Paul Vecchiali un soupçon d'amour

Un soupçon d’amour, de Paul Vecchiali (53)

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°760 Décembre 2020
Par Christian GUITTET (X70)

Con­nais­sez-vous Paul Vec­chiali ? Poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1953, il est le doyen des cinéastes français encore act­ifs, l’un des deux derniers représen­tants de la Nou­velle Vague, avec Jean-Luc Godard et Jacques Rozi­er. La Jaune et la Rouge lui avait con­sacré un arti­cle dans son numéro 728 (octo­bre 2017) : Paul Vec­chiali (53), X et cinéaste indépen­dant. À 90 ans, Paul Vec­chiali vient de sor­tir l’un de ses plus beaux films, le plus impor­tant dit-il, Un soupçon d’amour.

Avec des bud­gets pou­vant attein­dre plusieurs cen­taines de mil­lions de dol­lars per­mis par la mon­di­al­i­sa­tion, les block­busters ont uni­formisé les goûts des spec­ta­teurs. Le ciné­ma de Paul est à l’opposé : pré­parant ses films dans les moin­dres détails, il les tourne très rapi­de­ment, générale­ment dans sa vil­la en Provence, avec des bud­gets dérisoires, par néces­sité – tout au plus quelques cen­taines de mil­liers d’euros. En 2004 c’est déjà avec les moyens du bord qu’il avait tourné un brûlot cinglant pour dénon­cer le sys­tème de finance­ment du ciné­ma en France : À vot’ bon cœur.

Le mystère Paul Vecchiali

Ses films n’attirent pas les foules : peu de salles les pro­jet­tent et ils ne restent pas longtemps à l’affiche. Un soupçon d’amour ne fait pas excep­tion : mal­gré de très bonnes cri­tiques, il n’a total­isé que 4 038 entrées en six semaines – ce qui est mal­gré tout beau­coup plus que plusieurs de ses derniers films. Alors pourquoi Paul con­tin­ue-t-il à tourn­er ? Il a tout arrêté de 1996 à 2003, mais son amour du méti­er, de ses acteurs et de sa fidèle équipe ain­si que son anti­con­formisme ont repris le dessus. Même si ses derniers films n’ont pas l’éclat de ses chefs‑d’œuvre des années 70 (L’Étrangleur, Femmes Femmes, Corps à cœur), ils per­pétuent la sentiment­alité tor­turée qui l’a tou­jours ani­mé. Com­ment jus­ti­fi­er une passion ?

Un soupçon d'amour de Paul Vecchiali

Une carrière atypique

Unanime­ment con­sid­éré comme un cinéaste majeur, Paul est invité dans le monde entier à des fes­ti­vals et à des rétro­spec­tives de son œuvre. Sa car­rière ne se lim­ite d’ailleurs pas à la réal­i­sa­tion de longs-métrages. Il est aus­si scé­nar­iste, pro­duc­teur, acteur et auteur de dizaines d’autres œuvres : télé­films, courts-métrages, romans, pièces de théâtre, etc. Il a aus­si dirigé une œuvre ency­clopédique, L’Encinéclopédie : Cinéastes « français » des années 1930 et leur œuvre – un regard pas­sion­né et sub­jec­tif sur 363 réal­isa­teurs en 1 742 pages !

Un film complexe

Pour appréci­er tout l’art de Paul Vec­chiali, il faut s’abandonner, se laiss­er envoûter. Un soupçon d’amour se refuse tout d’abord au spec­ta­teur, avant de s’offrir pleine­ment à lui dès qu’il l’a vu plusieurs fois. L’amour sous toutes ses formes a tou­jours été au cen­tre de sa vie, donc de ses films. Un soupçon d’amour (d’amour, juste­ment) est un mélo­drame. Mais ce terme est réduc­teur car il masque des incur­sions dans plusieurs autres gen­res – c’est aus­si : du théâtre filmé, avec les répéti­tions d’Andro­maque ; une comédie musi­cale, avec Geneviève et Isabelle qui se don­nent en spec­ta­cle devant un parterre de con­vives (dont Paul) comme sur une scène de music-hall ; un film fan­tas­tique, lorsque Paul adopte le point de vue de Jérôme, l’enfant de Geneviève, sans quit­ter celui de la mère.

Amour et tourments

L’histoire racon­tée paraît sim­ple, banale même : Geneviève Gar­land, une célèbre comé­di­enne, répète Andro­maque de Racine, avec son mari André pour parte­naire. Elle ressent un malaise pro­fond à inter­préter ce per­son­nage et cède son rôle à son amie Isabelle, qui est aus­si la maîtresse de son époux. Sem­blant fuir cer­taines réal­ités, Geneviève retourne dans son vil­lage natal avec son fils malade pour se con­sacr­er à lui. Elle y renoue avec plusieurs pro­tag­o­nistes de son passé (une amie d’enfance, un pre­mier amour devenu prêtre), et des bribes de son his­toire per­son­nelle lui revi­en­nent. Mais la san­té frag­ile de son fils se dégrade encore, la ramenant à une angoisse plus profonde.

“Ce drame intimiste
renvoie à l’histoire personnelle de Paul.”

Isabelle, de son côté, utilise son sex-appeal pour favoris­er sa car­rière, sans le moin­dre affect. Mais son amour pour André est réel, autant que son affec­tion et son admi­ra­tion pour Geneviève. Paul recon­naît beau­coup aimer ce per­son­nage, que Fabi­enne Babe a par­faite­ment com­pris et incar­né. À sa con­nais­sance, c’est la pre­mière fois qu’un film mon­tre deux « rivales » qui restent surtout deux complices.

Un drame personnel pour Vecchiali

Mais ce qui fait la très grande force de ce drame intimiste, c’est qu’il ren­voie à l’histoire per­son­nelle de Paul : sa com­pagne Léone et sa fille Marie-Chris­tine se sont tuées acci­den­telle­ment sur les rochers de L’Île-Rousse en 1955. Paul cher­chait vaine­ment à se libér­er de ce deuil depuis plus de soix­ante ans. Après avoir pub­lié un roman en 1966, Marie-Chris­tine, il a souhaité faire un film. Mais il ne trou­vait pas com­ment abor­der le sujet : il n’imaginait pas qu’un comé­di­en puisse tenir son rôle jusqu’à ce qu’il ait l’idée de le con­fi­er à une femme. Et cette femme ne pou­vait être que Mar­i­anne Basler, qu’il fit décou­vrir au ciné­ma dans son excel­lent Rosa la rose, fille publique (1985), ce qui lui val­ut une nom­i­na­tion au César du meilleur espoir féminin en 1987. Elle a accep­té et s’est totale­ment investie dans le per­son­nage. La sœur de Paul, l’actrice Sonia Saviange, a par ailleurs per­du un fils qui n’a vécu que six heures : il lui a aus­si dédi­cacé son film.

Un soupçon d'amour, film de Paul Vecchiali

Quelques scènes remarquables

Cer­taines scènes mar­quent le spec­ta­teur. En pre­mier lieu celle de la voiture : Geneviève s’adresse à son fils Jérôme qui tou­sse, mais il est absent. Paul adopte le point de vue de l’enfant, Jérôme, sans quit­ter celui de la mère. Tout son art est dans cette scène.

Il y a aus­si une scène qui n’était pas prévue au départ. Paul fait une brève appari­tion sur la ter­rasse où tout le monde danse et enlace sa vedette. L’échange entre Isabelle et Pierre, le met­teur en scène, a une saveur toute par­ti­c­ulière dans le con­texte de #MeToo :

– Qui c’est ce vieux ?

– Ce vieux, c’est lui qui finance le spec­ta­cle. Alors, pro­fil bas !

Enfin il y a la séquence du télé­phone : quand Geneviève demande à son mari, André, de décom­man­der le dîn­er, la lumière passe au tra­vers du télé­phone. Paul avoue avoir pleuré sur le plateau quand il a vu le résul­tat : ce sen­ti­ment n’arrive pas sou­vent, c’est le résul­tat d’une com­mu­nion par­faite entre l’opérateur, les tech­ni­ciens et les acteurs.

À suivre…

Vous n’avez sans doute pas vu Un soupçon d’amour au ciné­ma car il n’est pas resté longtemps à l’affiche. Alors ne man­quez pas sa sor­tie en DVD.

Et si vous êtes cinéphile, suiv­ez l’actualité cul­turelle. Paul ne s’arrête jamais : il prévoit de tourn­er en févri­er 2021 son prochain film, Pas de quarti­er, un drame musi­cal con­stru­it autour d’un cabaret de trav­es­tis, et tra­vaille déjà sur le suiv­ant, L’Étrange Abécé­daire de Madame Z, l’histoire d’une dame âgée qui vient de per­dre son mari.

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