Films d'octobre 2023

Anatomie d’une chute / Les Herbes sèches / Le ciel rouge / Fermer les yeux / Second tour

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Christian JEANBRAU (63)

Impres­sions mélangées de fin d’été. Mer­ci à Cannes pour sa palme d’or (Anatomie d’une chute) et son prix d’interprétation fémi­nine (Les Herbes sèch­es). Le médiocre Anti-Squat (1 h 35) de Nico­las Sil­hol est un chef‑d’œuvre com­paré au regret­table Hyp­not­ic (1 h 30) de Robert Rodriguez. Le jury de la Berli­nale 2023 a mon­tré en pri­mant Le Ciel rouge qu’il lisait entre les lignes. En 1 h 01, L’expérience Almod­ó­var d’un Pedro « petit bras » a été déce­vante, tan­dis que Vic­tor Erice s’employait pen­dant 2 h 49 (!) à nous Fer­mer les yeux. Enfin Albert Dupon­tel est venu présen­ter à Saint-Jean de Luz un Sec­ond Tour inabouti. Mais encore ?

Affiche du fils Anatomie d'une chuteAnatomie d’une chute 

Réal­isatrice : Jus­tine Tri­et – 2 h 30

C’est la pas­sion­nante analyse d’une sit­u­a­tion dra­ma­tique qui cou­vre les prob­lèmes d’un cou­ple, déséquili­bré dans la réus­site, d’écrivains plom­bés par l’accident il y a quelques années d’un fils désor­mais mal-voy­ant. Menée avec une rigueur sans défaut cette analyse, à tra­vers la mise en con­texte et le chem­ine­ment de l’enquête et du procès con­sé­cu­tifs à la mort sus­pecte du mari (tombé ? poussé ? … à moins qu’il n’ait choisi de se jeter du deux­ième étage) et à la mise en exa­m­en de l’épouse, pro­cure un sen­ti­ment con­stant de per­fec­tion dans la pro­fondeur et la pro­gres­sion, forme et fond, du réc­it. Tous les acteurs sont bons, et Swann Arlaud et San­dra Hüller par­faits. Du grand cinéma.


Affiche du film Les Herbes sèchesLes Herbes sèches

Réal­isa­teur : Nuri Bilge Cey­lan – 3 h 17

Un très beau film attachant à la durée jus­ti­fiée. Un petit coin d’Anatolie, une école de vil­lage, l’hiver dans sa rudesse et un pro­fesseur d’arts plas­tiques entre deux âges, médiocre et dépassé, humain. Tout le monde d’ailleurs là-dedans est un peu débor­dé par sa pro­pre impuis­sance et ses petitesses, sauf peut-être la fig­ure rapi­de­ment dess­inée d’un robuste sep­tu­agé­naire et la foi main­tenue d’une trente­naire accrochée aux espérances d’un passé mil­i­tant qui lui a valu l’amputation d’une jambe. Dans sa soli­tude aigrie, le prof de dessin nav­igue sans lucid­ité exces­sive sous deux influ­ences féminines (la col­lègue trente­naire et une élève ado­les­cente, source de prob­lèmes car­ac­téris­tiques de l’ambiguïté du rap­port pro­fesseur-élève), influ­ences dont l’épilogue, de façon très inat­ten­due et émou­vante, rever­ra les impor­tances relatives.


Affiche du film Le Ciel rougeLe Ciel rouge

Réal­isa­teur : Chris­t­ian Pet­zold – 1 h 42

Com­ment trans-for­mer un été pour­ri en œuvre d’art, en l’occurrence lit­téraire ? C’est au fond le pro­jet du film que de répon­dre à cette ques­tion, servi par le charme heurté et un peu agres­sif de Paula Beer et, effi­cace et ici indis­pens­able, le manque de charisme de Thomas Schu­bert. Le film est iné­gal, le titre est inadap­té, la bluette homo­sex­uelle mal­adroite­ment insérée court au ridicule, mais le pro­jet, servi par les deux acteurs mis en avant, s’installe et s’impose pro­gres­sive­ment avec une grande force. C’est dans l’épaisseur, la ten­sion de leur rela­tion, sa sig­ni­fi­ca­tion sous-jacente, que le film trou­ve sa vérité et son véri­ta­ble intérêt.


Affiche du film Fermer les yeuxFermer les yeux 

Réal­isa­teur : Vic­tor Erice – 2 h 49

C’est un film A sur la dis-pari­tion d’un acteur lors du tour­nage d’un film B dont on voit deux extraits : le pro­logue et la con­clu­sion. Le pro­logue, excel­lent, est presque le meilleur moment de la séance. La con­clu­sion relève du mélo siru­peux et ridicule. Entre les deux, la quête du dis­paru, puis sa décou­verte, qui tour­nent autour du met­teur en scène du film B à sa recherche, déga­gent des moments pleins de nos­tal­gie, de sou­venirs, de poésie, et… d’ennui per­lé, dres­sant le tableau de deux exis­tences détournées de leur cours, celle du dis­paru-réap­paru dont on n’apprendra rien et celle du met­teur en scène qui n’a plus fait, après la dis­pari­tion, que vivre un no man’s land affec­tif, ni heureux, ni mal­heureux, pour­suiv­ant une exis­tence dont le charme – qui s’étend aux meilleurs pas­sages du film – n’aboutira à rien. Por­teur d’inexprimé, c’est le (trop) long tes­ta­ment d’un vieux cinéaste désenchanté.


Affiche du film Second tour d'Albert DupontelSecond Tour

Réal­isa­teur : Albert Dupon­tel – 1 h 35

Avant-pre­mière. On aime Dupon­tel. On se pré­cip­ite. On tombe de haut, mal­gré le charme défini­tif et le tal­ent de Cécile de France, mal­gré la vis com­i­ca de Nico­las Mar­ié. Dupon­tel dédou­ble son jeu décalé et un peu hagard dans la volon­té de don­ner chair à un scé­nario fait de bouts de ficelle erra­tiques et de blagues potach­es, pour­suiv­ant ici de sa cri­tique dés­abusée les per­ver­sions poli­tiques sans par­venir à s’installer dans une logique con­va­in­cante. Son brico­lage intense, adossé à des fou­cades inven­tives, ne débouche que sur le con­stat d’un faux pas de son génie pro­pre. Sor­tie le 25 octobre.

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