Sébastien Dupuis

Sébastien Dupuis (95) de la tech à l’intelligence émotionnelle

Dossier : TrajectoiresMagazine N°770 Décembre 2021
Par Alix VERDET

Après une car­rière inter­na­tionale dans l’internet et la tech, Sébastien Dupuis (95) s’est recon­ver­ti dans l’écoute et l’intelligence émo­tion­nelle au sein des entre­pris­es. Aujourd’hui, il dirige Tirezio, une entre­prise spé­cial­isée dans l’écoute pro­gres­sive, une approche plus sim­ple que le coach­ing mais sur­pre­nam­ment effi­cace pour aider les gens à dénouer des dys­fonc­tion­nements col­lec­tifs et à créer des rela­tions de qualité.

Sébastien, peux-tu nous dire d’où tu viens et comment tu es arrivé à Polytechnique ?

Je suis né à Toulouse, je suis le dernier d’une famille de cinq enfants. Je me suis retrou­vé à l’X un peu par hasard. J’ai ren­con­tré ma femme Mag­a­li au lycée Belle­vue à Toulouse. Je pen­sais faire Supaéro mais, lors de ma pré­pa à Fer­mat, ma prof de math nous a incités, un copain – Philippe Man­zano (95) – et moi, à pré­par­er l’X. Mag­a­li avait inté­gré HEC un an plus tôt. On a plaisan­té en dis­ant que, comme elle était à Jouy-en-Josas, inté­gr­er l’X était ce qu’il y avait de plus pra­tique pour se retrou­ver. Je n’y croy­ais qu’à moitié mais j’ai eu la chance d’entrer en 3/2. Mag­a­li et moi nous nous sommes mar­iés pen­dant l’année de ser­vice mil­i­taire. Nous habi­tions un deux-pièces à part avec les élèves mar­iés et donc pas en casert avec le reste de ma sec­tion. La vie de pro­mo était chou­ette même si j’avais seule­ment un pied dans ma sec­tion et l’autre à la mai­son. Je garde un bon sou­venir de mon pas­sage à l’École.

Quelle école d’application as-tu choisi ?

En sor­tant de l’X, j’ai fait Supélec (comme mon père), mais pas vrai­ment par choix. J’aurais préféré faire Télé­com mais je n’ai pas été pris. Supélec était une des rares écoles qui pro­po­saient d’entrer directe­ment en troisième année et donc de ne faire qu’une année d’école d’application. Pen­dant mon année à Supélec, j’ai aus­si fait un DEA de sci­ences cog­ni­tives qui m’a amené à étudi­er les neu­ro­sciences et les biais cog­ni­tifs, et j’ai fait mon mémoire sur la per­cep­tion auditive.

Après Polytechnique, quel a été ton parcours ?

Pen­dant mon année à Supélec, j’avais fait un stage à temps par­tiel dans une entre­prise qui vendait des livres sur inter­net et qui a finale­ment été rachetée par la Fnac. J’ai été embauché pour diriger une équipe de huit développeurs sur un pro­jet très for­ma­teur, le lance­ment du site fnac.com. Au retour d’un voy­age au siège de Microsoft aux USA, lors d’une escale à San Fran­cis­co, je suis tombé amoureux de cette ville et j’ai appelé ma femme en lui dis­ant : « Je crois qu’on va venir vivre ici. » Et, quelques mois plus tard, nous sommes par­tis nous y installer. J’ai trou­vé du tra­vail assez facile­ment car nous y étions avant l’éclatement de la bulle inter­net. Mag­a­li tra­vail­lait chez Deloitte et a pu être facile­ment trans­férée dans le bureau de San Fran­cis­co. Nous y sommes restés trois ans. J’ai bossé chez Enviv­io, une spin-off de France Télé­com fondée par Julien Signes (89). J’y ai tra­vail­lé avec Boris Felts (95) et Guil­laume Cohen (96). Nous sommes ren­trés en France fin 2003. 

Que faites-vous à votre retour en France ?

Après m’être briève­ment essayé au con­seil, j’ai trou­vé un job de directeur tech­nique chez Medi­alive, une entre­prise qui pro­po­sait des solu­tions de pro­tec­tion des con­tenus audio et vidéo. C’était un peu un chal­lenge pour mes capac­ités de man­ag­er et j’ai fait quelques bonnes erreurs qui m’ont beau­coup appris ! Puis nous avons décidé de par­tir à Shang­hai. Nous sommes par­tis sans rien, nous avions juste inscrit nos enfants à l’école. Mag­a­li a trou­vé un tra­vail très rapi­de­ment, moi j’ai mis un peu plus de temps. J’ai repris un job de directeur tech­nique dans une start-up où je gérais une équipe de 50 per­son­nes. Puis, après quelques mis­sions, j’ai été embauché par Demand­ware (rachetée depuis par Sales­force) pour met­tre en place leur organ­i­sa­tion cus­tomer suc­cess en Asie-Paci­fique. J’ai aimé cette expéri­ence dans un con­texte d’hypercroissance. J’ai beau­coup appris sur la ges­tion de la rela­tion client, et sur les rela­tions humaines en général. Puis j’ai eu une oppor­tu­nité, une entre­prise qui cher­chait un gen­er­al man­ag­er en Chine. C’était une bonne évo­lu­tion de car­rière, ça me per­me­t­tait d’ajouter une dimen­sion plus com­mer­ciale à ce que j’avais fait jusqu’alors. Je ne suis pas resté très longtemps, car c’est là que j’ai fait un burn-out.

Avec le recul, comment relis-tu ce passage par un burn-out ?

Une par­tie de moi pour­rait avoir envie de ratio­nalis­er ce qui m’est arrivé en expli­quant que, dans la même semaine, j’avais une for­ma­tion à organ­is­er, ma boss était de pas­sage à Shang­hai, nous avons eu un gros ennui client et j’ai une col­lègue à qui on a diag­nos­tiqué une énorme tumeur au cerveau et qui a dû subir une opéra­tion chirur­gi­cale en urgence. En réal­ité, ça fai­sait quelques semaines que je tirais sur la corde en ter­mes de rythme de tra­vail. Un same­di matin, je n’ai pas réus­si à me lever, j’ai passé le week-end à lire au lit et le lun­di matin j’étais de retour au tra­vail. Puis le fait de per­dre mon job quelque temps après a créé l’espace pour que je com­mence à réfléchir à autre chose. J’ai fait appel à une coach. J’ai réal­isé qu’il y avait d’autres direc­tions qui étaient intéres­santes à explor­er pour moi. Dans les mois qui ont suivi, je me suis for­mé au coach­ing et j’ai com­mencé à coach­er des gens.

Qu’est-ce qui a motivé ton appel à une coach ?

J’avais mal vécu la fin de mon job. J’étais en colère, j’avais besoin de chercher un coupable pour ce qui s’était passé, et mes rela­tions avec mon entourage s’en ressen­taient. Un de mes anciens patrons m’a con­seil­lé une coach. J’ai alors com­mencé à trou­ver du sens dans ce qui m’était arrivé et ça m’a don­né envie de me for­mer au coaching.

Comment as-tu discerné ton changement de voie professionnelle ?

Tirezio, l’entreprise que j’ai fondée, a pour mis­sion de dévelop­per la capac­ité des gens et des organ­i­sa­tions à con­stru­ire des rela­tions bien­veil­lantes, authen­tiques et épanouis­santes au quo­ti­di­en. À aucun moment je ne me suis dit que j’allais devenir coach. J’avais envie de me for­mer au coach­ing pour dévelop­per une approche qui puisse être déployée à grande échelle pour aider les gens à trou­ver du sens et de l’énergie dans les inter­ac­tions humaines de tous les jours. Je suis par­ti de l’observation qu’il y a plein d’inefficacités et de souf­frances inutiles dans les entre­pris­es, dues à un manque de con­ver­sa­tions ou de qual­ité d’échanges. Pour moi c’était très clair que je me for­mais au coach­ing pour com­pren­dre cet out­il et en faire autre chose, mais j’ai décou­vert au pas­sage que j’aime beau­coup être dans une pos­ture d’écoute et créer un espace qui per­met aux gens d’y voir plus clair dans les sit­u­a­tions qu’ils traversent.

Comment es-tu arrivé à cette conclusion que tu voulais aider les gens à mieux se parler ?

Dans la péri­ode où j’allais mal, après mon burn-out, beau­coup de gens, pour­tant très bien inten­tion­nés, me dis­aient des choses qui, au lieu de m’aider, me pre­naient énor­mé­ment d’énergie. J’ai com­mencé à prêter atten­tion à mes niveaux d’énergie (notion à laque­lle je n’étais pas du tout sen­si­ble avant mon burn-out), aux sig­naux que m’envoyait mon corps, et c’est devenu une évi­dence pour moi que, dans nos con­ver­sa­tions du quo­ti­di­en, les mots qu’on utilise ont sou­vent des impacts que nous n’avons pas envie d’avoir. Et j’ai appris au tra­vers du coach­ing qu’il est pos­si­ble d’y prêter atten­tion et de faire des choix plus con­scients sur com­ment on se com­porte dans la rela­tion à l’autre. Cette prise de con­science a été déter­mi­nante, ain­si que la ren­con­tre avec un chef d’entreprise qui avait mis en place un ser­vice en apparence tout sim­ple : sa DRH allait offrir chaque mois de l’écoute à ses employés. Ça a été une révéla­tion : il est pos­si­ble de créer proac­tive­ment des espaces d’écoute et des pris­es de con­science, des change­ments de com­porte­ment comme le coach­ing peut le faire.

Ce qui est touchant, c’est de voir que, visiblement, c’est cette épreuve traversée qui t’a rendu sensible à ces problématiques fines.

Cette phase a été fon­da­trice car elle m’a con­duit à des pris­es de con­science. Ça a été le début d’un chemin de développe­ment per­son­nel qui ne cesse de me sur­pren­dre depuis bien­tôt cinq ans. Je m’aperçois avec le recul que j’ai tou­jours été sen­si­ble à beau­coup de choses en lien avec l’écoute et la rela­tion à l’autre, mais pen­dant longtemps ce n’était pas con­sci­en­tisé. J’ai mis du temps à prêter atten­tion à ces sen­sa­tions dif­fus­es que mon corps et mon cerveau cap­taient vague­ment sans savoir quoi en faire et, main­tenant, ce sont des out­ils que j’utilise au quo­ti­di­en dans mon travail.

Peux-tu expliquer ton activité chez Tirezio ?

Nous sommes spé­cial­isés dans l’écoute pro­gres­sive, une méthode qui vise à ren­dre les béné­fices du coach­ing acces­si­bles au plus grand nom­bre. Tirezio offre des ate­liers et des pro­grammes de for­ma­tion, à dis­tance et en présen­tiel, qui aident les dirigeants et les équipes à dévelop­per leurs com­pé­tences émo­tion­nelles et à créer des rela­tions humaines de qual­ité. On fait ça au tra­vers d’exercices d’écoute sim­ples et faciles à appli­quer dans le quo­ti­di­en des rela­tions pro et per­so. Nous for­mons aus­si des coach­es et des con­sul­tants à la méthode de la « bulle », une con­ver­sa­tion de quelques min­utes par­ti­c­ulière­ment effi­cace pour coach­er des dirigeants et des équipes qui ont peu de temps. Quand on invite les gens à s’écouter et à se par­ler, on les aide à résoudre des prob­lèmes com­plex­es et à trou­ver du sens, de l’énergie et de la clarté dans les rela­tions du quotidien.

Comment en es-tu venu à voir que c’était un besoin dans les entreprises ?

Je crois que la grande majorité des prob­lé­ma­tiques d’organisa­tion peu­vent trou­ver une réso­lu­tion si on aide les gens à avoir les bonnes con­ver­sa­tions au bon moment. Quand j’ai eu cette intu­ition, j’étais per­suadé que tout le monde allait com­pren­dre. Ça ne s’est pas passé comme ça ! Heureuse­ment, ma façon d’en par­ler a suf­fi pour créer la con­fi­ance auprès de nos pre­miers clients, il y a bien­tôt trois ans. Au fil des années nous avons accom­pa­g­né des entre­pris­es sur des prob­lé­ma­tiques très dif­férentes : man­age­ment tox­ique, turn-over préoc­cupant des col­lab­o­ra­teurs, per­for­mance d’équipes com­mer­ciales, pris­es de poste de man­agers, réor­gan­i­sa­tions, etc. À chaque fois c’est assez grat­i­fi­ant car les gens nous dis­ent que ça fait du bien d’être écouté, et par­fois des solu­tions sont trou­vées en deux ou trois conversa­tions, sim­ple­ment en aidant les gens à se parler.

La méthode met en garde contre les biais conversationnels. Peux-tu nous expliquer en quoi ces biais conversationnels nuisent à la conversation ?

Dans nos for­ma­tions, nous aidons les gens à pren­dre con­science de tout ce qu’ils font dans les con­ver­sa­tions, sou­vent avec l’intention d’aider, mais qui en fait n’aide pas. C’est ce que nous appelons les biais con­ver­sa­tion­nels : évite­ment du silence, affir­ma­tions, con­tra­dic­tions, injonc­tions, jus­ti­fi­ca­tions, sym­pa­thie exces­sive, recherche de répons­es pas tou­jours utiles… Un des enjeux est de savoir laiss­er l’espace à l’autre pour qu’il trou­ve ses pro­pres répons­es. Si on fait ça bien, la per­son­ne qu’on écoute, qui con­naît son envi­ron­nement de façon intime, va sou­vent trou­ver des solu­tions plus per­ti­nentes que celles vers lesquelles on aurait pu l’orienter.

Dans nos ate­liers et for­ma­tions, les gens sont sou­vent sur­pris de la qual­ité des échanges qu’ils peu­vent avoir – par­fois en quelques min­utes – quand ils sont mis en sit­u­a­tion de s’écouter à tra­vers les exer­ci­ces qu’on a dévelop­pés pour les aider à éviter ces biais con­ver­sa­tion­nels. Cela con­traste avec le coach­ing, qui néces­site un long appren­tis­sage, ou même d’autres méth­odes d’écoute, comme l’écoute active de Carl Rogers ou les qua­tre niveaux d’écoute d’Otto Scharmer, méth­odes puis­santes mais dif­fi­ciles à maîtris­er pour les gens qui s’y forment.

“ Il est possible de créer proactivement
des espaces d’écoute et des prises de conscience.”

Quand j’ai com­mencé à for­mer des coach­es à l’écoute pro­gres­sive il y a quelques années, je n’avais pas anticipé qu’on abouti­rait à quelque chose de si sim­ple à appren­dre pour tout un cha­cun. Mais ce qu’on observe aujourd’hui, c’est que la plu­part des gens peu­vent, en quelques heures de pra­tique, dévelop­per une pos­ture d’écoute qui, sans avoir le côté par­fois un peu for­cé du coach­ing, a des béné­fices com­pa­ra­bles. Et pour cer­tains, quand ils décou­vrent qu’ils ont cette capac­ité à écouter l’autre dif­férem­ment, c’est le point de départ d’un chemin de développe­ment per­son­nel et pro­fes­sion­nel qui peut être très inspirant.

Pourquoi le nom Tirezio ? Ce nom est-il en lien avec Tirésias, le devin aveugle de L’Odyssée ?

Tirezio est en effet le nom en espéran­to de Tirésias. Lorsque nous inter­venons dans les organ­i­sa­tions, les gens nous dis­ent énor­mé­ment de choses qu’ils ne dis­ent pas à leurs col­lègues. En quelques bulles d’écoute, on a très rapi­de­ment beau­coup de vis­i­bil­ité sur ce qui se passe dans l’organisation. On voit ain­si des choses que les autres ne voient pas et on peut, tout en respec­tant la con­fi­den­tial­ité de chaque con­ver­sa­tion, créer des espaces de réflex­ion et des pris­es de con­science pour dénouer les prob­lèmes plus rapidement.

Que voudrais-tu dire à tes camarades polytechniciens qui voudraient faire un coaching ou réorienter leur carrière vers le coaching ?

J’ai ren­con­tré un cer­tain nom­bre de coach­es poly­tech­ni­ciens dont cer­tains sont très bons, mais ils ne sont pas tou­jours à l’aise pour se ven­dre. Ce sont des pro­fils très intéres­sants pour être coach­es avec leur capac­ité à chal­lenger les raison­nements tout en gar­dant une pos­ture d’écoute. Je suis très ouvert à échang­er avec des X qui se posent la ques­tion d’aller vers le méti­er du coach­ing ou d’autres formes d’accompagnement.

Con­cer­nant le recours à un coach, la pandémie a con­tribué à ce que les gens acceptent de se faire accom­pa­g­n­er, et une fois les pre­miers pas effec­tués beau­coup réalisent à quel point c’est enrichissant pour soi et pour son entourage. En effet, c’est plus facile de pren­dre soin des autres si on se fait aider soi-même – un peu comme dans les avions, on invite les gens à met­tre leur masque à oxygène d’abord, avant d’aider les autres à le faire.

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