Mariages

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°614 Avril 2006Par : Gogol et Tchekhov, dans une mise en scène d’Anne-Marie LazariniRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Madame LAZARINI, direc­trice du théâtre Artis­tic- Athé­vains, a eu l’idée de mon­ter, et de met­tre en scène, un spec­ta­cle con­sacré aux mariages foireux en faisant jouer sur son plateau, en une seule soirée, Hyménée de Gogol (1809–1852) et La Noce de Tchekhov (1860–1904). Je m’en voudrais, et vous, amis lecteurs, m’en voudriez encore plus, de vous embar­quer dans un cours de lit­téra­ture com­parée, avec de savants par­al­lèles entre le sens du comique chez Gogol et chez Tchekhov. Con­tentons-nous donc, pour faire court, de dire que l’humour de Gogol revêt sou­vent un car­ac­tère quelque peu sur­réal­iste. Ce trait est par­ti­c­ulière­ment sai­sis­sant dans sa nou­velle, Le Nez, où, chez un petit fonc­tion­naire de l’ancienne Russie, cet organe olfac­t­if décide de men­er sa vie pro­pre et s’en va seul, à l’aventure, à l’humiliation de son pro­prié­taire attaché par-dessus tout au respect des con­ven­tions et des usages.

Or on retrou­ve cet aspect dans Hyménée, cette fois sous la forme d’un bur­lesque décon­cer­tant qui, mal­heureuse­ment, sied dif­fi­cile­ment au théâtre, m’a‑t-il sem­blé. Encore qu’existent d’éblouissantes pièces dans le réper­toire dit du “ théâtre de l’absurde ”. Certes, mais leur attrait man­i­feste un tel tal­ent de la part du dra­maturge que, nolens volens, il crée des per­son­nages d’une réal­ité suff­isante pour se prêter à “ l’incarnation ” chère à J.-L. Jeen­er. Ce qui, je le crains, ne soit pas le cas de Gogol, bien meilleur dans la nou­velle que dans le dia­logue scénique. De sorte que le décousu volon­taire de la con­struc­tion d’Hyménée n’en facilite pas la com­préhen­sion. Ajou­tons que la dic­tion par­fois cafouilleuse des jeunes comé­di­ens – un mal hélas répan­du – n’arrangeait rien en la matière.

Si en revanche existe un vrai dra­maturge de l’incarnation, c’est bien Tchekhov. Il l’écrivait d’ailleurs lui-même : la lit­téra­ture n’a le droit au nom d’art que si elle peint la vie telle qu’elle est en réal­ité. Sa rai­son d’être, c’est la vérité absolue, dans son intégralité.

Mal­heureuse­ment La Noce n’est pas, et de loin, la mieux réussie de ses petites pièces comiques en un acte, quand on la com­pare, en restant dans le reg­istre de l’hyménée, à La Demande en mariage, ou même à L’Ours. Sans doute Mme Lazari­ni dut-elle la choisir parce qu’elle pou­vait être présen­tée comme une manière de suite d’Hyménée, avec peu ou prou les mêmes per­son­nages, le pré­ten­dant indé­cis de Gogol devenant le jeune mar­ié de Tchekhov, plus intéressé par la dot que par l’épousée, la fille à mari­er se changeant pour sa part en mar­iée moins attirée par son époux tout neuf que par son ex-amoureux, au point de rouler ten­drement avec lui sous la table du repas de noce en prof­i­tant d’un moment d’inattention générale.

Il con­vient cepen­dant d’ajouter que cette triv­i­al­ité était une inven­tion de la mise en scène : rien ne la sug­gère dans le texte de Tchekhov, tou­jours respectueux de ses per­son­nages comme de son pub­lic. L’exemple, il est vrai, vient de haut. La rue de Riche­lieu nous avait bien un jour grat­i­fiés, lors d’une série de représen­ta­tions de La Ceri­saie juste­ment, d’une scène de cop­u­la­tion ne fig­u­rant pas non plus dans le texte.

Dans tout ce va-et-vient un tan­ti­net pesant, un seul pas­sage fut vrai­ment drôle, par effet de répéti­tion, celui où l’officier de marine en retraite, invité pour le déco­rum et prié de par­ler de son ancien méti­er, se lève et, tout con­tent de soi, hurle à plusieurs repris­es, les mains en porte-voix, des com­man­de­ments de manoeu­vre lui rap­pelant un vieux temps qui n’intéresse per­son­ne, de sur­croît par­faite­ment hors de pro­pos lors d’un repas de noce petit-bourgeois.

En bref, on serait ten­té de dire qu’existent de meilleures manières de servir le théâtre comique russe que celle adop­tée par Mme Lazari­ni, tant dans le choix des textes que dans leur inter­pré­ta­tion. L’Artistic-Athévains nous avait habitués à mieux, voici peu, avec son inou­bli­able mon­tage de L’Habit vert, de Caillavet et Flers. Ain­si va le temps.

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