Paul Vecchiali jouant dans son film Le Cancre, 2016.

Paul Vecchiali (53), X et cinéaste indépendant

Dossier : TrajectoiresMagazine N°728 Octobre 2017
Par Paul VECCHIALI (53)
Par Christian GUITTET (X70)

Une pas­sion ciné­phile avec une exi­gence poly­tech­ni­cienne qui a per­mis à Paul Vec­chia­li de réa­li­ser ses rêves en pro­dui­sant une palette fil­mo­gra­phique unique en son genre.

« Je suis un homme, pas un dieu. Beau­coup de cinéastes se prennent pour des dieux : ça les regarde. Il se trouve que ma pro­fes­sion est cinéaste, mais je suis un homme.

Dans la vie, j’aime beau­coup rire, j’aime beau­coup les gens et je ne vois pas pour­quoi je me consi­dé­re­rais au-des­sus d’eux. Je sais que par rap­port à un bou­lan­ger, par exemple, je suis stu­pide. Par rap­port à un menui­sier, je suis com­plè­te­ment idiot ; par rap­port à un ciné­phile, je me défends bien.

Tout ça, c’est une ques­tion de for­ma­tion. En maths, je ne suis pas trop mau­vais parce que j’ai fait Poly­tech­nique, mais est-ce que je suis supé­rieur à un autre ? Oui sur cer­tains points, non sur d’autres.

J’ai débu­té comme ciné­phile, comme ciné­phage, comme spec­ta­teur en tout cas, dans les années 30, c’est-à-dire à une époque où le ciné­ma fai­sait rêver.

Je regrette qu’en France il perde petit à petit cette fonc­tion, qu’aujourd’hui il soit fait de situa­tions trop quo­ti­diennes, que les per­son­nages y soient trop quelconques. »


LE STYLE PAUL VECCHIALI

« Pour moi la pre­mière prise est celle de l’innocence, à par­tir de la deuxième l’acteur com­mence à rai­son­ner son tra­vail et à faire ce que je déteste le plus au monde : de la psychologie. »

Sur sa dif­fé­rence avec les réa­li­sa­teurs de la Nou­velle Vague : « Je crois que je réin­tro­dui­sais le sen­ti­ment. Leur ciné­ma était plus céré­bral, et je le dis sans que ce soit un reproche. Mais je crois que ça tient aus­si à mes racines pro­lé­ta­riennes, aux­quelles je tiens beaucoup.

J’ai beau avoir fait Poly­tech­nique, l’un de mes grands-pères était ber­ger et l’autre était ouvrier à l’arsenal de Tou­lon. Et puis ça tient aus­si à mon goût pour ce ciné­ma des années trente. Le fait d’être rebelle, indé­pen­dant, accep­tant de faire n’importe quoi… »

Sources :
Chronic’art
Les Inro­ckup­tibles


PASSION CINÉPHILE ET EXIGENCE POLYTECHNICIENNE

« Je vois deux ou trois films par jour, mais le ciné­ma fran­çais me déçoit de plus en plus car il évo­lue vers le nar­cis­sisme. Les gens ont envie de par­ler d’eux-mêmes. Ce n’est pas un défaut… sauf lorsque la démarche devient égocentrée.

Alors je me tourne main­te­nant vers le ciné­ma turc ou ira­nien, par exemple. Il y a là des films for­mi­dables, qui nous sortent de cet uni­vers médiocre.

Mon rap­port au ciné­ma a tou­jours été pas­sion­né, tout à la fois ins­tinc­tif et très tra­vaillé. Je pré­pare énor­mé­ment mes films, de façon à tou­jours pou­voir répondre aux ques­tions des tech­ni­ciens et des comé­diens en amont.

Répondre à leurs ques­tions pen­dant le tour­nage est une perte de temps, donc d’argent, mais aus­si une perte de concen­tra­tion : je tra­vaille très vite au tour­nage pour l’éviter.

Je crois qu’un film exige – je me répète car pour moi, c’est capi­tal – infi­ni­ment de concen­tra­tion de la part de tous. »

UNE PALETTE FILMOGRAPHIQUE UNIQUE EN SON GENRE

« J’ai tour­né beau­coup de films et je les aime tous – pour des rai­sons diverses. Au début de ma car­rière, j’ai fil­mé en noir et blanc. Mon pre­mier court-métrage, Les Roses de la vie (1962), était en noir et blanc. Mon pre­mier long-métrage, Les Petits Drames (1961), inédit car les élé­ments ont été per­dus, était en noir et blanc.

Le second, Les Ruses du diable (1965), était en noir et blanc mais avec de petits inserts en cou­leurs parce qu’il s’agissait des Cathe­ri­nettes. Or les Cathe­ri­nettes sont en vert et jaune, il était impen­sable de les lais­ser en noir et blanc…

Affiche du film L'étrangleur de Paul Vecchiali

Ce film a connu un échec violent, trau­ma­ti­sant même et je suis res­té cinq ans sans réa­li­ser de long-métrage. Puis j’ai tour­né L’étrangleur en 1970, sur l’antagonisme entre les gens de la nuit et les gens du jour.

J’ai écrit le scé­na­rio à mon retour de pro­me­nades noc­turnes, le réa­li­ser s’est impo­sé à moi comme une évi­dence. Si ce fut un tour­nage de rêve, le mon­tage a été très dif­fi­cile et ce film me tient par­ti­cu­liè­re­ment à cœur.

Affiche du film Femmes Femmes de Paul Vecchiali

J’ai tour­né Femmes, femmes en 1974, au moment de l’apogée de la cou­leur, mais je l’ai tour­né en noir et blanc. C’était une volon­té artis­tique : deux comé­diennes ratées et vieillis­santes vivent leurs rêves de gloire dans un appar­te­ment tapis­sé de pho­tos de stars des années 30.

Si j’avais tour­né en cou­leurs, on aurait eu un truc bizarre avec des pho­tos en cou­leurs et d’autres en noir et blanc. J’ai donc opté pour le noir et blanc afin qu’elles soient toutes au même niveau. »

PAUL VECCHIALI, RÉALISATEUR DE SES RÊVES

« Corps à cœur (1978) est le film que je rêvais de faire quand j’étais gosse. Les mélo­drames des années 30 sont vrai­ment les films qui m’ont fait vibrer et don­né le désir secret de deve­nir cinéaste. Le point de départ du film, c’est le Requiem de Fau­ré, qui aborde le thème de la com­mu­ni­ca­tion entre les vivants et les morts.

Affiche du film Corps à cœur de Paul Vecchiali

Je me suis effor­cé, avec un regard d’aujourd’hui, de res­ti­tuer l’univers des films de René Clair, de Mar­cel Car­né, de Pierre Pré­vert… Je dois pré­ci­ser que si le scé­na­rio s’est enri­chi dans ce sens, c’est grâce à Hélène Surgère.

L’impression qui se dégage du film, c’est, je crois, le bon­heur dans la dou­leur, les larmes qui font du bien.

Affiche du film En haut des marches de Paul Vecchiali

En haut des marches (1983) est LE film que je rêvais de tour­ner avec Danielle Dar­rieux. C’est le por­trait d’une femme détruite par la guerre qui tente de renaître de ses cendres. J’ai ain­si vou­lu rendre hom­mage à ma mère et à l’obstination de tous ceux qui ont orga­ni­sé la résis­tance au jour le jour, en veillant à la sur­vi­vance maté­rielle et spi­ri­tuelle des enfants.

Il faut s’interroger sur le hia­tus qui se pro­duit à cer­taines époques entre la vie quo­ti­dienne des gens et leur place dans la socié­té, du moins celle que l’histoire leur assigne après coup.

Once More (1987) me semble mon film le plus abou­ti : il est com­po­sé d’une quin­zaine de plans-séquences sui­vis d’un champ-contre­champ. Chaque par­tie du film repré­sente une année de la vie du per­son­nage principal. »

Affiche du film Les cancres de Paul Vecchiali

SILENCE, ON TOURNE… POUR LES MALENTENDANTS

« Enfin, j’ai un peu honte parce que, sans Chris­tian, je ne me serais jamais ren­du compte des dif­fi­cul­tés aux­quelles sont confron­tés les sourds et les mal­en­ten­dants pour accé­der à la culture. Quand on fait du ciné­ma, on est pris dans une espèce de mael­ström : on est concen­tré sur ce qu’on a envie de dire, sur l’équipe, sur le financement.

Quand Chris­tian m’a deman­dé d’être le par­rain du Prix du meilleur film sous-titré, j’ai immé­dia­te­ment répon­du pré­sent parce que je trouve que c’est effec­ti­ve­ment quelque chose d’important. Tout comme on prend en compte les besoins des per­sonnes à mobi­li­té réduite, il est indis­pen­sable que les mal­en­ten­dants puissent com­prendre les dia­logues des films.Le reste du monde existe, bien sûr, mais très peu, et je ne m’étais jamais ren­du compte de ce problème.

J’espère que cette ini­tia­tive encou­ra­ge­ra la pro­fes­sion à se pré­oc­cu­per des ques­tions d’accessibilité. Cela dit, il y a beau­coup de films fran­çais qui devraient être sous-titrés même pour les nor­mo-enten­dants : je ne suis pas sourd, j’ai même une très, très bonne audi­tion, mais il arrive que je ne com­prenne pas ce que les acteurs disent !

Je crois que le sous-titrage peut être utile à tous parce que, trop sou­vent, on ne com­prend pas les dia­logues. Il fau­drait un ingé­nieur de la parole, quelqu’un qui soit là pour dire : Non, répé­tez et arti­cu­lez un peu plus. »


Une autre ver­sion de cet article, Paul Vec­chia­li, en toute sim­pli­ci­té, a été publiée dans le numé­ro 25 de 6 Mil­lions de Mal­en­ten­dants : http://vfst.ardds.org

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7 juillet 2022 à 17 h 24 min

L’an­née 2022 est une année vec­chia­lienne en diable ! Jan­vier paru­tion de son livre La mar­quise est à Bicêtre. Avril, sor­tie de son der­nier film Pas… de quar­tier. Juin paru­tion de ses mémoires en deux tomes. Et juillet, la revue Zoom Arrière appuie un peu plus dans la balance en fai­sant paraître ces jours-ci, un 6ème numé­ro entiè­re­ment consa­crée à Paul Vec­chia­li. Dans l’ou­vrage : plus de 50 textes, un entre­tien exclu­sif de 32 pages et une biblio­gra­phie consé­quente et inédite. Pour pro­lon­ger l’an­née vec­chia­lienne ou décou­vrir la revue, voir https://zoomarriereboutique.blogspot.com/

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