Les Mains sales

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°541 Janvier 1999Par : SARTRERédacteur : Philippe OBLIN (46)

Le théâtre Antoine avait créé Les Mains sales, de Sartre, en 1948, avec André Luguet (Hoed­er­er) et François Péri­er (Hugo). Cette pièce vient d’être reprise sur la même scène, avec J.-P. Kal­fon et Yan­nick Debain dans ces rôles respectifs.

Avant d’y assis­ter, je m’étais plongé dans le texte, et y avait trou­vé de grandes jouis­sances d’esprit. Certes, toutes ces his­toires de guerre, de mou­ve­ments clan­des­tins, de dévoue­ment au Par­ti, d’opposition entre la fidél­ité à l’idéologie et les vire­voltes tac­tiques datent au suprême degré. Mais, au-delà de l’obsolescence de la sit­u­a­tion, quelle justesse d’observation dans la psy­cholo­gie des pro­tag­o­nistes, quelle habileté dans le choix des mots, dans la con­duite des dia­logues, dans la con­struc­tion dra­ma­tique elle-même !

Par avance, je me réjouis­sais de savour­er l’affrontement entre Hugo-Antigone et Hoed­er­er-Créon, dans ce heurt intem­porel entre la fonc­tion royale, celle du dirigeant qui doit s’arranger des cir­con­stances, et la fonc­tion prophé­tique, celle du gar­di­en de la loy­auté, des lois non écrites de la droiture.

Immense fut la déception.

Sur scène, il ne reste plus grand-chose de cette richesse d’analyse. Ce n’est plus du théâtre, mais plutôt du “ théâ­tral”, avec de la grandil­o­quence, des explo­sions de bombes, des coups de revolver, du sang. On se demandait com­ment un auteur aus­si doué avait pu bas­culer ain­si jusqu’au bord du grand guignol.

Sans doute, l’interprétation y était-elle pour quelque chose : le débit sac­cadé, véhé­ment, de Y. Debain cor­re­spondait mal à son per­son­nage de gosse de riche sincère, pitoy­able et four­voyé. Mais, à part J.-P. Kal­fon en ironique et lucide Hoed­er­er, les autres hommes en “ fai­saient trop ”, eux aus­si. La scène très sub­tile de la négo­ci­a­tion tri­par­tite entre le fils du Régent, le social-démoc­rate et le com­mu­niste deve­nait une dérisoire empoignade. Les femmes cepen­dant, Olga et Jes­si­ca (C. Valan­dray et M. Lenoir) se tenaient dans le ton qui con­ve­nait, la pre­mière partagée entre sa fidél­ité au Par­ti et sa ten­dresse per­spi­cace pour Hugo, la sec­onde toute pétrie d’intuition et de primesaut.

Faut-il incrim­in­er les comé­di­ens, ou seule­ment le met­teur en scène, J.-P. Drav­el, ou un peu tout le monde, de n’avoir pas vu que le théâtre de Sartre, ter­ri­ble­ment intel­lectuel et cérébral, exige beau­coup de sobriété et de dépouille­ment, que, par exem­ple, l’usage des armes à feu sur scène, bien que l’auteur ne soit en l’occurrence pas par­venu à s’en affranchir, devrait rester aus­si acces­soire que possible.

Peut-être ain­si cet éblouis­sant jeu avec les idées parviendrait- il à pass­er la rampe, encore qu’on puisse en douter. Il est à coup sûr plus aisé de lire ce théâtre que de le jouer.

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