Portrait d'Alexandre BAYEN (95)

Alexandre M. Bayen (95), où mènent les équations aux dérivées partielles…

Dossier : TrajectoiresMagazine N°731 Janvier 2018
Par Pierre LASZLO

Profes­seur à Ber­ke­ley depuis treize ans, il y dirige depuis 2014 l’Ins­ti­tute of Trans­por­ta­tion Stu­dies. C’est un gros ins­ti­tut, au bud­get annuel de 25 mil­lions de dol­lars, 40 pro­fes­seurs et 200 chercheurs.

Cette fonc­tion lui vaut un vaste bureau, suf­fi­sam­ment grand pour y conte­nir une impres­sion­nante biblio­thèque de livres de sciences. Les dizaines de mètres de rayon­nages témoignent d’une pas­sion du savoir, mathé­ma­tique en pre­mière ligne, et d’une fidé­li­té à l’héritage familial.

Un superbe héri­tage : sur­tout des scien­ti­fiques du côté mas­cu­lin, des per­son­na­li­tés plus lit­té­raires du côté fémi­nin. Quelques poly­tech­ni­ciens : son arrière-grand-père mater­nel, Roland Chau­vi­gné (1908), ses grands-oncles Robert Chap­pey (36) et Charles Tré­dé (35).

DE QUI TENIR

Son grand-père, Mau­rice Bayen, fut une émi­nence de la phy­sique fran­çaise : entré à la rue d’Ulm en 1921, cama­rade de pro­mo­tion d’Alfred Kast­ler, il y étu­dia les spectres d’étincelle de l’argent, du mer­cure et du tungs­tène. Agré­gé de phy­sique en 1925, il sui­vit aus­si à Paris les cours d’art dra­ma­tique du Conservatoire.

Des­sin : Laurent SIMON

La pas­sion pour le théâtre ne le quit­ta plus. Mobi­li­sé en 1939 comme lieu­te­nant d’artillerie, fait pri­son­nier, il fut inter­né dans un camp d’officiers, l’Oflag IV‑D en Silé­sie. Deux ten­ta­tives d’évasion, l’une man­quée en sep­tembre 1941, l’autre réus­sie le 14 octobre 1941, rela­tées dans un livre (Gal­li­mard, 1946) le rame­nèrent en France, où il ter­mi­na son doctorat.

Il s’engagea dans la Résis­tance, fut de l’épopée tra­gique du Ver­cors. En 1945, il par­ti­ci­pa à la cam­pagne d’Alsace ; puis cap­tu­ra en Alle­magne et rap­por­ta au labo­ra­toire de phy­sique de l’ENS des cen­taines de pièces d’équipement scien­ti­fique ; ain­si qu’une fusée de proxi­mi­té amé­ri­caine Pozit, enga­gée dans la bataille des Ardennes.

En 1946, il par­tit accom­pa­gné de sa jeune femme, ancien interne des hôpi­taux de Paris, réor­ga­ni­ser l’enseignement en Indo­chine. De retour en France, il fut nom­mé direc­teur de l’Enseignement supé­rieur, et diri­gea le palais de la Décou­verte, avant de ter­mi­ner sa car­rière uni­ver­si­taire comme rec­teur de l’académie de Strasbourg.

Sa col­lec­tion per­son­nelle d’ouvrages scien­ti­fiques fait désor­mais par­tie de la biblio­thèque de son petit-fils à Ber­ke­ley, légi­ti­me­ment fier d’un tel grand-père !

À BONNE ÉCOLE, DE LISZT À L’X

Tout comme lui, Alexandre Bayen mena de front des études scien­ti­fiques et de conser­va­toire artis­tique, de pia­no quant à lui. Son com­po­si­teur favo­ri est Franz Liszt. Après quelques pas dans la com­po­si­tion et l’improvisation en style clas­sique, en par­ti­cu­lier sous le pseu­do­nyme d’Ivan Schrie­goer­man (ana­gramme de Ser­gei Rach­ma­ni­nov, qui ser­vit à des canu­lars), il s’est pro­duit à l’amphi Poin­ca­ré, en Rus­sie, au Grand Hôtel de Cabourg durant sa sco­la­ri­té à l’École, à l’initiative de Patrice Holi­ner, dans des œuvres très tech­niques de Liszt.

Il col­lec­tionne les livres, écrits, par­ti­tions et auto­graphes de musi­ciens roman­tiques du XIXe siècle, et pos­sède une connais­sance presque exhaus­tive des enre­gis­tre­ments de pia­no de ce répertoire.

Alexandre Bayen vécut son enfance à Paris, fit ses études secon­daires à Hen­ri-IV, puis sa pré­pa à Louis-le-Grand, qui l’impressionna par la fer­veur de sa méri­to­cra­tie répu­bli­caine ; et par l’excellence de ses ensei­gnants, tout par­ti­cu­liè­re­ment Jacques Che­val­let – pour son inté­gri­té et son dévoue­ment au suc­cès de ses étudiants.

À l’École, la qua­li­té des cours l’enthousiasma, celui de Patrick Huerre (méca­nique des fluides) en par­ti­cu­lier. Il fut un élève heu­reux et assi­du. Nous avons évo­qué ensemble le si atta­chant Jean Salen­çon, dont les cours de mathé­ma­tiques appli­quées et de méca­nique eurent une atti­rance pro­fonde pour AMB.

INFLUENCER LES POLITIQUES PUBLIQUES

Après l’X, Alexandre Bayen pour­sui­vit par un mas­ter puis un doc­to­rat à Stan­ford, dans le dépar­te­ment d’aéronautique et d’astronautique (1998−2003) : une nou­velle pro­fes­seure l’orienta sur le contrôle de l’espace aérien. Il fut aus­si cher­cheur visi­teur au centre Ames de la Nasa (2000- 2003). L’année 2004, il diri­gea l’une des voies de recherche du Labo­ra­toire de recherches balis­tiques et aéro­dy­na­miques du minis­tère de la Défense, à Vernon.

L’université de Cali­for­nie à Ber­ke­ley le recru­ta comme pro­fes­seur en 2005. Bien dans sa peau, Alexandre Bayen est atta­chant. Il met à l’aise son inter­lo­cu­teur par son empa­thie, sa droi­ture et sa fran­chise, sa volon­té de vous aider, autant qu’il le peut.

Ain­si, les ser­vices scien­ti­fiques de l’ambassade de France et le consu­lat géné­ral, à San Fran­cis­co, tablent sur son aide, pré­cieuse. Il est aus­si, depuis vingt ans, d’une fidé­li­té sans faille à La Jaune et la Rouge.

D’une parole fluide et rapide, il s’exprime avec une constante clar­té, et non sans dilec­tion. Son tra­vail : « Il faut avoir un cer­tain conten­te­ment intel­lec­tuel dans ce qu’on fait : j’aime créer des modèles mathé­ma­tiques, les étu­dier, les uti­li­ser pour illus­trer des solu­tions pos­sibles à des pro­blèmes de société.

Ain­si, on peut avoir beau­coup d’influence sur les poli­tiques publiques, par une exper­tise scien­ti­fique au ser­vice du bien commun. »


RETOUCHE

article mis à jour le 18 juin 2020

Alexandre Bayen (95) a depuis sep­tembre 2018 une cas­quette de plus, consul­tant chez Uber, socié­té dont le siège se trouve à San Fran­cis­co donc à deux pas de Ber­ke­ley où il est pro­fes­seur – à l’université de Cali­for­nie, et où il y dirige l’Institut d’étude des trans­ports, et depuis mai der­nier, le pro­gramme de déve­lop­pe­ment aéro­spa­tial. En jan­vier 2018, il a lan­cé une nou­velle étude, FLOW, au bud­get de deux mil­lions de dol­lars : une équipe d’une dizaine de cher­cheurs applique des algo­rithmes d’apprentissage par ren­for­ce­ment pour en équi­per les futurs véhi­cules auto­nomes, tant camions que voitures.

Poster un commentaire