La Comédie des erreurs

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°549 Novembre 1999Par : SHAKESPEARERédacteur : Philippe OBLIN (46)

La jeune troupe du minus­cule théâtre André Bour­vil – j’ai comp­té vingt-huit places – a mon­té ce prin­temps La Comé­die des erreurs, de Shakespeare.

J’aime bien les petits théâtres, sur­tout lorsqu’ils sont han­tés par de jeunes comé­diens, et que ces der­niers demeurent res­pec­tueux des textes. Ceux du Bour­vil, sous la direc­tion scé­nique de Claude Cor­te­si, l’étaient. Vieillis­sant, on aime à retrou­ver chez de jeunes pro­fes­sion­nels la même véné­ra­tion que l’on éprouve soi-même à l’égard du réper­toire de tou­jours. Il n’est pas si fré­quent que jeunes et vieux s’accordent sur quelque chose. De tels moments de com­mu­nion entre géné­ra­tions doivent donc être accueillis avec fer­veur, et recon­nais­sance pour ceux qui ont contri­bué à les faire naître.

Je ne ferai pas le savant en dis­ser­tant sur les sources de Sha­kes­peare, à savoir Les Ménechmes, de Plaute, lui-même adap­ta­teur d’une comé­die grecque de Ménandre. Cela n’apporterait rien. Sachez seule­ment que la comé­die naît d’une haute den­si­té de qui­pro­quos pro­vo­qués par la pré­sence, dans une même ville de l’Antiquité, de deux paires de jumeaux, dont cha­cun croit son double dis­pa­ru jadis en mer : deux frères de bonne bour­geoi­sie mar­chande et leurs deux esclaves.

Le thème des res­sem­blances se retrouve sou­vent au théâtre. Sans par­ler des mul­tiples Amphi­tryons, où il ne s’agit cepen­dant pas de gémel­li­té mais de dupli­ca­tion de per­sonnes, ce qui revient au même, scé­ni­que­ment par­lant, on le ren­contre, entre autres, dans Les deux jumeaux véni­tiens, de Gol­do­ni et, plus récem­ment, dans L’Invitation au châ­teau, d’Anouilh. Dans ces pièces pour­tant, la construc­tion dra­ma­tique repose sur le fait que les jumeaux sont de tem­pé­ra­ments tout à fait oppo­sés. Ce qui me paraît assez invrai­sem­blable, géné­ti­que­ment par­lant. Fort heu­reu­se­ment, tant la cocas­se­rie des situa­tions, dans le pre­mier cas, que le brio du dia­logue, dans le second, balayent toute réticence.

En écri­vant sa Comé­die des erreurs, Sha­kes­peare ne s’est pas même embar­ras­sé de telles consi­dé­ra­tions. Ses per­son­nages manquent tota­le­ment de consis­tance psy­cho­lo­gique et ne sont que de pures marion­nettes, hébé­tées par les confu­sions répé­tées s’abattant sur elles. Confu­sions qui ne vont pas sans contu­sions par coups de bâton, mais pous­sées à un si haut degré d’invraisemblance qu’elles en explosent de poé­sie comique, en pleine fée­rie et irréalité.

Et si Sha­kes­peare, avec ses inces­sants jeux de mots, cocasses et même volon­tiers salaces – à quoi la langue anglaise, par ses mots très courts, aux conso­nances presque iden­tiques, se prête admi­ra­ble­ment – est fort mal­ai­sé à tra­duire, Claude Cor­te­si s’en tire bien dans son adap­ta­tion. Il par­sème son texte de cent menues astuces propres à faire rire. Certes, il leur arrive d’être un tan­ti­net vaseuses, mais après tout le public éli­sa­bé­thain n’était pas fort regar­dant, ni très culti­vé. Et les per­sonnes de finesse, car il en comp­tait aus­si, ne détestent pas de s’encanailler un brin, à l’occasion. De sorte que l’on peut à bon escient par­ler de fidé­li­té, sinon au mot à mot du texte, du moins à son esprit.

Je serais pour­tant ten­té d’apporter un léger bémol au plai­sir que j’ai pris. Les scènes étaient entre­cou­pées d’intermèdes dan­sants, du genre rap. Cela n’apportait rien d’autre, à mon sens, qu’une démons­tra­tion de l’étendue du métier pos­sé­dé par ces comé­diens, car ils dan­saient fort bien.

En ce moment, les met­teurs en scène se plaisent à entre­lar­der leurs scènes de tels inter­mèdes. Vous me direz que cela ne date pas d’hier, et me rétor­que­rez les comé­dies- bal­let de Molière, entre autres. Certes, mais ces bal­lets consti­tuaient, en quelque manière, un pro­lon­ge­ment de l’action : il faut bien, par exemple, que les tailleurs de M. Jour­dain lui enfilent son habit. Pour­quoi alors ne pas le faire en musique ?

Dans le cas de La Comé­die des erreurs du Bour­vil, comme dans d’autres spec­tacles récents, ces inter­mèdes n’ont rien à voir avec le sujet.

De sorte qu’on peut se deman­der si cette mode ne serait pas une façon de conta­gion des pra­tiques propres aux usa­gers des petites lucarnes. Au théâtre, le spec­ta­teur ne peut pas zap­per. Pour le dédom­ma­ger de cette contrainte, on le fait pas­ser d’une vision scé­nique à une autre, ne pré­sen­tant entre elles aucun lien, ni dans l’ordre de la logique dra­ma­tique, ni dans celui du style.

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