Portrait de Gérard ARAUD (73)

Gérard Araud (73), la force du vrai en diplomatie

Dossier : TrajectoiresMagazine N°726 Juin 2017
Par Pierre LASZLO

Sa prin­ci­pale qua­li­té, d’où découlent bien d’autres ? Son don pour l’amitié. Dès que sa fine intui­tion vous juge digne de sa confiance, et sans que vous la lui deman­diez, il vous l’offre spontanément.

“ Un homme de l’écrit, plus encore du dire vrai ”

Autant dire que cet ambas­sa­deur, qui occu­pa les postes les plus impor­tants, les plus déli­cats aus­si – Israël, Nations unies, États-Unis – ne se cui­rasse pas de ses fonctions.

C’est un homme de l’écrit, plus encore du dire vrai. Cela lui vient-il de l’esprit poly­tech­ni­cien, de cette hon­nê­te­té fon­da­men­tale du scien­ti­fique, nour­rie de quête de l’authentique et de la sim­pli­ci­té ? Sans aucun doute.

UNE VOCATION LITTÉRAIRE CONTRARIÉE ?

Issu de la petite bour­geoi­sie mar­seillaise, il sui­vit les cours du lycée Thiers, puis, pour faire plai­sir à ses parents, y enta­ma en sep­tembre 1971 une pré­pa scien­ti­fique : « Je pré­fé­rais le grec et l’histoire aux sciences. »

Tau­pin beso­gneux, selon ses termes, il fut néan­moins sen­sible à la beau­té des maths, et eut « l’impression de faire par­tie d’un cercle d’initiés à un jeu grave et ésotérique ».

Élève de la der­nière pro­mo­tion accueillie sur la Mon­tagne Sainte-Gene­viève, son ser­vice mili­taire, excep­té quelques semaines de sport avec ses copains au Lar­zac, lui fut d’un ennui insondable.

Des­sin : LAURENT SIMON

Les condi­tions de vie, sor­dides plus que spar­tiates, le convain­quirent de la néces­si­té d’une armée de métier, mieux dotée.

Grand lec­teur, Araud en pro­fi­ta pour se réga­ler de la Recherche et des Sept Piliers de la sagesse. Ce der­nier, le livre du colo­nel T. E. Law­rence, sus­ci­ta son admi­ra­tion et une intense curio­si­té pour le Moyen-Orient, dont il devien­dra plus tard une auto­ri­té du Quai d’Orsay.

À l’École, le jeune homme, éloi­gné de sa famille par les huit heures du tra­jet en train Paris-Mar­seille, se for­gea, grâce à son natu­rel cha­leu­reux et liant, les ami­tiés de toute une vie avec ses cama­rades du casert 171 : neuf élèves dans deux cham­brées com­mu­ni­cantes, cha­cun doté d’un lit, d’un bureau et d’une armoire éga­le­ment métal­liques, par­ta­geant une douche et quatre lavabos.

Gérard conserve un sou­ve­nir émer­veillé de la fra­ter­ni­té cha­leu­reuse dans ces locaux moroses, à tra­vailler, cau­ser, jouer aux cartes, en écou­tant les Beatles, Simon et Gar­fun­kel, Bee­tho­ven et Bach ; avec des échap­pées à décou­vrir Paris, à des soi­rées dan­santes ou pour une semaine de ski.

Ce fut l’une des périodes les plus heu­reuses de son existence.

ENTRÉE DANS LA CARRIÈRE

Tom­bé par la volon­té de ses parents dans le « piège scien­ti­fique » de l’X, Gérard Araud vou­lut échap­per à un des­tin de cher­cheur ou d’ingénieur. Il choi­sit en 1976 l’ ENSAE comme école d’application. Il s’inscrivit en 1978 en pré­pa ENA à Sciences-Po, entrant à l’École natio­nale d’administration en 1980 dans la pro­mo­tion « Hen­ri-Fran­çois d’Aguesseau ».

“ J’aime la clarté, je respecte mes engagements et je ne mens pas ”

Il choi­sit la diplo­ma­tie : ses postes hors d’Europe furent en par­ti­cu­lier Tel-Aviv (1982−1984, 2003–2006), les Nations unies à New York (2009−2014) et Washing­ton (1987−1991, 2014–2017).

Au Quai d’Orsay, il fut direc­teur des Affaires stra­té­giques, de sécu­ri­té et du désar­me­ment (2000−2003) puis direc­teur géné­ral des Affaires poli­tiques et de sécu­ri­té, secré­taire géné­ral adjoint (2006−2009).

Dans ce der­nier poste, il fut le négo­cia­teur pour la France du dos­sier nucléaire ira­nien – réus­sis­sant là une par­tie très difficile.

Excellent com­mu­ni­ca­teur, il est appré­cié des jour­na­listes pour ses petites phrases, qu’au cours des années ils ont avi­de­ment citées. Les for­mu­ler lui est deve­nu tel­le­ment habi­tuel, qu’il en fit un compte per­son­nel sur Twitter.

DANS LE GRAND BAIN DES RELATIONS INTERNATIONALES

Son pas­sage au Conseil de sécu­ri­té de l’ONU fut ponc­tué par des guerres nom­breuses en Afrique (Congo, Cen­tra­frique, Côte d’Ivoire, Mali, Libye) et au Moyen-Orient (Irak et Syrie).

Comme on sait, la France s’était aupa­ra­vant démar­quée des États-Unis, ceux de la pré­si­dence de George W. Bush, sur l’opportunité d’attaquer l’Irak de Sad­dam Hussein.

Gérard Araud héri­ta de sa for­ma­tion scien­ti­fique « un amour immo­dé­ré de la logique du rai­son­ne­ment ». Comme il l’expliqua début 2002 à un uni­ver­si­taire de Harvard :

« Les Fran­çais sont pri­son­niers de leur car­té­sia­nisme. Ils ont le culte de la rai­son. À leurs yeux, leur posi­tion ne vient pas défendre leurs inté­rêts, elle est seule­ment l’expression d’une Rai­son trans­cen­dante, dont ils pensent être les seuls détenteurs.

En toute sin­cé­ri­té, ils sont aveugles au fait que, comme par hasard, cette ratio­na­li­té sert leurs inté­rêts. Leur offrande faite à la déesse Rai­son, ils ne com­prennent pas qu’on ne se ral­lie pas una­ni­me­ment à leur point de vue, puisqu’il est rationnel.

À chaque fois qu’une prise de posi­tion fran­çaise, logique par défi­ni­tion, est contrée, les Fran­çais sont confon­dus par ce qu’ils consi­dèrent mau­vaise foi ou stu­pi­di­té : lorsqu’on est dans le vrai, le com­pro­mis n’est pas une option. »

C’est cela même qui fait sa force comme diplo­mate : « Je n’aime pas les mots vides de sens et les rai­son­ne­ments fumeux qui trouvent par­fois un asile dans les cou­loirs du Quai d’Orsay.

Je suis un diplo­mate qui fait men­tir la répu­ta­tion du Corps : j’aime la clar­té, je res­pecte mes enga­ge­ments et je ne mens pas. Je crois qu’à ce prix, le négo­cia­teur acquiert la confiance de son inter­lo­cu­teur, avan­tage inestimable. »


RETOUCHE

article mis à jour le 6 jan­vier 2020

En mai 2019, Gérard Araud (73) quit­tait ses fonc­tions d’ambassadeur de France aux États-Unis. La publi­ca­tion de ses mémoires, sous le titre Pas­se­port diplo­ma­tique, advint en octobre 2019 chez Gras­set. Gérard Araud pour­suit son ana­lyse lucide des affaires du monde à par­tir de la ren­trée de sep­tembre dans une chro­nique men­suelle pour Le Monde. Il vient d’être nom­mé éga­le­ment n°2 de Richard Attias & Asso­ciates, l’organisateur de som­mets inter­na­tio­naux. Il habite aus­si désor­mais l’Upper East Side, dans Manhattan.

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