La dynamique du plein-emploi

Dossier : Défricher des voies nouvellesMagazine N°552 Février 2000
Par Jacques NIKONOFF (ENA 1986)

Les “quatre clarifications”

Une sous-estimation des effets tragiques du chômage

Les “quatre clarifications”

Une sous-estimation des effets tragiques du chômage

Nous per­sis­tons, col­lec­tive­ment, à sous-estimer les effets du chô­mage et de la pré­car­ité sur l’ensem­ble de la société. Chô­mage et sous-emploi sont au cen­tre de tout. Ne pas les réduire très forte­ment revient à se priv­er de la pos­si­bil­ité de régler en pro­fondeur nos dif­fi­cultés les plus graves. Aucun prob­lème ne peut plus en lui-même trou­ver de solu­tion durable, séparée des autres. Il faut agir de façon glob­ale et mas­sive — sys­témique — sur la cause prin­ci­pale : le chômage.

Prenons quelques exemples :

Le chô­mage aggrave les dif­fi­cultés de l’é­cole et des familles. Selon un rap­port de l’In­spec­tion générale de l’É­d­u­ca­tion nationale1, de plus en plus d’ado­les­cents et d’en­fants sont vic­times de mal­nu­tri­tion, de manque de soins, de dif­fi­cultés famil­iales graves. N’ex­iste-t-il aucun lien entre le chô­mage des par­ents, les retards sco­laires et la vio­lence à l’école ?

Le chô­mage con­stitue la cause fon­da­men­tale des dif­fi­cultés de cer­taines cités de ban­lieue. Certes, dis­ent deux chercheurs, il est indis­pens­able de repein­dre les façades, de répar­er les ascenseurs et les boîtes à let­tres, d’en­tretenir les pelous­es, d’amélior­er les trans­ports et les loge­ments. On doit organ­is­er des matchs de foot, installer des aires de jeux (la mode est aux paniers de bas­ket), con­stru­ire des murs à escalade, engager des édu­ca­teurs et des îlotiers… à con­di­tion de savoir que tout cela reste à la sur­face des choses. Le prob­lème numéro un des quartiers sen­si­bles est celui de la réus­site sco­laire et de l’emploi des jeunes2.

La faib­lesse des ressources d’un nom­bre gran­dis­sant de per­son­nes provoque des enchaîne­ments per­vers dans le domaine de l’habi­tat : déficits des offices HLM, dégra­da­tion de l’en­tre­tien et impos­si­bil­ité de répar­er, démé­nage­ment des familles encore solv­ables qui ne veu­lent plus vivre dans cet envi­ron­nement, rem­place­ment par des per­son­nes en dif­fi­culté, nou­veaux déficits, blocage du marché immo­bili­er, diminu­tion du nom­bre des con­struc­tions, réduc­tion des effec­tifs dans le bâtiment…

L’obsolescence du concept de “taux naturel de chômage”

La pen­sée économique est aujour­d’hui dom­inée par l’idée qu’il exis­terait un “taux naturel de chô­mage”. Autrement dit, le main­tien d’un niveau élevé de chô­mage serait le prix à pay­er pour éviter le retour de l’in­fla­tion. Cette con­cep­tion malthusi­enne et sac­ri­fi­cielle de l’é­conomie s’ex­prime prin­ci­pale­ment dans des poli­tiques moné­taires et budgé­taires sys­té­ma­tique­ment restric­tives. Pour­tant les caus­es de l’in­fla­tion ont disparu…

Le con­cept de “taux de chô­mage naturel” a été élaboré en 1968 par Mil­ton Fried­man et Edmund Phelps sous l’ap­pel­la­tion de Non-Accel­er­at­ing Infla­tion Rate of Unem­ploy­ment (NAIRU), c’est-à-dire le “Taux de chô­mage qui n’ac­célère pas l’in­fla­tion”.

Pour le NAIRU, si le chô­mage est trop faible, l’in­fla­tion va s’ac­célér­er au point de ne plus pou­voir être maîtrisée. Les poli­tiques publiques, notam­ment la poli­tique moné­taire, doivent donc main­tenir un cer­tain niveau de chô­mage — en agis­sant notam­ment sur les taux d’in­térêt — pour ne pas réveiller les démons infla­tion­nistes. Le chô­mage est ain­si devenu la “vari­able d’a­juste­ment”.

C’est la rai­son pour laque­lle les ban­ques cen­trales répug­nent à réduire les taux d’in­térêt, craig­nant de voir se dévelop­per la crois­sance, l’emploi, et donc l’in­fla­tion… Telle est l’in­ter­pré­ta­tion qu’il con­vient de don­ner à la hausse des taux décidée le 4 novem­bre 1999 par la Banque cen­trale européenne suiv­ie, quelques jours après, par une hausse des taux décidée par la Fed alors qu’il n’ex­is­tait aucune men­ace inflationniste.

En France le NAIRU existe. Il a même été fixé à 9 % par le min­istère des Finances3. On retrou­ve ce taux de 9 % dans le rap­port Charpin sur les retraites pour éval­uer le chô­mage en… 2040 !

Le NAIRU est aujour­d’hui “l’un des plus puis­sants moyens d’in­flu­ence de ce siè­cle sur les poli­tiques économiques4.

Pour le prix Nobel d’é­conomie James Tobin “cette croisade con­tre l’in­fla­tion ne mène nulle part5.

Il n’ex­iste en effet aucun fonde­ment pour con­clure qu’un faible taux de chô­mage provoque de façon per­ma­nente l’in­fla­tion et que celle-ci va s’ac­célér­er. Toutes les sta­tis­tiques mon­trent qu’aux États-Unis et ailleurs, mal­gré la baisse du chô­mage, aucune “accéléra­tion” de l’in­fla­tion n’a été constatée.

La men­ace infla­tion­niste a dis­paru pen­dant les années 90 sous l’ef­fet d’une inten­sité accrue de la com­péti­tiv­ité sur les marchés du tra­vail et des biens.

L’ou­ver­ture crois­sante des économies à la con­cur­rence inter­na­tionale et les mesures de déré­gle­men­ta­tion ont aug­men­té la flex­i­bil­ité sur le marché des biens. Par ailleurs, la chute du taux de syn­di­cal­i­sa­tion, la réduc­tion de la taille moyenne des entre­pris­es, le recours accru à la sous-trai­tance ont eu le même effet sur le marché du tra­vail. Les exi­gences salar­i­ales s’en trou­vent néces­saire­ment modérées.

Un risque d’in­fla­tion men­ace quand la demande glob­ale est plus forte que l’of­fre glob­ale. Autrement dit l’in­fla­tion peut appa­raître lorsque la demande d’achat des citoyens est plus élevée que ce que peut offrir l’ap­pareil de pro­duc­tion. Dans ce cas les entre­pris­es peu­vent aug­menter leurs prix sachant que des acheteurs suiv­ront leurs enchères. Mais une telle sit­u­a­tion ne peut exis­ter que dans un con­texte de plein-emploi et de pleine util­i­sa­tion des capac­ités de production.

Or quelle est la réal­ité aux États-Unis ? Les capac­ités de pro­duc­tion, en novem­bre 1999, n’é­taient util­isées qu’à 80,7 % alors que 40 mil­lions de per­son­nes ne tra­vail­laient pas. Sans par­ler de la France…

Keynes obser­vait, dans les années 30, que les écon­o­mistes pou­vaient obstiné­ment croire à leurs théories, même quand la réal­ité prou­vait le contraire…

Élargir la notion de travail

À chaque époque, la façon dont les humains pro­duisent et dis­tribuent les richess­es dont ils esti­ment avoir besoin est une créa­tion orig­i­nale. En ce sens, le tra­vail est tou­jours l’ex­pres­sion de son époque. Il ne procède d’au­cune loi naturelle. Il est tou­jours un choix “poli­tique”, car on peut décider de ce à quoi il sert, de ses con­di­tions et rémunéra­tions, de sa recon­nais­sance et de sa sym­bol­ique. Il revient tou­jours à la société de décider de ce qu’elle con­sid­ère comme étant du travail.

L’al­ter­na­tive est donc sim­ple : soit le tra­vail et l’emploi ne sont que la résul­tante aléa­toire de la con­jonc­ture économique mon­di­ale ; soit le tra­vail et l’emploi devi­en­nent un con­stru­it politique.

Qu’est-ce que le tra­vail ? Il est, avant tout, une activ­ité créa­trice de valeur et de richesse qui per­met de répon­dre aux besoins humains. Ces derniers étant évo­lu­tifs et infi­nis, le tra­vail est lui-même évo­lu­tif et infi­ni, à moins de croire à la fin du développe­ment humain lui-même. Mais ces besoins ne sauraient être réduits à leur seule dimen­sion économique ou matérielle. Ils incor­porent tout ce qui relève du lien social, de la cul­ture, de la vie collective.

Ce n’est donc pas le tra­vail qui manque, c’est l’emploi. Ce dernier n’est que l’en­veloppe, le cadre — juridique la plu­part du temps — dans lequel s’ex­erce un travail.

Un déplace­ment cul­turel fon­da­men­tal doit ain­si s’opér­er dans notre con­cep­tion du tra­vail. Doit être con­sid­éré comme étant du tra­vail tout ce qui con­tribue à créer de la valeur au sens économique, du bien-être sur le plan indi­vidu­el, du lien social sur le plan col­lec­tif. Tout repose alors sur deux paramètres : les besoins et le choix de la civil­i­sa­tion dans laque­lle nous voulons vivre.

Les besoins sont une notion déli­cate à appréhen­der. Ils sont à la fois “spon­tanés” (ce qu’une per­son­ne déclare comme étant un besoin) et “con­stru­its” (c’est la fonc­tion de la cul­ture). C’est à par­tir de cette “matière pre­mière” que des emplois pour­ront être créés, cha­cun aura la cer­ti­tude qu’ils ne seront pas arti­fi­ciels. Des emplois, d’un type inédit, ver­ront le jour…

Le tra­vail reste aujour­d’hui vécu comme une activ­ité pro­duc­tive d’ob­jets ou de ser­vices. Loin d’avoir “dis­paru”, il doit au con­traire s’élargir à deux nou­velles dimen­sions : la pro­duc­tion de soi-même et la pro­duc­tion de société.

Se pro­duire soi-même ? C’est avoir la pos­si­bil­ité per­ma­nente de se for­mer, s’é­du­quer, se cul­tiv­er dans une société à la com­plex­ité crois­sante. Pro­duire de la société ? Ce sont des fonc­tions nou­velles, liées à une étape supérieure de notre organ­i­sa­tion démoc­ra­tique : inter­face entre les indi­vidus et les groupes ou les insti­tu­tions ; trans­parence de la vie publique, infor­ma­tion et com­mu­ni­ca­tion ; créa­tion de citoyen­neté, enquêtes, études, ani­ma­tion de réu­nions ; développe­ment durable.

Reconstruire les instruments de mesure de la politique de l’emploi

L’e­uphorie observée au tour­nant des années 1999 et 2000 à pro­pos de la crois­sance et de l’emploi relève, pour une part non nég­lige­able, d’une pro­fonde illu­sion statistique.

Les chiffres du chô­mage sont en effet trop “poli­tiques” et masquent la réal­ité du sous-emploi dans notre pays. La notion de chômeur est dev­enue plus floue avec la mul­ti­pli­ca­tion des sit­u­a­tions inter­mé­di­aires entre l’emploi et l’i­n­ac­tiv­ité, le développe­ment de la flex­i­bil­ité et l’émer­gence de la pré­car­ité. La mesure de l’emploi et du chô­mage doit s’adapter à cette nou­velle donne, non seule­ment parce que la qual­ité de l’in­for­ma­tion économique et sociale est la con­di­tion d’un réel débat démoc­ra­tique, mais aus­si parce que la représen­ta­tion que la société a de l’emploi et du chô­mage déter­mine les poli­tiques mis­es en œuvre pour favoris­er le pre­mier et faire reculer le second.

Il faut savoir par exem­ple que le principe de la pub­li­ca­tion men­su­elle des chiffres du chô­mage n’est à l’heure actuelle prévu par aucun texte. Autre exem­ple : il y a peu, les Pays-Bas étaient cités en exem­ple parce qu’ils avaient réus­si à ramen­er le taux de chô­mage offi­ciel à 6,5 %, un des taux les plus bas de l’OCDE.

Mais l’or­gan­isme inter­na­tion­al fait remar­quer que si l’on élar­git la déf­i­ni­tion aux per­son­nes en âge de tra­vailler béné­fi­ciant d’une indem­nité au lieu d’un salaire, ce taux atteint 27 %. Beau­coup de salariés du secteur privé ont en effet été classés dans la caté­gorie des invalides…

Per­sis­ter à utilis­er des chiffres qui masquent l’am­pleur réelle du sous-emploi ne peut qu’en­traîn­er une sous-esti­ma­tion des dégâts du chô­mage et, par con­séquent, des mesures à prendre.

Nous avons besoin de con­naître en per­ma­nence, tant en stock qu’en flux, la façon dont évolu­ent l’emploi et le chô­mage. Or les sta­tis­tiques ne trait­ent que médiocre­ment des flux. La sta­tis­tique de l’emploi est une sta­tis­tique de stock et de linéar­ité. Elle doit s’en­richir de la per­cep­tion des flux et des discontinuités.

Il con­vient égale­ment d’opér­er la dis­tinc­tion entre chô­mage et sous-emploi et cess­er de focalis­er l’at­ten­tion sur une seule des caté­gories de deman­deurs d’emploi (la caté­gorie 1 de l’ANPE), mais présen­ter une bat­terie large d’indicateurs.

L’il­lu­sion sta­tis­tique est la même dans le domaine de la mesure du coût du chômage.

En 1996 la créa­tion d’une com­mis­sion d’en­quête par­lemen­taire sur les aides à l’emploi est décidée6. Tout en con­sid­érant que son étude est par­tielle, elle chiffre néan­moins à 400 mil­liards de francs le coût des aides à l’emploi alors que le min­istère du Tra­vail les chiffre à 300 milliards…

II. Le coût du chômage en 1997 : 1 100 milliards de francs

Si les chiffres pub­liés par le mou­ve­ment Un tra­vail pour cha­cun dans Chô­mage : nous accu­sons ! sont exacts, le chô­mage et le sous-emploi ont coûté près de 1 100 mil­liards de francs en 19977. Nous repro­duisons ici une par­tie de cette étude appliquée à des chiffres de 1997. Elle a une voca­tion européenne et tient en deux points :

  • le cal­cul des dépens­es de la nation liées au sous-emploi (700 mil­liards de francs) ;
  • le cal­cul des man­ques à gag­n­er provo­qués par cette sit­u­a­tion (400 mil­liards de francs).

Calcul des dépenses de la nation liées au sous-emploi (700 milliards)

La dépense liée au sous-emploi vise à compt­abilis­er toutes les dépens­es réelles de la nation occa­sion­nées par le chô­mage et le sous-emploi, autant qu’il est pos­si­ble de le faire. On peut class­er ces dépens­es en trois catégories.

Les dépens­es directes de la poli­tique de l’emploi : 438 milliards

Elles se com­posent de deux catégories :

  • les dépens­es directes “explicites” (236 mil­liards) se définis­sent comme des dépens­es que l’É­tat recon­naît explicite­ment et offi­cielle­ment comme faisant par­tie de la poli­tique de l’emploi et con­ti­en­nent cinq caté­gories dont : indem­ni­sa­tion du chô­mage (118,20 mil­liards), pro­mo­tion et créa­tion d’emplois (69,76 mil­liards) et retrait et inci­ta­tion à l’ac­tiv­ité, main­tien de l’emploi (23,56 milliards) ;
  • nous définis­sons ensuite les dépens­es directes “implicites” (202 mil­liards) comme des dépens­es “offi­cieuses” de l’É­tat. Elles regroupent sept caté­gories dont : pro­mo­tion et créa­tion d’emplois (69,76 mil­liards), des com­pen­sa­tions ver­sées aux col­lec­tiv­ités locales (59,88 mil­liards), les réduc­tions de charges sociales patronales (42,72 mil­liards), la for­ma­tion pour les chômeurs (35,85 mil­liards), les dépens­es de revenus de rem­place­ment liés à de l’i­n­ac­tiv­ité (32 mil­liards), les dépens­es pour l’emploi des col­lec­tiv­ités locales (22,66 milliards).

Les dépens­es indi­rectes liées au chô­mage : 147 milliards

Nous iden­ti­fions qua­tre caté­gories de dépens­es indirectes :

  • les dépens­es indi­rectes de l’É­tat : 19,70 milliards,
  • les dépens­es indi­rectes des col­lec­tiv­ités locales : 15,10 milliards,
  • les dépens­es indi­rectes des régimes soci­aux : 94,02 milliards,
  • les dépens­es indi­rectes de l’Eu­rope : 18,62 milliards.

 
Les dépens­es opaques de l’emploi : 107 milliards

Nous les définis­sons comme des dépens­es dont une par­tie est liée au chô­mage, mais dont le manque de trans­parence est tel qu’il ne per­met pas de chiffrage pré­cis. Il existe trois caté­gories de dépens­es opaques : les aides directes aux entre­pris­es (20 mil­liards), les aides à l’a­gri­cul­ture (87 mil­liards) et les recap­i­tal­i­sa­tions d’en­tre­pris­es publiques (?).

Les manques à gagner liés au chômage : 400 milliards

Le chô­mage ne provoque pas seule­ment des dépens­es, qu’elles soient directes ou indi­rectes, il engen­dre égale­ment des man­ques à gag­n­er con­sid­érables pour la fis­cal­ité et les régimes soci­aux. Dis­tincts des dépens­es, ces man­ques à gag­n­er font néan­moins par­tie du coût glob­al du chô­mage dans notre pays. L’ex­is­tence de mil­lions de chômeurs et de per­son­nes sous-employées provoque qua­tre types de man­ques à gagner.

Les man­ques à gag­n­er fis­caux et soci­aux immé­di­ats que l’on peut cal­culer avec pré­ci­sion : 313,55 milliards

Les man­ques à gag­n­er fis­caux représen­taient 18,9 mil­liards en 1997 et con­cer­naient la CSG (16,47 mil­liards) et la CRDS (2,42 milliards).

Quant aux man­ques à gag­n­er en coti­sa­tions sociales, ils s’él­e­vaient à 294,65 mil­liards et con­cer­naient : coti­sa­tions UNEDIC (42,79 mil­liards), coti­sa­tions de Sécu­rité sociale (200,09 mil­liards), coti­sa­tions de retraite com­plé­men­taire (31,88 mil­liards) et autres coti­sa­tions sociales patronales (19,89 milliards).

Les man­ques à gag­n­er fis­caux immé­di­ats que l’on peut cal­culer mais avec une marge d’in­cer­ti­tude : 81,54 milliards

Pre­mière caté­gorie : des man­ques à gag­n­er fis­caux de l’É­tat qui s’él­e­vaient à 77,46 mil­liards et qui con­cer­naient l’im­pôt sur le revenu (49,34 mil­liards) et la TVA (28,12 milliards).

Deux­ième caté­gorie : des man­ques à gag­n­er fis­caux des col­lec­tiv­ités locales qui s’él­e­vaient à 4,08 mil­liards et con­cer­naient la taxe pro­fes­sion­nelle (?) et la taxe d’habi­ta­tion (4,08 milliards).

Les man­ques à gag­n­er cer­tains à terme mais pou­vant être dif­fi­cile­ment chiffrés

Cer­tains de ces man­ques à gag­n­er con­cer­nent l’É­tat et sont d’o­rig­ine fis­cale. Des mil­lions de per­son­nes au chô­mage provo­quent en effet une baisse des encaisse­ments de droits de muta­tion, d’im­pôt sur les sociétés et de TIPP que nous n’avons pas pu chiffrer.

D’autres man­ques à gag­n­er con­cer­nent les col­lec­tiv­ités locales, à tra­vers la taxe fon­cière et la vignette auto­mo­bile, mon­tants qui n’ont pu être évalués.

Les man­ques à gag­n­er pour l’É­tat de cer­taines exonéra­tions fis­cales : 11,55 milliards

Les pre­miers con­cer­nent la fis­cal­ité des ménages et s’él­e­vaient à 4,96 mil­liards en 1997 : impôt sur le revenu et exonéra­tions sur la taxe fon­cière sur les pro­priétés bâties.

Les sec­onds con­cer­nent la fis­cal­ité por­tant sur les entre­pris­es pour un mon­tant de 6,59 mil­liards : taxe pro­fes­sion­nelle et impôt sur les sociétés.

III. Comment activer les dépenses “passives” du chômage ?

La “sit­u­a­tion de référence” que nous voulons attein­dre est celle d’une société dans laque­lle cha­cun a la pos­si­bil­ité de tra­vailler s’il le souhaite. Dans cette société, cha­cun a donc une “posi­tion”. Pour déter­min­er le nom­bre de per­son­nes con­cernées, nous utilis­erons les esti­ma­tions du Cen­tre d’é­tudes et de recherch­es sur les coûts (CERC), soit 5 mil­lions de per­son­nes et prenons le salaire moyen de l’ou­vri­er qual­i­fié en 1995, soit 8 500 francs par mois. Les charges sociales salar­i­ales sont inclus­es. À ceci, il con­vient d’a­jouter les coti­sa­tions sociales patronales8. Au total, le coût d’un emploi “chargé” est de 11 985 francs par mois, soit 143 820 francs par an. La somme néces­saire pour pay­er 5 mil­lions de salaires est donc : 11 985 x 12 x 5 000 000 = 719,1 mil­liards de francs.

Déterminer ce qui est “activable”

Les dépens­es que l’on ne peut pas activ­er (72,82 milliards)

Une série de dépens­es ne peu­vent pas — ou ne doivent pas — être activées pour un total de 72,82 mil­liards de francs9.

L’ac­ti­va­tion “immé­di­ate” (122 milliards)

L’ac­ti­va­tion “immé­di­ate” con­siste à sup­primer pure­ment et sim­ple­ment cer­tains dis­posi­tifs financés notam­ment par l’É­tat et à en affecter les crédits à un fonds spé­cial pour l’emploi. Nous esti­mons le total à 122 mil­liards sus­cep­ti­bles de financer 855 000 emplois10.

L’ac­ti­va­tion “dynamique” (267 milliards)

Cer­taines dépens­es liées au chô­mage ne peu­vent être sup­primées du jour au lende­main. C’est le cas, par exem­ple, des indem­nités de chô­mage, des con­trats emploi-sol­i­dar­ité, des emplois-jeunes, du RMI, de cer­taines allo­ca­tions de la branche famille de la Sécu­rité sociale…

Mais si 5 mil­lions de nou­veaux emplois sont créés, l’im­mense majorité des per­son­nes présentes dans les sys­tèmes d’as­sis­tance retrou­vera un emploi. Et des revenus : 8 500 francs bruts par mois en moyenne. La plu­part sor­ti­ra donc des barèmes ouvrant droit à l’as­sis­tance, libérant ces sommes pour aut­o­fi­nancer l’emploi. De nom­breux dis­posi­tifs d’É­tat sont con­cernés : allo­ca­tion unique dégres­sive (94,5 mil­liards) ; allo­ca­tion de sol­i­dar­ité spé­ci­fique (22,6 mil­liards) ; etc. Si nous con­sid­érons que 75 % des “béné­fi­ci­aires” de ces dis­posi­tifs retrou­vent un emploi, nous déga­geons pro­gres­sive­ment 174 mil­liards de francs par an.

Il faut ajouter la por­tion des dépens­es de la branche famille de la Sécu­rité sociale liée au chô­mage : allo­ca­tion de par­ent isolé, APL, com­plé­ment famil­ial, allo­ca­tion pour jeune enfant, aide pour l’emploi d’une assis­tante mater­nelle, allo­ca­tion de ren­trée sco­laire pour un mon­tant de 93 milliards.

Au total, 267 mil­liards de francs par an peu­vent être ain­si mobil­isés pro­gres­sive­ment, sans remet­tre en cause les droits acquis de qui que ce soit. Avec cette somme, il est pos­si­ble de financer 1,86 mil­lion d’emplois.

Si 2,7 mil­lions d’emplois sup­plé­men­taires sont créés, nous sommes déjà dans une nou­velle sit­u­a­tion. Au fur et à mesure de la mon­tée en charge de cette nou­velle logique, les con­di­tions macroé­conomiques se mod­i­fient : l’é­pargne, la con­som­ma­tion, les impor­ta­tions et expor­ta­tions, le moral de la société… Mais nous n’avons pas encore atteint les 5 mil­lions d’emplois que nous voulons créer. L’ac­ti­va­tion des dépens­es pas­sives n’est donc pas suff­isante, il faut ajouter d’autres out­ils de finance­ment11.

Déterminer les mécanismes juridiques et financiers

L’in­vestisse­ment per­ma­nent pour l’emploi que nous pré­con­isons sup­pose la créa­tion d’un statut de l’ac­t­if. Financé par un sys­tème de “portage” indi­vidu­el des dépens­es pas­sives du chô­mage, il sera ali­men­té par un fonds nation­al d’in­vestisse­ment pour l’emploi (FNIE) relayé, sur le ter­rain, par des fonds territoriaux.

Pour un statut de l’actif

Jacques NIKONOFF

A com­mencé sa car­rière pro­fes­sion­nelle comme ouvri­er spé­cial­isé pen­dant dix ans dans l’industrie.

Après des études à l’U­ni­ver­sité et au Con­ser­va­toire nation­al des arts et métiers en sci­ences de l’é­d­u­ca­tion, puis à l’In­sti­tut d’é­tudes poli­tiques de Paris, il réus­sit le con­cours d’en­trée à l’É­cole nationale d’administration.

Admin­is­tra­teur civ­il à la Caisse des Dépôts, il a été notam­ment Attaché financier à New York pour le Tré­sor et représen­tant de la CDC aux États-Unis pen­dant plusieurs années.

Il est prési­dent d’une asso­ci­a­tion inti­t­ulée Mou­ve­ment Un tra­vail pour chacun.

Il a pub­lié trois ouvrages :
Existe-t-il des réser­voirs d’emplois ? Arléa-Cor­let, 1996.
Chô­mage : nous accu­sons ! Arléa, 1998.
La Comédie des fonds de pen­sion, Arléa, 1999.

Mou­ve­ment Un tra­vail pour chacun
BP 196–07 75326 Paris cedex 07

Notre société est mar­quée par une dis­con­ti­nu­ité crois­sante : celle des cycles économiques, des marchés, des par­ités de change, de l’or­gan­i­sa­tion des entre­pris­es, des car­rières pro­fes­sion­nelles… Ces dis­con­ti­nu­ités sont une des caus­es prin­ci­pales du chô­mage, de la pré­car­ité et de l’in­sécu­rité, mais aus­si de l’in­sta­bil­ité des familles, des com­porte­ments et des repères.

Traduisant con­crète­ment le droit con­sti­tu­tion­nel à l’emploi, un statut de l’ac­t­if per­met d’as­sur­er à cha­cun la con­ti­nu­ité d’une activ­ité, d’un revenu et de la pro­tec­tion sociale. Pour la vie entière mais pas néces­saire­ment dans le même emploi.

Une fois ces principes posés, restent à définir les modal­ités pra­tiques de fonc­tion­nement du statut de l’ac­t­if. Un champ immense et pas­sion­nant de réflex­ions et d’ex­péri­men­ta­tions s’ou­vre alors à tous.

La créa­tion d’un sys­tème de “portage” indi­vidu­el pour l’ac­ti­va­tion des dépens­es pas­sives du chômage

Un triple dis­posi­tif de portage per­met de financer le statut de l’ac­t­if : fis­cal, social et indem­ni­taire. Le statut de l’ac­t­if est un mode per­ma­nent de finance­ment de l’emploi, géré à l’éch­e­lon local par les acteurs réu­nis dans des instances intercommunales.

La mise en place d’un “fonds nation­al d’in­vestisse­ment pour l’emploi”

Le Fonds nation­al d’in­vestisse­ment pour l’emploi (FNIE) que nous pré­con­isons de créer doit être l’outil unique de finance­ment de la poli­tique nationale de l’emploi. Il con­cen­tre toutes les dépens­es de l’É­tat, directes ou indi­rectes, liées à l’emploi ain­si que celles de l’U­nion européenne. C’est un véri­ta­ble out­il d’in­vestisse­ment pour l’emploi, qui mutu­alise toutes les dépens­es actuelles et les trans­forme en finance­ment direct de projets.

Ces emplois, liés à la qual­ité de la vie, à la citoyen­neté et à la recherche du bien-être général, com­porteront, en eux-mêmes, les car­ac­téris­tiques d’un nou­veau mode de développe­ment. Une crois­sance économique dif­férente pour­ra voir le jour. La préoc­cu­pa­tion humaine et écologique sera intégrée.

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1. Le Figaro, 21 mars 1996.
2. Gérard Chau­veau et Éliane Rogouas-Chau­veau, chercheurs au CRESAS-INRP, in Le Monde, 17 décem­bre 1992.
3. Min­istère des Finances, Comptes prévi­sion­nels de la Nation pour 1997, prin­ci­pales hypothès­es économiques pour 1998.
4. Robert Eis­ner, “Our NAIRU Lim­it : The Gov­ern­ing Myth of Eco­nom­ic Pol­i­cy”, The Amer­i­can Prospect, n° 21, print­emps 1995.
5. James Tobin, “Looks at Mon­e­tary Pol­i­cy and the Fed­er­al Bud­get”, The Eco­nom­ic Strat­e­gy Insti­tute, 29 jan­vi­er 1996.
6. Les aides à l’emploi, Rap­port n° 2943, Assem­blée nationale, 1996.
7. Jacques Nikonoff (dirigé par), Chô­mage : nous accu­sons ! Arléa, 1998.
8. Nous nous basons, pour faire les cal­culs, sur les taux de coti­sa­tions sociales en vigueur au 1er jan­vi­er 1997.
9., 10., 11. Voir le détail dans Chô­mage : nous accu­sons ! op. cit.

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