Lunes de miel

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°617 Septembre 2006Par : Noël Coward, dans une adaptation d’Éric-Emmanuel Schmitt et une mise en scène de Bernard Murat. En tournée à Atlantia, à La Baule.Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

L’autre soir à La Baule, nous avons été voir M. Ardi­ti et Mme Bouix jouer Lunes de miel, de Noël Cow­ard, dans une adap­ta­tion d’Éric-Emmanuel Schmitt. Peut-être pour votre part y avez-vous assisté à Paris, où cette pièce vient de tenir longtemps l’affiche au Théâtre Édouard VII. Si oui, vous en con­nais­sez le sujet : après un temps de vie com­mune, folle­ment amoureuse mais folle­ment houleuse aus­si, Eliot et Aman­da ont divor­cé, voici cinq ans. Ils vien­nent de se remari­er l’un et l’autre et décou­vrent qu’ils ont débar­qué, flan­qués cha­cun de son nou­veau con­joint, dans deux suites voisines du même hôtel à Cannes, en vue d’y pass­er leurs sec­on­des lunes de miel. Tant de vieux sou­venirs revi­en­nent si soudaine­ment à la sur­face qu’ils tombent dans les bras l’un de l’autre et s’enfuient à Paris par le pre­mier train, plan­tant là les con­joints tout neufs, qui n’y com­pren­nent rien. En résulte une suite hila­rante de cafouil­lis, au cours de quoi ils con­nais­sent tour à tour des phas­es de totale extase et d’autres d’engueulades homériques, tout comme avant, mais com­pliquées par la présence des con­joints qui ont fini par se coalis­er et les dénich­er dans leur refuge.

Si l’adaptation de M. Schmitt est récente, il s’agit d’une pièce anci­enne, créée à Lon­dres en 1930, sous le titre de Pri­vate Lives. Ce fut d’ailleurs le pre­mier grand suc­cès de Noël Cow­ard (1899–1973), auteur dra­ma­tique, comé­di­en, créa­teur et inter­prète de chan­sons à la Charles Trenet, en out­re par­faite­ment bilingue, faisant de fréquents séjours à Paris, où il jouait au besoin ses pro­pres pièces, en français, sur le plateau de l’Édouard VII juste­ment. Pour sa part, M. Schmitt, on le sait, maîtrise avec aisance le dia­logue de scène : il l’a mon­tré en adap­tant avec suc­cès pour le théâtre l’un de ses meilleurs romans, L’Évangile selon Pilate. De sur­croît, ce qui n’est pas don­né à tous, il manie aus­si bien le reg­istre comique que le sérieux.

Toutes les con­di­tions sem­blaient donc réu­nies pour que nous pas­sions une excel­lente soirée. Ce ne fut pas le cas. Le stupé­fi­ant incon­fort des strapon­tins d’Atlantia – nous n’avions rien pu louer d’autre – tint peut-être sa part, mais j’espère tout de même jouir d’une objec­tiv­ité de vue et une capac­ité de juge­ment suff­isantes pour l’emporter sur une triv­iale sen­sa­tion issue de mes fess­es meur­tries et mon dos injuste­ment ployé.

Alors ? C’est très sim­ple. M. Ardi­ti, qui fut un jeune comé­di­en charmeur, si plaisant en 1985 dans Tailleur pour dames de Fey­deau, s’est mis, la matu­rité venue, à “ en faire beau­coup trop ”, comme l’on dit, en y ajoutant une sorte de vul­gar­ité qui, trois fois hélas, plaît au pub­lic. Certes, il appar­tient à tout comé­di­en de plaire au pub­lic, c’est l’accomplissement même de sa voca­tion mais on peut plaire en sat­is­faisant le bon goût ou en flat­tant le mau­vais. Et pourquoi s’en tenir presque sys­té­ma­tique­ment à la sec­onde option ? J’ignore quelle part le met­teur en scène Bernard Murat joua dans le choix de ces lour­des ges­tic­u­la­tions. Ce que je sais en tout cas, c’est qu’il avait aus­si mis en scène Tailleur pour dames et que l’on n’y obser­vait rien d’aussi pesant, bien au con­traire. En tout cas lors de la représen­ta­tion de Lunes de miel, le pub­lic riait longue­ment aux éclats, ou même applaud­is­sait, à cha­cune de ces flat­ter­ies, au point que c’en était agaçant, ne fût-ce que par les inces­santes inter­rup­tions des dia­logues, pour­tant tout en finesse.

Mme Éve­lyne Bouix fit l’objet de beau­coup moins de trans­ports, alors que son jeu était bien autrement équili­bré, par­faite­ment nuancé dans l’expression des sen­ti­ments de cette Aman­da, à la fois sub­juguée et exas­pérée par un Eliot que Noël Cow­ard voulut à la fois éper­du d’amour, mais tour à tour ironique et dis­tant, ou bru­tal. Un emploi con­venant à mer­veille à la finesse naturelle de M. Ardi­ti, mais qu’il s’applique mal­heureuse­ment à mas­quer der­rière d’intempestives agi­ta­tions. Le con­traste entre l’épaisseur arti­fi­cielle de l’un, l’aérienne trans­parence de l’autre sai­sis­sait en tout cas.

L’on serait alors ten­té de répéter ce que tout un cha­cun sait déjà : pour faire du bon théâtre, une bonne idée servie par un bon texte ne suf­fit pas, il y faut aus­si des comé­di­ens fidèles et dis­crets. En out­re, et bien qu’il ne s’agisse que d’un détail, ce n’est pas plus mal d’être con­ven­able­ment assis !

Poster un commentaire