Chili 1976 / De grandes espérances / Voyages en Italie / Le capitaine Volkonogov s’est échappé / Les Trois Mousquetaires

Chili 1976 / De grandes espérances / Voyages en Italie / Le capitaine Volkonogov s’est échappé / Les Trois Mousquetaires

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°785 Mai 2023
Par Christian JEANBRAU (63)

Une décep­tion, Les Trois Mous­que­taires, mais on va pré­cis­er ; pour les amoureux de Lyna Khoudri, une bluette pas désagréable, Houria (1 h 38 — Mou­nia Med­dour) ; pour la per­for­mance de la jeune actrice Zel­da Sam­son, Dal­va (1 h 20 — Emmanuelle Nicot), regard acéré sur les rav­ages de l’emprise et les ambiguïtés de l’inceste ; mal­gré Adèle Exar­chopou­los, une plaidoirie assez prêchi-prêcha et plutôt déce­vante sur les ver­tus de la jus­tice restau­ra­tive, Je ver­rai tou­jours vos vis­ages (1 h 58 — Jeanne Her­ry) ; un très aimable et attachant doc­u­men­taire fic­tion­né au sein d’une mater­nité hos­pi­tal­ière, bien joué, Sage-Homme (1 h 40 — Jen­nifer Devoldere) ; enfin, éton­nam­ment con­tre-pro­duc­tif dans sa tra­jec­toire, L’établi (1 h 57 — Math­ias Gokalp) et l’affaissement, au con­tact du réel, des illu­sions révo­lu­tion­naires de soix­ante-huit, avec Swann Arlaud en philosophe dépres­sif. Restent alors, au des­tin chroniqué moins lapidaire…

Chili 1976

1 h 35 – réal­isatrice : Manuel­la Martelli

Pinochet est en place depuis trois ans. Atmo­sphère oppres-sante, traque des oppo-sants, ten­sion per­ma­nente, sus­pi­cion générale. L’itinéraire for­mi­da­ble­ment filmé d’une bour­geoise, épouse d’un notable favor­able à la dic­tature, qui va s’enfoncer pro­gres­sive­ment dans la clan­des­tinité dan­gereuse sur les pas d’un vieux prêtre et dans la pro­tec­tion d’un blessé traqué par le régime. Un thriller poli­tique pré­cis, sub­til, pas­sion­nant, mag­nifique­ment joué de bout en bout. Impres­sion­nante Aline Küppenheim. 


De grandes espérances

1 h 45 – réal­isa­teur : Syl­vain Desclous

Rebec­ca Marder est une actrice impec-cable. Autour d’elle, Emmanuelle Bercot, Ben­jamin Lav­ern­he, tous deux très bien, et Marc Bar­bé, présence mutique par­ti­c­ulière­ment effi­cace. Le film est excel­lent, limpi­de, fouil­lé, sur une gamme thé­ma­tique éten­due mêlant l’intime, le thriller, le poli­tique, le sus­pense, le social. Pas­sion­nant de bout en bout et scé­nar­is­tique­ment très élaboré, avec un retourne­ment final dont l’immoralité ajoute à la jubi­la­tion du spec­ta­teur ! À ne pas manquer.


Voyages en Italie 

1 h 35 – réal­isatrice : Sophie Letourneur

Éton­nante prouesse. Sophie Letourneur, par­faite en out­re à l’écran, parvient à bâtir, avec la com­plic­ité mer­veilleuse­ment effi­cace de Philippe Kater­ine, un film déli­cieux d’inutilité exis­ten­tielle tâton­nante, autour de la par­en­thèse ital­i­enne approx­i­ma­tive et aléa­toire d’un cou­ple lunaire qui boite un peu, avec indo­lence, à la recherche d’une thérapie pour des insat­is­fac­tions quo­ti­di­ennes affir­mées sans insis­ter. Un tis­sage extrême­ment déli­cat et réus­si de riens accu­mulés, glanés au fil d’une obser­va­tion acérée et impa­ra­ble. Un petit mir­a­cle d’enchantement pour qui sait se sat­is­faire du spec­ta­cle ému d’un ennui affectueuse­ment partagé. Et, en plus, c’est très drôle !


Le capitaine Volkonogov s’est échappé 

2 h 05 – réal­isa­teurs : Natalya Merkulo­va et Alek­sey Chupov

Bras armé des purges de Staline, saisi par la ter­reur d’en devenir vic­time, il s’enfuit avec les fich­es d’une poignée de mal­heureux, béné­fi­ci­aires avant exé­cu­tion des « méth­odes spé­ci­fiques » qu’il pra­ti­quait. Han­té par la per­spec­tive d’une puni­tion éter­nelle, traqué par ses anciens cama­rades, il s’obstine au porte-à-porte des familles de ceux qu’il tor­tu­ra, quê­teur absurde et dés­espéré d’un par­don qui lui ouvri­rait, croit-il, le Par­adis. Péripéties aux ressorts inat­ten­dus, scènes glaçantes, noirceur cynique du total­i­tarisme stal­in­ien, galerie forte de per­son­nages cernés en quelques traits ; mise en scène, acteurs, impec­ca­bles. Impressionnant.


Les Trois Mousquetaires 

2 h 01 – réal­isa­teur : Mar­tin Bourboulon

Car il faut bien y revenir. La décep­tion doit être dite. On attendait beau­coup et tout est dans l’affiche. Des gueules, des décors, des cos­tumes, du bruit, des torch­es agitées dans des couloirs obscurs, des chevaux au galop, des com­bats con­fus et une esquisse de non-intrigue qui ne l’est pas moins. Louis Gar­rel est garan­ti d’époque en Louis XIII remar­quable, roy­al et dépassé. François Civ­il con­serve à d’Artagnan tout son charme, Athos – Vin­cent Cas­sel – déprime sans con­vic­tion, Romain Duris en Aramis fait des mots et des signes de croix, Pio Mar­maï qui n’a pas la car­rure du colosse qu’on a tant aimé toni­true et fornique en Porthos bisex­uel, Lyna Khoudri s’essaie à la soubrette, Vicky Krieps à la reine, Eva Green à la résur­rec­tion. Ça vire­volte, ça s’empanache et ça remue ; mais, dans ce spec­ta­cle pro­fus de car­naval déjan­té, on ne croit plus à rien car, au fond, on ne com­prend rien. Des héros sans épais­seur bondis­sent. Et le film nous en met plein les yeux, en nous lais­sant le goût amer de ce qu’il n’a pas été. 

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