Petites Pièces

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°547 Septembre 1999Par : Anton Tchekhov, mise en scène par J. Mauclair, avec lui-même, J.-P. Brissart, M. Champel, N. Marcovici (plus désopilante que nature) et S. NoëlRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Il n’est pas fréquent que les ingénieurs, cen­sés lire cette chronique et à sup­pos­er qu’ils le con­nais­sent, aiment Tchekhov (1860–1904). En général, ils le voient comme un auteur dra­ma­tique dont les per­son­nages se pren­nent, à longueur d’actes, les pieds dans leurs états d’âme, d’âme russe qui plus est.

Tchekhov pour­tant n’a pas écrit seule­ment pour le théâtre. Encore étu­di­ant en médecine, il com­mença ses activ­ités lit­téraires avec de petits textes comiques, parus dans des revues humoris­tiques moscovites. Il s’agissait pour lui, non pas de s’exprimer comme dis­ent les per­son­nes de qual­ité, mais tout bon­nement de sub­venir, tant bien que mal, aux besoins de sa famille, vivant dans la mis­ère après la ruine de son père, épici­er fail­li venu s’enfouir à Moscou afin d’échapper à la prison pour dettes.

Médecin con­fir­mé ensuite, exerçant à Moscou, Tchekhov n’abandonna jamais la veine comique, qu’il cul­ti­va de pair avec une vision plus poignante de la con­di­tion humaine. Au point de les mêler par­fois : il con­ce­vait La Ceri­saie, écrite un an avant sa mort, comme une comédie et man­qua de se fâch­er avec le grand Stanislavs­ki, qui la met­tait en scène tout autrement.

Le comique de cer­taines de ses créa­tions dra­ma­tiques éclate cepen­dant sans ambiguïté. Sur son célèbre, mais bien petit, Théâtre du Marais – une cinquan­taine de places – M. Jacques Mau­clair s’est don­né le plaisir, pour notre grande sat­is­fac­tion, d’en mon­ter deux : Tragé­di­en mal­gré lui et La Demande en mariage. On joue trop rarement ces hila­rantes fan­taisies en un acte, et c’est dommage.

Le “ tragé­di­en mal­gré lui ” est un petit fonc­tion­naire faisant la navette quo­ti­di­enne entre Moscou et une local­ité de vil­lé­gia­ture où sa famille passe les vacances d’été. Chaque jour que Dieu fait, les uns et les autres lui con­fient une quan­tité fab­uleuse de com­mis­sions et, chargé comme un baudet, il doit s’engouffrer tous les soirs dans un train bondé, pour retrou­ver le vacarme des fes­tiv­ités esti­vales, qu’accompagne le chant noc­turne des mous­tiques. Pour comble de dis­grâce, l’ami à qui il racon­te ces tribu­la­tions voudrait qu’il emporte aus­si une machine à coudre et une cage immense mais frag­ile, con­tenant un canari, à remet­tre à une sienne amie.

La Demande en mariage nous mon­tre un hobereau, sa fille et un pré­ten­dant de même acabit met­tre au point un pro­jet de mariage qui les enchante tous trois, mais ils sont cha­cun telle­ment iras­ci­bles que leurs paroles tour­nent sans cesse, et comme mal­gré eux, aux injures, à pro­pos de broutilles telles que l’origine de pro­priété d’un pré ou les qual­ités d’un chien de chasse.

Jacques Mau­clair asso­cie ces deux pièces, où il ne joue pas – mais sa troupe est à sa mesure, ce qui n’est pas peu dire – à deux autres, d’un reg­istre par­fois plus grave, plus tchekhovien si l’on veut, où il joue : Les Méfaits du tabac, long mono­logue d’un cer­tain Ivan Ivanovitch Nioukine, “ mari de sa femme ” est-il pré­cisé par l’auteur, qui, cen­sé don­ner une con­férence sur les dan­gers du tabac, en prof­ite pour dis­sert­er avec las­si­tude devant le pub­lic sur la dif­fi­culté de vivre avec sept filles et surtout une femme acar­iâtre, direc­trice d’une école de musique et d’un pen­sion­nat de jeunes filles.

L’autre est Le Chant du cygne, où un comé­di­en décati, un peu saoul après sa soirée d’adieux à la scène, s’épanche auprès d’un vieux souf­fleur en béret et pan­tou­fles, qui couche au théâtre à l’insu du directeur, faute d’autre domi­cile, mais est capa­ble de citer impromp­tu de longues répliques de Shakespeare.

Tchekhov donc était médecin, ce en un temps con­nais­sant à peine les exa­m­ens de lab­o­ra­toire, et pas du tout l’imagerie médi­cale, de sorte que le diag­nos­tic repo­sait sur l’écoute du malade plutôt que sur l’analyse d’un dossier. Bonne école, surtout lorsque le patient est bavard sur soi, ce qui ne manque pas d’arriver sou­vent, pour son­der la nature humaine. Le dérisoire et le trag­ique n’en sont-ils pas les faces les plus vis­i­bles, pour qui sait regarder.

Nota

Dans une précé­dente chronique théâ­trale, je rap­prochais l’exécution, en févri­er 1945, de Brasil­lach de celles de Fed­eri­co Gar­cia Lor­ca, de Chénier et de Socrate.

Ce par­al­lèle a indigné des cama­rades. Me l’avait inspiré ma répug­nance à la peine de mort. Le tal­ent de Brasil­lach cri­tique lit­téraire, romanci­er, poète, était en out­re immense : ce fut sans doute la rai­son pour laque­lle de nom­breux écrivains inter­v­in­rent en sa faveur, qui pour­tant ne partageaient pas tous, et de loin, ses opin­ions de journaliste.

De sorte qu’ayant eu seule­ment en tête l’interruption d’une œuvre, déjà vaste, qui eût con­tin­ué d’enrichir le pat­ri­moine lit­téraire de la France, j’ai, sans le vouloir, heurté dans leurs con­vic­tions des cama­rades dont je respecte infin­i­ment les cha­grins et les deuils.

Je les prie de m’en excuser.

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