De la relation avant toute chose

Dossier : Management, le conseil en première ligneMagazine N°688 Octobre 2013
Par Jérôme CHAMPETIER De RIBES (71)

La relation au cœur de l’équation : 1+1 = 3

La relation au cœur de l’équation : 1+1 = 3

L’être humain est fon­da­men­ta­le­ment un être de rela­tion, dont la crois­sance se fait par l’échange avec l’autre. En entrant en rela­tion avec une per­sonne, nous pas­sons en fait de deux à trois. L’espace de l’échange entre nous deux devient une réa­li­té impor­tante à prendre en consi­dé­ra­tion. L’image du pont éclaire cette équa­tion : les piles du pont ne sont là que pour por­ter le tablier, qui, lui, relie une rive à l’autre.

Plus glo­ba­le­ment, l’efficacité opé­ra­tion­nelle d’une équipe ou d’un groupe dépend de la qua­li­té de cet espace com­mun où cha­cun peut prendre sa place, don­ner le meilleur de lui-même. La conju­gai­son des dif­fé­rences dans les échanges et les confron­ta­tions posi­tives per­met qu’émergent des idées nou­velles, des solu­tions inattendues.

REPÈRES
Dans un monde d’une com­plexi­té crois­sante, la réponse à une pres­sion tou­jours plus forte se situe dans la rela­tion : ras­sem­bler, relier, tis­ser des liens – et cela de façon hyper­sta­tique. Car la per­for­mance opé­ra­tion­nelle dépend objec­ti­ve­ment de la qua­li­té de la rela­tion entre les acteurs. C’est elle qui peut faire la dif­fé­rence : les 2 % à 3 % de marge qui per­mettent de « pas­ser devant », c’est dans la rela­tion qu’on peut avan­ta­geu­se­ment aller les cher­cher, et même en récol­ter bien davantage.

Une boussole pour développer la relation

Tout ce qui n’est pas par­ta­gé est perdu

Com­ment enga­ger ce tra­vail de rela­tion ? En créant la confiance, mais la confiance ne se décrète pas. Elle est le fruit de cinq règles de base, qui consti­tuent la bous­sole du « vivre ensemble » :

  • l’écoute : écou­ter l’autre et faire l’effort de com­prendre ce qu’il veut dire ;
  • le res­pect des per­sonnes comme des idées : vivre l’altérité et la responsabilité ;
  • l’authen­ti­ci­té : être clair avec soi et vrai avec les autres ;
  • l’impli­ca­tion posi­tive : enga­ge­ment à par­ta­ger ses idées et à construire ensemble ; tout ce qui n’est pas par­ta­gé est perdu ;
  • la confi­den­tia­li­té : ce qui est dit dans le groupe appar­tient au groupe et n’en sort pas sans accord explicite.

Ces règles accep­tées donnent un cadre qui per­met à cha­cun de s’engager et de s’impliquer dans une œuvre dont la réus­site va dépendre d’autres acteurs que lui.

Sur­mon­ter ensemble les difficultés
J’ai pu appli­quer les règles ci-des­sus sur le chan­tier du musée des Sciences et Tech­niques de La Vil­lette. Une solide rela­tion de confiance et de coopé­ra­tion s’est construite et sou­dée entre les repré­sen­tants du maître d’ouvrage, du maître d’œuvre et le contrac­tant géné­ral que j’étais. Ain­si, lorsque l’on a décou­vert, à moins de huit mois de la date d’inauguration de mars 1986, un écart de 20 cm entre les cou­poles et la toile ten­due qui les rac­cor­dait à la toi­ture (toile Téflon fabri­quée aux USA), nous avons su prendre les dis­po­si­tions tech­niques (et d’ordonnancement), admi­nis­tra­tives, juri­diques, etc., néces­saires pour tenir le délai. Ce qui fut fait.

Les poupées russes des relations

Les demandes d’accompagnement des diri­geants se placent sou­vent sur le plan de la dyna­mique col­lec­tive : un meilleur fonc­tion­ne­ment de leurs équipes, plus de trans­ver­sa­li­té, de meilleures rela­tions entre ser­vices lors d’une réor­ga­ni­sa­tion ou d’une acqui­si­tion, une bonne trans­mis­sion, etc.

Il s’agit donc d’améliorer la rela­tion aux autres.

Après avoir défi­ni une bous­sole com­mune, j’aborde ce « jeu col­lec­tif » avec des ques­tion­ne­ments, des mises en situa­tion, des exer­cices, des apports qui donnent au diri­geant et aux équi­piers un regard et un feed­back sur leurs inter­re­la­tions ; cela crée des liens et aide cha­cun à s’engager avec confiance dans cette dyna­mique collective.

Jouer collectif

Mais on ne peut aller très loin sans que soit abor­dée la « rela­tion à l’autre ». Si un col­lec­tif est bien plus com­plexe que la jux­ta­po­si­tion de rela­tions inter­per­son­nelles, celles-ci res­tent la base du jeu col­lec­tif ; j’approfondis la connais­sance mutuelle, déve­loppe les feed­back et les confron­ta­tions posi­tives, creuse l’exercice de la juste auto­ri­té ; les rela­tions hié­rar­chiques sont ain­si « réno­vées » en les remet­tant plus en véri­té et plus « à double sens ».

Relation à soi et relation à l’Autre

Faire gran­dir son col­la­bo­ra­teur par la réus­site de sa mission

Or, cette capa­ci­té dépend d’un autre niveau, celui de la « rela­tion à soi ». Dans l’image du pont, on voit bien que si une pile n’est pas bien fon­dée, il est vain de construire le tablier. J’approfondis, plus ou moins pro­fon­dé­ment et dans le res­pect et la liber­té de cha­cun, la connais­sance et l’acceptation de soi, l’altérité, la vulnérabilité.

En creu­sant ce der­nier niveau, plus encore qu’aux autres, on touche à la rela­tion à l’Autre, au plus grand que soi : son regard sur la vie, sur l’humanité en mou­ve­ment, sa voca­tion, son che­min d’accomplissement, qui oriente et donne du sens aux trois pre­miers niveaux.

Les cinq facettes de la relation managériale

Il est fort inté­res­sant d’explorer ces dif­fé­rents niveaux de rela­tion dans le contexte d’une orga­ni­sa­tion hié­rar­chique ; cette dimen­sion humaine du mana­ge­ment est-elle reliée à la façon dont s’exerce l’autorité du chef : plus ou moins proche, direc­tif, dans le contrôle, ou plus dans la confiance, la sub­si­dia­ri­té ? Quels sont les ingré­dients de la rela­tion hié­rar­chique au-delà de la pos­ture d’autorité d’un patron sur ses collaborateurs ?

Entre­prises fami­liales : des rela­tions à la puis­sance 3
Dans le cas des entre­prises fami­liales, il convient d’intégrer encore d’autres plans, tout spé­cia­le­ment dans le cas d’une trans­mis­sion d’une géné­ra­tion à la sui­vante, celui des rela­tions au sein de la famille (entre parents et enfants comme au sein de la fra­trie), et celui des enjeux capi­ta­lis­tiques, qui s’ajoutent et s’imbriquent aux niveaux pro­fes­sion­nels « clas­siques » : places, rôles, com­pé­tences, pou­voirs, etc. Si une approche opé­ra­tion­nelle doit être pri­vi­lé­giée, il convient aus­si de jouer sur d’autres registres, plus per­son­nels, qui sont sou­vent essen­tiels pour résoudre la problématique.

J’ai accom­pa­gné plu­sieurs groupes dans l’exploration de la par­tie plus rela­tion­nelle du mana­ge­ment, au-delà des aspects pro­fes­sion­nels, tech­niques, finan­ciers. En exa­mi­nant les condi­tions qui per­mettent à cha­cun de don­ner le meilleur de lui-même, ils ont ain­si défi­ni cinq facettes qui défi­nissent la rela­tion managériale :

  • la qua­li­té d’être : connais­sance de soi, fia­bi­li­té, asser­ti­vi­té, sens de la responsabilité ;
  • la capa­ci­té rela­tion­nelle : ouver­ture aux autres, dis­po­ni­bi­li­té, écoute, confiance réci­proque, bonne et juste délégation ;
  • la vision et le sens par­ta­gé : don­ner du sens à l’action, entraî­ner vers un but mobilisateur ;
  • la dyna­mique col­lec­tive : créer du lien et faire tra­vailler ensemble des per­son­na­li­tés diverses, arti­cu­ler toutes ces com­pé­tences dif­fé­rentes, jouer col­lec­tif entre entités ;
  • et enfin, l’épa­nouis­se­ment du col­la­bo­ra­teur par la réus­site de sa mis­sion : accroître ses capa­ci­tés, déve­lop­per sa créa­ti­vi­té, le faire gran­dir par sa propre réussite.

Repères managériaux

Ces dif­fé­rents domaines, inti­me­ment reliés les uns aux autres, ont été pris par ces groupes comme des repères mana­gé­riaux connus de tous. Leur exa­men pério­dique entre patron et col­la­bo­ra­teurs a faci­li­té, flui­di­fié et enri­chi leurs rela­tions, en fai­sant tom­ber les tabous du type « le chef a tou­jours rai­son ». Ils les ont inté­grés glo­ba­le­ment dans les cri­tères des entre­tiens annuels.

Un exercice d’équilibres multiples

À cha­cun de ces plans, les rela­tions se jouent sur trois registres : la tête, le cœur, le corps. Si nous pri­vi­lé­gions par for­ma­tion la pen­sée et le verbe – l’intelligence intel­lec­tuelle –, la rela­tion habite aus­si les émo­tions – l’intelligence émo­tion­nelle –, et se tra­duit dans le corps – le lan­gage non verbal.

Les prises de conscience et les chan­ge­ments de com­por­te­ment se font et s’ancrent d’autant plus qu’ils touchent l’émotion et s’appuient sur un vécu incar­né, sur des sen­sa­tions bien per­çues ; d’où l’importance d’intégrer ces plans dans l’animation des temps forts (sémi­naires, conven­tions, etc.).

Accompagner les équipes

La per­for­mance du groupe va dépendre de la rela­tion de cha­cun aux autres, à l’autre, à soi, à l’Autre. Le rôle d’accompagnateur est de tenir et d’aligner les mul­tiples niveaux et registres des rela­tions, et de gui­der le groupe sur un par­cours qui lui per­mette d’avancer en sécu­ri­té vers l’objectif visé. Concrè­te­ment, dans l’animation des temps forts col­lec­tifs, je donne le temps de la réflexion per­son­nelle, du retour sur soi avant le par­tage en petits groupes (qui per­met une impli­ca­tion plus en véri­té et en pro­fon­deur), puis la mise en com­mun plé­nière de toutes les réflexions, expé­riences, pro­po­si­tions pour en tirer ensemble la « sub­stan­ti­fique moelle ».

L’autorité de l’accompagnateur

Faire refor­mu­ler par cha­cun la pro­po­si­tion de l’autre pour accroître sa capa­ci­té d’écoute

L’autorité, la cré­di­bi­li­té de l’accompagnateur se fonde sur sa qua­li­té d’être et sur son expé­rience rela­tion­nelle ; elle condi­tionne la réus­site de sa mis­sion et lui impose un tra­vail per­ma­nent d’ajustement et de déve­lop­pe­ment sur cha­cun des niveaux de rela­tion, au fil de ses mis­sions mais aus­si des évé­ne­ments de sa vie per­son­nelle. Il sait impo­ser, au nom de la mis­sion qui lui a été confiée, un pro­ces­sus spé­ci­fique si les rela­tions sont plus empreintes de com­pé­ti­tion que de coopération.

Il m’est arri­vé de faire refor­mu­ler par cha­cun la pro­po­si­tion de l’autre pour accroître sa capa­ci­té d’écoute, pour sor­tir de joutes intel­lec­tuelles, de dis­cus­sions « ping-pong » ou d’oppositions stériles.

Quitter les visions binaires

Dans ces échanges, je pousse à sor­tir de la dia­lec­tique du « ou » pour aller vers celle du « et », quit­ter les visions binaires blanc-noir, bon-mau­vais, local-glo­bal, etc., pour aller cher­cher plus fine­ment la richesse des mul­tiples facettes de toute réa­li­té : décou­vrir l’opportunité cachée der­rière la contrainte, le cadeau posi­tif der­rière l’épreuve, le poten­tiel dis­po­nible der­rière les limites.

La relation, un gisement de progrès à exploiter

Les méthodes et pro­ces­sus conti­nuent de nous offrir des voies de pro­duc­ti­vi­té et d’innovation dont notre humani­té a besoin. Mais le déve­lop­pe­ment des rela­tions est un autre gise­ment de pro­grès consi­dé­rable, condi­tion­nant la réus­site du pre­mier, por­tant des fruits dès les pre­miers pas, tant au plan de la mis­sion du groupe qu’à celui de la crois­sance des personnes.

Dis, grand-père…
Un des plus beaux exemples d’interactions entre ces plans a été un tra­vail conduit auprès des membres d’un gou­ver­ne­ment afri­cain nou­vel­le­ment com­po­sé. Lors d’un sémi­naire de trois jours en rési­den­tiel, nous les avons aidés à for­ma­li­ser leur vision pour leur pays. Nous adap­tant à la culture locale, nous les avons invi­tés à prendre un temps de réflexion indi­vi­duelle avec la ques­tion sui­vante : « Quand vous serez vieux, reti­rés des affaires, qu’est-ce que vous répon­drez à vos petits-enfants qui vous deman­de­ront : Dis, grand-père (grand-mère), qu’est-ce que tu as vou­lu faire de notre pays quand tu étais ministre ? » C’est en allant cher­cher le meilleur de leur « qua­li­té d’être », puis en par­ta­geant en véri­té leurs visions per­son­nelles en sous-groupes, qu’ils ont pu défi­nir ensemble leur pro­jet pour leur pays, conce­voir puis mettre en œuvre un plan d’actions de gou­ver­ne­ment lui assu­rant un déve­lop­pe­ment cohérent.

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