Le Meilleur Professeur,

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°611 Janvier 2006Par : Daniel Besse, dans une mise en scène de S. HillelRédacteur : Philippe OBLIN (46)

On ne com­prend rien à l’œuvre dra­ma­tique si l’on ne com­prend pas qu’elle est d’abord la pos­si­bil­ité d’une incar­na­tion écrit M. J.-L. Jeen­er dans des réflex­ions sur le théâtre. La plume d’un comé­di­en et met­teur en scène expéri­men­té mérite tou­jours con­sid­éra­tion, mais le mot “ incar­na­tion ” prend plus de poids encore quand on sait que M. Jeen­er est égale­ment licen­cié en théologie.

Jaugée à cette aune, la com­préhen­sion de ce que doit être l’écriture dra­ma­tique dont fit preuve M. Daniel Besse en con­ce­vant Le Meilleur Pro­fesseur est écla­tante. Je pense que beau­coup d’entre vous avaient vu Les Directeurs, du même auteur, pièce évo­quée en son temps dans ces colonnes (mai 2001). Depuis, il nous aura diver­tis avec Hypothèque et Les Bon­nich­es, mais il revient, cette fois au Petit Théâtre de Paris, à du sérieux, et même du trag­ique : il y a aus­si un sui­cide dans Le Meilleur Pro­fesseur.

Du trag­ique, à quoi pour­tant se mêle du cocasse, comme dans la réal­ité de la vie, alors incar­née non pas au sein d’une entre­prise, mais d’un lycée. Cet étab­lisse­ment est dirigé par un pro­viseur, joué par P. Mag­nan – il jouait le Prési­dent dans Les Directeurs – un pro­viseur blasé, qui en a beau­coup vu et exerce avec une las­si­tude bougonne et hau­taine un méti­er qui ne ressem­ble plus à ce qu’il était. Il n’y a plus de mau­vais élèves, déclare-t-il en pesant ses mots pour mon­tr­er qu’il maîtrise le lan­gage du temps, il y a des élèves en dif­fi­culté. Il con­cède cepen­dant qu’existent encore de bons et de mau­vais pro­fesseurs, et voilà juste­ment que le Rec­torat lui demande de désign­er le meilleur de son lycée, en vue de le faire par­ticiper à une émis­sion con­sacrée à la gloire de l’Éducation nationale.

Mal­gré ses airs de ne pas y touch­er, il con­naît bien son monde et fait son choix. Or si ce choix n’emballe pas le tit­u­laire, un pro­fesseur de let­tres peu attiré par les baliv­ernes télévisées, il révolte cer­tains de ses col­lègues : un prof de maths reven­di­catif et sournois, pra­ti­quant les arrêts de tra­vail pour mal de dos lui per­me­t­tant d’aller faire de la voile à Saint-Malo, mais se plaig­nant d’avoir été moins bien noté cette année par “ Mon­sieur le Pro­viseur ” : de “ excel­lent pro­fesseur ”, sa note est passée à “ très bon pro­fesseur ”. Un prof d’histoire bavard et syn­di­cale­ment enflam­mé d’indignation en con­statant que le pro­viseur a osé désign­er le meilleur d’entre eux sans en référ­er démoc­ra­tique­ment à l’ensemble du corps professoral.

Et devant le spec­ta­teur qui ne sait plus bien s’il est au théâtre ou vrai­ment dans un lycée, tout ce micro­cosme s’agite, revendique, débat, reçoit une jour­nal­iste dans le vent, attirée par cette his­toire d’émission télévisée, des par­ents d’élèves. Une mère en par­ti­c­uli­er dont le fils vient de subir une petite inter­ven­tion chirur­gi­cale des­tinée à cor­riger une légère mal­for­ma­tion intime. Lors de son retour au lycée, sa pro­fesseur d’anglais a jugé intel­li­gent de lui deman­der, devant toute la classe, des nou­velles de son organe, de sorte que ses cama­rades ne l’appellent plus que “ la couille ”, sobri­quet que le gosse, on s’en doute, sup­porte mal.

Son pro­fesseur prin­ci­pal, celui qui est choisi pour l’émission, promet gen­ti­ment de veiller par­ti­c­ulière­ment sur lui. Le pro­viseur, égale­ment saisi par la mère et con­scient de ne pou­voir rien faire, se débar­rasse d’elle, à peine poliment.

Je ne vais certes pas vous racon­ter toute la pièce, qui va beau­coup plus loin dans la réal­ité des per­son­nages que ce que la cri­tique s’est trop sou­vent con­tentée d’y voir : une grinçante pein­ture de notre présente Édu­ca­tion (?) nationale, de la même veine que ce Prof de J.-P. Dopagne, si magis­trale­ment inter­prétée naguère par M. Jean Piat à la Gaîté Mont­par­nasse. Sans aucun doute, notre façon nationale d’éduquer les jeunes ne sort pas glo­ri­fiée de l’affaire, mais M. Besse ne s’en tient pas à la sim­ple satire, pro­pre à exciter le rire. Après tout, cha­cun sait déjà que le mam­mouth est en pleine déliques­cence, bien qu’y sub­sis­tent d’indiscutables îlots de résis­tance à la cul­ture du n’importe quoi, et qu’il vaut mieux en rire, de peur d’être obligé d’en pleurer.

M. Besse va beau­coup plus loin parce qu’aucun de ses per­son­nages n’est sim­ple. Ils sont tous pro­fondé­ment humains, en cela que le bien et le mal y sont inex­tri­ca­ble­ment mêlés. Le Pro­viseur n’est pas un stéréo­type du cynique dés­abusé : il sait aus­si se bat­tre quand il faut, et bien que cela ne l’intéresse pas, pour obtenir les crédits néces­saires à la réno­va­tion de l’escalier. Le pro­fesseur d’histoire se révèle in fine autre chose qu’un râleur syn­diqué et grandil­o­quent : dans le drame, il est capa­ble de pos­er le doigt sur l’essentiel. Quant au peu sym­pa­thique pro­fesseur de math­é­ma­tiques, il finit par se mon­tr­er touchant à force d’immaturité si naïve qu’il ne saisit pas même la con­tra­dic­tion entre son désir enfan­tin d’être bien noté du pro­viseur et ses fréquentes escapades à Saint-Malo.

Ajou­tons que les inter­prètes sont tous à la hau­teur de leur dif­fi­cile incar­na­tion en êtres vivants et com­plex­es, dont le met­teur en scène, S. Hil­lel, a par­faite­ment com­pris, et exprimé, la pleine humanité.

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