Maîtriser son réseau de partenaires pour de meilleures performances

Dossier : Management, le conseil en première ligneMagazine N°688 Octobre 2013
Par Paul SANSÉAU (80)
Par Olivier DUBOUIS (83)
Par Hervé HILLION (80)

ANTICIPER ET PILOTER LA DEMANDE

ANTICIPER ET PILOTER LA DEMANDE

La maîtrise et le pilotage de la sup­ply chain peu­vent être approchés par bien des axes et des domaines. Nous avons choisi d’en présen­ter cer­tains des plus sig­ni­fi­cat­ifs, en com­mençant par la prévi­sion et la ges­tion de la demande. Comme il faut des ressources et du temps pour fab­ri­quer et dis­tribuer les pro­duits, pour répon­dre rapi­de­ment, il est néces­saire d’anticiper tout ou par­tie de ces opéra­tions et donc d’élaborer des prévisions.

La fia­bil­ité de la prévi­sion est un indi­ca­teur clé

L’art de la prévi­sion com­bine, dans des pro­por­tions qui peu­vent être très dif­férentes, analyse sta­tis­tique et mod­éli­sa­tion d’une part et exper­tise et empirisme d’autre part. Quelles que soient les méth­odes util­isées, quelques points méri­tent atten­tion. Le pre­mier est que la prévi­sion est fausse ; la valeur de la prévi­sion est un indi­ca­teur, qu’il con­vient d’encadrer par une esti­ma­tion de l’incertitude ; dans les cas où les vol­umes sont impor­tants, elle est sou­vent mod­élisée par une gaussi­enne dont l’écart type varie en fonc­tion de la fia­bil­ité des prévisions.

Pour l’ensemble de la sup­ply chain, savoir que l’écart type cor­re­spond à une vari­a­tion de 1% de la demande ou à 50% n’a pas du tout la même valeur. D’autre part une « bonne prévi­sion » n’est pas biaisée ; les prob­a­bil­ités d’avoir une demande supérieure ou inférieure à la prévi­sion sont de 50 %. Le biais est mal­heureuse­ment un phénomène ren­con­tré fréquem­ment, du fait de l’anticipation des acteurs en charge de la prévi­sion de l’influence des déci­sions qui seront prises.

REPÈRES
La sup­ply chain est sou­vent décrite comme un réseau d’acteurs organ­isés ayant pour but d’assurer la four­ni­ture de biens et de ser­vices, cor­re­spon­dant à une valeur pour le ou les don­neurs d’ordre. Une étude pub­liée par le cab­i­net PRTM en 2006 mon­tre que, dans un secteur comme l’aéronautique et la défense, entre les 10 % meilleurs en matière de ges­tion de leur sup­ply chain et la médi­ane de l’échantillon, il existe un gain de 2 % au niveau de l’EBIT.
Une mau­vaise maîtrise des rela­tions avec les parte­naires entraîne des rup­tures de stock ou des mesures d’urgence, désta­bilise les plans de pro­duc­tion, nuit à la qual­ité, etc. La con­séquence est une sur­con­som­ma­tion des pré­cieuses ressources tech­niques, humaines et finan­cières de l’entreprise.

Rythmer l’actualisation

Enfin, la prévi­sion doit être actu­al­isée de manière per­ti­nente, en fonc­tion des infor­ma­tions sus­cep­ti­bles d’en amélior­er la qual­ité. L’expérience mon­tre qu’une actu­al­i­sa­tion trop fréquente (ou une prise en compte trop fréquente des actu­al­i­sa­tions) peut être à l’origine d’un « bruit » dont les con­séquences peu­vent per­turber le fonc­tion­nement de la sup­ply chain. La ques­tion de la fréquence et du proces­sus d’actualisation est essen­tielle et sou­vent mal appréhendée.

Niveau de service et niveau de risque

Prévi­sions biaisées
Un biais fréquent lorsque les com­mer­ci­aux sont en charge des prévi­sions est de sures­timer la demande, afin « d’être sûr » d’avoir suff­isam­ment de stock. Un autre biais sou­vent ren­con­tré dans les secteurs d’activités car­ac­térisés par des pro­duits à courte durée de vie, est d’avoir de la part du mar­ket­ing (forte­ment impliqué dans les prévi­sions) une ten­dance à sures­timer les pro­duits qui ne vont pas « marcher », et au con­traire sous-estimer les plus performants.

La plan­i­fi­ca­tion de la pro­duc­tion (et des stocks) doit ensuite être effec­tuée pour répon­dre au mieux à la demande « prévue ». Se fonder unique­ment sur la prévi­sion revient à dire que, dans 50 % des cas, on accepte de ne pas être en mesure de servir la demande. Une bonne pra­tique con­siste donc à se pos­er la ques­tion du taux de ser­vice visé et du niveau de risque que l’on accepte de pren­dre (niveau de risque très dif­férent selon les secteurs d’activité, les niveaux de marge, l’obsolescence des pro­duits, etc.), afin de définir, en fonc­tion de la prévi­sion et de l’incertitude, la quan­tité à pro­duire pour attein­dre l’objectif souhaité.

Planification industrielle et commerciale

La qual­ité du résul­tat dépend des proces­sus et des out­ils utilisés

La qual­ité du résul­tat final dépend bien enten­du, au-delà des principes qui seront retenus, des proces­sus mis en place et des out­ils util­isés. Le proces­sus défi­ni doit notam­ment garan­tir que l’ensemble des infor­ma­tions néces­saires à l’élaboration d’une « bonne prévi­sion » seront trans­mis­es en temps et heure aux respon­s­ables de la prévi­sion ; que la fréquence d’actualisation est per­ti­nente (trop impor­tante, elle alour­dit la charge de tra­vail sans apporter de réelle valeur ajoutée, voire en générant un « bruit » inutile, trop faible, cer­taines infor­ma­tions per­ti­nentes ne seront pris­es en compte que tar­di­ve­ment); enfin que les prévi­sions sont en phase avec la vision busi­ness et les objec­tifs de l’entreprise. C’est un des objec­tifs du proces­sus PIC (Plan­i­fi­ca­tion indus­trielle et commerciale).

Définir et met­tre en place un proces­sus, des règles et des out­ils per­me­t­tant d’améliorer la qual­ité des prévi­sions est un exer­ci­ce moti­vant qui per­met sou­vent des pro­grès nota­bles, pour peu que les attentes soient raisonnables et en phase avec les enjeux asso­ciés : quelles déci­sions seront éclairées, quelles amélio­ra­tions atten­dues, quels efforts néces­saires. Cet exer­ci­ce doit être effec­tué de manière cohérente avec les principes directeurs de la sup­ply chain.

Tenir compte du secteur d’activité
Le tra­vail de prévi­sion et de plan­i­fi­ca­tion varie énor­mé­ment selon le secteur d’activité. Effectuer une « bonne » prévi­sion dans le secteur de la mode, où l’on renou­velle les col­lec­tions plusieurs fois par an, est un exer­ci­ce très dif­férent de celui qu’il faut met­tre en place dans le secteur des pro­duits de grande con­som­ma­tion, où une demande très régulière, bien que pou­vant être saison­nière, est per­tur­bée par des mécaniques pro­mo­tion­nelles qui ont un effet impor­tant sur les ventes instantanées.
Choisir les bons outils
Les out­ils de prévi­sion et plan­i­fi­ca­tion util­isés doivent per­me­t­tre d’exploiter au mieux les his­toriques per­ti­nents, de tra­vailler à des niveaux de gran­u­lar­ité dif­férents, de servir de « véhicule » au proces­sus d’échange d’information et de val­i­da­tion des prévi­sions et d’utiliser des mod­èles spé­ci­fiques adap­tés à cer­taines activ­ités (par exem­ple, cou­plage avec des his­toriques et des prévi­sions météo, ou avec des mod­èles d’élasticité de la demande par rap­port aux prix ou promotions).

CRÉER DE LA VALEUR

La créa­tion de valeur peut être con­sid­érée comme l’une des con­tri­bu­tions majeures de la ges­tion de la sup­ply chain. Cette activ­ité peut être décrite comme un ensem­ble de proces­sus inter­con­nec­tés les uns avec les autres, qui se trans­fèrent de la valeur et qui peu­vent ain­si col­la­bor­er à un but com­mun, mais qui pos­sè­dent leurs logiques et leurs organ­i­sa­tions pro­pres. Ce point suf­fit à jus­ti­fi­er l’approche sys­témique de l’ensemble de la chaîne.

Par­mi les fac­teurs les plus struc­turants de la chaîne, le temps inter­vient en pre­mière posi­tion, à la fois comme élé­ment de per­for­mance de base mais égale­ment comme fac­teur adverse (coût de pos­ses­sion des stocks, obso­les­cence, dérive des process, dates de péremp­tion, etc.). Bien rares sont les activ­ités dont la valeur ne s’érode pas avec le temps.

Une multitude d’approches et d’outils

Un pro­jet d’entreprise
L’étude du MIT mon­tre que les entre­pris­es qui tirent le meilleur par­ti des pro­jets d’amélioration de leur sup­ply chain parta­gent les mêmes caractéristiques.
  • La démarche est portée au plus haut niveau de l’entreprise par des spon­sors charismatiques.
  • Le change­ment des men­tal­ités fait par­tie des leit­mo­tivs du projet.
  • La démarche est struc­turée par étapes, avec des clés de déci­sion, une cadence générale et un pilotage d’ensemble.
  • Enfin, les man­agers reçoivent un intéresse­ment direct sur la per­for­mance de la démarche dans leur domaine de responsabilité.

Afin d’assurer la maîtrise de ce temps et de la valeur, les acteurs de la sup­ply chain ont créé et mis en œuvre de mul­ti­ples approches et tech­niques, por­tant à la fois sur l’organisation et sur les flux.

Ces démarch­es peu­vent avoir des effets spec­tac­u­laires, mais par­fois moins : une étude menée au MIT en 2004 a mon­tré que le choix de la démarche retenue importe de manière assez peu sen­si­ble. La valeur rel­a­tive et la péren­nité des gains obtenus ne dépen­dent pas du secteur d’activité, de la taille ou de la struc­ture de l’entreprise.

Mais le retour sur investisse­ment de la démarche est claire­ment séparé entre ceux qui y ont excel­lé (5 % à 10 % du pan­el) et les autres. La quête de la per­for­mance des proces­sus est un com­bat sans relâche et dont les fruits sont frag­iles : l’expérience mon­tre qu’il ne faut en général que moins de deux ans pour ruin­er sans retour le résul­tat de dix ans de tra­vail et d’investissement les mieux menés.

RISQUES ET PERFORMANCES FINANCIÈRES

Le sup­ply chain man­age­ment (SCM) est une dis­ci­pline qui s’est pro­gres­sive­ment imposée aux entre­pris­es indus­trielles et de ser­vices depuis une dizaine d’années, avec des résul­tats de per­for­mance très significatifs.

La réal­ité mon­tre que les prévi­sions sont de plus en plus volatiles

Pour autant, la crise économique et finan­cière, cumulée à une volatil­ité accrue de la demande, comme des taux de change ou encore du prix de matières pre­mières, a changé la donne : il faut désor­mais gér­er les sup­ply chains dans un envi­ron­nement forte­ment incer­tain, où la ressource finan­cière est dev­enue de plus en plus rare et chère, et dans une économie inter­con­nec­tée : la moin­dre rup­ture chez un four­nisseur, ou bien la défail­lance d’un dis­trib­u­teur, peut se propager rapi­de­ment à tous les acteurs en aval (ou en amont) de la sup­ply chain, comme nous en avons vu de nom­breux exem­ples depuis la crise de 2008.

Il con­vient donc d’agir aujourd’hui sur d’autres leviers de per­for­mance, en par­ti­c­uli­er sur la maîtrise et la cou­ver­ture des risques d’une part, et sur le coût de finance­ment des act­ifs de la sup­ply chain d’autre part. Pour cela, il faut innover et renou­vel­er les approches tra­di­tion­nelles en appli­quant des con­cepts adéquats.

Évaluer les risques liés aux erreurs

Com­mençons par la prévi­sion, car c’est d’elle que découle le niveau de risque (opéra­tionnel, financier, de marché, etc.), de même que le niveau des besoins financiers à cou­vrir, notam­ment pour inve­stir en capac­ité, en achats ou encore en stocks. Faut-il con­tin­uer à vouloir fia­bilis­er à tout prix les prévi­sions, selon les bonnes pra­tiques en vigueur ?

Indice de résilience
En val­orisant le sur­coût lié à un niveau d’écart entre une demande réelle et une demande nom­i­nale (prévi­sion­nelle), et en ten­ant compte de la dis­tri­b­u­tion des erreurs de prévi­sion, il devient pos­si­ble de cal­culer un indice de résilience de la sup­ply chain (l’équivalent du bêta des porte­feuilles d’actif). Cette démarche per­met d’optimiser la prise de déci­sion en matière de plan­i­fi­ca­tion, non seule­ment pour « prévoir » la demande en fonc­tion du niveau de risque souhaité, mais égale­ment à l’égard des straté­gies de cou­ver­ture possibles.

Mal­heureuse­ment, la réal­ité mon­tre que les prévi­sions sont de plus en plus fauss­es, et cela dans presque tous les secteurs d’activité. Il y a cepen­dant une bonne nou­velle : dans cer­tains cas, les erreurs de prévi­sion ont peu d’incidence sur le compte de résul­tat et le bilan, la ges­tion du réseau de parte­naires est suff­isam­ment agile. Et une mau­vaise nou­velle : dans d’autres cas, c’est l’inverse, avec une forte dégra­da­tion des marges, des sur­stocks, des sur­coûts, une baisse par­fois bru­tale de rentabilité.

Plutôt que fia­bilis­er en vain les prévi­sions, il est préférable de sys­té­ma­tis­er une démarche d’évaluation des risques liés aux erreurs (cer­taines) de prévi­sion. Or ces risques, con­traire­ment à ce qu’il peut paraître, sont quan­tifi­ables : soit il s’agit de pertes de revenus ou de sur­coûts d’utilisation des ressources (en cas de sous-éval­u­a­tion de la demande), soit il s’agit de sur­stocks (en cas de suré­val­u­a­tion de la demande). Pour procéder à cette analyse, il faut bien enten­du mod­élis­er le com­porte­ment du réseau aux écarts en vol­ume et en mix des pro­duits, en ayant préal­able­ment iden­ti­fié les ressources cri­tiques (goulots).

Mutualiser le financement

L’autre dimen­sion cri­tique en matière de sup­ply chain man­age­ment est celle du finance­ment du besoin en fonds de roule­ment (BFR), autrement dit de la liq­uid­ité néces­saire pour chaque acteur (four­nisseur ou acheteur) pour financer achats, stocks et poste clients. La crise finan­cière a exac­er­bé cette prob­lé­ma­tique, avec pour con­séquence un assèche­ment du crédit pour les entre­pris­es les plus frag­iles et un sur­coût de finance­ment pour les autres.

Les flux de sup­ply chain sont égale­ment des flux financiers

Dans les fil­ières indus­trielles, tous les acteurs en pâtis­sent : les grandes entre­pris­es don­neuses d’ordre, parce qu’elles subis­sent des retards et rup­tures d’approvisionnement ou de dis­tri­b­u­tion (avec des préju­dices par­fois sans com­mune mesure avec le coût d’achat des pro­duits pro­pre­ment dit); les plus petits four­nisseurs ou dis­trib­u­teurs, parce qu’ils per­dent du revenu ou subis­sent des taux d’intérêt très élevés pour financer les achats ou stocks. Les enjeux sont donc devenus con­sid­érables pour l’ensemble d’une filière.

Des enjeux clés, encore en évolution

L’approche et la maîtrise de la sup­ply chain restent un enjeu majeur de per­for­mance stratégique et opéra­tionnelle pour les entre­pris­es au sens large, et par voie de con­séquence de survie économique et sociale. Les exem­ples présen­tés plus haut le démon­trent abon­dam­ment. La prise en con­science dans le tis­su indus­triel et économique français est encore par­tielle et per­fectible, les efforts dans ce sens doivent être relayés au plus haut niveau du poli­tique et des industriels.

Les pra­tiques en cours aujourd’hui ont pour une bonne part été établies au siè­cle dernier. Les rup­tures que nous con­nais­sons dans l’environnement des entre­pris­es – mon­di­al­i­sa­tion, enjeux envi­ron­nemen­taux, prob­lé­ma­tiques énergé­tiques, change­ment des par­a­digmes com­mer­ci­aux, économie numérique, etc. – doivent nous con­duire vers une néces­saire refon­da­tion de celles-ci.

C’est un chantier ambitieux, exigeant des approches sys­témiques, un niveau d’interdisciplinarité sci­en­tifique de haut niveau, et un prag­ma­tisme incon­testable, pour lequel notre École non seule­ment peut, mais, eu égard aux enjeux, doit s’engager.

Les principes de la sup­ply chain finance
Le pre­mier principe est d’assurer une meilleure plan­i­fi­ca­tion du besoin en fonds de roule­ment, par la mise en œuvre de mécan­ismes col­lab­o­rat­ifs et inci­tat­ifs entre les don­neurs d’ordre et leurs réseaux de four­nisseurs ou sous-trai­tants : c’est la ges­tion col­lab­o­ra­tive du BFR, à l’instar d’une prévi­sion ou d’une plan­i­fi­ca­tion col­lab­o­ra­tive entre clients et fournisseurs.
Le sec­ond est de mutu­alis­er les besoins et les ressources de finance­ment entre les entre­pris­es clientes et les entre­pris­es four­nisseurs, par l’intermédiaire de fonds dédiés (en sub­sti­tu­tion du crédit inter­en­tre­prise ou du crédit ban­caire classique).
Le troisième est de réduire le coût de finance­ment grâce aux garanties sur des act­ifs tan­gi­bles (stocks, com­man­des, etc.) et la mise en œuvre d’une poli­tique glob­ale de cou­ver­ture des risques opéra­tionnels et financiers.

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