L’opinion des polytechniciens sur le problème de l’emploi. Compte rendu d’une enquête

Dossier : Libres ProposMagazine N°553 Mars 2000Par : Jacques MÉRAUD (46)

En réponse à l’in­vi­ta­tion qui leur était faite, 300 cama­rades ont répon­du au cours de l’an­née 1994. Depuis lors cer­tains d’entre eux ont écrit des articles dans La Jaune et la Rouge, qui a consa­cré en par­ti­cu­lier aux pro­blèmes de l’emploi et du chô­mage plu­sieurs numé­ros spé­ciaux. Mais il est appa­ru éga­le­ment inté­res­sant que soit publié un article de syn­thèse met­tant en lumière les résul­tats d’en­semble de l’enquête.

Dans un pre­mier temps, on a son­gé à faire un compte ren­du ras­sem­blant des extraits de cha­cune des réponses reçues, ou tout au moins des plus remar­quables par­mi elles, en en men­tion­nant les auteurs. Un essai a été ten­té dans ce sens. Mais l’en­semble des réponses consti­tuait un texte de 3 000 pages. Certes la moi­tié d’entre elles n’en com­pre­naient que trois, quatre ou cinq, confor­mé­ment au sou­hait des orga­ni­sa­teurs. Mais 10 % s’é­ten­daient sur plus de quinze pages, sou­vent d’un grand inté­rêt, un nombre non négli­geable dépas­sant lar­ge­ment cette lon­gueur déjà respectable.

Aus­si est-il vite appa­ru que le compte ren­du envi­sa­gé s’ap­pa­ren­te­rait par sa dimen­sion à une véri­table thèse uni­ver­si­taire et exi­ge­rait de son auteur de longs mois de tra­vail. On a donc visé plus modes­te­ment à don­ner une simple des­crip­tion sta­tis­tique des opi­nions et sug­ges­tions des cama­rades ayant répon­du à l’en­quête. Les maté­riaux en ont été pré­pa­rés par une équipe de dépouille­ment ani­mée par Jacques Méraud (46) et com­pre­nant douze cama­rades : Jacques Antoine (48), Michel Bétous (55), Pierre Bon (46)1, Ber­nard Char­pen­tier (46), Pierre-Hen­ri Che­va­lier (46), Ber­nard Gos­set (46)1, Érik Gui­gnard (60), Michel Guillaume (45), Pierre Jars (46), Mau­rice Mer­met (45), Pierre Vacher (46) et Jean Ser­vant (46), avec la col­la­bo­ra­tion de Michel Ber­ry (63), la logis­tique étant assu­rée par Phi­lippe Gil­lie­ron (51). C’est à par­tir de ces maté­riaux qu’a été rédi­gé le pré­sent document.

Qui a répondu à l’enquête ?

D’a­bord, qui a répon­du à l’en­quête ? Pour répondre à cette ques­tion, on a com­pa­ré la com­po­si­tion du groupe consti­tué par les 300 » répon­dants » et la com­po­si­tion de l’en­semble des anciens poly­tech­ni­ciens vivants en 1994, non com­pris les anciens élèves étran­gers. Les tableaux com­pa­rant ces deux ensembles figurent en annexe. On ne don­ne­ra ci-des­sous que les conclu­sions qui s’en dégagent.

TABLEAU I – Idées ou sug­ges­tions pour amé­lio­rer l’emploi ayant une fina­li­té spé­ci­fique, clas­sées sous 42 rubriques détaillées, selon le nombre de réponses les men­tion­nant dans l’enquête.
  • Baisse des charges sociales (ou chan­ge­ment de leur » assiette »)
  • Pro­tec­tion­nisme sous diverses formes, négo­cia­tion avec les pays
    en déve­lop­pe­ment, poli­tique de change
  • Amé­lio­rer le fonc­tion­ne­ment de l’ap­pa­reil édu­ca­tif initial
  • Réforme fis­cale de por­tée générale
  • Repé­rer les emplois de proxi­mi­té, les emplois familiaux,
    les déve­lop­per par voie associative…
  • For­mer davan­tage les jeunes à plus d’a­dap­ta­bi­li­té, de prise de risque
  • Assou­plir les réglementations
  • Allé­ger la fis­ca­li­té des entre­prises, la trans­fé­rer sur les ménages
  • Aides directes aux entre­prises en vue de la créa­tion d’emplois
  • Faci­li­ter le tra­vail à temps partiel
  • Poli­tique indus­trielle (ou dans quelques cas poli­tique agri­cole fores­tière, etc.) plus interventionniste
  • Inves­tis­se­ments publics, grands tra­vaux, pro­grammes de loge­ments sociaux
  • Dimi­nuer le SMIC
  • Dimi­nuer les salaires, accroître leur flexibilité
  • Employer les chô­meurs à des tra­vaux d’in­té­rêt général
  • Sim­pli­fier les for­ma­li­tés, le droit social, notam­ment pour les PME
  • Réduire la durée heb­do­ma­daire ou annuelle du travail
  • Modi­fier l’in­dem­ni­sa­tion des chô­meurs pour les inci­ter à reprendre 22 fois un emploi, à accep­ter des emplois moins payés
  • Poli­tique moné­taire plus souple, créa­tion de mon­naie plus abondante
  • Faci­li­ter la mobi­li­té géo­gra­phique (aide au démé­na­ge­ment, fis­ca­li­té des muta­tions, trou­ver un emploi au conjoint)
  • Repé­rer les gise­ments d’emplois de sur­veillance, sécu­ri­té, gardiennage
  • Inci­ter les col­lec­ti­vi­tés locales et les asso­cia­tions à créer 19 fois des emplois d’in­té­rêt général
  • Réha­bi­li­ter le tra­vail manuel
  • Assu­rer un » Reve­nu Mini­mum d’Exis­tence » à tout le monde
  • Flexi­bi­li­té interne et non pas externe des emplois, recon­ver­sion dans l’en­tre­prise, fois for­ma­tion per­ma­nente, ges­tion pré­vi­sion­nelle des res­sources humaines
  • Réha­bi­li­ter le » non-tra­vail « , les loi­sirs, le temps partiel
  • Recen­ser les besoins mal satis­faits en biens et services
  • Faci­li­ter le finan­ce­ment de l’innovation
  • Faci­li­ter le tra­vail à temps » partagé »
  • Poli­tique fami­liale plus active
  • Aider les chô­meurs à se grouper
  • Pous­ser à une action inter­na­tio­nale pour sol­va­bi­li­ser les pays en développement
  • Déve­lop­per des réseaux de solidarité
  • Décen­tra­li­ser davan­tage, amé­na­ger le territoire
  • Trans­fé­rer aux entre­prises embau­chant un chô­meur ou un titu­laire du RMI tout ou par­tie de l’in­dem­ni­sa­tion de celui-ci
  • Inci­ter les femmes à ne pas tra­vailler pro­fes­sion­nel­le­ment, salaire paren­tal, etc.
  • Reva­lo­ri­ser le tra­vail domestique
  • Renouer avec la pla­ni­fi­ca­tion, pro­mou­voir une crois­sance plus forte
  • Chan­ger la men­ta­li­té des admi­nis­tra­tions, l’É­tat-employeur doit don­ner l’exemple
  • Mieux pré­voir les besoins d’emplois (cf. La matrice des emplois d’Al­fred Sauvy)
  • Pri­vi­lé­gier les choix tech­no­lo­giques à forte part de main-d’œuvre
  • Assou­plir les statuts
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Par­mi les réponses reçues, 6 éma­naient de cama­rades appar­te­nant aux pro­mo­tions com­prises entre la 20 spé­ciale et la 27 et une d’un cama­rade de la pro­mo­tion 90. Toutes les autres s’é­che­lon­naient entre la pro­mo 30 et la pro­mo 87. La pro­pen­sion à répondre à l’en­quête a été d’au­tant plus forte que la pro­mo­tion était plus ancienne. Ain­si les pro­mo­tions 30 à 43, qui com­prennent 16 % des X vivants, ont four­ni 25 % des réponses, tan­dis que les pro­mos 72 à 87, com­pre­nant 33 % des X vivants, en ont four­ni 19 % (cf. annexe I).

Par­mi les cama­rades appar­te­nant à ce der­nier groupe de pro­mo­tions, la pro­por­tion des réponses pro­ve­nant » d’Xettes » ne dif­fère pas de manière signi­fi­ca­tive de celle des cama­rades mas­cu­lins. Mais leur nombre abso­lu n’est que de quelques uni­tés, car dans les pre­mières années où des jeunes filles entraient à l’É­cole, il n’en est entré en moyenne qu’une pour 15 gar­çons, contre 2 pour 15 dans les années récentes.

Quant aux fonc­tions pro­fes­sion­nelles exer­cées aujourd’­hui ou naguère par les répon­dants, il n’é­tait guère pos­sible d’en décrire le conte­nu sous une forme simple et de les com­pa­rer aux fonc­tions assu­mées aujourd’­hui par l’en­semble des X en acti­vi­té, ou naguère par l’en­semble des X en retraite. Des infor­ma­tions indi­rectes ont pu cepen­dant être obte­nues sur les unes et les autres en se réfé­rant à la » situa­tion admi­nis­tra­tive » des cama­rades à la sor­tie de l’É­cole, telle que l’in­dique la liste alpha­bé­tique figu­rant à la fin de chaque annuaire des anciens élèves.

Il appa­raît ain­si que la pro­por­tion des X ayant démis­sion­né à la fin de leur séjour à l’É­cole est un peu supé­rieure par­mi les répon­dants à l’en­quête (39,5 %) à la pro­por­tion cor­res­pon­dante mesu­rée par­mi les X actuel­le­ment vivants ayant appar­te­nu aux mêmes pro­mos (35,5 %).

Cette conclu­sion vaut pour toutes les tranches d’âge, mais l’é­cart entre les deux pour­cen­tages en ques­tion varie consi­dé­ra­ble­ment d’une tranche d’âge à l’autre : il est très éle­vé chez les pro­mo­tions immé­dia­te­ment pos­té­rieures à la Seconde Guerre mon­diale (pro­mos 44 à 53) et chez les plus jeunes (pro­mos 72 à 87) ; il est très faible, voire pra­ti­que­ment nul chez les pro­mo­tions anté­rieures à la 44 et chez celles com­prises entre la 54 et la 71 (cf. annexe II).

Les infor­ma­tions four­nies par l’an­nuaire de l’É­cole per­mettent éga­le­ment de savoir dans quels ser­vices de l’É­tat les anciens élèves n’ayant pas démis­sion­né dès leur sor­tie de l’X ont com­men­cé leur car­rière. On a pu dans leur cas obser­ver que les cama­rades sor­tis de l’É­cole comme offi­ciers d’ac­tive ont répon­du à l’en­quête plus fré­quem­ment que ne l’im­pli­que­rait leur pro­por­tion par­mi les X vivants ; ce phé­no­mène est en rela­tion avec le fait que les trois quarts d’entre eux appar­tiennent à des pro­mos anté­rieures à la 40.

Les réponses des ingé­nieurs mili­taires, sauf de ceux sor­tis dans le Génie mari­time, sont au contraire sen­si­ble­ment moins nom­breuses que ne le vou­drait leur pro­por­tion par­mi les X vivants ; ce phé­no­mène n’est pas sans lien cette fois avec leur appar­te­nance domi­nante à des pro­mos rela­ti­ve­ment récentes.

Il en va de même en ce qui concerne les ingé­nieurs des Télé­com et de ceux qui ont choi­si la Recherche. Pour les autres corps de l’É­tat en revanche (Ponts et Chaus­sées, GM, Mines, Sta­tis­tique, Génie rural et Eaux et Forêts, etc.), la cor­res­pon­dance est très remar­quable entre la pro­por­tion des répon­dants à l’en­quête et l’im­por­tance rela­tive de leur caté­go­rie pro­fes­sion­nelle (tou­jours repé­rée par leur situa­tion admi­nis­tra­tive à la sor­tie de l’É­cole) par­mi les X vivants (cf. annexe III).

Pour­quoi telle caté­go­rie de poly­tech­ni­ciens a‑t-elle jugé bon et pos­sible de répondre à cette enquête davan­tage que telle autre catégorie ?

Chaque cama­rade était bien enten­du entiè­re­ment libre de répondre ou de s’abs­te­nir2. Sans doute le choix de cha­cun a‑t-il tenu à des causes mul­tiples : le temps dont il pou­vait dis­po­ser, la durée de l’ex­pé­rience acquise par lui, la nature et le poids de ses res­pon­sa­bi­li­tés pro­fes­sion­nelles directes, leur proxi­mi­té plus ou moins grande avec les pro­blèmes éco­no­miques, finan­ciers et sociaux natio­naux et inter­na­tio­naux influant sur l’emploi dans notre pays, l’am­pleur des enga­ge­ments » para­pro­fes­sion­nels » ou asso­cia­tifs que ses convic­tions sociales et poli­tiques l’a­vaient ame­né à prendre au cours de sa car­rière ou après sa retraite, etc.

Il n’est pas éton­nant que la com­po­si­tion du groupe des répon­dants ait dif­fé­ré quelque peu de celle qui aurait résul­té d’un tirage au sort. Mais on ne cher­chait pas a prio­ri une repré­sen­ta­ti­vi­té abso­lu­ment par­faite. Et le » pro­fil » des répon­dants est en défi­ni­tive suf­fi­sam­ment proche de celui de la popu­la­tion des X tout entière pour que les réponses obte­nues pré­sentent l’in­té­rêt qu’on en attendait.

Domaine de l’enquête et modalités de dépouillement

Exa­mi­nons main­te­nant le conte­nu des réponses à l’en­quête. Rap­pe­lons d’a­bord que la lettre invi­tant la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne à y par­ti­ci­per dis­tin­guait a prio­ri deux types de réponses pos­sibles, les unes fai­sant part des idées de leur auteur, les autres rela­tant une expé­rience ou des expé­riences qu’il avait faites. Il était éga­le­ment deman­dé aux répon­dants de pré­ci­ser le champ géo­gra­phique concer­né par leur réponse : » le monde, l’Eu­rope, la France, une région ou une ville particulière « .

La sépa­ra­tion entre » idées » et » expé­riences » pou­vait appa­raître un peu arti­fi­cielle, car les idées naissent tou­jours plus ou moins des expé­riences faites par leur auteur. Néan­moins les répon­dants sont entrés dans le jeu qui leur était pro­po­sé, faci­li­tant ain­si le dépouille­ment de l’en­quête. Sur les 300 réponses reçues, 262 conte­naient essen­tiel­le­ment des idées (obser­va­tions, réflexions, sug­ges­tions), 30 décri­vaient des expé­riences vécues, 8 enfin accom­pa­gnaient l’ex­po­sé des idées de leur auteur du récit détaillé d’une ou plu­sieurs expé­riences concrètes.

TABLEAU II – Regrou­pe­ment en 23 rubriques des idées ou sug­ges­tions du tableau pré­cé­dent et clas­se­ment de ces rubriques selon le nombre des réponses les ayant citées ou leur ayant été rat­ta­chées comme étant d’ins­pi­ra­tion voisine.
  1. Repé­rer les emplois de proxi­mi­té, fami­liaux, de sécu­ri­té, de com­mu­ni­ca­tion, recen­ser les besoins mal satis­faits en biens et ser­vices et pré­voir les emplois cor­res­pon­dants, accroître l’ef­fi­ca­ci­té de l’ANPE, faci­li­ter la mobi­li­té géographique
  2. Assou­plir les régle­men­ta­tions, sim­pli­fier les for­ma­li­tés, le droit social (cas des PME), amé­lio­rer le sta­tut du tra­vailleur indé­pen­dant, mutua­li­ser les risques (faillites), accroître l’aide des banques aux PME, amé­na­ger le plan< comp­table, chan­ger la men­ta­li­té des administrations
  3. Bais­ser la durée du tra­vail, faci­li­ter le temps par­tiel, le temps par­ta­gé, inter­dire ou dimi­nuer les heures sup­plé­men­taires, déve­lop­per le télé­tra­vail, accroître le dia­logue social
  4. Dimi­nuer les charges sociales des entre­prises ou chan­ger leur assiette, accroître la taxe pro­fes­sion­nelle frap­pant les équi­pe­ments et allé­ger celle basée sur les salaires, dimi­nuer la pro­tec­tion sociale ou accroître la TVA pour la financer
  5. Allé­ger la fis­ca­li­té des entre­prises, la trans­fé­rer aux ménages, aider finan­ciè­re­ment les entre­prises créa­trices d’emplois, trans­fé­rer les indem­ni­tés des chô­meurs aux entre­prises qui les embauchent
  6. Pro­tec­tion­nisme sous diverses formes, négo­cia­tions avec les pays en déve­lop­pe­ment, actions inter­na­tio­nales pour mieux les sol­va­bi­li­ser, ins­tal­ler davan­tage de com­mer­ciaux à l’étranger
  7. Amé­lio­rer le fonc­tion­ne­ment de l’ap­pa­reil édu­ca­tif ini­tial, for­mer les jeunes à l’a­dap­ta­bi­li­té, à la prise de risque
  8. Modi­fier l’in­dem­ni­sa­tion des chô­meurs pour leur faire accep­ter un tra­vail moins payé, réha­bi­li­ter le tra­vail manuel, assou­plir les sta­tuts, dimi­nuer la sco­la­ri­té obligatoire
  9. Dimi­nuer les salaires, le SMIC, sup­pri­mer la 5e semaine de congés payés
  10. Faci­li­ter la mobi­li­té pro­fes­sion­nelle, déve­lop­per la for­ma­tion et la recon­ver­sion interne aux entre­prises, la ges­tion pré­vi­sion­nelle des res­sources humaines, ins­ti­tuer un » cré­dit for­ma­tion « , limi­ter le droit à licen­cie­ment, pri­vi­lé­gier les choix tech­no­lo­giques à forte part de main-d’œuvre
  11. Réha­bi­li­ter le non-tra­vail, les loi­sirs, le temps par­tiel, inci­ter les femmes à ne pas tra­vailler, reva­lo­ri­ser le tra­vail domes­tique, faci­li­ter les départs en retraite et les retraites progressives
  12. Réforme fis­cale de por­tée géné­rale, faire payer davan­tage les ser­vices publics aux usa­gers, lut­ter contre la délin­quance éco­no­mique, la fraude fiscale
  13. Pro­po­ser aux chô­meurs des tra­vaux d’in­té­rêt géné­ral, invi­ter les col­lec­ti­vi­tés fois locales et les asso­cia­tions à créer de tels tra­vaux, créer un ser­vice civil natio­nal, » réin­ven­ter les chan­tiers de jeunesse »
  14. Mener une poli­tique indus­trielle plus inter­ven­tion­niste (de même pour la poli­tique agri­cole, fores­tière, etc.), renouer avec la pla­ni­fi­ca­tion, pro­mou­voir une crois­sance plus forte
  15. Aider les chô­meurs à se grou­per, déve­lop­per les réseaux de soli­da­ri­té, inci­ter les syn­di­cats à se sou­cier plus des chômeurs
  16. Créer un Reve­nu Mini­mum d’Exis­tence pour tous, sol­va­bi­li­ser cer­taines caté­go­ries sociales peu sol­vables, réduire l’Im­pôt sur le Reve­nu, rému­né­rer cer­tains béné­voles, » décou­pler » davan­tage tra­vail et reve­nu et en diver­si­fier les sources
  17. Aug­men­ter les inves­tis­se­ments publics, lan­cer de grands tra­vaux, des pro­grammes de loge­ments sociaux
  18. Faci­li­ter la flexi­bi­li­té des horaires de tra­vail, les contrats à durée déter­mi­née, le tra­vail tem­po­raire, reve­nir sur la pos­si­bi­li­té de retraite à 60 ans
  19. Poli­tique moné­taire plus souple, créa­tion moné­taire plus abondante
  20. Faci­li­ter le finan­ce­ment de l’in­no­va­tion, accroître la liai­son entre 22 fois
    les entre­prises et la recherche
  21. Poli­tique fami­liale plus active, poli­tique du loge­ment plus active 20 fois (prêts boni­fiés aux ménages)
  22. Décen­tra­li­ser davan­tage, amé­na­ger le ter­ri­toire 14 fois
  23. Réduire l’im­mi­gra­tion 7 fois
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Quant à la déli­mi­ta­tion du champ géo­gra­phique cou­vert, elle aus­si était inévi­ta­ble­ment – sauf cas par­ti­cu­lier d’une réflexion et d’une action concer­nant une ville, un » bas­sin d’emploi » ou une région – un peu arti­fi­cielle. De fait, la très grande majo­ri­té des réponses reçues se sont décla­rées comme visant essen­tiel­le­ment le pro­blème de l’emploi en France, même lorsque les ana­lyses et les pro­po­si­tions tenaient impli­ci­te­ment compte de l’en­vi­ron­ne­ment euro­péen et de la mon­dia­li­sa­tion des échanges.

L’exa­men appro­fon­di des 38 expé­riences par l’é­quipe de dépouille­ment de l’en­quête a conclu dans la plu­part des cas à l’in­té­rêt de celles-ci. 22 d’entre elles ont même été jugées » d’un très grand inté­rêt « . Leur carac­tère mono­gra­phique empêche cepen­dant qu’il en soit davan­tage ren­du compte dans le pré­sent docu­ment, néces­sai­re­ment bref et au conte­nu sta­tis­tique. Plu­sieurs ont déjà don­né matière à des articles dans La Jaune et la Rouge. D’autres pour­raient y trou­ver place.

Quant aux 270 réponses expo­sant les idées de leurs auteurs – que celles-ci soient assor­ties ou non d’ex­pé­riences -, elles ont don­né lieu à l’é­ta­blis­se­ment de 270 fiches, sur les­quelles les idées en ques­tion ont été clas­sées, à l’aide d’une » grille de dépouille­ment « , en deux caté­go­ries : les idées à carac­tère » géné­ral » et les idées à carac­tère » spécifique « .

À titre d’exemples d’i­dées à carac­tère géné­ral, ou – si l’on pré­fère – de sug­ges­tions à fina­li­té large, on peut citer : la for­ma­tion est la clé de l’emploi, ou bien c’est d’a­bord par une nou­velle poli­tique interne à l’en­tre­prise que l’on gagne­ra la bataille de l’emploi, ou encore ce dont souffre notre pays, c’est d’un excès de rigi­di­tés. À titre d’exemples d’i­dées à carac­tère spé­ci­fique, ou de sug­ges­tions d’ac­tions à fina­li­té pré­cise, on peut men­tion­ner : il faut le plus tôt pos­sible réduire la durée du tra­vail à 32 heures, ou bien il faut dimi­nuer l’im­pôt sur le reve­nu, ou encore il faut mettre en œuvre une poli­tique plus active d’in­ves­tis­se­ments publics.

La grille de dépouille­ment a été construite empi­ri­que­ment à par­tir de l’a­na­lyse appro­fon­die du conte­nu de 50 réponses préa­la­ble­ment tirées au sort. Elle com­pre­nait 10 postes à carac­tère géné­ral et 78 postes à carac­tère spé­ci­fique. Cha­cun de ceux-ci était rat­ta­ché à l’un des dix postes à carac­tère géné­ral, dont il était en quelque sorte une moda­li­té par­ti­cu­lière de réa­li­sa­tion. Sur les 270 fiches recen­sant les idées des 270 répon­dants ont été ins­crites au total 1 342 réfé­rences à des postes de la grille de dépouille­ment, dont 287 réfé­rences à l’un des 10 postes à carac­tère géné­ral et 1 055 réfé­rences à l’un des 78 postes à carac­tère spécifique.

Les idées ou suggestions présentées sous leur forme spécifique la plus détaillée

Le poste à carac­tère spé­ci­fique auquel il a été fait le plus sou­vent réfé­rence, c’est-à-dire l’i­dée ou la sug­ges­tion pour amé­lio­rer l’emploi la plus fré­quem­ment expri­mée par les 270 répon­dants a été la baisse des charges sociales ; elle a été citée par 56 d’entre eux. L’i­dée ou sug­ges­tion la moins citée par­mi celles qui figu­raient dans la grille de dépouille­ment a été citée une fois seule­ment. On a clas­sé dans le tableau I ci-après, selon le nombre des cita­tions dont elles ont fait l’ob­jet, les 42 idées ou sug­ges­tions » spé­ci­fiques » ayant été men­tion­nées par au moins dix répon­dants à l’en­quête. Au total, ces 42 sug­ges­tions ont recueilli 874 cita­tions. Les 36 autres idées ou sug­ges­tions spé­ci­fiques figu­rant dans la grille de dépouille­ment n’ont pas été rete­nues dans le tableau : elles ont recueilli entre 1 et 9 cita­tions seule­ment, soit au total 181 citations.

Cette liste pré­sente l’in­té­rêt d’être très concrète. Mais le lec­teur éprouve le besoin d’une syn­thèse. Celle-ci a été faite en deux étapes. Dans un pre­mier temps, les 42 rubriques ont été regrou­pées en 22 rubriques, tan­dis que cha­cune des 36 idées ou sug­ges­tions lais­sées de côté jus­qu’i­ci parce que n’ayant recueilli qu’un nombre de cita­tions com­pris entre 1 et 9 a été rat­ta­chée à celle de ces 22 rubriques à laquelle elle s’ap­pa­ren­tait le mieux. Seule une sug­ges­tion a paru pré­sen­ter une spé­ci­fi­ci­té qui la ren­dait dif­fi­ci­le­ment rac­cor­dable à l’une quel­conque des 22 rubriques rete­nues : il s’a­git de la réduc­tion de l’im­mi­gra­tion ; elle a fait ain­si l’ob­jet d’une 23e rubrique.

Regroupement des idées ou suggestions précédentes selon l’analyse économique qui les inspire

Dans une nou­velle et der­nière étape, les 23 rubriques du tableau II peuvent être répar­ties entre quelques grands groupes, à l’in­té­rieur de cha­cun des­quels seront ras­sem­blées les idées ou sug­ges­tions pré­sen­tant une cer­taine paren­té par la phi­lo­so­phie éco­no­mi­co-sociale qui les ins­pire. Nous avons consti­tué cinq groupes de ce type, sachant que les moda­li­tés des regrou­pe­ments ain­si effec­tués peuvent être dis­cu­tées. Ces cinq groupes sont pré­sen­tés ci-après.

1) Actions des pouvoirs publics pour faciliter la gestion des entreprises et alléger leurs coûts

Peuvent être rat­ta­chées à ce groupe les rubriques du tableau II numé­ro­tées 2, 4, 5, 9, 18 et 20. Cor­res­pondent à ces rubriques 315 idées ou sug­ges­tions émises dans l’en­quête, un même répon­dant pou­vant avoir cité plu­sieurs d’entre elles. Leur conte­nu est le sui­vant : » Assou­plir les régle­men­ta­tions, chan­ger la men­ta­li­té des admi­nis­tra­tions, sim­pli­fier les for­ma­li­tés, le droit social, notam­ment pour les PME, amé­lio­rer le sta­tut des tra­vailleurs indé­pen­dants, déve­lop­per la mutua­li­sa­tion des risques (pré­ven­tion des faillites, etc.), accroître l’aide des banques aux entre­prises, sur­tout aux PME, amé­na­ger le plan comp­table, faci­li­ter le finan­ce­ment de l’in­no­va­tion, accroître la liai­son entre les entre­prises et la recherche, dimi­nuer les charges sociales des entre­prises ou chan­ger leur » assiette « , accroître la taxe pro­fes­sion­nelle frap­pant les équi­pe­ments en allé­geant celle basée sur les salaires, dimi­nuer la pro­tec­tion sociale ou accroître la TVA pour la finan­cer, allé­ger la fis­ca­li­té des entre­prises en la trans­fé­rant aux ménages, aider finan­ciè­re­ment les entre­prises créa­trices d’emplois, trans­fé­rer (par­tiel­le­ment ou tota­le­ment) les indem­ni­tés des chô­meurs aux entre­prises qui les embauchent, dimi­nuer les salaires, le SMIC, sup­pri­mer la 5e semaine de congés payés, faci­li­ter la flexi­bi­li­té des horaires de tra­vail, les contrats à durée déter­mi­née, le tra­vail tem­po­raire, reve­nir sur la pos­si­bi­li­té de prendre sa retraite à 60 ans. »

Ces sug­ges­tions laissent pen­ser que pour leurs auteurs les rai­sons prin­ci­pales du chô­mage et de la crise de l’emploi sont les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par les entre­prises et leurs diri­geants pour pro­duire non seule­ment ce qu’ils veulent et que leur indique le mar­ché, mais comme ils veulent (régle­men­ta­tions exces­sives, droit social para­ly­sant) ; ils sont d’autre part insuf­fi­sam­ment aidés, et au contraire leurs coûts sont exa­gé­ré­ment alour­dis (salaires trop éle­vés, sur­tout pour les tra­vailleurs les moins qua­li­fiés, charges sociales affec­tant par trop le coût du tra­vail, fis­ca­li­té exces­sive), ce qui nuit à leur compétitivité.

2) Aide aux chômeurs, aux candidats à un emploi ou aux salariés occupés, pour faciliter leur formation, leur recherche d’emploi ou leur maintien en activité

Peuvent être rat­ta­chées à ce groupe les rubriques du tableau II pré­sen­té ci-après numé­ro­tées 1, 7, 10, 13 et 15. Cor­res­pondent à ces rubriques 294 idées ou sug­ges­tions des répon­dants à l’en­quête. Le conte­nu en est le suivant :

» Repé­rer les emplois de proxi­mi­té, les emplois fami­liaux, ceux de sécu­ri­té ou de gar­dien­nage, les emplois dans les nou­velles tech­no­lo­gies de com­mu­ni­ca­tion, recen­ser les besoins mal satis­faits en biens et ser­vices et pré­voir les emplois cor­res­pon­dants, accroître l’ef­fi­ca­ci­té de l’ANPE, faci­li­ter la mobi­li­té géo­gra­phique et pro­fes­sion­nelle, amé­lio­rer le fonc­tion­ne­ment de l’ap­pa­reil édu­ca­tif ini­tial, for­mer les jeunes à l’a­dap­ta­bi­li­té, à la prise de risque, déve­lop­per la for­ma­tion et la recon­ver­sion interne aux entre­prises, la ges­tion pré­vi­sion­nelle des res­sources humaines, ins­tau­rer un cré­dit-for­ma­tion, pri­vi­lé­gier les choix tech­no­lo­giques à forte main-d’œuvre, limi­ter le droit à licen­cie­ment, pro­po­ser aux chô­meurs des tra­vaux d’in­té­rêt géné­ral, invi­ter les col­lec­ti­vi­tés locales et les asso­cia­tions à en créer, créer un ser­vice civil natio­nal, » imi­ter les chan­tiers de jeu­nesse « , aider les chô­meurs à se grou­per, déve­lop­per les réseaux de soli­da­ri­té, inci­ter les syn­di­cats à se sou­cier davan­tage des chômeurs. »

Ces sug­ges­tions émanent plu­tôt de cama­rades qui voient l’o­ri­gine du chô­mage dans le mau­vais ajus­te­ment entre les besoins des entre­prises d’une part et la for­ma­tion et l’a­dap­ta­bi­li­té des can­di­dats à un emploi d’autre part.

Ils mettent l’ac­cent sur le rôle néces­saire des pou­voirs publics (État et col­lec­ti­vi­tés locales), des entre­prises et de la socié­té civile (asso­cia­tions, syn­di­cats) en vue de faci­li­ter l’offre d’emplois et l’a­dap­ta­tion des deman­deurs : meilleure for­ma­tion sco­laire, rôle accru des entre­prises dans la for­ma­tion » sur le tas » et l’aide aux néces­saires recon­ver­sions (flexi­bi­li­té interne plu­tôt qu’ex­terne), créa­tion d’emplois d’in­té­rêt géné­ral, soli­da­ri­té avec les chô­meurs de la part des acteurs de la socié­té civile avec, le cas échéant, pres­sions en leur faveur sur les pou­voirs publics et les entre­prises, etc.

3) Actions publiques relevant de la politique macroéconomique, financière, monétaire, sur l’environnement national, européen et mondial

Peuvent être rat­ta­chées à ce groupe les rubriques du tableau déjà cité numé­ro­tées 6, 12, 14, 19, 22 et 23. Cor­res­pondent à ces rubriques 185 idées ou sug­ges­tions, dont le conte­nu est le suivant :

» Ins­tau­rer ou réta­blir plus de pro­tec­tion­nisme (au niveau natio­nal pour les uns, euro­péen pour les autres) sous des formes diverses, négo­cier avec les pays en déve­lop­pe­ment, agir au plan inter­na­tio­nal pour mieux sol­va­bi­li­ser cer­tains pays ou conti­nents pauvres, ins­tal­ler davan­tage de pré­sence com­mer­ciale à l’é­tran­ger, réduire l’im­mi­gra­tion, au plan natio­nal décen­tra­li­ser davan­tage, ren­for­cer l’ef­fort d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire, mener une poli­tique indus­trielle plus inter­ven­tion­niste (cer­tains men­tionnent aus­si la poli­tique agri­cole ou fores­tière), renouer avec la pla­ni­fi­ca­tion pour pro­mou­voir une crois­sance plus forte, faci­li­tée par une poli­tique moné­taire plus souple et une créa­tion moné­taire plus abon­dante, mettre en œuvre une réforme fis­cale de por­tée géné­rale, tou­jours en vue de la crois­sance natio­nale et euro­péenne, cer­tains y ajou­tant que les usa­gers devraient payer davan­tage les ser­vices publics, d’autres que l’É­tat devrait lut­ter davan­tage contre la délin­quance éco­no­mique, la fraude fiscale. »

Ces sug­ges­tions s’ins­pirent plu­tôt d’une phi­lo­so­phie éco­no­mique inter­ven­tion­niste, que cer­tains pro­posent à la France, d’autres à l’U­nion européenne.

La cause prin­ci­pale de l’in­suf­fi­sance des créa­tions d’emplois est en effet, selon eux, l’in­suf­fi­sance de la crois­sance natio­nale et euro­péenne, frei­née à la fois par une concur­rence inégale avec les pays en déve­lop­pe­ment et par des poli­tiques moné­taires et par­fois bud­gé­taires trop res­tric­tives, ins­pi­rées par une peur de l’in­fla­tion qui n’est plus jus­ti­fiée, compte tenu de l’é­vo­lu­tion des coûts de pro­duc­tion, notam­ment salariaux.

4) Actions incitatives ou dissuasives sur les entreprises, les demandeurs d’emploi ou les salariés en activité, pour partager le travail, accepter un travail moins qualifié ou même ne plus travailler

Peuvent être rat­ta­chées à ce groupe les rubriques du tableau pré­ci­té numé­ro­tées 3, 8 et 11. Cor­res­pondent à ces rubriques 181 idées ou sug­ges­tions dont ci-des­sous le contenu :

» Réduire la durée du tra­vail, faci­li­ter le tra­vail à temps par­tiel ou à temps » par­ta­gé « , inter­dire ou dimi­nuer les heures sup­plé­men­taires, déve­lop­per le télé­tra­vail, accroître le dia­logue social, modi­fier l’in­dem­ni­sa­tion des chô­meurs pour leur faire accep­ter un tra­vail moins payé, réha­bi­li­ter le tra­vail manuel, assou­plir les sta­tuts, dimi­nuer la sco­la­ri­té obli­ga­toire, réha­bi­li­ter le » non-tra­vail « , les loi­sirs, le temps par­tiel choi­si, inci­ter les femmes à ne pas tra­vailler pro­fes­sion­nel­le­ment, reva­lo­ri­ser le tra­vail domes­tique, faci­li­ter les départs en retraite et les retraites progressives. »

Notons que ces sug­ges­tions ont été faites en 1994, à une époque où l’i­dée d’une forte baisse géné­rale de la durée de la semaine de tra­vail était depuis long­temps débat­tue, mais trois ans avant que ne se pro­file à l’ho­ri­zon le pro­jet de loi gou­ver­ne­men­tal sur les 35 heures.

En fait, tout en met­tant en ques­tion la répar­ti­tion du tra­vail sala­rié entre ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas, les sug­ges­tions de nos cama­rades se réfèrent impli­ci­te­ment à des phi­lo­so­phies diverses, sinon opposées.

Cer­tains semblent consi­dé­rer que la crois­sance de la pro­duc­tion est désor­mais inévi­ta­ble­ment limi­tée et la pro­duc­ti­vi­té trop forte, et que, dans ces condi­tions, la pénu­rie d’emplois n’a guère de chances de se réduire, sauf par un par­tage déli­bé­ré du tra­vail, selon dif­fé­rentes moda­li­tés : celles-ci, dans le cas de l’en­quête » X‑Emploi « , prennent plus sou­vent la forme du tra­vail à temps par­tiel ou » par­ta­gé « , ou de la baisse de la durée annuelle, ou encore du départ en retraite pro­gres­sif, que celle d’une réduc­tion géné­rale des horaires heb­do­ma­daires ; ces sug­ges­tions s’ac­com­pagnent assez sou­vent d’une exal­ta­tion de l’at­trait des loi­sirs ou de la valeur du tra­vail domes­tique ; quelques-unes y ajoutent une invi­ta­tion à un cer­tain par­tage des revenus.

D’autres cama­rades, qui semblent s’ins­pi­rer plu­tôt de ce qui est par­fois appe­lé le » modèle amé­ri­cain « , pro­posent au contraire non pas de par­ta­ger le tra­vail de tout le monde, mais d’in­ci­ter les chô­meurs – sur­tout les moins qua­li­fiés -, par des allé­ge­ments de leur pro­tec­tion sociale, à accep­ter plus faci­le­ment qu’au­jourd’­hui des tra­vaux rela­ti­ve­ment peu rémunérés.

5) Actions stimulantes sur la demande privée ou publique (aide aux ménages, investissements publics ou locatifs)

Peuvent être enfin rat­ta­chées à ce groupe les rubriques du tableau détaillé numé­ro­tées 16, 17 et 21. Cor­res­pondent à ces rubriques 80 idées ou sug­ges­tions des répon­dants à l’enquête :

» Aug­men­ter les inves­tis­se­ments publics, lan­cer de grands tra­vaux ou des pro­grammes de loge­ments sociaux, mener une poli­tique fami­liale plus active, de même pour la poli­tique de loge­ment (prêts boni­fiés aux ménages), créer un Reve­nu Mini­mum d’Exis­tence pour tout le monde, sol­va­bi­li­ser mieux cer­taines caté­go­ries sociales peu sol­vables, réduire l’im­pôt sur le reve­nu, rému­né­rer cer­tains béné­voles, » décou­pler » plus le tra­vail et le reve­nu et en diver­si­fier les sources… »

Ces sug­ges­tions ont une ins­pi­ra­tion assez proche de celle des inter­ven­tions éco­no­miques pro­po­sées au para­graphe 3 ci-des­sus. Pour leurs auteurs, la cause essen­tielle de l’in­suf­fi­sance des créa­tions d’emplois est l’in­suf­fi­sance de la crois­sance de la pro­duc­tion. Mais ils pro­posent, pour réac­ti­ver ladite crois­sance, non plus un ensemble d’ac­tions poli­tiques de nature macroé­co­no­mique, tant au plan euro­péen qu’au plan mon­dial, mais une relance directe de la demande inté­rieure des ménages et des admi­nis­tra­tions publiques natio­nales et locales, d’ins­pi­ra­tion que d’au­cuns qua­li­fie­ront volon­tiers de » key­né­sienne « , avec un accent par­ti­cu­lier mis sur l’aide aux ménages.

Comparaison des idées ou suggestions exprimées sous forme générale avec celles à contenu plus spécifique

On a signa­lé plus haut qu’outre les idées ou sug­ges­tions que nous venons de recen­ser, qua­li­fiées de » spé­ci­fiques » parce qu’in­vi­tant à des actions à fina­li­té par­ti­cu­lière, de nom­breux répon­dants à l’en­quête ont pré­sen­té cer­taines idées ou sug­ges­tions sous une forme plus générale.

TABLEAU III – Com­prai­son des idées ou sug­ges­tions ayant une fina­li­té spé­ci­fique et de celles ayant une ins­pi­ra­tion voi­sine, mais une fina­li­té plus générale.
Postes à conte­nu géné­ral de la grille de dépouillement Idées ou suggestions
À carac­tère général À fina­li­té spécifique Ensemble des idées ou suggestions
Aides​publiques aux entre­prises faci­li­tant la créa­tion d’emplois 11,8%  24,1% 21,5%
Poli­tiques publiques de nature macroéconomique 16,4% 19,0% 18,4%
Actions sti­mu­lantes ou dis­sua­sives sur les can­di­dats à un emploi 4,5% 12,4% 10,7%
Evo­lu­tion néces­saire des men­ta­li­tés, chan­ge­ments de société 20,2% 7,7% 10,4%
Actions en vue de la formation 15,3% 7,6% 9,2%
Repé­rage des gise­ments d’emplois 11,1% 8,2% 8,8%
Action sur la durée du travail 6,3% 7,6% 7,3%
Amé­lio­ra­tion de la ges­tion des entre­prises dans un sens favo­rable à l’emploi 7,3% 5,0% 5,5%
Réduc­tion des rigidités 4,2% 4,3% 4,2%
Aide aux ménages 2,8% 4,3% 3,9%

 Citations
100%
287
100%
1 055
100%
1 342

L’é­quipe char­gée du dépouille­ment de l’en­quête en a ren­con­tré 287 de ce genre. Dix postes de la grille de dépouille­ment ont été consa­crés à leur clas­se­ment, pré­sen­té dans la colonne de gauche du tableau III ci-après.

Pour voir alors si les deux types d’i­dées ou sug­ges­tions (« géné­rales » et » spé­ci­fiques ») reflé­taient des phi­lo­so­phies éco­no­mi­co-sociales voi­sines ou dif­fé­rentes, on a affec­té cha­cune des 1 055 cita­tions spé­ci­fiques à l’un des dix postes à conte­nu géné­ral de la grille de dépouille­ment, celui bien enten­du le plus appa­ren­té à sa fina­li­té par­ti­cu­lière. La répar­ti­tion de l’en­semble des cita­tions spé­ci­fiques entre ces dix postes figure dans la colonne cen­trale du tableau III.

Quelques dif­fé­rences notables appa­raissent entre les deux types d’i­dées ou sug­ges­tions. Celles à carac­tère géné­ral expriment prin­ci­pa­le­ment des sou­haits de chan­ge­ment des struc­tures, des ins­ti­tu­tions, des com­por­te­ments sans en décrire de façon pré­cise les moda­li­tés : cela appa­raît prin­ci­pa­le­ment à tra­vers la place don­née aux deux postes » évo­lu­tion des men­ta­li­tés » et » for­ma­tion « , qui repré­sentent à eux deux 35,5 % du total des cita­tions » géné­rales » et 15,3 % seule­ment du total des cita­tions » spé­ci­fiques » correspondantes.

Les idées ou sug­ges­tions à fina­li­té spé­ci­fique sont davan­tage rela­tives aux moyens concrets à prendre ; elles pré­co­nisent expli­ci­te­ment des inter­ven­tions cor­rec­trices et invitent les acteurs éco­no­miques et sociaux à les mettre eux-mêmes en œuvre : cela se mani­feste notam­ment à tra­vers la place don­née aux deux postes » aides publiques aux entre­prises » et » actions sur les can­di­dats à un emploi « , qui à eux deux font 16,3 % du total des cita­tions géné­rales contre 36,5 % du total des cita­tions spé­ci­fiques correspondantes.

Pour abou­tir à un clas­se­ment pre­nant en compte l’en­semble des idées et sug­ges­tions recueillies, qu’elles soient spé­ci­fiques ou géné­rales, on a pré­sen­té dans la colonne de droite du tableau III la syn­thèse des deux colonnes précédentes.

Les suites qui pourraient être données à l’enquête

ANNEXE I – Répar­ti­tion en % du Total
des réponses à l’enquête des X viv​ants en 1994
Pro­mos 30 à 43
Pro­mos 44 à 53
Pro­mos 54 à 71
Pro­mos 72 à 87
25
20
36
19
18
15
34
33
Total 100 100
ANNEXE II – Pro­por­tion de démis­sion­naires à la sor­tie de l’École
par­mi les cama­rades ayant répon­du à l’en­quête X‑Emploi​ par­mi les X vivants appar­te­nant aux gr​oupes de pro­mos considérés
Pro­mos 20 à 43
Promo​s 44 à 53
Pro­mos 54 à 71
Pro­mos 72 à 87
18,6%
47,2%
36,7%
66,0%
16,7%
27%
36%
50%
Toutes les promos 39,5% 35,5%
ANNEXE III – Répar­ti­tion entre les diverses orien­ta­tions pro­fes­sion­nelles à leiur sor­tie de l’X
Si​tuation admi­nis­tra­tive de sortie des cama­rades ayant répon­du à l​“enquête X‑Emploi des X vivants appar­te­nant aux promo​s 20 à 87
Démissionnaires
Offi­ciers (ttes armes)
Ingé­nieurs mili­taires (tous corps sauf GM)
Ponts et Chaussées
GM
Mines
Statistique
Télécom
Génie REF
ME, ENA, CAP
Autres Corps
recherche
39,5%
13,5
7,6
 
12,5
6,1
5,3
4,2
1,5
2,3
3,8
2,6
1,1
35,5%
9,2
13,1

12,5
6,0
4,6
3,0
5,2
2,2
3,0
3,0
2,7

Ensemble 100 100

En conclu­sion, obser­vons d’a­bord qu’il faut évi­ter toute ambi­guï­té sur la signi­fi­ca­tion de cet article. Il ne vise évi­dem­ment pas à pré­sen­ter une » thèse poly­tech­ni­cienne » à pro­pos de l’o­ri­gine du chô­mage et des moyens d’a­mé­lio­rer l’emploi. Il en a d’ailleurs suc­ces­si­ve­ment expo­sé plusieurs…

C’est qu’il n’a vou­lu être plus modes­te­ment qu’un recen­se­ment des opi­nions et pro­po­si­tions des poly­tech­ni­ciens en la matière et un témoi­gnage de la diver­si­té et de la richesse de celles-ci3.

Quels pro­lon­ge­ments leur don­ner ? Compte tenu du volume des maté­riaux recueillis, il paraît dif­fi­cile de prendre en consi­dé­ra­tion toutes les réponses. L’é­quipe char­gée du dépouille­ment a donc effec­tué une sélec­tion par­mi les 300 réponses et en a rete­nu en prio­ri­té 43. Leurs auteurs pour­raient soit être invi­tés à faire part de leurs idées dans La Jaune et la Rouge – quelques-uns l’ont déjà fait -, soit se voir pro­po­ser de par­ti­ci­per à un col­loque sur un sujet sur lequel ils auraient émis des sug­ges­tions par­ti­cu­liè­re­ment intéressantes.

Du fait de l’im­por­tance que l’ac­tua­li­té lui a don­née depuis plus de deux ans, un pro­blème abor­dé par de nom­breux cama­rades, avec d’ailleurs des opi­nions fort diverses, celui de la réduc­tion des horaires de tra­vail, a déjà fait l’ob­jet en décembre 1998 d’un col­loque orga­ni­sé à la Mai­son des X à l’i­ni­tia­tive du Groupe X‑Action, pré­si­dé par Jacques Bouttes (52), pré­sident d’Hon­neur de l’A.X. et pré­sident en 1994 du Grand Col­loque du Bicen­te­naire. D’autres col­loques pour­raient suivre, qui, à la lumière des résul­tats de l’en­quête, pour­raient par exemple abor­der les pro­blèmes suivants :

  • la réduc­tion des charges sociales et les effets à en attendre dans le cadre euro­péen et mondial,
  • la poli­tique de for­ma­tion à l’é­cole et dans les entreprises,
  • une poli­tique indus­trielle est-elle aujourd’­hui pos­sible en Europe ?
  • la poli­tique moné­taire et la croissance,
  • mon­dia­li­sa­tion des échanges et soli­da­ri­té européenne,
  • l’é­vo­lu­tion de la poli­tique de pro­tec­tion sociale,
  • inves­tis­se­ments publics, poli­tique bud­gé­taire et croissance,
  • l’in­dem­ni­sa­tion du chô­mage, ses moda­li­tés et ses effets,
  • un Reve­nu Mini­mum d’Exis­tence pour tous est-il une pers­pec­tive réaliste ?
  • les grands groupes peuvent-ils aider les PME ? etc.


Ce ne sont là que quelques idées. D’autres thèmes peuvent être envi­sa­gés, que les autres sug­ges­tions figu­rant par­mi les réponses à l’en­quête peuvent invi­ter à rete­nir. Ce serait là un utile pro­lon­ge­ment de l’en­quête X‑Emploi.

_________________________________________
1. Mal­heu­reu­se­ment décé­dé depuis lors. La forte pro­por­tion de cama­rades de la 46 dans l’é­quipe n’est pas sans rela­tion avec la pro­mo­tion de l’animateur.
2. Lors du lan­ce­ment de l’enquête, de nom­breux cama­rades n’en ont été infor­més que tar­di­ve­ment compte tenu du délai de réponse accor­dé. Mais de ce fait, le délai de réponse a été for­te­ment pro­lon­gé. Si de tels aléas ont pu réduire légè­re­ment le taux de réponse, il n’y a pas de rai­son pour qu’ils aient influé nota­ble­ment sur la com­po­si­tion du groupe des répondants.
3. L’auteur se per­met d’ajouter que, tout en ayant des idées sur la ques­tion, il s’est effor­cé de res­ter aus­si objec­tif que pos­sible dans sa pré­sen­ta­tion des résul­tats de l’enquête.

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