Michal Kurtyka (93) vice-ministre de l’Environnement du gouvernement polonais

L’X qui va présider la COP 24

Dossier : TrajectoiresMagazine N°739 Novembre 2018
Par Robert RANQUET (72)

Le 17 octo­bre dernier, à l’is­sue d’un petit-déje­uner poly­tech­ni­cien dont il était l’in­vité, La Jaune et la Rouge a ren­con­tré Michal Kur­ty­ka (93), vice-min­istre de l’Environnement du gou­verne­ment polonais. 


Michal Kur­ty­ka (93), vice-min­istre de l’Environnement du gou­verne­ment polonais

Tout d’abord, pourquoi avoir fait l’X ? Pour un Polonais qui se destine à une carrière politique à Varsovie, le choix est étonnant !

En fait, je n’en sais tou­jours rien… Mon père tra­vail­lait au Cern. C’est mon pro­fesseur de phi­lo au lycée de Genève qui m’a dit : « Michal, il faut que tu fass­es une pré­pa ! » Je n’avais absol­u­ment aucune idée de ce qu’était une « pré­pa ». Mais je suis quand même allé à Louis-le-Grand. Là, j’ai vite com­pris ce que c’était que cette fameuse « pré­pa ». Et du coup, je suis entré à l’X. Voilà… 

Et ensuite ?

Ensuite, je suis retourné à Varso­vie, où j’ai fait la School of Eco­nom­ics. Après ma thèse en économie sur la restruc­tura­tion des entre­pris­es énergé­tiques en Pologne, j’ai assez naturelle­ment inté­gré les équipes du gou­verne­ment polon­ais qui négo­ci­aient l’adhésion à l’Union européenne pour y pren­dre en charge les aspects liés à l’énergie et aux trans­ports. Et finale­ment, je suis resté dans ce domaine, jusqu’à être nom­mé secré­taire d’État à l’Énergie, et donc main­tenant la prési­dence de la COP 24. 

Nous y voilà ! Comment aborder cette COP 24 ?

C’est un grand défi. Per­son­nelle­ment, rien ne me prédes­ti­nait à présider un jour une COP : je n’ai d’ailleurs pas par­ticipé aux COP précédentes. 

Nous sommes trois ans après la COP 21 qui a été un grand suc­cès diplo­ma­tique pour la France et pour Lau­rent Fabius, qui l’avait présidée, en don­nant nais­sance à l’accord de Paris. C’était la pre­mière fois que les dis­cus­sions inter­na­tionales sur le cli­mat débouchaient sur un véri­ta­ble traité. Cet accord de Paris est venu relancer la dynamique – il faut bien dire un peu essouf­flée – des accords de Kyoto, qui s’étaient pro­gres­sive­ment vidés de leur con­tenu, puisque de nom­breux pays très impor­tants n’y ont pas par­ticipé, au pre­mier rang desquels les États-Unis qui ne les ont jamais rat­i­fiés. Ils n’avaient fini par ne con­cern­er réelle­ment qu’une trentaine de pays dévelop­pés, dont l’Union européenne. 

L’accord de Paris est à ce jour le plus vaste traité inter­na­tion­al de l’histoire, avec 181 pays qui l’ont rat­i­fié. Mais cet accord d’une quar­an­taine de pages seule­ment ne fai­sait que pos­er des principes et énon­cer des objec­tifs, à vrai dire peu pré­cis et peu con­traig­nants, en prévoy­ant que ren­dez-vous serait pris au bout de trois ans pour tra­vailler à son opéra­tionnal­i­sa­tion con­crète : nous y sommes, et c’est le rôle de la COP 24 qui se tient à Katow­ice le mois prochain de faire le pas cap­i­tal d’aboutir à un accord réelle­ment opéra­tionnel. En somme, Paris nous a don­né la car­rosserie de la voiture, main­tenant nous devons y met­tre la bat­terie ! On tra­vaille donc cette fois sur un doc­u­ment de 300 pages qui va entr­er dans le détail de la mise en œuvre. Et comme on sait, le dia­ble est dans les détails ! 

Katowice
Le choix de Katow­ice, au cœur de la trans­for­ma­tion du pays minier, est symbolique.
© Artur Henryk 

Quels sont les enjeux de cette présidence ?

Le prési­dent de la COP n’est qu’un facil­i­ta­teur. Mais je crois que c’est une occa­sion impor­tante, dans le con­texte inter­na­tion­al que nous con­nais­sons, pour essay­er de recon­necter bien des choses : recon­necter la France et la Pologne, recon­necter le cli­mat et l’énergie, recon­necter le Monde et l’Europe. Il n’est pas neu­tre que cette COP déci­sive se tienne en Pologne (qui – au pas­sage – est la cham­pi­onne du monde des COP : ce sera la qua­trième COP à se tenir dans notre pays), et en par­ti­c­uli­er à Katow­ice qui est le cœur his­torique du pays minier en Pologne. On y touche très con­crète­ment les enjeux qu’il y a à réc­on­cili­er la démarche de pro­tec­tion du cli­mat et la néces­saire mod­erni­sa­tion de l’économie, par­ti­c­ulière­ment dans le secteur de l’énergie, et c’est un bon exem­ple de la manière dont on peut ten­ter de les réconcilier. 

L’enjeu prin­ci­pal va être de réc­on­cili­er per­spec­tives locale et glob­ale : les États par­ties au traité sont très divers, et ont des préoc­cu­pa­tions très dif­férentes. Com­ment les faire se rap­procher pour un objec­tif partagé ? Il faut réin­tro­duire le mul­ti­latéral­isme là où les intérêts indi­vidu­els des États n’auraient que trop ten­dance à l’emporter.

Mais, concrètement, quelles sont les ressources pour y arriver ?

Je suis cer­tain que la tech­nolo­gie, en par­ti­c­uli­er, peut apporter une par­tie de la réponse. Il suf­fit de voir le développe­ment des véhicules élec­triques, par exem­ple, pour voir que des solu­tions aux prob­lèmes des émis­sions de gaz à effet de serre sont pos­si­bles. Le nucléaire est de plus en plus con­sid­éré comme faisant légitime­ment par­tie des répons­es actuelle­ment pos­si­bles pour par­venir aux objec­tifs de réduc­tion des émissions. 

“L’enjeu principal va être de réconcilier
perspectives locale et globale”

Cette COP 24 arrive juste après un rapport du Giec plutôt alarmiste. Que va-t-il se passer ?

L’accord de Paris avait affiché comme objec­tif de lim­iter le réchauf­fe­ment glob­al de l’atmosphère à 2 °C, et si pos­si­ble à 1,5 °C à la fin du siè­cle. Or, le Giec vient de ren­dre un rap­port où on nous dit que nous sommes plutôt en route vers un réchauf­fe­ment de 3 °C. Le défi est donc con­sid­érable, si on sou­vient par exem­ple que, sim­ple­ment pour pass­er de 2° à 1,5°, le coût des mesures à met­tre en œuvre est mul­ti­plié par 4 ! 

Il est bien clair qu’on ne peut arriv­er à quelque chose qu’en mobil­isant beau­coup plus large­ment les États et leurs pop­u­la­tions que cela n’a été le cas jusqu’à présent. C’est pourquoi la COP débutera par un « som­met des lead­ers », avant de faire tra­vailler les diplo­maties et les experts. On y dis­cutera en par­ti­c­uli­er de la notion de « tran­si­tion juste » qui devrait être beau­coup plus inclu­sive que la démarche antérieure, où il était finale­ment enten­du que les pays se répar­tis­saient les rôles : les pays dévelop­pés devaient lim­iter et si pos­si­ble réduire leurs émis­sions tout en con­tin­u­ant à se dévelop­per, les pays pau­vres se préoc­cu­paient surtout de s’adapter aux change­ments cli­ma­tiques. Ce mod­èle n’est pas ten­able : il faut par­venir à con­cili­er réelle­ment, et pour tous les pays, aspi­ra­tion au développe­ment économique et pro­tec­tion du cli­mat. C’est la notion de « tran­si­tion juste », qui devrait être au cœur du débat. Sans quoi nous n’aurons jamais la mobil­i­sa­tion générale néces­saire. C’est le pro­gramme que nous pro­poserons aux chefs d’État lors de ce som­met, sous l’exergue : Dri­ving change togeth­er

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