Mort d’un commis voyageur

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°530 Décembre 1997Par : Arthur MILLERRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Les Nord-Amé­ri­cains sont des gens péné­trés d’efficacité. Comme tels, ils prennent la vie au sérieux et leur culture est tout impré­gnée de cette optique. Leur créa­tion lit­té­raire s’en res­sent : elle est plus sen­sible aux dure­tés de la condi­tion humaine qu’à ses cocas­se­ries. Si cette créa­tion peut être comique – Mark Twain, Woo­dy Allen, encore que l’humour de ce der­nier soit plus goû­té en Europe qu’outre- Atlan­tique – elle explose rare­ment dans la jubilation.

On n’y ren­contre ni de Molière ni de Pagnol et Panurge, San­cho Pan­ça ou Fal­staff n’ont pas de petit frère yan­kee, du moins à ma connaissance.

Les Amé­ri­cains pour­tant savent, ou plu­tôt ont su, déclen­cher le rire : Bus­ter Kea­ton, Lau­rel et Har­dy… Il ne s’agit cepen­dant pas alors de lit­té­ra­ture, c’est-à-dire d’un texte, mais de mime. L’art du mime peut émou­voir autant que celui d’agencer des mots, mais ce n’est pas le même.

La créa­tion dra­ma­tique relève des deux : elle com­bine texte et ges­tuelle, ce que l’on entend et ce que l’on voit.

La mise en scène appar­tient à ce der­nier ordre. Et c’est là qu’après ces consi­dé­ra­tions spé­cu­la­tives je veux en venir. Une tour­née don­nait un soir de juillet bre­ton Mort d’un com­mis voya­geur, d’Arthur Mil­ler (1949), dans une mise en scène de Régis Santon.

Arthur Mil­ler – l’époux de Mary­lin Mon­roe, à ne pas confondre avec le por­no­graphe Hen­ry Mil­ler – y raconte l’histoire d’un repré­sen­tant de com­merce en chô­mage qui se sui­cide pour pro­cu­rer, par le mon­tant de son assu­rance décès, la seule valeur qui lui reste à ses propres yeux, des res­sources à sa femme et ses deux fils, l’un géné­reux mais vel­léi­taire, l’autre pares­seux et cynique.

Pour cor­ser ce sujet de soi peu foli­chon, l’auteur pra­tique de façon abon­dante le retour en arrière, moyen ciné­ma­to­gra­phique s’il en est, mais d’un manie­ment dif­fi­cile au théâtre. On n’y connaît pas le fon­du enchaî­né ou tel autre de ces pro­cé­dés aptes à mar­quer les sauts dans le temps, les pas­sages de la réa­li­té du pré­sent à l’embellissement du souvenir.

Il convient alors que la mise en scène, par exemple par des jeux de lumière, sou­ligne les ins­tants où l’on pénètre dans le domaine oni­rique du “ c’était le bon temps ”. Faute de quoi un spec­ta­teur à l’esprit lent – tout à fait mon genre – éprouve quelque peine à suivre l’action. Ce fut le cas. Avis aux met­teurs en scène, mais il en est sans doute peu qui lisent La Jaune et la Rouge.

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