Musique et cinéma

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°615 Mai 2006Rédacteur : Claude ABADIE (38)

Non, il ne s’agit pas de la musique qui accom­pagne les films, mais de celle qui est mise en scène par le ciné­ma, qui est jouée ou cen­sée l’être par des comé­diens, et qui sou­vent est mimée sans le moindre sou­ci de vrai­sem­blance, sans la moindre consi­dé­ra­tion pour les spec­ta­teurs qui (rien n’est impos­sible) auraient une petite idée de la manière dont on joue d’un instrument.

L’idée m’en a été sug­gé­rée par la chro­nique de Jean Sal­mo­na du numé­ro de mars qui cite le com­po­si­teur du XVIIe siècle Marin Marais, révé­lé au grand public par le film Tous les Matins du Monde. Film de qua­li­té, certes, mais dont l’interprète prin­ci­pal, Jean-Pierre Marielle, excellent par ailleurs, joue de la viole comme il tien­drait une masse d’armes, une raquette de ten­nis ou la barre d’appui d’un auto­bus, sans même cher­cher à faire semblant.

Quelle impor­tance diront cer­tains ? La réponse est sim­ple­ment que les spec­ta­teurs mélo­manes ont le sen­ti­ment qu’on se moque d’eux, et c’est dommage.

Jean-Pierre Marielle est loin d’être le seul dans son cas.

De nom­breux films, notam­ment amé­ri­cains, se font un devoir, une figure impo­sée, de mettre leur vedette au pia­no. Elle est alors fil­mée en plan amé­ri­cain, ou les mains cachées der­rière l’instrument, et elle se dan­dine sua­ve­ment d’une fesse sur l’autre comme si elle cher­chait à éva­cuer une fla­tu­lence sans atti­rer l’attention, les yeux inno­cem­ment tour­nés vers le pla­fond pour éga­rer les soup­çons. Dans les écoles de théâtre où l’on apprend à simu­ler tout et n’importe quoi, n’enseigne-t-on donc pas aux comé­diens à faire sem­blant de jouer d’un ins­tru­ment de musique ?

Le phé­no­mène est si géné­ral que je tiens à citer trois excep­tions qui me viennent à l’esprit. La plus récente, actuel­le­ment visible dans les salles, est, dans le film de Danièle Thomp­son, Fau­teuil d’Orchestre, la pres­ta­tion d’Albert Dupon­tel qui joue le rôle du pia­niste. Conseillé et dou­blé par Fran­çois-René Duchâble, il a pris soin d’apprendre le pia­no, oh ! peut-être pas pour deve­nir un concer­tiste, mais assez pour être cré­dible à l’écran. Et c’est très bien.

Un autre exemple est celui de Richard Ber­ry dans Le Joueur de Vio­lon, un mer­veilleux film dont j’ai oublié l’auteur, met­tant en scène un vio­lo­niste prix du Conser­va­toire de Paris qui, à la suite de décep­tions pro­fes­sion­nelles et mû par un cer­tain mépris de la socié­té, ne joue plus que dans les cou­loirs du métro, jusqu’au jour où des voyous l’agressent et brisent son vio­lon. His­toire inven­tée par le com­po­si­teur et musi­co­logue André Hodeir dans son roman Musi­kant (Édi­tions du Seuil), et dont Richard Ber­ry, dou­blé par Gidon Kre­mer (excu­sez du peu), est l’interprète émou­vant, criant de vérité.

Enfin, James Ste­wart, dans The Glenn Mil­ler Sto­ry, un film des années 50 ou 60, a attra­pé tous les tics du trom­bo­niste, le petit mou­ve­ment de la langue et des lèvres qui pré­cède le contact avec l’embouchure, le petit aller et retour de la cou­lisse inter­ve­nant entre les phrases musi­cales, le geste d’évacuer l’eau de conden­sa­tion du tube, tous ces petits détails qui font qu’il EST véri­ta­ble­ment Glenn Mil­ler. C’est un régal.

Je m’étonne sim­ple­ment, et je regrette, que cette conscience pro­fes­sion­nelle ne soit pas plus répan­due chez les comédiens.

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