L’emploi comme un droit Le projet Territoires zéro chômeur de longue durée

Dossier : ExpressionsMagazine N°743 Mars 2019
Par Jacques DENANTES (49)
Par Claude SEIBEL (54)
Par Pascale DENANTES
On compte en France 3 millions de chômeurs de longue durée qui ont tous des savoir-faire et des compétences. Parallèlement, de nombreux postes sont à pourvoir ou à créer et le coût social du chômage est très lourd. Pour y remédier, l’association Territoires zéro chômeur de longue durée expérimente une approche permettant de mettre en synergie ces éléments.

Le pro­jet nation­al Ter­ri­toires zéro chômeur de longue durée est le fruit de l’expérience et de l’engagement de Patrick Valentin. D’abord entre­pre­neur à Angers, il se lance dès les années 70 dans l’économie sociale, créant des struc­tures d’aide par le tra­vail, des foy­ers d’hébergement, des ser­vices d’aide à domi­cile, etc. Devenu respon­s­able des ini­tia­tives de retour à l’emploi chez ATD Quart Monde en 2012, il lance pen­dant qua­tre ans une pre­mière expéri­men­ta­tion qui con­va­inc Lau­rent Grandguil­laume, député de la Côte‑d’Or, de faire vot­er, en 2016, par l’Assemblée et le Sénat une loi offi­cial­isant le lance­ment d’une expéri­men­ta­tion sur dix territoires.

Ter­ri­toire de la Métro­pole européenne de Lille (et plus spé­ci­fique­ment Loos avec une activ­ité maraîchage) / Nord. © Loos

Sortir du chômage longue durée

L’objectif de l’expérimentation Ter­ri­toires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) est de résor­ber le chô­mage de longue durée. Au lieu de chercher des emplois introu­vables, on com­mence par les créer et la tâche don­née à ceux qui en béné­fi­cient sera de créer leur emploi. Sur les dix ter­ri­toires retenus pour l’expérimentation, les chômeurs ont été recrutés par des entre­pris­es à but d’emploi (EBE), à cha­cune desquelles cor­re­spon­dant un comité local pour l’emploi (CLE) qui, rassem­blant tous les parte­naires du ter­ri­toire (col­lec­tiv­ités locales, admin­is­tra­tions, entre­pris­es, syn­di­cats, asso­ci­a­tions…), assis­tent et enca­drent l’EBE. Le comité veille notam­ment à ce que les emplois créés n’entrent pas en con­cur­rence avec des emplois existants.

Les trois piliers du projet

Les pro­mo­teurs fondent leur pro­jet sur trois con­vic­tions. Tout d’abord, per­son­ne n’est inem­ploy­able. Les 3 mil­lions de chômeurs longue durée ont des com­pé­tences et une expéri­ence à val­oris­er. Deux­ième­ment, ce n’est pas le tra­vail qui manque. Il existe beau­coup de besoins non sat­is­faits et une quan­tité de travaux utiles aux­quels cor­re­spon­dent des emplois qui ne con­cur­ren­cent ni ceux du secteur pub­lic, ni ceux du secteur marc­hand. Enfin, ce n’est pas l’argent qui manque. Le coût du chô­mage longue durée s’élève chaque année à 43 mil­liards d’euros pour l’État et les col­lec­tiv­ités locales. Ce mon­tant com­prend les dépens­es sociales liées à la perte d’emploi et au chô­mage, les coûts annex­es (con­séquences sur la san­té, sur la famille…) et aus­si d’importants man­ques à gag­n­er en ter­mes d’impôts et de coti­sa­tions sociales. Dans la mesure où ils per­me­t­tent d’économiser ce coût de la pri­va­tion d’emploi, les pro­mo­teurs de l’action ont obtenu qu’une somme cor­re­spon­dante soit mise au crédit de l’opération. Ain­si, un décret de juil­let 2016 crée le fonds d’expérimentation dont les mis­sions sont de gér­er les crédits récupérés sur les dépens­es de prise en charge des chômeurs qui ont trou­vé un emploi dans le cadre de l’expérimentation et aus­si d’évaluer en con­tinu l’expérimentation. La prési­dence de ce fonds est con­fiée à Louis Gal­lois 1. L’association ani­me le dis­posi­tif et four­nit les infor­ma­tions néces­saires à l’évaluation con­duite par le fonds d’expérimentation.

Ter­ri­toire du Pays de Colombey et du Sud Toulois (Meur­the-et-Moselle). © Jean-Michel Libion

L’exemple d’Emerjean, l’EBE de Villeurbanne

L’expérimentation lancée en 2016 par un vote du Par­lement désigne dix ter­ri­toires, dont celui du quarti­er Saint-Jean à Villeur­banne. La créa­tion d’Emerjean s’est déroulée en 3 phas­es. D’abord la fab­rique du con­sen­sus afin de réalis­er une coali­tion d’acteurs : élus locaux, entre­pris­es, syn­di­cats, asso­ci­a­tions, bailleurs soci­aux… qui sont regroupés dans le comité local pour l’emploi (CLE). Ce comité assure une gou­ver­nance parte­nar­i­ale de l’opération en s’appuyant sur une asso­ci­a­tion, Le Boost­er de Saint-Jean, qui a été créée pour l’assister dans la mise en œuvre des phas­es suiv­antes. Puis ont lieu la ren­con­tre et le recrute­ment des chômeurs du quarti­er Saint-Jean qui sont privés d’emploi depuis plus d’un an. S’agissant de les trans­former en salariés, leur entre­tien d’embauche a porté sur leurs com­pé­tences et sur leur envie de tra­vailler. Enfin vient le recense­ment des travaux utiles et des besoins non sat­is­faits dans lequel se sont impliqués sur le ter­rain les mem­bres du CLE.

Une entreprise solidaire d’utilité sociale

Emer­jean a été créée en mars 2017 avec un statut de SAS (société par actions sim­pli­fiée). Comme elle est agréée comme entre­prise sol­idaire d’utilité sociale, elle peut col­lecter de l’épargne sol­idaire. Elle emploie, en CDI et à temps choisi, 80 salariés dont 70 % de femmes, 12 jeunes de moins de 26 ans et 12 seniors de plus de
55 ans. Les activ­ités ont été dénichées dans les inter­stices du marché local de l’emploi. Il s’agit d’activités pour les habi­tants : ser­vices à la per­son­ne, sou­tien sco­laire, brico­lage, entre­tien et répa­ra­tion, jar­di­nage, retouche cou­ture, coif­fure, ong­lerie… On trou­ve aus­si des activ­ités pour les PME-TPE qui représen­tent un gros vol­ume. Il s’agit de presta­tions qui leur sont ren­dues en dehors de leur méti­er : manu­ten­tion, admin­is­tra­tion bureau­tique, net­toy­age des locaux… Des activ­ités liées à la tran­si­tion écologique ont aus­si été créées : com­post, recy­clage des déchets, etc., en tout une ving­taine d’activités pour le choix desquelles le comité local pour l’emploi a veil­lé à ce qu’Emerjean n’entre pas en con­cur­rence avec des activ­ités exis­tantes. Tous les salariés d’Emerjean suiv­ent un stage de deux jours sur les thèmes de la com­mu­ni­ca­tion et de la bien­veil­lance. Chaque lun­di matin, une réu­nion des salariés a pour but de pro­gram­mer et de répar­tir les travaux. Il y a trois cadres pour 80 salariés qui se répar­tis­sent en petites équipes de 6 à 8 per­son­nes. Le fait de les avoir recrutés en amont de l’activité per­met de les responsabiliser.


Les trois organismes qui structurent l’opération sont :

• Le comité local pour l’emploi (CLE) qui assure une ani­ma­tion con­tin­ue du pro­jet sur le ter­ri­toire où il est mis en œuvre. Il assure l’entretien du con­sen­sus local et la régu­la­tion du fonc­tion­nement de l’EBE : non-con­cur­rence, ges­tion de l’entrée des chômeurs dans le dis­posi­tif, organ­i­sa­tion de coopérations…

• L’entreprise à but d’emploi (EBE) qui assure l’accueil des nou­veaux salariés, leur for­ma­tion, la mise en place d’une poli­tique des ressources humaines bien­veil­lante, la prospec­tion et le développe­ment de nou­velles activités.

• Le fonds d’expérimentation ter­ri­to­ri­ale con­tre le chô­mage de longue durée (ETCLD) qui accom­pa­gne les CLE et les EBE dans l’apprentissage de la pro­duc­tion d’emplois tout en veil­lant qu’ils n’entrent pas en con­cur­rence avec les emplois existants.


Premier bilan

Ce bilan a été pub­lié en octo­bre 2018 par le fonds d’expérimentation et ne prend en compte qu’une année de fonc­tion­nement opéra­tionnel pour la plu­part des EBE. Le bilan donne une descrip­tion des opéra­tions que nous avons classées selon les trois con­vic­tions sur lesquelles est fondé le projet.

Personne n’est inemployable

Il s’agit d’atteindre l’exhaustivité, à savoir un recrute­ment local sans sélec­tion de toutes les per­son­nes privées durable­ment d’emploi (PPDE) pour les amen­er dans un emploi adap­té, de qual­ité et à temps choisi. En juil­let 2018, 600 per­son­nes ont été recrutées par les EBE. Reçues indi­vidu­elle­ment, on a débat­tu avec elles sur trois ques­tions : que savez-vous faire ? Que désirez-vous faire ? Qu’acceptez-vous d’apprendre ? Ne pou­vant recruter tous les can­di­dats rapi­de­ment, il a fal­lu gér­er et ani­mer dans la durée les groupes de futurs salariés. On a dif­fusé la cul­ture du pro­jet au plus grand nom­bre afin de faciliter leur inté­gra­tion dans les EBE quand ils seraient recrutés. Le tra­vail d’animation de ces groupes de per­son­nes volon­taires est devenu pri­mor­dial. La mobil­i­sa­tion des chômeurs de longue durée par les comités locaux n’a pas abouti seule­ment à leur embauche au sein des EBE. Nom­bre d’entre eux, impliqués dans le pro­jet, ont trou­vé un emploi en dehors des EBE.

“Nombre d’entre eux ont trouvé un emploi en dehors des EBE”

Ce n’est pas le travail qui manque

Sous le con­trôle des comités locaux, les EBE ont recher­ché des emplois « sup­plé­men­taires » dont la prospec­tion implique une mobil­i­sa­tion et un con­sen­sus local. Il s’agit d’emplois dont se passe sans dom­mage l’économie lucra­tive, mais qui présen­tent une véri­ta­ble valeur pour la société. Leur choix est soumis à deux con­di­tions : ils doivent cor­re­spon­dre à une activ­ité non con­cur­ren­tielle qui, soit n’existe pas sur le ter­ri­toire, soit existe mais une par­tie de la pop­u­la­tion n’y a pas accès pour des raisons économiques, soit existe mais la capac­ité du secteur marc­hand ou non marc­hand à répon­dre à la demande est insuff­isante. L’exercice doit aus­si en être prin­ci­pale­ment ter­ri­to­r­i­al. Dans leur ensem­ble, les EBE des dix ter­ri­toires expéri­men­taux par­ticipent à la mise en œuvre des poli­tiques publiques de développe­ment local par des travaux utiles parce que con­tribuant au développe­ment du tis­su économique local, à la cohé­sion sociale, à la lutte con­tre l’exclusion et à la tran­si­tion écologique.


Des exemples

• Une EBE dans un ter­ri­toire rur­al est sol­lic­itée pour des activ­ités dans les espaces verts et des ser­vices à la per­son­ne. Le CLE ren­con­tre les entre­pre­neurs et organ­i­sa­tions du ter­ri­toire inter­venant dans ces domaines pour établir un diag­nos­tic concurrentiel.

• La même EBE est sol­lic­itée par des arti­sans qui recherchent des ren­forts ponctuels.
Le CLE décide qu’elle peut inter­venir pour des presta­tions qui
ne dépassent pas une demi-journée avec une fac­tura­tion aux prix du marché.

• Emer­jean, l’EBE de Villeur­banne, est sol­lic­itée par une entre­prise locale qui devait rem­plac­er dans un délai très court les vélos en libre-ser­vice de la Métro­pole de Lyon. Emer­jean était seule en mesure de mobilis­er un nom­bre impor­tant de salariés pen­dant un temps très court et le critère ter­ri­to­r­i­al a été retenu par le comité local du fait que l’entreprise cliente résidait sur le quarti­er Saint-Jean. 


Ce n’est pas l’argent qui manque

Le coût moyen annuel d’un salarié EBE à plein temps est éval­ué à 26 000 euros, ce coût inclu­ant celui du cap­i­tal néces­saire à la créa­tion de l’EBE et les rémunéra­tions de l’équipe de direc­tion. Par emploi à temps plein, la con­tri­bu­tion du fonds d’expérimentation se mon­tant à 18 000 euros et le chiffre d’affaires moyen d’une EBE rap­por­tant 3 000 euros, il restait à trou­ver 5000 euros. Il a été trou­vé avec des sub­ven­tions des col­lec­tiv­ités locales et du min­istère du Tra­vail et avec du mécé­nat… en atten­dant une pro­gres­sion atten­due du chiffre d’affaires des EBE.


Ressources

« Expéri­men­ta­tion visant à résor­ber le chô­mage de longue durée – Bilan inter­mé­di­aire 2018 »

Site inter­net du pro­jet www.tzcld.fr

Con­férence de Louis Gal­lois du 29 jan­vi­er 2019 à l’École nor­male supérieure de Lyon


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1. Ancien prési­dent de la SNCF, puis d’Airbus, Louis Gal­lois, qui est actuelle­ment prési­dent du con­seil de sur­veil­lance de PSA Peu­geot Cit­roën, pré­side égale­ment la Fédéra­tion nationale des acteurs de la sol­i­dar­ité (anci­en­nement la FNARS).

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