit, on accu­mule du savoir et, par­fois, ça finit par mar­cher. Bien sûr, il y a beau­coup d’échecs. La moi­tié des start-ups que j’ai créées dans l’entreprise ont dû être fermées.

UN SUCCÈS PLANÉTAIRE : LE DRONE CIVIL

Le pro­jet de drone jouet pilo­té par un smart­phone nous a deman­dé cinq ans de tra­vail. Dans l’entreprise, beau­coup étaient contre. À l’époque, Par­rot employait envi­ron cinq cents déve­lop­peurs, dont la moi­tié étaient très jeunes. Ils s’occupaient de trai­te­ment de signal et d’autres tech­no­lo­gies de ce type, et ne com­pre­naient pas pour­quoi leurs aînés s’acharnaient sur un pro­jet de drone qui ne fonc­tion­nait pas.

PARROT À LAS VEGAS

Au Consumer Electronics Show de 2010 à LAS VEGAS, notre appareil voletait à l’intérieur d’une cage et sa principale performance consistait à se maintenir en l’air sur un point fixe.
Le succès fut colossal : le drone a été l’attraction principale du salon et a fait l’objet de près de trois cents reportages télévisés dans le monde, sur CNN, CBS, Sky News, ZDF, BBC, TF1, etc.

Le busi­ness model n’était pas très convain­cant non plus. Bien que nous ayons uti­li­sé autant que pos­sible la « banque d’organes » des télé­phones, le prix de vente pré­vu attei­gnait 300 euros.

Sony et de Nin­ten­do, à qui je mon­trais nos pro­to­types, étaient plus que dubitatifs.

Nous avons mal­gré tout pour­sui­vi le pro­jet jusqu’au bout et, en jan­vier 2010, nous avons pré­sen­té notre pre­mier drone à Las Vegas. Ce fut un suc­cès colossal.

Nous n’avions pas la moindre idée du poten­tiel réel et en six mois, nous avons ven­du cent vingt mille drones.

J’ai déci­dé d’accélérer le déve­lop­pe­ment de cette acti­vi­té et de l’élargir aux appli­ca­tions pro­fes­sion­nelles en rache­tant des entre­prises spé­cia­li­sées dans les drones, notam­ment deux start-ups éma­nant de l’École poly­tech­nique fédé­rale de Lau­sanne : sen­se­Fly et Pix4D.

Aujourd’hui, notre chiffre d’affaires s’élève à près de 330 mil­lions d’euros, dont près de 200 dans les drones et 130 dans l’automobile. L’automobile est en décrois­sance car les télé­phones de voi­ture se sont « com­mo­di­ti­sés », alors que les drones sont en plein développement.

J’ai pu pro­cé­der à une levée de fonds l’an der­nier et, en six semaines, nous avons réuni 300 mil­lions d’euros.

CRÉER UNE ENTREPRISE INDUSTRIELLE EN FRANCE EST POSSIBLE

Drone de PARROT
En six mois, Par­rot a ven­du cent vingt mille drones.

Je tire trois grandes leçons de cette expé­rience. La pre­mière est qu’il est par­fai­te­ment pos­sible de créer une entre­prise indus­trielle en France, et que c’est même plus facile que jamais. Il existe désor­mais des inves­tis­seurs pour toutes les phases de déve­lop­pe­ment d’une start-up.

Que vous ayez besoin de 2 mil­lions d’euros, de 5 mil­lions, de 18 ou de 25, vous pou­vez les trou­ver. L’entrée en Bourse est éga­le­ment beau­coup plus facile qu’il y a vingt ans.

C’EST UN MÉTIER DE SALTIMBANQUE

La deuxième leçon est que dans la haute tech­no­lo­gie, il y a des cycles et on ne peut pas espé­rer vendre le même pro­duit pen­dant des années. Quand je me suis lan­cé dans les télé­phones de voi­ture, Nokia était le numé­ro un mon­dial du télé­phone et repré­sen­tait la pre­mière capi­ta­li­sa­tion euro­péenne. Aujourd’hui, cette entre­prise a disparu.

Même Apple était au bord de la faillite avant que Steve Jobs ne revienne, et per­sonne ne peut dire aujourd’hui où cette entre­prise en sera dans dix ans.

C’est un métier de sal­tim­banque : vous pou­vez avoir beau­coup de suc­cès à un moment don­né, et devoir tout recom­men­cer à un autre.

ATTEINDRE DIRECTEMENT LE CLIENT

La troi­sième leçon est que l’industrie du logi­ciel est fon­da­men­ta­le­ment orien­tée vers le B to C. Les clients indus­triels et les grands comptes sont volages. C’est seule­ment avec des pro­duits des­ti­nés au grand public que l’on peut réel­le­ment faire du busi­ness, et plu­sieurs grands fac­teurs y contri­buent aujourd’hui.

L’USINE DU MONDE ÉLECTRONIQUE EST À SHENZHEN

Il est désormais très facile de fabriquer des produits industriels en grands volumes : que vous ayez besoin de fabriquer cinq mille, cinquante mille ou cinq cent mille produits, vous êtes assuré de trouver votre bonheur dans la région de Shenzhen, qui fabrique environ 25 % de toute l’électronique mondiale.

Avant, pour vendre un pro­duit grand public, il fal­lait faire de la publi­ci­té sur TF1 ou d’autres grands médias. Désor­mais, on peut pas­ser par You­Tube et Google. Enfin, la dis­tri­bu­tion est éga­le­ment deve­nue beau­coup plus accessible.

Aupa­ra­vant, c’était la chasse gar­dée des grands groupes d’électronique comme Sony ou Phi­lips. Désor­mais, on trouve à la Fnac et dans les autres grandes enseignes de nom­breux pro­duits fabri­qués par des start-ups : ce sont ceux qui se vendent le mieux et sur les­quels la dis­tri­bu­tion fait le plus de marge.

Sans comp­ter que l’on peut aus­si vendre ses pro­duits sur Internet.

Le site de PARROT

Commentaire

Ajouter un commentaire

19860096répondre
12 octobre 2016 à 17 h 25 min

Bon­jour,

Bonjour, 

Article par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant. Mais il y a un « trou » frus­trant dans votre nar­ra­tion : com­ment êtes-vous arri­vé à l’i­dée des drones ? Est-ce issu de votre struc­ture dédiée à l’in­no­va­tion (les 3 start-ups internes) et cette struc­ture existe-t-elle toujours ? 

cordialement

Répondre