Pour la France / Un petit frère / Babylon / Youssef salem a du succès / Les banshees d’inisherin

Pour la France / Un petit frère / Babylon / Youssef Salem a du succès / Les banshees d’Inisherin

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°783 Mars 2023
Par Christian JEANBRAU (63)

Le bon peu­ple cinéphile avide de diver­tisse­ment sans pré­ten­tion attendait l’Astérix et Obélix de Guil­laume Canet (1 h 51). Il est venu, il est épatant et il n’a pas besoin de moi mal­gré les airs pincés de Téléra­ma ou du Monde qui se réfèrent à la ver­sion culte d’Alain Cha­bat. Erreur ! J’ai beau­coup plus ri. Sans tran­si­tion, à oubli­er : Tár (réal­isa­teur : Todd Field – 2 h 38). Long, alam­biqué, filan­dreux, ambitieux et raté. Enfin, à pren­dre avec des pincettes : Retour à Séoul (réal­isa­teur : Davy Chou – 1 h 58), intéres­sant mais le con­traire absolu d’un feel good movie. Ces mis­es au point faites, cinq propositions.


Pour la France

Réal­isa­teur : Rachid Hami – 1 h 53

Un très beau film, inat­ten­du, com­plexe, pro­fond et retenu. Excel­lents acteurs autour d’un Karim Lek­lou par­ti­c­ulière­ment con­va­in­cant. Algérie 1992, années de plomb, éclate­ment famil­ial, déploiement iné­gale­ment réus­si de la fratrie en France et puis… le drame, réel, à l’origine du pro­jet ciné­matographique : Jal­lal Hami, frère du réal­isa­teur, mort lors d’un bizu­tage à Saint-Cyr en 2012 et les sept jours qui ont suivi. Très attachant, très équili­bré, très bien joué, par­venant à rester factuel devant l’institution mil­i­taire dans le cadre d’une analyse psy­chologique ser­rée des incom­préhen­sions et des ten­sions de l’amour intrafa­mil­ial et de l’ambivalence des affron­te­ments fraternels.


Un petit frère 

Réal­isatrice : Léonor Ser­raille – 1 h 56

Très attachant lui aus­si, mais se mérite. Il faut le regarder, le suiv­re, l’interpréter et le com­pren­dre, le par­cours obstiné, qui est bous­culé et qui bous­cule les autres, la fratrie, les hommes, de cette grande et longue Ivoiri­enne arrimée à la France et à sa lib­erté. L’émotion arrive à la fin, dans une belle ren­con­tre ter­mi­nale qui éclaire en retour une longue itinérance volon­tariste, estimable jusque dans ses erre­ments où l’amour mater­nel, frater­nel, ne lâche jamais com­plète­ment prise, même s’il ne peut tout sauver et si c’est bien au fond de soi, dans un entête­ment vital, que cha­cun doit chercher sa vérité.


Babylon

Réal­isa­teur : Damien Chazelle – 3 h 09

D’abord Mar­got Rob­bie, explo­sive Aus­trali­enne, qui m’a « scotché » ! Puis Brad Pitt, défini­tive­ment excel­lent dans le recul et l’autodérision. Enfin la décou­verte de Diego Cal­va, hési­ta­tion séduisante. Sans min­imiser tous les autres, exacte­ment en place. Le thème est con­nexe à L’Artiste de Michel Haz­anavi­cius, la bas­cule du muet au par­lant, dans une hyper­tro­phie baroque éblouis­sante. La pre­mière heure est un choc. Ensuite, une dérive-thriller scé­nar­is­tique annexe induit un petit fléchisse­ment, avant une relance et l’émotion finale. Oui, les 3 h 09 pour­raient se dégraiss­er d’une bonne demi-heure, mais quelle ode au ciné­ma et, glob­ale­ment, quel extra­or­di­naire spectacle !


Youssef Salem a du succès 

Réal­isatrice : Baya Kas­mi – 1 h 37

La référence ini­tiale à une ado­les­cence encom­brée d’interdits sex­uels intéri­or­isés alour­dit un peu les débuts et la fin d’une comédie sinon très agréable, enlevée, où l’identité arabe donne du sens à une vraie dimen­sion de la réflex­ion et, par son dynamisme famil­ial querelleur, con­stitue le ressort comique de chaleureuses scènes de groupe. Sec­ondé par une Noémie Lvovsky en grande forme et prix Goncourt de fic­tion assez invraisem­blable (encore que…), Ramzy Bedia excelle, entouré de la pléi­ade très drôle des sec­onds rôles de sa par­en­tèle de ciné­ma. Un spec­ta­cle qui emporte l’adhésion avec, sous le rire, quelques ques­tions sérieuses.


Les banshees d’Inisherin

Réal­isa­teur : Mar­tin McDon­agh – 1 h 54

Le réal­isa­teur et les deux acteurs prin­ci­paux de l’incontournable Bons Bais­ers de Bruges (2008). Ici, sur la petite île fic­tive d’Inisherin, au large de l’Irlande et à portée des échos de la guerre civile de 1922–1924, Padra­ic (Col­in Far­rell) et Colm (Bren­dan Glee­son), depuis des années, tapent la dis­cute au bistrot en sif­flant des pintes de bière. Un jour, sans préavis, Colm y met fin. La spi­rale qui s’ensuit est sidérante d’absurdité, dans ce bout du monde où Siob­han, sa sœur aimante (Ker­ry Con­don), Jen­ny sa petite ânesse affectueuse et Dominic, un grand ado de voisin dérangé, sont l’unique envi­ron­nement affec­tif de Padra­ic, sous l’œil mau­vais d’une ban­shee (sor­cière des mytholo­gies irlandais­es). C’est vio­lent, déchi­rant et d’une noirceur pro­fonde et dés­espérée. L’entêtement con­flictuel au ser­vice de l’irrationalité imbé­cile et imma­ture qui se déploie n’est peut-être qu’une métaphore trag­ique des mal­heurs du monde. Sub­tile nar­ra­tion. Excel­lents acteurs.


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