Christophe Chevalier, PDG Archer à Romans

Militant du plein emploi, la réussite sociale du groupe Archer à Romans

Dossier : ExpressionsMagazine N°730 Décembre 2017
Par Jacques DENANTES (49)

En 1980, Romans vivait de l’in­dus­trie de la chaus­sure. En quelques années, dif­fi­cultés finan­cières, rachat par des fonds d’in­vestisse­ment et délo­cal­i­sa­tion, tout a dis­paru. Christophe Cheva­lier, PDG du groupe Archer, d’abord une asso­ci­a­tion de sol­i­dar­ité puis réori­en­tée vers le développe­ment économique, a décidé de relancer cette activ­ité avec ce qui restait du savoir-faire local. 

En 1980, la moitié des cinquante mille habi­tants du bassin d’emploi de Romans-sur-Isère vivaient directe­ment ou indi­recte­ment de l’industrie de la chaus­sure. En une quin­zaine d’années, toutes les entre­pris­es de chausseurs, mais aus­si de tan­neurs, de fab­ri­cants de com­posants, de tresseuses à domi­cile ont qua­si­ment dis­paru, ce qui a provo­qué un chô­mage mas­sif et d’énormes prob­lèmes de pauvreté. 


Christophe Cheva­lier, PDG du groupe Archer. © ÉRIC D’HÉROUVILLE

C’est dans ces ter­mes que Christophe Cheva­lier intro­dui­sait son exposé le 19 avril 2016 à l’École de Paris du management. 

Pour remédi­er aux dra­ma­tiques con­séquences du chô­mage, il avait créé, en 1987, l’association Archer mais, faute de créa­tion d’emplois pour rem­plac­er ceux qui avaient dis­paru, la for­ma­tion ne pou­vait au mieux que mod­i­fi­er les pri­or­ités dans la file d’attente du chômage. 

AUX GRANDS MAUX, LES PETITS REMÈDES

En 2007, Christophe Cheva­lier change de stratégie : « Nous avons décidé de réori­en­ter l’action d’Archer vers le développe­ment économique en priv­ilé­giant deux axes, les ressources humaines et la créa­tion ou le main­tien d’activités économiques. Nous avons créé une hold­ing de tête, la SAS groupe Archer. » 

Quand le fonds d’investissement devenu pro­prié­taire du plus gros fab­ri­cant de chaus­sures à Romans l’a mis en liq­ui­da­tion pour délo­calis­er sa pro­duc­tion, le groupe Archer a racheté une ligne de fab­ri­ca­tion et, avec huit ouvri­ers, a relancé une fab­ri­ca­tion en ciblant trois marchés. 

“ Notre grande surprise a été d’être complètement débordés par les commandes ”

Le pre­mier est celui des grandes mar­ques qui, pour béné­fici­er du label made in France, réalisent en France la fab­ri­ca­tion de sous-par­ties des chaussures. 

Il existe aus­si le marché très select des créa­teurs de mode qui, pour un défilé, ont besoin d’un petit nom­bre de paires assor­ties à leurs créations. 

Enfin, le groupe a opté pour la mise en valeur du savoir-faire local : « Nous avons décidé de nous appuy­er sur l’histoire de la chaus­sure dans son ter­ri­toire pour créer notre pro­pre mar­que, made in Romans, et pour com­mer­cialis­er nos chaus­sures nous-mêmes, dans nos mag­a­sins d’usines, auprès de groupes de touristes qui, chaque semaine ou presque en sai­son, vien­nent en auto­car vis­iter les ate­liers de Romans. » 

GRANDS SUCCÈS ET PETITES UNITÉS

Fabrication de chaussures à Romans
Il ne suff­i­sait pas de for­mer, il fal­lait créer des entre­pris­es qui créent des emplois.
© ÉRIC D’HÉROUVILLE

« Notre grande sur­prise a été d’être com­plète­ment débor­dés par les com­man­des. Nous ne par­ve­nions à hon­or­er que 10 ou 15 % d’entre elles. Pour faire face à cet afflux, nous avons décidé de faire appel à de toutes petites entre­pris­es qui, au pays de la chaus­sure de luxe, con­tin­u­aient à fab­ri­quer des san­dales, des chaus­sures de danse ou encore des chaus­sures d’escalade.

Nous leur avons pro­posé de répar­tir le tra­vail, non pas en nous partageant les com­man­des, mais en réal­isant cha­cun une par­tie de la chaus­sure en fonc­tion de nos savoir-faire respec­tifs : l’un découpe le cuir, l’autre le pique, un troisième fait le mon­tage, un autre s’occupe de la fini­tion, etc., un peu sur le mod­èle des dis­tricts italiens. 

Grâce à ce fonc­tion­nement en réseau, nous avons réus­si à pren­dre de plus en plus de com­man­des et, désor­mais, de nou­veaux arti­sans s’installent à Romans. 

Aujourd’hui, notre réseau com­prend une dizaine d’ateliers de deux à vingt per­son­nes. » Ce dynamisme retrou­vé, le lycée pro­fes­sion­nel a rou­vert des class­es, le cen­tre AFPA de Romans a relancé des for­ma­tions d’adultes, et des retraités ont accep­té d’apporter leur con­cours pour des savoir-faire spécifiques. 

En récupérant des locaux inutil­isés, le groupe Archer pro­jette d’y réu­nir tous les chausseurs afin de faciliter les coopéra­tions, d’organiser plus facile­ment les vis­ites d’ateliers et de créer un seul mag­a­sin d’usine, avec des horaires d’ouverture plus larges que ceux des petits mag­a­sins gérés par chaque entreprise. 

START-UP DE TERRITOIRE

À la fin de son exposé, Christophe Cheva­lier a présen­té sa nou­velle ini­tia­tive, le lance­ment de « start-up de ter­ri­toire ». Je suis allé le voir à Romans pour le con­naître et pour mieux com­pren­dre sa démarche. Il l’a présen­tée en la décom­posant en qua­tre phases. 

L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE AU SEIN DU GROUPE ARCHER

66 % des salariés sont en insertion.
7 000 heures de formation qualifiantes par an à 63 % pour des salariés en insertion, à 12 % pour des salariés permanents et à 23 % pour des bénéficiaires du RSA.
Le groupe remplit à 450 % son obligation légale en matière de formation.
Chiffres 2013, sources : Le Monde

La pre­mière fut la créa­tion, de 1987 à 1992, de l’association de sol­i­dar­ité Archer. En 1987, l’industrie de la chaus­sure dont vivait un Romanais sur deux était en voie de dis­paraître et le taux de chô­mage atteignait un tel niveau que s’étaient dévelop­pées de véri­ta­bles poches de pauvreté. 

Archer a d’abord été une asso­ci­a­tion de sol­i­dar­ité qui rassem­blait des asso­ci­a­tions car­i­ta­tives, des élus locaux, des entre­pris­es… Avec l’appui d’un « par­rain », Mar­tin Gray, auteur mon­di­ale­ment con­nu du réc­it auto­bi­ographique Au nom de tous les miens, l’association a pu mobilis­er des per­son­nal­ités locales, notam­ment des chefs d’entreprise.

Elle avait pour voca­tion d’aider les chômeurs dans tous les domaines de l’action sociale, for­ma­tion, loge­ment, san­té… Elle répondait à un réel besoin mais, faute de moyens d’agir sur l’emploi, elle n’apportait pas de solution. 

CRÉER DES EMPLOIS

De 1992 à 2007, Archer devient une entre­prise d’insertion. Avec la mise en place du RMI, les pou­voirs publics ont pris en charge la pau­vreté, de sorte qu’Archer a pu focalis­er son action sur l’emploi en favorisant la créa­tion d’associations d’insertion et en devenant elle-même entre­prise d’insertion.

“ L’industrie de la chaussure dont vivait un Romanais sur deux était en voie de disparaître ”

Pour Christophe Cheva­lier, cette péri­ode est celle d’une réflex­ion sur ses moyens d’action. À quoi bon for­mer des chômeurs s’il n’y avait pas d’emploi à leur offrir ? Il fal­lait sor­tir du cadre asso­ci­atif pour adopter les méth­odes de l’entreprise et se don­ner ses moyens d’action.

En 1989, il infor­ma­tise la ges­tion d’Archer et en 1995, il achète les locaux. Mais ce qui man­quait était les emplois, il ne suff­i­sait pas de for­mer, il fal­lait créer des entre­pris­es qui créent des emplois. 

DIVERSIFIER LES SECTEURS D’EMBAUCHE

En 2007, l’association Archer devient la SAS groupe Archer, avec une douzaine d’actionnaires pour com­mencer. Le groupe avait relancé l’industrie de la chaus­sure en recon­sti­tu­ant ou en con­for­t­ant une dizaine d’ateliers de deux à vingt per­son­nes, cha­cun devenant une entre­prise, mem­bre de la hold­ing. Pour sauver ou créer des emplois dans d’autres secteurs d’activité, Archer a util­isé les mêmes procédés. 

Essayage d'une chaussure
En dix ans, l’effectif du groupe Archer est passé de 165 à 500 salariés, de sorte que le groupe est devenu l’un des pre­miers employeurs de Romans. © ÉRIC D’HÉROUVILLE

En plus de la chaus­sure, le groupe Archer rassem­ble actuelle­ment des entre­pris­es dans les domaines du vête­ment, des travaux publics, des espaces verts, des ser­vices à la per­son­ne, de l’intérim, du trans­port, de la sous-trai­tance indus­trielle…, le tout représen­tant un effec­tif équiv­a­lent à 500 emplois à temps plein. 

Le groupe a main­tenant 112 action­naires dont les apports ont financé la crois­sance : la plu­part sont des habi­tants de Romans ou de la Drôme, mais il y a aus­si une ving­taine d’entreprises locales et quelques grandes entre­pris­es de l’économie sociale et sol­idaire, MAIF, Macif, Crédit Coopératif que Christophe Cheva­lier avait con­nues quand il était prési­dent d’une fédéra­tion des entre­pris­es d’insertion.

Son développe­ment a reçu l’appui de Claude Alphandéry, fon­da­teur de l’association France Active et ancien prési­dent du Lab­o­ra­toire de l’ESS. Ancien maquis­ard du Ver­cors, il était resté très attaché à la région. En investis­sant dans le groupe Archer, il a don­né l’exemple.

Chaque action­naire du groupe, qu’il ait investi 300 € ou 100 000 €, détient une voix. Le div­i­dende est très faible. Au plan juridique, il s’agit d’une SAS clas­sique, mais avec un fonc­tion­nement forte­ment inspiré du mod­èle de l’économie sociale. En 2009, un Pôle ter­ri­to­r­i­al de coopéra­tion économique (PTCE) a été créé à Romans qui, regroupant de nom­breux parte­naires, a pour objec­tif de favoris­er la coopéra­tion entre les petites entreprises. 

VERS LE PLEIN-EMPLOI À ROMANS

En dix ans, l’effectif du groupe Archer est passé de 165 à 500 salariés, de sorte que le groupe est devenu l’un des pre­miers employeurs de Romans. Et pour­tant il reste encore des chômeurs ! 

PÔLE TERRITORIAL DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUE

L’idée et le terme de PTCE sont nés en 2008 au sein d’un groupe de travail du Laboratoire de l’ESS. Leur définition a été officialisée par une loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS.

Pour Christophe Cheva­lier, le groupe Archer a atteint sa taille cri­tique et il n’envisage plus qu’une crois­sance mod­érée. Mais il veut con­tin­uer à pro­mou­voir la créa­tion d’emplois. C’est pourquoi il a lancé la procé­dure des « start-up de ter­ri­toire » à par­tir d’une réu­nion à laque­lle ont par­ticipé une cen­taine de per­son­nes de toutes prove­nances, chefs d’entreprise, fonc­tion­naires, salariés, syn­di­cal­istes, chômeurs… 

Ils étaient réu­nis pour réfléchir ensem­ble à des besoins locaux non sat­is­faits. Des pro­jets ont été retenus, sur lesquels la réflex­ion s’est pour­suiv­ie dans des petits groupes où chaque pro­jet a été analysé en vue de le traduire en activ­ité rentable. 

Cela a si bien marché qu’une sec­onde réu­nion a eu lieu un an plus tard, à laque­lle ont par­ticipé des per­son­nes étrangères à Romans qui voulaient repren­dre la démarche à leur compte. Le groupe Archer a égale­ment créé une École entre­pre­neuri­ale pour for­mer les por­teurs de pro­jet et il réflé­chit à la mise en place d’un fonds d’investissement.

UN ENTREPRENEUR DE TERRITOIRE

“ La plupart des actionnaires sont des habitants de Romans ou de la Drôme ”

Au-delà de sa fonc­tion d’entrepreneur du ter­ri­toire de Romans et en réac­tion à ce qu’il perçoit comme une résig­na­tion des pou­voirs publics à la per­sis­tance du chô­mage, Christophe Cheva­lier se veut un mil­i­tant du plein-emploi. Il se réclame de l’ESS où les écarts de salaires sont faibles et dont les action­naires se con­tentent de petits dividendes. 

Mais aus­si pour l’emploi de ceux qui n’ont pas dépassé le niveau du bac pro­fes­sion­nel, il faut, dit-il, con­serv­er en France des indus­tries de main‑d’œuvre. « Leur intel­li­gence est dans leurs doigts » et c’est en mul­ti­pli­ant les petites entre­pris­es qu’on leur donne les meilleures chances de la valoriser. 

Les cita­tions de Christophe Cheva­lier ont été retran­scrites par Élis­a­beth Bourguinat. 

POUR ALLER PLUS LOIN

L’expression « entrepreneur de territoire » vient de l’ouvrage L’économie qu’on aime de A. Barthélémy, S. Keller et R. Slitine, aux éditions Rue de l’échiquier, Paris, 2014.

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