Badge Autolib

Les vingt-neuf polytechniciens d’Autolib”

Dossier : TrajectoiresMagazine N°707 Septembre 2015
Par Sylvain GÉRON (92)

L’aventure auto­lib’, c’est une aven­ture un peu folle d’entrepreneurs. Une aven­ture ini­tiée par Vincent Bol­lo­ré, qui a vu dans l’appel d’offres lan­cé par le syn­di­cat mixte Auto­lib’ (SMA), asso­cia­tion de com­munes de la région pari­sienne, l’occasion de démon­trer la per­for­mance de la bat­te­rie élec­trique qu’il déve­lop­pait depuis plu­sieurs années.

Il fal­lait rele­ver le défi de la réa­li­sa­tion infor­ma­tique en moins de douze mois, tâche qui a été confiée à Polyconseil.

USAGE FACILE, TECHNIQUE COMPLEXE

Il est possible de s’abonner à Autolib’ via son ordinateur, son smartphone ou une borne d’abonnement dans la rue. On peut réserver trente minutes à l’avance une voiture ou une place de stationnement. Quand on a ses documents avec soi, la procédure d’abonnement dure cinq à sept minutes et la prise de location est immédiate.
La complexité technique et informatique réside dans le fait qu’Autolib’ est un véritable opérateur de service de transport. Il faut gérer des clients dans la rue ; des véhicules qui possèdent leur propre électronique embarquée ; des bornes qu’il faut maintenir ; des équipes de terrain qui accompagnent les utilisateurs et des téléconseillers.

Un parc de trois mille voitures

Le ser­vice Auto­lib’ est le plus gros ser­vice urbain de par­tage de véhi­cules élec­triques dans le monde, per­met­tant de prendre un véhi­cule en un point A et de le dépo­ser en un point B.

Il des­sert aujourd’hui une soixan­taine de com­munes de la région pari­sienne, avec un parc de plus de trois mille voi­tures, acces­sible à par­tir de neuf cents sta­tions d’accueil et com­plé­té par cinq mille bornes de recharge.

“ Prendre un véhicule en un point A et le déposer en un point B ”

On compte en moyenne 15 000 loca­tions par jour, chaque voi­ture étant louée cinq fois en moyenne dans la jour­née. Depuis le lan­ce­ment, en 2011, plus de 200 000 per­sonnes se sont abon­nées, dont 70 000 abon­nés dits « pre­mium », enga­gés sur une durée d’un an. Le taux de renou­vel­le­ment chaque année est supé­rieur à 90 %.

Après Lyon et Bor­deaux, où un ser­vice simi­laire a été ouvert l’an der­nier, l’ouverture du ser­vice à India­na­po­lis, aux États- Unis, est en cours. Une implan­ta­tion est envi­sa­gée à Sin­ga­pour et de nom­breuses grandes capi­tales sont intéressées.

Un nouveau métier

Poly­con­seil a assu­mé la res­pon­sa­bi­li­té du pro­jet dans son ensemble, avec le déve­lop­pe­ment du sys­tème infor­ma­tique, celui des infra­struc­tures de télé­com­mu­ni­ca­tion et le mon­tage du centre opé­ra­tion­nel, avec l’ensemble de ses sys­tèmes et sa téléphonie.

“ Avoir l’entrepreneuriat dans le sang ”

Il a fal­lu gérer les inter­con­nexions des dif­fé­rents sys­tèmes tech­niques avec les bornes d’abonnement, de loca­tion ou de charge, et avec les véhi­cules et leurs sys­tèmes élec­tro­niques internes.

Avec Auto­lib’, un nou­veau métier est né. Fin 2011, une quin­zaine de déve­lop­peurs avaient tra­vaillé pen­dant dix mois. Aujourd’hui, le sys­tème est vingt fois plus gros. Il est pos­sible de chan­ger les bornes, les gens ou les véhi­cules, mais le logi­ciel cen­tral est le pivot de la structure.

Une vocation d’entrepreneur


Pour prendre un véhi­cule, il suf­fit de pré­sen­ter son badge sur une borne.

Après une pre­mière expé­rience dans le domaine de l’ADSL, peu avant l’éclatement de la bulle Inter­net, Syl­vain Géron (92) a rejoint son ami Marc Taieb (92) pour créer deux socié­tés, Poly­con­seil et Wifirst. Dans un esprit de com­mu­nau­té et de soli­da­ri­té, leurs frères res­pec­tifs, Auré­lien Géron et Domi­nique Taieb, sautent dans leurs bateaux.

Wifirst, qui est deve­nu la réfé­rence du WiFi en France, a équi­pé la plu­part des Centres natio­naux des oeuvres uni­ver­si­taires et sco­laires (CROUS), les éco­no­mats des Armées ain­si que les hôtels Accor ou Barrière.

Poly­con­seil et Wifirst sont ensuite entrées pro­gres­si­ve­ment dans le groupe Bolloré.

Les valeurs de Poly­con­seil, sou­ligne Syl­vain Géron, sont « des valeurs d’entrepreneurs, et les col­la­bo­ra­teurs doivent avoir l’entrepreneuriat dans le sang ». Nom­breux sont les anciens de l’École poly­tech­nique, « ce qui donne à l’entreprise une culture très “ingé­nieur” et très “com­man­do” ».

La crois­sance de Poly­con­seil est assez régu­lière, de l’ordre de 25 % à 30 % par an depuis huit ans ; aujourd’hui, le cabi­net compte une cen­taine de per­sonnes et est situé au centre de Paris.

Être client d’Autolib’

Le client d’Autolib’ uti­lise suc­ces­si­ve­ment l’abonnement, la réser­va­tion, la prise de véhi­cule, l’ordinateur embar­qué, la liai­son avec le centre opé­ra­tion­nel et le sys­tème financier.

Il existe, dans Paris, soixante-dix bornes d’abonnement, dont l’emplacement a été choi­si sous le contrôle des Monu­ments de France. Les clients peuvent éga­le­ment s’abonner depuis leur ordi­na­teur ou leur smartphone.

Sur un écran tac­tile, le client entre les infor­ma­tions deman­dées ; il est ensuite pho­to­gra­phié et un scan­ner per­met de numé­ri­ser sur place les docu­ments requis ; une impri­mante délivre un badge d’accès au véhi­cule. Il ne faut guère plus de sept minutes au client moyen pour s’abonner.

Une voiture Autolib
On compte en moyenne 15 000 loca­tions par jour.

Pour prendre un véhi­cule, il suf­fit ensuite de pré­sen­ter son badge sur une borne de loca­tion. Celle-ci vous pose un cer­tain nombre de ques­tions préa­lables, par exemple sur la prise éven­tuelle d’alcool ou de stu­pé­fiants. Plus de la moi­tié du volume de la borne est occu­pée par l’appareillage élec­trique qui ali­mente les bornes de charge.

Le client peut réser­ver gra­tui­te­ment sa voi­ture et sa place. Cette réser­va­tion se fait depuis l’application iPhone ou Android : il suf­fit de cli­quer sur le bou­ton indi­quant un véhi­cule libre et, cinq secondes plus tard, celui-ci est réser­vé pen­dant les trente minutes qui suivent.

Le centre d’appels est le centre névral­gique du sys­tème. Son écran de contrôle est com­pa­rable à celui d’un opé­ra­teur de télé­com­mu­ni­ca­tions et c’est là où sont concen­trés les téléconseillers.

C’est éga­le­ment là qu’est réa­li­sée l’assistance en cas de véhi­cule abî­mé ou de place réser­vée mais volée. Le client est alors orien­té vers une autre place ou, dans de rares cas, auto­ri­sé à lais­ser le véhi­cule sur place.

Une batterie solide

Un pack pour Auto­lib’ repré­sente une conte­nance de trente kilo­watt­heures et pèse trois cents kilos, le double pour un bateau et le triple pour un bus.

C’est une solu­tion déve­lop­pée sur la base d’une bat­te­rie lithium métal poly­mère (LMP), mélange qui a la par­ti­cu­la­ri­té d’être solide, à la dif­fé­rence des bat­te­ries lithium-ion, dont le mélange est liquide et qui ont besoin d’être refroidies.

Elle est éga­le­ment beau­coup plus stable, ce qui est essen­tiel pour toutes les appli­ca­tions mobiles ou en pays chaud. Ces bat­te­ries peuvent être com­bi­nées en site sta­tion­naire jusqu’à des ensembles de trente-six, sto­ckés dans des conte­neurs pour une capa­ci­té allant jusqu’à un mégawattheure.

L’autonomie d’énergie

À Nia­mey ou au Togo sont déve­lop­pées les Blue­zones, de plu­sieurs hec­tares, équi­pées en pan­neaux solaires. Elles confèrent une auto­no­mie éner­gé­tique à la zone, un ser­vice de télé­com­mu­ni­ca­tions, des dis­pen­saires, de la pro­duc­tion d’eau, des ins­tal­la­tions spor­tives, du ciné­ma, etc.

“Le centre d’appels est le point névralgique du système”

Toutes ces acti­vi­tés sont regrou­pées dans une socié­té dénom­mée Blue Solu­tions, filiale du groupe Bol­lo­ré, dans laquelle la socié­té Poly­con­seil est intégrée.

L’entrée en Bourse a été réa­li­sée, en octobre 2013, avec une valo­ri­sa­tion d’environ quatre cent cin­quante mil­lions d’euros, valo­ri­sa­tion qui a plus que dou­blé depuis lors.

Aujourd’hui, Vincent Bol­lo­ré dirige lui-même le pro­jet Auto­lib’ et Blue Solutions.

À la recherche de l’aventure

Une quin­zaine de poly­tech­ni­ciens par­ti­cipent tou­jours aux évo­lu­tions d’Autolib’ et de Blue Solutions.

LA FAMILLE BLUECAR

Le groupe Bolloré a été fondé en 1822. Fort aujourd’hui de cinquante-cinq mille collaborateurs et d’un chiffre d’affaires de quinze milliards de dollars, c’est un groupe familial depuis six générations. Au cours des années 1990, il a commencé à investir dans le secteur de la batterie électrique.
Vincent Bolloré a décidé de produire son propre véhicule, la Bluecar. Le groupe Bolloré a aussi développé un Bluebus, un Bluetram et un Blueboat, tous s’appuyant sur la batterie électrique. La Bluesummer, décapotable, est commercialisée sur la Côte d’Azur et aux Antilles.

On en a comp­té jusqu’à vingt-neuf. Deux d’entre eux ont déjà créé leur propre entre­prise. Les autres sont main­te­nant sur d’autres défis au sein de Poly­con­seil ou de Wifirst.

Les tout jeunes ont été nom­breux, en par­ti­cu­lier quatre pré­si­dents récents du binet « Réseau » de l’École. Qu’est-ce qui les attire ?

« Être un acteur d’une aven­ture excep­tion­nelle, répond Syl­vain Géron. Les jeunes poly­tech­ni­ciens sont capables de deve­nir experts en quelques jours sur tous les sujets. Ils ont l’habitude d’assimiler très rapi­de­ment les textes poly­co­piés des cours aux­quels ils n’ont pas tou­jours eu le cou­rage d’assister, donc ils savent déchif­frer et com­prendre un texte sur n’importe quel sujet.

« Ils font, de plus, preuve d’un bon sens à toute épreuve.

« Contrai­re­ment à des cabi­nets de conseil plus tra­di­tion­nels, où l’é­la­bo­ra­tion d’un cahier des charges fait l’ob­jet d’in­ces­sants allers et retours, Poly­con­seil offre la pos­si­bi­li­té de créer de façon très rapide.

Par exemple, le pro­jet Auto­lib a été défi­ni en deux semaines et enté­ri­né en deux jours.

« Ce qui fait vibrer les jeunes, c’est de créer. Chez nous, on part de zéro et on bâtit un édi­fice en commando. »

Les vertus du bouche-à-oreille

Les condi­tions de salaire sont-elles à la hau­teur des enjeux ?

« Nous recru­tons au prix du mar­ché, sans faire de sur­en­chère. Rapi­de­ment, les salaires et les res­pon­sa­bi­li­tés dépendent du talent et du poten­tiel de chacun.

Dans un pro­jet entre­pre­neu­rial, il y a autant de place que les gens peuvent en prendre. Ce qui porte, c’est notre répu­ta­tion de petite entre­prise où l’on peut s’é­pa­nouir sur la durée.

Le bouche-à-oreille est notre agent de recru­te­ment le plus effi­cace en com­plé­ment de quelques salons et d’an­nonces dif­fu­sées à l’É­cole même.

« Plus tard, cha­cun peut évo­luer comme il l’en­tend, en res­tant pour lan­cer des pro­jets nou­veaux ou en déci­dant de voler de ses propres ailes. »

Vers la transformation numérique

La trans­for­ma­tion digi­tale est une lame de fond qui touche toutes les entre­prises dans l’en­semble de leurs com­po­santes : la concep­tion de leurs pro­duits, leur logique de dis­tri­bu­tion, leur organisation.

L’en­jeu n’est donc pas de créer des experts du digi­tal au sein des orga­ni­sa­tions, mais de mettre l’en­semble de l’en­tre­prise à l’heure du digi­tal. Cela peut impli­quer de faire appel à des experts du sujet à l’ex­té­rieur de l’en­tre­prise, la mis­sion pre­mière de ces experts étant d’ac­com­pa­gner un mou­ve­ment d’en­semble que doivent s’ap­pro­prier les équipes.

Depuis dix-huit mois, seize entre­prises du CAC 40 ont créé un poste de CDO, chief digi­tal offi­cer, le plus sou­vent membre du Comex. 75 % de ces pro­fils viennent des télé­coms ou du e‑business.

« Avec Auto­lib”, Poly­con­seil a démon­tré sa capa­ci­té à créer et diri­ger un pro­jet digi­tal native très inno­vant et de grande ampleur. Nous tra­vaillons aus­si depuis quinze ans avec une logique cen­trée usages et ser­vices digi­taux pour les plus grands groupes.

Réservation Autolib
Un pro­duit digi­tal native très innovant.

Il est très agréable de tra­vailler sur des mis­sions qui per­mettent d’ac­croître de manière très signi­fi­ca­tive l’ef­fi­ca­ci­té réelle et per­çue des organisations.

Cela nous per­met de recru­ter et de gar­der les meilleurs du secteur ».

UN ESPRIT DE (PETITE) ÉQUIPE

Clément Lambrinos (2003) se destinait à la recherche, mais a souhaité faire son stage de fin d’études dans le conseil. Il a rejoint Polyconseil en juin 2007 et y est encore. Il apprécie « une petite structure qui travaille sur des sujets techniquement pointus et dans des domaines d’avenir. La culture technologique et le sentiment de participer à un projet de pointe sont stimulants. Le rythme de réalisation permet d’aboutir vite à des résultats concrets, ce qui n’est pas le cas dans le domaine de la recherche. »
La dimension humaine de la structure a également séduit Yousra Chebbi (2003).
« Je travaillais dans un grand cabinet de conseil et ne m’y suis pas bien adaptée : relations compliquées et formelles, absence d’émotion personnelle. Clément Lambrinos m’a convaincue de le rejoindre en juin 2009. J’ai été attirée par son enthousiasme. J’aime le mode de fonctionnement très direct avec une équipe réduite dans laquelle tout le monde se connaît et où le recrutement se fait par cooptation. »
Raphaël Barrois (2006) est entré en février 2011. « Je cherchais un job après mon stage de fin d’études. Aymeric Augustin (2003), qui m’avait précédé à la présidence de polytechnique.org, m’a proposé de le rejoindre et j’ai tout de suite été séduit par l’idée de m’investir dans un projet nouveau, à construire de A à Z. J’aime le dynamisme d’un groupe à l’esprit familial où l’on sait prendre des risques sans se laisser dominer par le court terme. »

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