L’innovation, mariage subtil de créativité et de rigueur

Dossier : Management, le conseil en première ligneMagazine N°688 Octobre 2013
Par Jean BOSCHAT (86)
Par Charles PERRARD
Par Ludovic SEEGMULLER (01)

Innovation et performance

Pour la plu­part des dirigeants, l’innovation est comme le mythe de la fontaine de jou­vence. S’ils pou­vaient amen­er leur entre­prise dans ses eaux mirac­uleuses, elle en ressor­ti­rait raje­u­nie, autrement dit avec un avan­tage com­péti­tif durable. Mal­heureuse­ment, si la plu­part sont con­va­in­cus du pou­voir mirac­uleux de l’innovation, peu ont été témoins de ses bienfaits.

REPÈRES
Le con­cours Best Inno­va­tor, lancé à l’initiative d’AT Kear­ney, iden­ti­fie les lead­ers dans la ges­tion de l’innovation depuis 2003. Plus de 1 500 entre­pris­es sont analysées dans 15 pays selon cinq familles de critères allant de la stratégie d’innovation aux proces­sus. Les gag­nants du con­cours sont invités au Best Inno­va­tor Club, un réseau d’échange sur l’innovation.

L’innovation est large­ment recon­nue comme un levi­er clef de créa­tion de valeur. Pour­tant, cette valeur prend sou­vent du temps pour se matéri­alis­er et, par nature, l’innovation est empreinte de risques et d’incertitudes. Le suc­cès d’une inno­va­tion met sou­vent des années à se con­cré­tis­er com­mer­ciale­ment, ce qui n’est pas tou­jours com­pat­i­ble avec les attentes des investisseurs.

Nous étu­dions les entre­pris­es inno­vantes de toute l’Europe depuis une dizaine d’années, et nous avons con­staté que les lead­ers de l’innovation réus­sis­sent mieux que leurs pairs, non seule­ment en ter­mes de valeur de l’action, mais aus­si en ter­mes de crois­sance du chiffre d’affaires et de la rentabil­ité. Les dif­férences sont significatives.

Fig­ure 1 – Les Best​Inno­va­tors réus­sisssent mieux que leurs pairs
Val­ori­sa­tion des gag­nants Best Inno­va­tor1 par rap­port au CAC 40
Index, 1/1/2005 = 100, 01/2005–06/2012
Les Best Innovators réussisssent mieux que leurs pairs
1. Moyenne pondérée des gag­nants Best Inno­va­tor en France entre 2005 et 2011.
Source : Best Inno­va­tor, analyse AT Kearney.

Développer un savoir-faire de l’innovation

Le suc­cès d’une inno­va­tion met sou­vent des années à se concrétiser

Puisque l’innovation est l’un des plus sûrs moyens de con­stru­ire une crois­sance durable, en par­ti­c­uli­er en péri­ode d’incertitude économique, qu’est-ce qui fait d’une entre­prise un best inno­va­tor ? Les best inno­va­tors ne se réveil­lent pas un matin en déci­dant d’innover. L’innovation doit être activée et libérée.

Les entre­pris­es qui réus­sis­sent con­stru­isent des savoir-faire pour ali­menter, dévelop­per et gér­er de nou­velles idées, du con­cept jusqu’au lance­ment. En d’autres ter­mes, elles créent active­ment les con­di­tions du suc­cès en dévelop­pant leur capac­ité à explor­er de nou­veaux con­cepts (phase d’exploration) et à sélec­tion­ner ceux qui mèneront à un pro­duit com­mer­cial­is­able (phase d’exécution).

Fig­ure 2 – Les lead­ers de l’innovation maîtrisent à la fois
l’exploration des con­cepts et l’exécution de l’innovation
Exploration des concepts et exécution de l’innovation
Source : AT Kear­ney Best Inno­va­tor 2003–2011.​

PHASE EXPLORATOIRE : PRÉFÉRER LA COHÉRENCE AU FOISONNEMENT

Les idées sont comme les nutri­ments qui flot­tent dans la mer. Ils sont innom­brables, et s’ils pou­vaient être cap­turés et raf­finés, ils pour­raient ali­menter l’humanité. La capac­ité à isol­er et à cap­tur­er des idées – tout en les amélio­rant pour en faire des con­cepts prêts à être dévelop­pés – est le fac­teur déter­mi­nant la per­for­mance de la phase exploratoire de l’innovation. Le suc­cès de cette phase repose sur qua­tre élé­ments fondamentaux.

Une boussole calée sur la stratégie

Beau­coup d’offres inno­vantes ne sont que des évo­lu­tions de propo­si­tions actuelles. Mais, dans d’autres cas, l’innovation pro­pose une véri­ta­ble rup­ture : elle remet alors en cause la posi­tion des acteurs du marché et peut aller bien au-delà des savoir-faire actuels.

Plates-formes d’innovation
Les plates-formes per­me­t­tant le développe­ment de pro­jets inno­vants peu­vent être intime­ment liées aux activ­ités exis­tantes (par exem­ple lorsque Coca-Cola pro­pose de nou­veaux types de con­di­tion­nement), ou s’aventurer loin des activ­ités tra­di­tion­nelles (par exem­ple lorsque Nike se lance dans les sys­tèmes de sur­veil­lance de la san­té). Dans tous les cas, ces plates-formes doivent être alignées avec la stratégie.

La pre­mière exi­gence pour tout pro­jet d’innovation, c’est une stratégie d’innovation claire qui serve de bous­sole en four­nissant des direc­tions con­formes à la stratégie de l’entreprise, et qui per­me­tte d’exclure les « mau­vais­es » idées.

Selon l’entreprise, ces direc­tions peu­vent pren­dre dif­férentes formes (plates-formes d’innovation, domaines de recherche, etc.) mais se résu­ment au même con­cept : des oppor­tu­nités reposant sur des besoins non sat­is­faits ou émer­gents des con­som­ma­teurs, sur des ten­dances sociales ou juridiques, et sur des nou­velles technologies.

Les lead­ers de l’innovation con­sacrent davan­tage d’énergie à analyser le marché et les tech­nolo­gies pour mieux com­pren­dre les défis futurs et les oppor­tu­nités. Ils sont davan­tage en mesure de créer un con­sen­sus autour de plates-formes alignées avec leurs objec­tifs stratégiques.

Une approche étendue de l’innovation

Isol­er et cap­tur­er des idées est un fac­teur déter­mi­nant de performance

Les lead­ers met­tent en place, au-delà de l’innovation « pro­duit », une logique d’innovation focal­isée sur les proces­sus, les ser­vices et les busi­ness mod­els. Ils y parvi­en­nent par exem­ple en réalig­nant les élé­ments de leur busi­ness mod­el pour servir de nou­veaux clients ou répon­dre à de nou­veaux besoins, et cela de façon unique et pérenne pour que leurs con­cur­rents ne puis­sent pas facile­ment les reproduire.

Ce n’est pas anodin : si 12% à 15% des prof­its des entre­pris­es man­u­fac­turières vien­nent de l’innovation sur les pro­duits, 8% à 14% peu­vent être attribués à d’autres types d’innovation1.

Une sélection précoce

Nespres­so
L’un des exem­ples les plus sig­ni­fi­cat­ifs d’innovation est celui de Nespres­so : la néces­sité d’être équipé d’une machine avec une tech­nolo­gie pro­prié­taire pour pou­voir utilis­er les cap­sules était à la fois une con­trainte pour le déploiement et un moyen de fidélis­er les clients. Nespres­so n’a pas innové que par le sys­tème, mais aus­si dans le busi­ness mod­el en créant une expéri­ence de luxe au-delà du pro­duit (bou­tiques, pro­duits dérivés, pub­lic­ités), et en gag­nant un accès direct à ses clients et leur consommation.

Parce que l’incertitude et le risque sont plus élevés dans les phas­es amont de l’innovation, l’échec n’est pas un prob­lème lors de l’exploration des con­cepts. Il est même souhaitable, car si tous les con­cepts sont con­sid­érés comme bons, aucun n’est en réal­ité assez bon. Les lead­ers sont capa­bles de dis­tinguer rapi­de­ment les idées avec le plus de poten­tiel et d’éviter ain­si un foi­son­nement per­sis­tant qui a pour effet de dis­pers­er les ressources et les énergies.

Ils exclu­ent les idées moins promet­teuses le plus tôt pos­si­ble. Si la déci­sion d’arrêter un pro­jet est retardée, les ressources – humaines et matérielles – auront été util­isées inutile­ment, et cette déci­sion sera d’autant plus dif­fi­cile à prendre.

Le suc­cès repose aus­si sur une impli­ca­tion des con­som­ma­teurs et des experts internes et externes, et cela, très en amont. Enfin, il faut don­ner une cohérence à l’ensemble des pro­jets en ciblant de gér­er un « porte­feuille d’innovations » plutôt qu’un ensem­ble d’idées indi­vidu­elles sans grande cohérence entre elles.

L’implication de partenaires externes

Le rôle des parte­nar­i­ats externes tout au long de la chaîne de valeur est aujourd’hui recon­nu comme le meilleur moyen d’élargir le champ d’exploration d’idées. Les recherch­es récentes sur l’innovation se focalisent sou­vent sur les mod­èles ouverts ou poreux, dans lesquels la col­lab­o­ra­tion en externe est essen­tielle. Pour­tant, toutes les entre­pris­es ne parvi­en­nent pas à met­tre en place de tels modèles.

Proces­sus de filtration
Pour fil­tr­er les pro­jets effi­cace­ment, il faut tout un proces­sus d’innovation avec des étapes bien définies, util­isant plusieurs critères comme la valeur pour le con­som­ma­teur, l’attractivité du marché, l’adéquation avec les savoir-faire actuels, l’équilibre entre risque et retour sur investisse­ment, etc.

Les lead­ers de l’innovation tirent pleine­ment avan­tage des act­ifs, des ressources et des savoir-faire de leurs parte­naires. Les proces­sus intè­grent toutes les par­ties prenantes internes et externes dès les phas­es amont de généra­tion d’idées.

Les four­nisseurs sont par­mi les parte­naires les plus naturels : la com­préhen­sion détail­lée de leurs capac­ités et l’étroite col­lab­o­ra­tion avec eux sont des élé­ments clés d’un proces­sus d’innovation effi­cace. À titre d’exemple, nos études mon­trent que si env­i­ron 50% des entre­pris­es impliquent en amont les four­nisseurs dans leur proces­sus d’innovation, cette pro­por­tion s’élève à 90% chez les best inno­va­tors.

PHASE D’EXÉCUTION : CONJUGUER CRÉATIVITÉ ET RIGUEUR

On asso­cie tra­di­tion­nelle­ment l’innovation à la créa­tiv­ité et l’ouverture de nou­veaux hori­zons. Mais la rigueur et l’excellence dans l’exécution sont tout aus­si indis­pens­ables et ne sont pas le fruit du hasard. Là encore, qua­tre fac­teurs déter­mi­nants nous parais­sent devoir être distingués.

Des processus simples et robustes

Les four­nisseurs sont par­mi les parte­naires les plus naturels

L’excellence repose sur la sim­plic­ité et la robustesse des proces­sus de développe­ment : ils doivent s’assurer que les dif­férentes fonc­tions impliquées tra­vail­lent ensem­ble et que les bonnes déci­sions sont pris­es au bon moment. Ils impliquent aus­si les dirigeants en leur per­me­t­tant à la fois de don­ner des direc­tions au bon endroit et au bon moment sans pour autant se sub­stituer aux experts.

Portefeuille d’innovations

De la même façon, une ges­tion rigoureuse du porte­feuille d’innovations est indis­pens­able, avec une vis­i­bil­ité à long terme et la capac­ité à détecter les lacunes, les redon­dances et les inco­hérences dans le pipeline de l’innovation.

Équipes pluridisciplinaires

Afin de cou­vrir tous les aspects d’un pro­jet tout en gar­dant la réac­tiv­ité néces­saire, les best inno­va­tors créent des équipes pluridis­ci­plinaires tra­vail­lant en mode pro­jet, inclu­ant des fonc­tions au-delà du mar­ket­ing et de la R&D comme les ventes, les achats, la pro­duc­tion, etc.

Le rôle et la com­pé­tence du chef de pro­jet sont déter­mi­nants pour assur­er une coor­di­na­tion opti­male des con­tri­bu­tions, des activ­ités et des ressources.

Eco­mag­i­na­tion
Gen­er­al Elec­tric a par­ti­c­ulière­ment réus­si sa coopéra­tion avec des parte­naires grâce à son ini­tia­tive Eco­mag­i­na­tion. Elle a per­mis, en col­lab­o­ra­tion avec des fonds de cap­i­tal-risque, de col­lecter plus de 5 000 idées sur l’énergie du futur auprès des clients et util­isa­teurs, ain­si que plus de 75 000 votes et con­tri­bu­tions dans 100 pays sur ces idées. L’initiative a été un tel suc­cès qu’elle a été éten­due à d’autres domaines (san­té) et pays (Chine, Aus­tralie, etc.).
Une vision d’ensemble
La bonne ges­tion du porte­feuille d’innovations « ges­tion » per­met d’avoir une vision agrégée des ressources, et favorise donc une allo­ca­tion plus rationnelle, ain­si que davan­tage de col­lab­o­ra­tion entre pro­jets. Il est alors pos­si­ble de mieux gér­er et anticiper la valeur qui sera générée par ce porte­feuille et de suiv­re des indi­ca­teurs pluridis­ci­plinaires et cohérents.

Culture reconnue et partagée

Enfin, les lead­ers de l’innovation con­sacrent beau­coup d’énergie à la mise en place d’une cul­ture de l’innovation, en par­ti­c­uli­er dans les phas­es de développement.

Les lead­ers con­sacrent beau­coup d’én­ergie à la mise en place d’une cul­ture de l’innovation

Cela se traduit notam­ment par la recon­nais­sance de la valeur de l’innovation (qui doit être inscrite dans les gènes de l’entreprise plutôt que sim­ple­ment proclamée), une bien­veil­lance en face de la prise de risque et de l’échec, le sen­ti­ment d’urgence lié au besoin de se dif­férenci­er par l’innovation, et enfin le posi­tion­nement du client (plutôt qu’une tech­nolo­gie) au cœur du proces­sus d’innovation.

Les marchés restant volatils, génér­er de la crois­sance est plus dif­fi­cile que jamais, mais les best inno­va­tors parvi­en­nent à dépass­er les per­for­mances du marché en temps de crois­sance aus­si bien qu’en temps de crise.

Les fonde­ments de ces suc­cès reposent sur une stratégie d’innovation claire, un proces­sus d’innovation robuste per­me­t­tant de fil­tr­er des idées en amont et de con­cen­tr­er leurs efforts sur les plus promet­teuses. S’appuyant sur une exé­cu­tion rigoureuse, ils lan­cent des offres en accord avec les attentes de leurs clients et réduisent les délais de commercialisation.

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1. Source : « Gain­ing Com­pet­i­tive­ness with Inno­va­tions beyond Tech­nol­o­gy and Prod­ucts : Insights from IMP3rove », Europe Inno­va, July 2011.
IMP3rove est une ini­tia­tive de la Com­mis­sion européenne con­duite par AT Kear­ney. Les résul­tats de l’étude sont fondés sur plus de mille PME, prin­ci­pale­ment européennes.

Commentaire

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14 janvier 2017 à 16 h 29 min

L’équa­tion de l’in­no­va­tion :
L’équa­tion de l’in­no­va­tion : Inno­va­tion = créa­tiv­ité + envi­ron­nement favor­able + rigueur

quels est l’im­por­tance de la rigueur pour faire aboutir une inno­va­tion au niveau d’une entreprise.

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